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Bernard Lédéa Ouédraogo : “On m’a reproché d’avoir appuyé l’ADF-RDA”

Publié le lundi 5 février 2007 à 08h17min

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Bernard Lédéa Ouédraogo

La rédaction des Editions Sidwaya a reçu mardi 16 janvier dernier en invité Monsieur Lédéa Bernard Ouédraogo. L’un des Burkinabé les plus connus aux plans national et international pour l’action qu’il mène au quotidien en faveur des paysans. Notamment par le truchement de l’ONG Six « S » (Se servir de la saison sèche au Sahel et en savane).

Un homme certainement affable, disponible et parlant sans faire ni une, ni deux lorsqu’il s’agit du monde rural et des paysans. Mais au détour des questions en politique, notre invité, bien qu’ayant sa part de vérité à asséner, a marché comme sur des œufs, s’est voulu donc prudent, même si la décision prise de se retirer des mandats politiques ne souffre d’aucune ambiguïté.

Bernard Lédéa Ouédraogo, à soixante dix-sept ans, semble bien marqué par le blâme qu’il a reçu du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). La formation politique sous l’emblème duquel il a été élu conseiller municipal et maire de Ouahigouya de 1997 à 2002, et depuis cette date député siégeant au Parlement. D’autant qu’il l’avoue lui-même, il n’ a jamais reçu ce genre de sanction en quarante années de service en tant qu’agent de l’Etat. Son « J’ai échoué en politique » doit-il être compris comme la conséquence de ce blâme ? Ou cache-t-il d’autres raisons ?

En tous les cas, cela lui a imposé de prendre une décision. Sur les motivations et la conduite qu’il compte mener, sur son avenir dans le landerneau politique, mais également sur le comment rétablir l’image de marque de l’ONG les Six « S » écornée, il s’étale de long en large au cours de cet entretien de près de trois heures qu’il a accordé à Sidwaya. Sur toutes ces questions liées à la vie de la cité et à son combat aux côtés des populations rurales, pour le bien-être des « Burkinabé d’en bas”, il se prononce.

Sidwaya (S) : Cette semaine, le Burkina accueille les Sommets (NDLR : l’entretien s’est déroulé le 16 janvier), de la CEDEAO et de l’UEMOA. Que vous inspire ces genres de regroupements sous-régionaux ?

Bernard Lédéa Ouédraogo (BLO) : J’aurai voulu parler de développement plutôt que de politique. Néanmoins, je sais que ces deux rencontres sous-régionales devaient se tenir entre-temps, n’eût été “l’affaire militaire-

policier”. C’est regrettable. Mais cette affaire nous a permis de remettre certaines conceptions en cause. Il a manqué le dialogue. Je ne peux vraiment pas dire grand-chose. Vous êtes bien placé pour m’enseigner les définitions, le fonctionnement de la CEDEAO et de l’UEMOA.

S. : Selon vous, quelles actions devront mener nos politiques pour donner un contenu plein au concept d’intégration

B.L.O. : Nous avons des ambassadeurs partout dans le monde entier. Ils sont des intermédiaires entre nos pays et le monde extérieur. Ce sont eux qui pourraient essayer de tisser des relations solides allant dans le sens de l’intégration. Je suis souvent sorti hors du Burkina. J’ai fait presque toute l’Afrique et même l’Europe à l’exception de la Russie et l’Asie. Je me suis rendu compte que notre pays n’est pas connu. Nos nombreux ambassadeurs doivent œuvrer à nous faire connaître partout où ils sont et en même temps, nous transmettre ce qui s’y passe.

S. : Quelle lecture faites-vous des heurts qui ont opposé les forces de sécurité et de la défense, en décembre dernier ?

B.L.O. : J’ignore le mobile qui les a opposés l’une à l’autre. J’ai parlé de malentendus mais je ne suis pas à Ouagadougou. Je suis loin des militaires et des policiers. J’ai simplement entendu mon entourage en parler.

S. : Quelle appréciation faites-vous du recensement de la population ?

B.L.O. : C’est une très bonne chose parce que la population est mobile et fluide. Le recensement est tout à fait normal car le gouvernement a besoin de connaître le nombre d’enfants, de jeunes, de vieux et les zones où ils se trouvent pour pouvoir planifier le développement, concevoir des projets et programmes. Le recensement est donc essentiel et capital.

