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"Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo dénonce la collusion entre Alassane Ouattara, Blaise Compaoré et Jacques Chirac

Publié le mercredi 21 mars 2007 à 07h54min

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C’est un hasard. Mais qui fait bien les choses. Alors que Laurent Gbagbo parachevait, à Ouagadougou, sa "négociation directe", avec Guillaume Soro, son épouse, Simone Ehivet Gbagbo sort un gros bouquin (500 pages) qui tombe à pic pour relativiser ce qui se passe dans la capitale burkinabé.

Coédité par Ramsay et Pharos/Jacques-Marie Laffont, cela s’appelle : Paroles d’honneur, et porte en sous-titre : "La Première Dame de Côte d’Ivoire parle... " (à noter que le sous-titre intérieur est différent : "Un devoir de parole !" ).

Un livre à plusieurs mains. Simone Gbagbo souligne qu’elle a "ressenti le désir et le devoir d’écrire ce livre", mais évoque la collaboration de Liliana Lombarde, de l’équipe technique de Nikady’s Production, des journalistes Didier Dépri et Eric Cossa, Biaise Tayoro Gbotta et Alphonse Voho Sahi.

S.E.G. parle aussi "des nuits et des jours entiers [passés] à relire et corriger ce manuscrit" (en cette matière, il y a des lacunes).
Ce livre est dédié d’une part "A Laurent" qui croyait "oeuvrer uniquement pour amener à l’existence une vision que Dieu a inscrite derrière [ses] paupières ", d’autre part "A tontes tes femmes et à tous les enfants sacrifiés pour la patrie " . (S.E.G ajoute "Les Ivoiriens ont pris fait et cause pour leur pays, ils ont compris comment on voulait les spolier de leur Nation, de la Souveraineté").

500 pages, un prologue, un épilogue et sept parties qui sont ainsi intitulées : "Les années découvertes" ; "Les années révolte" ; "Les années de lutte" ; "Les années troubles" ; "Les années lumière" ; "Les années de braise" ; "Les années d’espoir". On pourrait donc penser que ce livre nous propose une approche chronologique de la vie militante de S.E.G. Pas du tout. Et c’est l’habileté initiale de ce livre : en ne respectant pas la chronologie, S.E.G. peut passer d’un sujet à l’autre sans jamais entrer dans le fond du débat : chaque époque permet des digressions qui sont des redécoupages arbitraires de l’Histoire et sa recomposition en un puzzle où seul les Gbagbo (et même pas Dieu) peuvent reconnaître les leurs !

Parlant de "l’habileté" de la démarche, je soulignais qu’elle était "initiale". C’est qu’après un démarrage convenable, au fil des pages, on passe de "l’analyse politique" (ou ce qui voudrait passer pour tel) au "bourrage de crâne" d’autant plus perceptible que S.E.G. a recours à Dieu, à ses Anges et à ses Prophètes pour nous expliquer pourquoi la Côte d’Ivoire est devenue ce qu’elle est. Cette "dérive" nuit à la crédibilité du discours de la "Première Dame" qui, cependant, dans la première partie de son livre, peut déstabiliser un lecteur peu au fait de la "crise ivoirienne". Disons-le d’emblée, S.E.G est à la politique ce que Ségolène Royal est à la classe ouvrière. Totalement étrangères, l’une et l’autre, à ce qu’elles entendent incarner. Ne parlons même pas de socialisme. Pour ce qui concerne Royal, il vaut mieux laisser tomber. Pour ce qui concerne S.E.G.. en deux lignes (page 18). elle a vite fait de tuer les illusions de ceux qui en auraient encore : "Accrochez-vous, à vos rêves, à votre vision, l’utopie est le moteur de l’histoire. Dieu est à la tâche dès qu ’il se passe quelque chose de positif. Que Dieu soit "à la tâche", cela regarde chacun, mais que "l’utopie soit le moteur de l’histoire ", voilà qui est une nouveauté en matière de doctrine socialiste !

