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SIDA en Côte d’Ivoire : Les femmes aisées sont les plus infectées

Publié le jeudi 15 février 2007 à 07h57min

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Les femmes des ménages les plus riches en Côte d’Ivoire sont les plus infectées par le VIH/SIDA, et elles constituent 8,8 pour cent contre 3,6 de femmes contaminées dans les ménages les plus pauvres, selon une enquête diligentée par le ministère ivoirien de la Lutte contre le Sida.

L’enquête sur les indicateurs, menée par l’Institut national des statistiques (INS), entre août 2005 et décembre 2006 dans la population adulte de 15 à 49 ans, avait porté sur un échantillon de 5 772 femmes et 5 148 hommes. Ses résultats ont été publiés le 8 février dans la capitale économique ivoirienne, Abidjan, et elle a coûté 800 000 dollars.

Selon le rapport de cette enquête nationale, le taux d’infection des femmes, dans les ménages les plus pauvres, est même tombé de 3,8 pour cent en 2002 à 3,6 pour cent en 2005-2006.

Pourtant, les femmes des ménages les plus riches sont généralement considérées dans la société comme des personnes qui sont à l’abri des besoins matériels et financiers pouvant les attirer et les exposer à une infection sexuellement transmissible telle que le VIH/SIDA.

"C’est vraiment surprenant d’apprendre une telle information", s’exclame Gisèle Dadiet Amani. "Il faudra mettre du temps pour que l’homme de la rue y croie parce qu’on ne sait vraiment pas ce qui peut manquer à de telles femmes pour s’informer sur la pandémie et éviter la maladie", indique-t-elle à IPS.

Face à la différence du taux avec les femmes des ménages les plus pauvres, Amani se montre critique. "La tendance est peut-être en train de s’inverser. Car le message de la sensibilisation contre le Sida est mieux perçu en milieu dit pauvre que riche, où alors, c’est à tort que les pauvres sont considérés comme des ignorants", dit-elle. "Les vrais ignorants sont peut-être ailleurs."

Serge Irié-Bi, un psychologue enseignant à l’université d’Abidjan-Cocody, ne partage pas entièrement cet avis. "Cette réflexion est hâtive. C’est vrai, dans nos sociétés, dès qu’on parle de Sida, tout le monde se rapporte à la transmission sexuelle. Cela est en partie juste, mais d’autres causes entrent en ligne de compte", explique-t-il à IPS.

"Le constat est amer"

"Ce sont des femmes de milieux aisés qui fréquentent régulièrement les salons de coiffure pour la manucure, la pédicure où il y a l’utilisation du matériel tranchant. Ce sont aussi des formes de transmission qu’il ne faut pas négliger, alors que ces femmes y sont exposées", souligne Irié-Bi.

Pour des spécialistes de la lutte contre le Sida, "ce qui explique cette forte séroprévalence, c’est le fait que dans les foyers riches, plus les gens sont riches, plus ils ont tendance à se soustraire aux normes sociales et s’informent peu".

"Vous verrez par exemple des cadres avoir plusieurs partenaires, qui pratiquent des rapports sexuels non protégés dans une relation d’infidélité. S’ils contractent la maladie, ils se disent qu’ils ont les moyens de la soigner facilement", affirment des spécialistes à IPS.

Beaucoup de femmes de ménages riches évitent de répondre aux questions. "Une femme de ménage riche n’est pas une extraterrestre. Comme chaque individu, elle est une personne qui commet des erreurs et n’est pas censée tout connaître. Peut-être, par complexe, elle refuse de s’informer, ce qui l’expose. Mais le Sida, il peut venir d’un époux infidèle ou du salon de coiffure qu’on fréquente", explique Vanessa Diop, une dame travaillant dans une entreprise à Abidjan.

Dr Nouh Coulibaly, directeur technique à l’INS, ajoute qu’il y a également une ignorance des moyens les plus élémentaires pour éviter le virus. "Figurez-vous que deux femmes sur cinq, et un homme sur quatre en Côte d’Ivoire ne savent pas que le préservatif est un moyen de prévention du VIH", révèle-t-il.