La dégradation de la nature pousse la population à migrer. Nous nous sommes débrouillés pour supprimer les feux de brousse dans le Groupement Naam en collaboration avec les agents des Eaux et forêts dont les paysans avaient très peur à cause de la tenue militaire. C’est la raison pour laquelle ces agents n’arrivaient pas à s’imposer. Notre groupement ne s’imposait pas mais sensibilisait et discutait avec la population. C’est ainsi que nous sommes venus à bout des feux de brousse. Il n’y en a plus du tout dans notre région. On en rencontre maintenant vers l’Ouest du Burkina.

A l’Assemblée nationale, j’ai posé une question orale au ministre de l’Environnement et du Cadre de vie sur le problème. Mais au moment où il répondait à ma question, je n’étais pas au Burkina. J’ai subi une intervention chirurgicale à Paris. Je n’ai donc pas pu être présent pour dire ce que j’avais sur le cœur.

S. : Comment voyez-vous les prochaines législatives au Burkina ?

B.L.O. : Au Burkina, les hommes politiques doivent revenir en arrière et réfléchir, vu les récents événements. Il y a eu des textes qui n’ont pas permis à la démocratie de grandir. Elle existe mais est difficile à gérer.
Elle doit être organisée par soi-même. Et non pas par un autre. Personne d’autre ni aucun pays ne doit l’organiser pour nous. Par exemple, Mitterrand avait dit aux Africains : “Si vous ne cultivez pas la démocratie dans vos pays, je ne vous apprécierai pas”. Mais il ne peut pas organiser la démocratie pour nous car nous devons nous-mêmes, organiser notre démocratie.

J’avais dit à certains amis que pour parvenir à la démocratie et bien vivre en Afrique, nous devons réfléchir au plan national et sous-régional et désigner des spécialistes dans chaque domaine, (sociologues, agronomes, planificateurs, psychologues, etc.) et leur permettre de se rencontrer par filière ou discipline. Chaque groupe doit étudier le terroir et la société dans lesquels ils vivent et voir comment se comportent les gens et pourquoi un tel comportement. Quand tous les groupes-cibles vont se rencontrer, dans un pays donné, chacun fera le compte rendu de ses recherches.

La démocratie vécue au Groupement Naam, sans me vanter, est la meilleure. C’est une démocratie que les gens, eux-mêmes, organisent à partir de ce qu’ils sont, de ce qu’ils veulent, (leurs aspirations), de ce qu’ils vivent (leur culture). Tant que cette stratégie ne sera pas appliquée, la démocratie ne peut pas progresser.

Cette démocratie dont je parle peut se construire en Afrique et partout où il y a des élections. Ne vous attendez pas à des textes parfaits, à partir du moment où cette démocratie est en construction. On nous parle, par exemple d’une démocratie venue d’ailleurs. D’accord ! Mais cette démocratie importée vise les intérêts individuels, ce qui est dangereux. Lutter uniquement pour soi est une source de conflit et de mésentente. Si en politique on luttait d’abord pour les autres et ensuite pour soi, on serait parti très loin et la démocratie aurait eu de la place dès maintenant.

S. : Pensez-vous que les leaders burkinabè ne sont pas à la hauteur ?

B.L.O. : Je n’ai pas dit cela. Ils sont peut-être à la hauteur mais reconnaissons honnêtement que c’est le problème de positionnement sur les listes, dans les régions et le problème de leadership qui justifient les joutes.

S. : Pourquoi y a-t-il beaucoup de revirements à l’approche des élections ?

B.L.O. : Les textes ne sont pas clairs. Les partis ont fait des textes en fonction d’eux-mêmes. Je ne cite pas un parti. Par exemple, on dit que les commissaires politiques de Ouagadougou ont choisi des secrétaires généraux dans les régions. La masse n’en sait pas. Les paysans n’en savent rien. Ils ne connaissent pas le secrétaire général qu’on leur a envoyé. C’est là un exemple de texte qui cloche même si on ne le dit pas. Si vous le dites, on incite les uns et les autres à se dresser contre vous. C’est vous qui perdez dans ce cas, et non la masse.

S. : Etes-vous d’accord que l’on passe d’un parti à un autre à l’approche des élections ?

B.L.O. : Ceux qui passent d’un parti à un autre sont des gens qui ont été malmenés. Ils sont écœurés et aigris. Alors, ils s’en vont.

S. : Est-ce à dire que ce sont des gens qui ne sont pas convaincus ?

B.L.O. : Attention ! Ici, comme je vous l’ai dit, les philosophies politiques ne sont pas bien définies. Et chaque parti a sa philosophie.
Certains sont dans un parti parce que le hasard les y a conduits.
Ils ne sont donc pas convaincus, d’autant plus que les leaders font les textes en fonction de leurs intérêts personnels.

