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Isidore Kini, fondateur de l’ISIG : "Les ressources humaines constituent la force, la richesse d’un pays"

Publié le mercredi 21 mars 2007 à 07h32min

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Isidore Kini

En octobre 1992, l’enseignement supérieur burkinabè s’ouvre au secteur privé avec l’Institut supérieur d’informatique et de gestion (ISIG). Il est l’œuvre d’un électronicien, Isidore Kini, ancien cadre de la firme américaine IBM. Et depuis, c’est un boom, une véritable libéralisation.

Après une quinzaine d’années dans la formation de pointe, le fondateur-pionnier se prononce sur le printemps de l’enseignement supérieur au Burkina Faso. Isidore Kini rappelle le parcours de son institut, évoque les exigences et recommande une véritable implication et un droit de contrôle de la part de l’Etat afin que la formation des ressources humaines participe réellement au développement du pays.

Sidwaya (S.) : Comment est venue l’idée d’ouvrir un centre d’enseignement supérieur ?

Isidore Kini (I.K.) : Après des études d’électronique à Abidjan en Côte d’Ivoire, j’ai intégré la firme américaine IBM spécialisée dans l’informatique. C’est en tant qu’agent de cette société que je suis rentré au Burkina Faso en 1989. J’ai constaté tout de suite que l’informatique relevait presque du charlatanisme dans mon pays.

Le secteur était totalement embryonnaire, voire inexistant. Cela m’a choqué. Et j’ai voulu apporter ma contribution pour combler le vide en proposant une formation de haut niveau. J’ai préféré ouvrir un centre supérieur plutôt qu’une structure d’initiation. Sous les conseils de mon avocat, nous avons ficelé un dossier pour le soumettre aux responsables du secteur informatique notamment le délégué général à l’informatique (DELGI). Nous avons reçu leurs encouragements.

C’est ainsi que le projet a été soumis au ministère en charge de l’enseignement supérieur en vue d’obtenir une autorisation d’ouverture. Une telle demande posait problème. Car c’était la première fois qu’un privé veut se lancer dans l’enseignement supérieur. Jusque-là, c’est le secondaire qui était demandé. Mon dossier a donc traîné.
Nous avons obtenu l’autorisation provisoire en mars et l’arrêté définitif en octobre 1992.

S. : Comment l’ISIG a pu se bâtir une telle renommée en une décennie ?

I.K. : Nous avons proposé au ministre d’assurer la formation des étudiants en deux ans. Et à l’issue des deux ans, nous allons demander à l’Université de Ouagadougou de les évaluer.

C’est là une preuve de crédibilité. Et nos enseignants ne sont pas membres des jurys de délibération de ces examens. Les programmes sont remis à l’université. Elle choisit les épreuves sur la base de ces programmes sans passer par nos enseignants. Ainsi, nos épreuves de mathématiques étaient proposées par des professeurs de l’Institut de mathématiques et physiques (IMP).

Et pour l’informatique, c’est le Centre national de traitement de l’information (CENATRIN) ou tout autre personne ressource. Ainsi l’ISIG a pu prouver à travers cette évaluation extérieure que son enseignement est sérieux et crédible. Car celle-ci se fait de l’extérieur. Cela a conduit à la création du Brevet technicien supérieur (BTS).

A la fin de la première promotion, la question du diplôme s’est posée. L’ISIG n’étant pas un démembrement de l’université, le recteur ne peut pas organiser les examens de l’institut. Il y avait un blocage. Nos étudiants ont dû attendre. L’enseignement supérieur est reconnu et jugé par la qualité des cours et des diplômes. Nous avons donc approché en 1996, le secrétariat général du Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (CAMES) dirigé par le Pr Moumouni Ouiminga pour partager notre vision. Il nous a beaucoup encouragés.

Ainsi en 1997, l’ISIG a présenté son premier diplôme, le Diplôme universitaire de technologie (DUT) au 18e colloque du CAMES tenu à Lomé au Togo. C’était la première fois dans l’histoire du CAMES qu’un privé sollicite la reconnaissance de ses diplômes. Cela a suscité un vif débat. Le colloque a conclu que les textes du Conseil n’interdisent pas la reconnaissance des diplômes du privé. L’ISIG a donc été perçu comme une structure pionnière car l’espace du CAMES regroupe beaucoup d’établissements privés mais jusque-là aucun d’eux n’a sollicité la reconnaissance de ses diplômes.