"Le constat est amer", selon Irié-Bi. "Maintenant, ce sont des réflexions qui vont être menées pour trouver une solution au problème, sans ignorer qu’il faudra parvenir à maintenir les femmes des foyers les plus pauvres dans cette crainte du fléau qui les habite et qui les épargne de beaucoup de risques."

Il estime qu’un plan de lutte devra être mis en place en fonction de cette nouvelle donne de la séroprévalence chez les femmes des foyers riches.

En juin 2006, un rapport précédent sur la situation du Sida avait révélé la chute du taux de la séroprévalence nationale passant de sept à 4,7 pour cent au cours des 10 dernières années. Cependant, des organisations internationales de lutte contre la pandémie estimaient que le taux était bien plus élevé.

Le nouveau rapport, qui confirme le taux national de 4,7 pour cent, souligne que Abidjan est la première ville touchée en Côte d’Ivoire par le VIH/SIDA, avec un taux de prévalence de 6,1 pour cent. Viennent ensuite les régions du Centre-Est et du Sud du pays, avec respectivement 5,8 et 5,5 pour cent.

La région à faible taux d’infection est le Nord-Ouest, dans la zone contrôlée par les rebelles, avec 1,7 pour cent, selon le rapport. Les auteurs du rapport affirment qu’en dépit de la crise qui a conduit à l’extrême pauvreté, les populations des zones rebelles ont préféré les méthodes traditionnelles de prévention, comme le préservatif ou l’abstinence.

"Le complexe des femmes riches"

Par ailleurs, le rapport indique que 90 pour cent de la population ivoirienne de la tranche d’âge de 15-49 ans a déclaré "n’avoir jamais effectué le test du VIH", et donc ne connaît pas son statut sérologique.

Le taux d’infection moyen chez les femmes, estimé à 6,4 pour cent, est deux fois supérieur à celui des hommes (2,9 pour cent), ajoute le nouveau rapport.

"Il y a quelques mois, nous vous avions dit qu’il ne fallait pas célébrer ces chiffres (du rapport de juin) qui chutaient, tout simplement parce que des surprises étaient encore en attente", déclare à IPS, Hervé Villard, porte-parole du Réseau ivoirien des personnes vivant avec le VIH/SIDA, une organisation non gouvernementale basée à Abidjan.

Selon lui, "non seulement, il faudra maintenant déterminer une approche de lutte pour ces femmes, mais il faudra aussi s’attaquer à un premier obstacle qui sera celui du complexe de ces femmes. Avec leur statut de personnes aisées, qui peut avoir une influence, les choses ne seront pas faciles".

Face aux résultats de l’enquête, les autorités ivoiriennes se montrent très préoccupées. "Nous sommes dans une situation d’épidémie généralisée qui inquiète de jour en jour. Lorsque la lutte porte ses fruits à un niveau, d’autres foyers s’allument. Cela n’est pas bon signe", reconnaît Christine Nébout Adjobi, ministre ivoirien de la Lutte contre le Sida.

"Notre pays reste le pays avec le plus fort taux de prévalence du VIH en Afrique de l’Ouest. Nous devons faire en sorte que d’ici à 2010, ce taux passe de 4,7 à 3,5 pour cent", déclare-t-elle, annonçant qu’elle a instruit son département pour lancer encore une nouvelle enquête.

La Côte d’Ivoire est divisée en deux par une rébellion armée qui occupe la moitié nord du pays. Les ex-rebelles estiment avoir pris les armes pour lutter contre une exclusion présumée des populations de cette partie du pays. Après quatre ans de crise et plusieurs tentatives de médiation, un "dialogue direct" est en cours depuis le début de ce mois à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour sortir ce pays d’Afrique de l’Ouest de la crise.

Fulgence Zamblé

Le Pays

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