S. : Serez-vous pour les candidatures indépendantes ?

B.L.O. : C’est difficile actuellement au Burkina mais je suis d’accord pour les listes uninominales permettant de savoir qui est fort et qui ne l’est pas.

S. : On peut comprendre la bagarre entre les politiciens mais pourquoi entre la CENI et l’opposition ?

B.L.O. : C’est parce que l’on pense que la CENI est partisane. Vrai ou faux, je n’en sais rien. Mais actuellement, la bagarre continue. Peut-être que ça s’estompera d’ici là. En réalité, les gens croient que la CENI voudra appuyer tel ou tel parti. Ils sont contre cela et ils le manifestent . C’est normal. La solution est qu’il faut corriger ces données. Si les leaders politiques comprennent qu’il faut se mettre d’accord pour les corrections à faire, nous irons plus loin dans la conquête de la démocratie.

S. : Quelle configuration du parlement vous semble opportun pour son fonctionnement optimal ? Un parlement majoritaire, un parlement où les partis se tiennent à quelques sièges,... ?

B.L.O. : La dernière dimension est la meilleure car là, les gens vont se méfier et faire attention. Ils éviteront les bêtises et les choses vont marcher. Mais si, par exemple, la majorité est tranchée, les uns et les autres n’ont pas peur.

S. : Comment appréciez-vous la démocratie en Afrique, de façon générale ?

B.L.O. : Je ne suis pas capable de démontrer qu’en Afrique, actuellement, la démocratie n’existe pas.
Elle pourrait exister, si par exemple, on avait suivi le cheminement que j’ai indiqué tout à l’heure, en demandant à chaque Etat et à chaque gouvernement, que l’on désigne des techniciens ou des professionnels des différents domaines, pour qu’ils réfléchissent sur la question et en fassent régulièrement le bilan afin de laisser tout ce qui ne va pas et conserver ce qui est bien.
Même en Europe, la démocratie réelle n’existe vraiment pas. Chacun emploie le mot pour se protéger. C’est comme une carapace.

S. : Sur quels arguments vous basez-vous pour dire que la démocratie réelle n’existe pas ?

B.L.O. : J’entends des hommes politiques parler de la démocratie alors qu’ils ne l’appliquent pas. C’est un exemple parmi tant d’autres. On parle toujours de démocratie mais quand leurs intérêts personnels politique, clanique et autres commencent à vaciller, ils se défendent par tous les moyens.

S. : Le Sénégal vient d’être endeuillé par la mort du prêtre rebelle, l’Abbé Augustin Diamancoun Senghor. Que représente ce personnage pour vous ? L’avez-vous connu ?

B.L.O. : Je ne l’ai pas connu. J’ai entendu parler de lui, tout comme vous. Mais il semblait honnête. Il était courageux. J’apprécie ses conceptions. Mais il ne pouvait pas faire autrement car il y avait une force qui le basculait. Il était le moins fort. Donc, sa conception de la démocratie ne pouvait pas trancher.

S. : Avec sa mort, la crise en Casamance peut-être prendra fin.

B.L.O. : Ce n’est pas sûr. Mais il se peut que d’autres jeunes plus violents s’affirment. Mais là aussi, ça va être très difficile. En revanche, si les hommes politiques du Sénégal savaient tenir compte de la spécificité de chacun, il y aurait des concertations et un dialogue permanent et on aurait dépassé voire épongé l’amertume passée et présente et construit une nation unie.

S. : Comment expliquez-vous le fait que de plus en plus, des hommes de Dieu quittent la soutane pour la politique ?

B.L.O. : Pour moi, ce sont des hommes sincères. Les hommes politiques sont malhonnêtes tandis que les hommes de Dieu protègent le peuple et ne veulent pas voir les citoyens brimés. Ils n’admettent pas l’injustice et préfèrent prendre le fusil que de croiser les bras et écouter des inepties.

S. : Est-ce la meilleure façon de régler les problèmes ?

B.L.O. : Non, ce n’est pas la meilleure façon mais chacun a sa manière. C’est difficile de juger dans ces circonstances.