Cela a permis à nos étudiants de passer le BTS. Nous avons dû nous investir pour sa création et son organisation car ce diplôme n’existait pas encore au Burkina Faso. Nous avons été très sévère en amenant la moyenne d’admissibilité à 12/20 avec deux notes éliminatoires. Tout ceci dans le souci de prouver le sérieux de l’enseignement dispensé. Après trois promotions, l’ISIG a compris que tout établissement d’enseignement supérieur doit s’assumer à travers la défense de son label, c’est-à-dire ses diplômes. C’est un droit.

Les critères de recevabilité des dossiers des établissements supérieurs privés ont été définis par l’Etat. Ils sont soumis au conseil des ministres. La route a été donc ouverte pour l’enseignement supérieur. En 2003, deux établissements privés (ISIG et une école ivoirienne) ont été admis au colloque de Saint-Louis au Sénégal.

S. : Pourquoi se présenter à l’examen du BTS n’est plus une priorité pour les étudiants de l’ISIG ?

I.K. : Aujourd’hui beaucoup veulent savoir pourquoi nos étudiants ne prennent plus part au BTS.
L’ISIG est en quelque sorte, le précurseur des BTS au Burkina Faso. C’était une façon pour nous de rassurer de convaincre. Alors l’enseignement supérieur, qu’il soit public ou privé se reconnaît à travers ses diplômes. Et comme l’ISIG est reconnu par le CAMES, il lui appartient de défendre ses diplômes.

Le diplôme est conditionné par des modules d’enseignement particuliers. Ils se limitent en priorité au niveau local. Si un établissement d’enseignement privé veut s’ouvrir à l’international, il doit s’assumer et défendre ses diplômes. Pour reconnaître les diplômes d’une école, le CAMES examine d’abord le contenu de ses programmes et la qualité de ses enseignants. Il exige qu’il y ait au moins 30 semaines de cours dans l’année. Voilà pourquoi il n’y a pas de candidats libres à l’université. Il faut absolument assurer les 25 à 30 semaines de cours.

S. : La floraison des établissements d’enseignement supérieur privés ces dernières années au Burkina Faso ne jette-t-il pas un doute sur les diplômes délivrés par-ci et par-là ?

I.K. : En 1992, quand l’ISIG a demandé l’autorisation d’ouverture, il a fallu attendre environ une année pour recevoir une réponse. Les conditions à remplir étaient vraiment draconiennes. Si elles étaient toujours les mêmes, beaucoup d’établissements n’auraient pas vu le jour. Mais le fait qu’il y ait déjà beaucoup d’écoles supérieures n’est pas en soi une mauvaise chose. Au contraire, cela offre aux jeunes des opportunités de formation dans plusieurs domaines. Seulement, il y a des efforts que les promoteurs d’établissements et les autorités en charge de l’enseignement supérieur doivent consentir.

L’ISIG est pionnier dans l’enseignement supérieur privé au Burkina Faso. Quand des écoles ont vu que l’ISIG délivre le DUT, ils n’ont pas cherché à savoir dans quelle condition, elles se sont mises aussi à délivrer ce diplôme. Or, c’est sur une demande en juillet 1995 au ministre de tutelle que nous avons obtenu l’autorisation de délivrer notre DUT. Et à l’époque, le secrétaire général du MESSRS, Mamadou Sissoko a recommandé la mention "DUT/ISIG". Nous avons donc passé par cette démarche avant de commencer à délivrer notre DUT qui a été présenté plus tard au CAMES en 1997.

Le CAMES a demandé de donner un nom à notre diplôme et de lui trouver une équivalente comme en DUT. Notre DUT/ISIG a donc été baptisé "diplôme d’analyste-programmeur" pour les informaticiens. Chez les secrétaires, c’était le DSS "Diplôme supérieur en secrétariat".

