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Testament de Ouali avant la prison : "Mon objectif est atteint"

Publié le lundi 19 avril 2004 à 00h00min

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Avant le verdict, rendu samedi aux environs de 22 heures, la latitude a été offerte aux inculpés de dire leurs derniers mots. Trois n’ont pas pris la parole, ayant préféré s’en remettre à ce que leurs avocats ont déjà dit. Il s’agit des sergents-chefs Souleymane Zalla et Abdoulaye Konfé ainsi que du soldat de 1re classe Onadja Adjima. Par contre, certains n’ont pas été avares en paroles. Tels ont été le cas du sergent Naon Babou, du pasteur Israël Paré, de Norbert Tiendrébéogo et du capitaine Ouali Luther Diapagri, le cerveau présumé de l’affaire, pour qui son objectif a été atteint.

Rien n’est plus difficile que de dire son dernier mot. Surtout si de cet mot dépend dans une certaine mesure ta liberté. C’est pourtant à cet exercice difficile que les inculpés se sont prêtés. Comme on l’imagine, le sergent Naon Babou a fait du colonel Gilbert Diendéré son affaire.

Ainsi, l’essentiel de ses propos tournaient autour du chef d’état-major particulier du président du Faso : "C’est lui qui est à la base de tout ce qui se monte dans notre armée", dira-t-il après avoir fustigé les complotites et les affectations orientées et arbitraires : "Lui il est là-bas, depuis 20 ans. Pourquoi on ne l’affecte pas ?".

Pour Naon, tout tourne autour des revendications des soldats qui sont allés en mission à l’étranger. Ce problème, martèlera-t-il, il faut le régler le plus tôt possible, car des soldats ont perdu leurs vies là-bas, et de ce règlement dépend la vie de nombreuses familles. "Diendéré ne s’est jamais rendu au Liberia pour combattre".

Les faits reprochés à Naon étaient, on le sait, accablants, à lire l’arrêt de renvoi. Ainsi, beaucoup pensaient qu’il ne pouvait pas échapper à la prison. Mais la perspective de la prison ne semblait pas effrayer cet ancien du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) : "Si c’est faire la prison, dans cette prison, je ne pense pas que quelqu’un sera plus libre que moi Naon. Dans cette prison, je ne serais jamais gêné".

Autre personnage, autre mentalité : celle du pasteur Israêl Paré. A écouter le pasteur, il n’y a que le pardon qui libère. Si fait qu’il le sème à tout vent. Le pasteur Paré est si généreux en pardon qu’il a même dans sa déclaration pardonné à son geôlier, le chef d’état-major de la gendarmerie, et a même prié pour lui : ce que conteste avec véhémence le colonel Mamadou Traoré. Idem pour le commissaire du gouvernement, Abdoulaye Barry, qui a reçu sa grâce pastorale. "J’ai été inquiété, mais le commissaire du gouvernement m’a encore plus inquiété : requérir 5 ans de prison contre moi ! 5 ans contre un homme de Dieu !

Pour que j’abandonne l’œuvre de Dieu. Que Dieu le bénisse !". Le pasteur Israël Paré a demandé seulement une chose : qu’on prenne en compte ce qu’a dit leur défense. Lui continue de s’en remettre au Seigneur, qui l’a identifié et installé au Burkina Faso. "Je pardonne à tous ceux qui m’ont critiqué, déshabillé, mis à nu". Son dernier pardon, il l’a accordé à l’Eglise évangélique du Burkina, qui, à l’entendre, n’a pas été tendre avec lui durant son "épreuve".

Pourquoi tout cet acharnement contre moi ?

Certes, le leader du FFS, Norbert Tiendrébéogo, est du genre réservé. Indépendamment de cet aspect, lorsqu’il se lève pour prendre la parole, on le sent physiquement éprouvé par les mois de détention. Si fait que le président du tribunal lui a concédé de s’asseoir au cas où il en éprouverait le besoin. Norbert Tiendrébéogo croit dur comme fer à une cabale orchestrée contre lui. Il reviendra sur un précédent d’émêlé avec le pouvoir, puisque : "Ce n’est pas la première fois que je comparais. Avec Halidou Ouédraogo, nous avons été jugés pour atteinte au moral de l’armée. Nous avons été rasés, emprisonnés, recalés".