S. : Quelles sont les chances pour Nicolas Sarkozy dans la présidentielle française ?

B.L.O. : Nicolas Sarkozy a été investi à 98%. Chirac, lui, on ne sait pas ce qu’il pense. Mais Nicolas, lui, ose dire ce qu’il pense ouvertement et, parfois même avec violence. Moi je préfère un tel homme (Nicolas Sarkozy) par rapport à ceux qui cachent leurs intentions réelles.
A propos des chances de Nicolas Sarkozy, il y a deux forces qui vont s’affronter en réalité. Les autres petites forces comme les Communistes, les Centristes et Le Pen veulent tester leur force mais je ne les vois pas à la tête de la France.

Mais le majoritaire Sarkozy, la Socialiste Segolène Royal sont les deux tendances fortes qui vont s’affronter. Je ne sais pas qui gagnera.
La dame est sage, parle bien, a une bonne conception des choses mais beaucoup de Français auraient préféré un Sarkozy dynamique.

S. : Peut-être qu’il faut une femme aussi pour changer les choses en France ?

B.L.O. : Je suis tout à fait d’accord. J’ai un papier ici qui dit que je suis l’ami des femmes (lecture de l’extrait d’un article du journal Le Pays N°457 août 1993). C’est pour dire que je m’occupe beaucoup des femmes. Ma mère a été très malheureuse et elle s’arrangeait toujours pour que je ne sois pas misérable parmi les jeunes de mon âge. Elle a toujours évité que l’on me montre du doigt. Pour cela, elle filait le coton, tissait, vendait et me donnait l’argent pour que je m’habille correctement. Quand je me rappelle qu’elle souffrait pour moi, surtout que je suis né trois mois après le décès de mon père d’où mon nom “Lédéa” signifiant orphelin, j’ai pitié des femmes.

Je travaille avec elles, dans le milieu rural. Elles sont les premières à se lever et les dernières à se coucher. Chaque jour, elles vont au puits, font le ménage, la corvée de bois. Les femmes constituent la classe à soutenir et à former. Je préfère attribuer des micro-crédits aux femmes qu’aux hommes. Les hommes, quand ils sont en possession des micro-crédits, préfèrent affûter leurs armes contre vous. Les femmes sont plus calmes, plus sages, honnêtes et remboursent facilement les crédits.

S. : Saddam Hussein a été pendu le jour de la Tabaski. Ce qui relance le débat sur la peine de mort. Qu’en pensez-vous ?

B.L.O. : La peine de mort est à condamner. Parce que tuer son semblable n’est pas noble, quelles que soient les bavures qu’il a commises. La pendaison de Saddam revêt deux dimensions. Il y a la dimension peine de mort et celle du jour même de la Tabaski.

Cette dernière dimension est inhumaine. Ils auraient dû attendre, être plus calmes et cléments. Saddam Hussein serait un grand homme, dans une certaine mesure, dans un certain contexte précis s’il n’avait pas trop tué. Parce que ce n’est pas tout le monde qui réussit comme lui à se faire respecter jusqu’à contraindre Bush et son armée à le combattre pendant longtemps. Même mort, il reste invaincu. Ils ont eu raison de pendre Saddam car s’il était resté en vie, les femmes et les enfants seraient sortis pour crier à bas Bush, à bas l’Amérique et Saddam au pouvoir. Afin d’éviter tout cela, il a fallu le pendre.

S. : Mais la violence continue en Irak !

B.L.O. : C’est pourquoi j’affirme qu’il survit, qu’il n’est pas, en réalité, mort. Parce qu’il y a toujours ses traces, indélébiles.

S. : En Côte d’Ivoire, le président Laurent Gbagbo a appelé les Forces nouvelles à un dialogue franc. Avec cet appel, verra-t-on le bout du tunnel dans la crise militaire que connaît ce pays depuis 2002 ?

B.L.O. : Je n’ai pas confiance en Gbagbo, simplement parce qu’il n’est pas honnête. Il dit une chose aujourd’hui et son contraire demain. On ne sait pas comment le suivre. Qu’est-ce qu’il n’a pas dit et qu’est-ce qu’il n’a pas fait. Mais jusqu’à présent, on est au point mort, on est à la case départ.

S. : On connaît le rôle joué par les Français en Côte d’Ivoire, au Tchad, en Centrafrique, etc. Comment voyez-vous les relations franco-africaines ?