En comptabilité-gestion, le DTS "Diplôme de technicien supérieur". Comme ces diplômes ont été reconnus par le CAMES, en janvier 2001, le ministre a réuni tous les fondateurs d’établissement supérieur privé pour leur interdire de ne plus délivrer désormais le DUT. Il était question de frapper de nullité tout DUT délivré. C’est le secrétaire général de l’Université Saint Thomas d’Aquin (USTA) qui a attiré l’attention, que excepté l’ISIG, cette mesure allait créer des problèmes sociaux. La décision a donc été prise de ne plus délivrer le DUT.

Mais aujourd’hui, tout le monde délivre le BTS (Brevet de technicien supérieur). L’important n’est pas le nom du diplôme, c’est le sérieux qu’il faut en la matière pour sa délivrance. Les autorités en charge de l’enseignement supérieur pourraient jeter un coup d’œil sur les programmes en rappelant aux établissements qu’à un certain niveau, ils seront soumis exclusivement au diplôme d’Etat, le BTS, le temps pour eux de se conformer aux exigences du CAMES.

Ce n’est qu’après qu’ils pourront obtenir l’autorisation de délivrer leur propre diplôme. Le paysage de l’enseignement supérieur privé peut être ainsi assaini et le promoteur peut être amené à cultiver le sérieux dans les programmes dispensés et la qualité des enseignements.
A l’ISIG, les délibérations sont présidées par les professeurs de rang "A" de l’Université. Il n’est pas toujours aisé d’avoir un président de jury de cette catégorie. Mais ce sont les exigences de l’éthique qui le commandent.

S. : Aujourd’hui, le retard enregistré par l’Afrique dans son développement s’explique aussi par l’incompétence de ses ressources humaines. Intervenant dans la formation depuis une quinzaine d’années, quel type de formation faudrait-il aux africains pour un décollage économique du continent ?

I.K. : Le Burkina Faso, mon pays, n’a pas de richesses naturelles. Il ne peut compter que sur la qualité de ses hommes. C’est vrai que les Burkinabè sont humbles. Mais le constat est là. Quand on interroge les promotionnaires des Burkinabè qui ont fait leurs études ailleurs, ils disent "on avait un Voltaïque, ou un Burkinabè dans notre classe, il était brillant". Ce qui signifie qu’on aurait pu développer cette politique de valorisation des ressources humaines au Burkina Faso.

Ce serait en réalité la vraie force du pays, sa vraie richesse. On aurait pu développer la formation des jeunes non pas dans le sens de les employer uniquement mais de les former en quantité et en qualité pour l’entrepreneuriat ou l’expertise nationale et internationale.

Si on pouvait mettre sur le marché de l’emploi, beaucoup d’ingénieurs, de gestionnaires compétents, quel que soit là où ils iraient, ils seront immédiatement embauchés. De nos jours, l’Europe est à la recherche des ingénieurs. Les universités africaines viennent de comprendre. Elles ont cédé un peu de leur vocation traditionnelle de dispenser uniquement le savoir pour se lancer dans la professionnalisation des filières.
Dans un pays comme le Burkina Faso, des formations professionnelles doivent être assurées à plusieurs étages.

Au rez-de-chaussée, c’est-à-dire avant le Baccalauréat (BAC), il y a tellement de métiers à apprendre : la plomberie, la soudure, la maçonnerie... On a souvent du mal à trouver un personnel qualifié dans ces domaines-là.
Au premier étage, avec le niveau Baccalauréat, on peut créer des techniciens spécialisés formés à grande échelle.
Au deuxième étage, ce sont les ingénieurs des travaux, des directeurs en somme. Et au troisième étage les concepteurs dans toutes les disciplines : gestion en ressources humaines, gestion de projets, marketing, informatique, électronique...

En procédant de la sorte, le Burkina Faso pourrait exporter ses compétences. Au lieu de faire venir des enseignants du Nord, les Burkinabè iront enseigner en Asie, en Amérique ou en Europe.... La France a aujourd’hui besoin de plombier. Je connais un Burkinabè qui n’est pas très instruit mais qui est très pointu dans son domaine (un poseur de carreaux sanitaires) à Rennes en France. On peut donc mettre l’accent sur ces formations professionnelles. La formation des ressources humaines peut être une richesse pour le Burkina Faso.

S. : Ne croyez-vous pas que ce sont les systèmes éducatifs et d’embauche basés sur le diplôme qui écorchent un peu la quête du professionnalisme et le souci de la compétence ?