Ce livre, notons-le, est truffé de "proverbes africains" (il y en a sûrement plus d’une centaine !). C’est que S.E.G. oppose la société africaine aux "sociétés développées" où "la plupart des gens [...] sont devenus tristes [et] sont de plus en plus malheureux, le bonheur des choses simples [disparaissant] au profit du spectacle, de l’abondance, de la montre ", où "les valeurs toutes simples de la morale et du respect disparaissent, [laissant] le champ libre à la haine, au mensonge ". Ayant refusé ce mode de vie, les Gbagbo se positionnent dès lors comme des victimes. "Le "monstre" que je suis est la mère de cinq enfants, toutes des filles, dont les deux dernières avec Laurent Gbagbo. A nous deux, nous avons sept enfants. Un monstre, ou plutôt deux monstres horribles, puisque Laurent et moi sommes mis dans le même sac. Nous serions deux monstres capables d’organiser les massacres les plus sanglants, de faire tuer à coups de machette dans tout le pays, de pauvres innocents par des "escadrons de la mort " à notre solde !" . Reste à démontrer qui, pourquoi et comment. C’est l’objet de ce livre. Mettre au jour "les hommes" dont "le but [est] de nous abattre".

Fille d’un gendarme, père de dix-huit enfants et "grand croyant" ("Avant de se rendre au travail chaque matin, il allait à la messe"), S.E.G. fait aussitôt, une digression, sur la religion. "La montée du fondamentalisme religieux un peu partout est avant tout une réponse à la situation sociale précaire d’une majorité d’individus, écrit-elle alors qu’elle évoque son enfance. Si les gens n’avaient pas de problèmes identitaires, s’ils pouvaient se référer à un statut social valorisant, ils n’auraient pas besoin de chercher ailleurs des instruments de domination ".

Simple réflexion d’une femme qui a, comme on disait autrefois chez moi, "de la religion" ? Non : 11 lignes plus loin, après avoir évoqué la "récupération idéologique [...] effrayante" de la religion, elle précise : "L’exploitation de la religion à des fins politiciennes a déjà enrayé chez nous, par exemple au nord du pays [on appréciera la nature de l’exemple], la marche du progrès". Cette "marche du progrès" n’est, bien sûr, "enrayée" que par l’Islam.

J’ai pourtant le souvenir d’avoir enquêté, longuement, en 1990, sur les religions en Côte d’Ivoire, d’Abidjan à Korhogo et de Man à Bondoukou, en passant par Bouaké et Yamoussoukro, d’avoir rencontré les catholiques, les musulmans, les protestants mais aussi les Harristes et bien des "groupes religieux" (dont les "Chrétiens célestes") et d’avoir constaté bien plus "d’enfermement" (pour reprendre une expression de S.E.G.) dans la nouvelle vague des Eglises évangéliques que dans la tradition catholique ou musulmane.

S.E.G. ne manque pas, d’ailleurs, de botter en touche (une touche politique) sur cette question : "Dans la lignée des rumeurs et de la calomnie, on a beaucoup dit que les Eglises évangéliques étaient venues des Etats-Unis pour recoloniser l’Afrique, qu’elles représentaient une sorte de faux nez de la CIA. Ces billevesées ne m’intéressent pas, ce qui m’importe, c’est la Foi ".

Le ton est donné. S.E.G. ne cessera plus de labourer ce sillon de la religion des uns à laquelle elle oppose la religion des autres ; quand ce n’est pas, tout simplement, l’absence de religion. Dans ce contexte de paranoïa religieuse. S.E.G. va dérouler un raisonnement simpliste : la Côte d’Ivoirer autrefois aux ordres du pouvoir colonial puis post-colonial, va tenter de reconquérir son indépendance totale et sa souveraineté bafouée ("Les Ivoiriens ont aussi ce droit reconnu par l’humanité d’avoir un bout de terre et de le défendre ").

Elle va y parvenir en élisant Laurent Gbagbo à la présidence de la République. Mais les post-coloniaux et autres impérialistes vont s’opposer à cette victoire en suscitant des mouvements d’opposition politique puis une rébellion qui visent à maintenir la Côte d’Ivoire dans l’orbite de l’Occident.

Les Gbagbo ont donc cette mission de conduire la Côte d’Ivoire en particulier et l’Afrique en général sur le chemin "de la liberté et de la justice". Un chemin sur lequel ils vont découvrir "l’âpreté du combat et la laideur de l’adversité". Sans jamais entrer dans les détails, ni dans l’analyse politique, S.E.G. va nous dresser les portraits croisés de Simone Ëhivet et Laurent Gbagbo. Portraits succincts. Il vaut mieux ne pas entrer dans le détail de l’action militante de l’un et de l’autre ; ni même dans le détail de leur vie personnelle.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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