B.L.O. : Je ne parlerai pas des relations franco-africaines mais de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Les Français ont voulu peut-être taire la querelle et prévenir la guerre civile. Je ne sais pas comment ils se sont pris mais ils ont échoué. Ils ont échoué en ce sens qu’en fin de compte, c’est eux qui récoltent les pots cassés.
Je ne suis pas charlatan, ni devin, mais c’est sûr et certain que si on avait laissé les Forces nouvelles aller sur Abidjan, Gbagbo serait parti à l’heure actuelle. Parce que les combattants des Forces nouvelles n’avaient rien à perdre, bien au contraire, ils avaient tout à gagner alors que Gbagbo n’avait pas assez d’armes à l’époque. Donc elles auraient pu gagner la guerre aux premières heures des troubles.

S. : Vous posez le problème de la présence militaire française en Afrique. Toute chose que le Burkina Faso à l’époque avait réussi à éviter ?

B.L.O. : En tout cas, on a bien vécu jusqu’à présent sans guerre civile. Les Occidentaux sont malins et n’interviennent que pour eux-mêmes d’abord. Par exemple, en faisant taire les armes et en réconciliant tout de suite les uns et les autres, cela ne leur donne aucun intérêt. Parce que les armes sont vendues par eux. Ils font du commerce grâce aux guerres et créent des emplois. En faisant taire les armes, ils signent du même coup leur inutilité dans la localité. De telle sorte qu’il faudra présenter autant que possible les deux faces. On est pour, on est contre, on négocie, on ne sait pas où on se trouve. C’est ça qui permet aux uns et aux autres de s’affirmer même s’ils n’ont pas raison dans nos pays.

S. : Presque toutes les ex-colonies françaises abritant des bases militaires ont échappé aux coups d’Etat. A contrario, les autres en ont vécu. Qu’est-ce qui explique cela ?

B.L.O. : Cela dépend des pays. Il y en a qui sont riches où les Occidentaux veulent y vivre. Là-bas, ils font tout pour assurer le calme. Maintenant, c’est à nous de savoir faire la part des choses. Qui vient chez nous et qui veut quoi pour nous. Si nous ne savons pas cela, nous perdons notre temps.

S. : A côté des prêtres qui ont troqué la soutane contre le manteau du politique, il y a ceux qui ont collaboré avec des régimes comme en Pologne

B.L.O. : Il faut avoir une certaine force d’esprit, une certaine conviction pour ne pas se laisser aller. Toutefois, il faut savoir que l’homme reste un homme. Les Mossé disent que l’homme est 9 mais ne vaut pas 10. Pour dire que personne n’est parfait. L’homme a des faiblesses qu’il faut accepter et les tolérer comme tel.

S : Mais on voit que l’Eglise est confrontée à beaucoup de problèmes en ce 21è siècle, notamment les cas de pédophilie aux Etats-Unis

B.L.O : Je l’ai déjà dit. L’homme reste un homme . Il n’est pas divin.

S. : Racontez succinctement vos débuts en politique ?

B.L.O. : J’ai été d’abord du Mouvement démocratique voltaïque (MDV). Dans la province du Yatenga, ce parti était majoritaire au commencement. Ensuite, j’ai milité au Rassemblement démocratique africain (RDA), puis à l’Union nationale des indépendants (UNI, également à l’ODP/MT et aujourd’hui CDP.
Le MDV n’existe plus. Le RDA vit toujours. Il a peut-être changé de couleur pour devenir ADF/RDA. A l’Indépendance, bien que minoritaire nous étions très dynamiques dans le Yatenga. Puis nous sommes devenus ODP/MT. Dans mon service il y avait toutes les tendances politiques. Elles étaient acceptées. Au début, j’ai eu des couacs avec les CDR de l’époque de la Révolution démocratique et populaire (RDP).
Mais j’ai écrit une lettre à Thomas Sankara pour m’expliquer.

En 1962, on m’avait demandé d’être conseiller de la collectivité rurale de Gourcy, l’actuel chef-lieu de la province du Zondoma, j’étais le 2e adjoint au maire quand Maurice Yaméogo avait nommé certains maires. A Ouahigouya, il avait nommé Arouna Poodo avec comme premier adjoint Adama Sawadogo et j’étais le 2e adjoint, c’était en 1966. C’est en ce moment que j’ai commencé à goutter aux difficultés de la politique.

Au moment du Conseil national pour le renouveau institué par Lamizana, j’étais 2e vice-président. Le président était le colonel Démé. Son premier adjoint Sékou Tall. On l’a enlevé, ce qui m’a permis de prendre la place de 1er vice-président. J’ai eu cette chance de sortir du Burkina et j’ai pu vivre le Mobutisme. Mobutu n’a pas brillé par le contenu de sa moralité. Mais sa conception politique, je l’ai admiré parce que les campagnes législatives donnaient l’occasion aux différents candidats d’être vraiment sur le terrain.