I.K. : C’est une erreur de croire que le diplômé est forcément compétent. On peut être titulaire un gros diplôme et ne savoir rien faire de ses dix doigts. C’est être formé pour rester au bureau, donner des ordres. Le savoir-faire n’y ait pas. Ce ne sont pas ces genres de cadres qu’il faut à l’Afrique. La formation doit allier la pratique à la théorie. Pendant longtemps, celui qui a le Baccalauréat, était déjà considéré comme quelqu’un. Et dans la mentalité, il doit être dans un bureau avec des gens qu’il commande.

Aujourd’hui, tout ingénieur en hydrologie, en géologie, en agriculture, en élevage, en électronique... doit se rendre sur le terrain. La théorie doit nécessairement s’accompagner de la pratique. Il faut évaluer les deux aspects. Pour le Master, on se penche sur les volets théorique et le savoir faire. Il est très important que les volets pratiques dans les laboratoires et sur le terrain soient assez contraignants pour que les futurs diplômés comprennent la nécessité de mettre l’accent là-dessus. On peut être bon dans les laboratoires mais il faut aller aussi sur le terrain.

La divergence entre l’université et les grandes écoles repose sur le fait que quand on prend quelqu’un qui a un niveau de Bac+2 dans son domaine et qui y travaille pendant dix ans, il devient spécialisé comme un ingénieur qui vient d’arriver à ce niveau-là. Donc, on peut autoriser cet individu à rentrer dans une classe avec un ingénieur qui a le niveau BAC+5. Ce qui n’est pas compris par l’Université qui ne veut pas accepter qu’un monsieur recruté avec BAC+2 puisse avoir un niveau de BAC+5 après 10 ans de pratique.

Or la réalité est là. Le titulaire du BAC+2 peut prouver son savoir-faire après dix ans d’exercice sur le terrain. C’est un aspect important dans la capitalisation des compétences. L’Afrique doit comprendre cette nécessité et prendre cela en compte pour le développement de ses ressources humaines.

S. : En tant que pionnier de l’enseignement supérieur privé, quel appel lancez-vous à l’Etat et aux autres promoteurs pour que les actions des uns et des autres puissent véritablement contribuer à la formation des ressources humaines ?

I.K. : D’abord à nos autorités de comprendre que des ressources humaines bien formées rapportent deux ou trois fois plus que l’état dans lequel ils se trouvent, fussent-elles des cadres. Un exemple : un conseiller en fiscalité bien formé peut rapporter à son entreprise vingt fois son salaire annuel. Que l’on comprenne alors que les ressources humaines constituent la force et la richesse d’un pays. On se plaint souvent des retards et de l’absentéisme dans l’administration burkinabè. Tout cela est dû à un manque de formation.

Que nos autorités conçoivent et assayent une politique de formation de qualité des ressources humaines pour un meilleur rendement. Elles pourront mieux s’expatrier pour valoriser l’expertise burkinabè. C’est ambitieux mais c’est possible.
Aux confrères promoteurs d’enseignement supérieur privé, que le même souci de bien former soit leur préoccupation au lieu de viser le côté pécuniaire de l’entreprise.

Il y a souvent des promoteurs privés qui prennent une villa pour en faire une école. Dès la première année ils ouvrent six ou huit filières. Des inscriptions se font. Ils se retrouvent avec deux étudiants par filière et ils sont obligés de jongler. Ce n’est pas intéressant. Parfois les promoteurs privés prêtent le flanc à la médisance sur nos activités. Je recommande à tous de s’orienter vers le CAMES pour se faire évaluer.

Que le ministère de tutelle ait une structure de contrôle pour s’assurer du respect des volumes horaires, du contenu des programmes et de la qualité des enseignants dans les établissements d’enseignement supérieur privés. Il y en a qui épuisent leur programme en juin aussi bien pour les étudiants en cours du jour huit (8 heures/jour) et qu’avec ceux inscrits en cours du soir (trois heures/jour). C’est vraiment scandaleux. A l’ISIG, les travailleurs inscrits en cours du soir finissent leur année académique en septembre. C’est une question d’éthique.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs
Hamadou TOURE

Sidwaya

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