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Blaise Compaoré : "Ce qui terrorise l’Afrique, c’est la faim"

Publié le mardi 27 avril 2004 à 07h11min

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Le président du Burkina Faso était de passage à Lyon ces jours-ci pour la remise de son titre de docteur honoris causa par l’université Lyon III. Côte d’Ivoire, Irak, terrorisme, Blaise Compaoré fait le tour des dossiers les plus brûlants du moment et dénonce les méfaits de l’unilatéralisme.

Un rassemblement des défenseurs de l’accord de Marcoussis s’est tenu hier à Abidjan, pour commémorer la répression sanglante de la manifestation de fin mars. Pensez-vous que le plus dur est passé ou que le pire est encore à venir en Côte d’Ivoire ?

C’est difficile à dire. Tout dépend de la volonté des différents acteurs à appliquer cet accord avec sérieux et sincérité. Les éléments fondamentaux de ce texte n’ont pas été traités : l’identification des populations, la question de l’organisation d’élections libres en 2005, la réforme de la loi foncière. Il reste beaucoup à faire pour autoriser l’espoir d’un règlement du conflit.

Comme dans toute crise, il y a des hauts et des bas. Mais je crois que la présence de plus en plus nette des Nations unies et de la communauté internationale sur le terrain politique et militaire peut donner à réfléchir aux différentes parties.

Face au blocage de la situation, le leader politique des ex-rebelles, Guillaume Soro, n’exclut pas la sécession du Nord, au main de ses troupes. Est-ce une bonne solution ?

Non. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Ni pour les ex-rebelles, ni pour la sous-région [le Burkina Faso est un pays frontalier de la Côte d’Ivoire, qui est la locomotive économique de l’Afrique de l’ouest - NDLR]. D’ailleurs, les populations du Nord n’y sont pas favorables. Je le répète : ce qui est essentiel, c’est l’esprit de réconciliation et l’application de Marcoussis.

Le dénouement de la crise pourrait provenir aussi d’un renouvellement de la classe politique ivoirienne. Ibrahim Coulibaly dit « IB », le père de la rébellion [qu’il a préparée notamment depuis le Burkina Faso-NDLR], est actuellement mis en examen à Paris. La justice française doit statuer sur son sort le 7 mai. Il veut jouer un rôle politique en Côte d’Ivoire. Y a-t-il sa place ?

Moi, je ne suis pas un devin (il éclate de rire) ! Le problème, c’est d’organiser des élections transparentes et ouvertes à tous.

Même à « IB » ?

Ce n’est pas le débat.

La justice de votre pays vient de condamner un militaire pour une tentative de putsch contre votre régime en octobre 2003. Au Burkina Faso, certains s’étonnent de la célérité avec laquelle a été mené ce procès, alors que celui de l’assassinat, en 1998, du journaliste Norbert Zongo n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Le problème de la justice est de juger des faits. Pas de polémiquer sur le sexe des anges. Concernant la première affaire, des faits précis ont été jugés. Concernant l’affaire Zongo, les enquêteurs continuent de rassembler des preuves. Tous ceux qui ont des informations sont entendus, je peux vous le garantir.

Parlons maintenant de votre avenir politique. Vous êtes au pouvoir depuis dix-sept ans. La prochaine présidentielle a lieu en novembre 2005. Vous songez à vous représenter ?

C’est encore loin !

Il serait dommage de ne pas profiter du nouveau palais présidentiel, en construction à Ouagadougou...

Oh, vous savez... le palais présidentiel, on n’y vit pas beaucoup. Il y a tellement de travail en dehors (rires). Et puis cette année, nous accueillons le sommet de l’Union africaine, et celui de la francophonie, en novembre. Nous avons beaucoup d’activités.

La francophonie vous tient très à cœur ?

Certains voient la francophonie comme une sorte de reconstitution de l’Empire colonial français. Pour ma part, je la considère comme une communauté utile. Un laboratoire où l’on peut mettre en action des valeurs telles que la diversité, la solidarité et le dialogue. Il faut éviter l’unitaléralisme dans la mondialisation.

C’est important pour lutter contre le terrorisme ?

L’an dernier un journaliste américain m’a demandé : « est-ce que l’Afrique va être solidaire des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme ? » Je lui retourne aujourd’hui encore la question : « est-ce que l’Amérique va être solidaire de l’Afrique face au terrorisme de la faim ? ». Ce qui terrorise l’Afrique, c’est la faim. Pas Ben Laden. Arrêtons les hallucinations !
D’ailleurs, ce n’est pas en Afrique qu’ont été organisés les attentats du 11 septembre 2001. En revanche, les 120 milliards de dollars dépensés dans la guerre en Irak auraient pu servir à autre chose. Ce conflit est loin des préoccupations des Africains et des peuples du monde, qui le voient comme une forme de colonisation. Mais le temps du Far West, c’est terminé !

Propos recueillis par Nicolas Ballet
« Le Progrès de Lyon » du 25/04/04

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