Mais cette fois-ci, on en aurait fait trop, son seul "crime" selon l’arrêt de renvoi étant d’avoir présenté les capitaines Ouali et Bayoulou et d’être l’ami du second. Pour lui, l’acharnement est patent.

Il relatera amèrement "la machination" qui semble être montée contre lui : "Le 20 octobre déjà, l’opinion était faite sur moi. On a aussitôt téléphoné à un membre actif du Collectif pour dire que j’ai tout avoué et que je nageais en sueur dans une salle climatisée".

D’ailleurs, ajoutera-t-il, cette cabale ne date pas d’aujourd’hui. Et de citer certains faits : J’ai été délégué CDR. Il n’y a pas longtemps, on m’a qualifié de "boucaneur" de cette époque. Pourquoi donc tout cet acharnement, se demandera-t-il ?

"En 2000, un émissaire est venu avec de l’argent me proposer que je quitte le Collectif : j’ai refusé. De tous les anciens délégués CDR, je suis le seul à ne pas être au pouvoir. Je suis sankariste, je demeure sankariste et je resterai sankariste. La Patrie ou la mort, nous vaincrons", dira-t-il en guise de conclusion.

Le 16 octobre 1987, j’ai pleuré avec Mariam Sankara

Quand le capitaine Ouali parle, on oublie le militaire, lui qui semble avoir l’aisance verbale d’un Guillaume Soro. Ce capitaine manie si bien la langue de Molière qu’il aurait fait un bon professeur de français s’il n’avait pas choisi le métier des armes. Celui qui est l’inventeur de la "compaorose" , ce "néologisme de mon cru, qui signifie la gestion du pouvoir sous le régime de Blaise Compaoré" dit qu’à l’issue de ce procès, son objectif est atteint : "Organiser un brouhaha en invitant la presse. Aujourd’hui, le résultat est le même. Nous avions décidé de cela parce que les autorités refusaient de nous entendre. Même si je vais en prison, mon but est atteint".

Selon l’inculpé, un véritable malaise existe dans l’armée. "Je voudrais dire à tous mes compagnons de cesser de verser leur figure par terre. Aujourd’hui, ajoutera-t-il, c’est ceux qui marchent avec vous et trinquent avec vous qui vous trahissent. Et de prendre par exemple le cas Thomas Sankara dont la mort, en 1987, lui a fait verser des larmes" le 16 octobre 1987, je suis allé pour pleurer avec sa femme. "A cet effet, le capitaine Ouali citera un précepte biblique" : "Pleurez avec ceux qui pleurent et réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent".

En un mot, c’est un militaire remonté contre ses frères d’armes, contre l’égoïsme ambiant des Burkinabè pour qui "C’est le chacun pour soi" qui était à la barre ce samedi. Amer, il ajoutera. "Je ne suis pas mécontent de subir des coups. Quand j’ai pris mes 50 millions, j’aurais pu les utiliser pour être à l’aise !". Et il poursuit :

"Quand on a arrêté Bassana, je n’ai pas fui. Je suis quitte avec ma conscience, car j’avais une idée noble. Maintenant, que chacun en fasse ce qu’il veut. Seulement, je suis déçu de mon pays. Mais l’essentiel est qu’en ce qui nous concerne, le peuple ne nous jette pas des cailloux".

S’en est suivi un tonnerre d’applaudissements, qui n’a pas semblé plaire au président du tribunal. "Ici, nous sommes devant un tribunal. Nous ne sommes pas à la maison du Peuple", a-t-il en effet rappelé à ceux qui l’avaient oublié.

Issa K. Barry
L’Observateur

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