Les paysans choisissaient les meilleurs, ceux en qui ils avaient confiance. Je crois que la richesse minière du Zaïre ne pouvait pas lui permettre d’aller plus loin. Le Zaïre, l’actuelle République démocratique du Congo, a été tué par sa richesse.

S. : Comment avez-vous vécu le ballottage de Sangoulé Lamizana en 1978 face à Macaire Ouédraogo ?

B.L.O. : Le général Aboubacar Lamizana est un homme politique. Il répondait à toutes les qualités. Bon chef d’Etat, très bon militaire, il n’a jamais sévèrement puni quelqu’un. Peut-être son entourage mais pas lui. De son vivant, je l’ai souvent fréquenté. En tous les cas, il avait bon cœur.

S. : Dans les années 70, qu’est-ce qui a pu pousser un homme comme vous à prendre position dans un courant de “contestataires” d’autant plus qu’on vous disait modéré ?

B.L.O. : Modéré quand il n’y a pas d’injustices criantes. Lorsque l’injustice est exagérée, on ne peut que dire non, riposter avec la dernière énergie qui vous reste. Advienne que pourra. A l’époque, c’était la lutte des partis à l’intérieur des zones, chaque parti voulant dominer. Si vous n’acceptez pas la domination, vous êtes intimidé, menacé, parfois passé à tabac. Je ne suis pas d’accord avec cette façon de faire. Il faut permettre aux gens de s’exprimer, d’être vraiment ce qu’ils sont. Sinon ils sont objets et non des personnes.

S. : Certains sont venus en politique parce qu’ils estimaient avoir un projet de société pour leurs concitoyens. Qu’est-ce qui particulièrement a conduit le jeune instituteur que vous étiez à laisser la craie pour la politique ?

B.L.O. : Ce qui m’a amené à créer les groupements Naam et les 6S, c’est ma conception de la société. Le Kombi Naam est essentiellement démocratique. Ses valeurs permettent de construire une société idéale.

S. : Aujourd’hui, que retenez-vous de votre passage à la mairie de Ouahigouya ?

B.L.O. : Je ne dois pas me vanter, mais en toute sincérité, j’ai brillé par rapport aux autres. Parce que j’ai fait six ans sans commettre de fautes graves alors qu’il y en a qui n’ont pas pu faire deux ans.
Ouahigouya est très difficile, politiquement parlant. C’est une ville très politisée de telle sorte qu’il faut avoir les reins solides pour la gérer.

J’ai l’habitude de dire que j’ai géré la mairie de Ouahigouya avec courage et peur. Ce qui paraît paradoxal, mais c’est comme cela. Quand il faut être rigide, je sais l’être. mais quand il faut se taire, je le sais également.
Ce n’est pas de la lâcheté. C’est de la stratégie. Mais cela réussit. Il y a des hommes politiques qui conduisent leur peuple avec le bâton et la carotte. Il y a contradiction mais cela marche bien dans certaines zones de notre pays.

S. : On dit des Yadsé qu’ils ne mâchent pas leurs mots ? Est-ce vrai ?

B.L.O. : C’est dommage que les valeurs importées viennent nous dénaturer. Sinon, le Yadga est celui qui ne sait pas cacher la réalité, la vérité. Il dit crûment ce qu’il pense. Mais maintenant ce n’est plus le cas.

S. : Les gens disaient qu’en 1997 vous auriez aimé aller à l’Assemblée nationale au lieu de la mairie. Qu’est-ce qui a fait que vous n’y êtes pas allé ?

B.L.O. : On m’en a empêché.

S. : Pourquoi ?

B.L.O. : Je ne sais pas. Seuls ceux qui m’en ont empêché pourront vous dire la raison, pas moi. Les dirigeants politiques de l’époque m’ont demandé de rester à la mairie car étant agent de développement, ils veulent que j’anime le développement de la ville de Ouahigouya. Ceux qui sont venus me le demander sont tous auriginaires du Yatenga. Ils sont nombreux à me dire qu’ils me préfèrent à la mairie parce que Ouahigouya est une ville très difficile. C’est la même raison qui les pousse à me demander de rester à la mairie. Aller à l’Assemblée, c’est bien.

Mais rester à Ouahigouya c’est encore mieux car c’est une seule personne qui conçoit et qui fait travailler les autres. Dans ce cas, il faut un bon planificateur, il faut, il faut, il faut... J’étais content ou pas, toujours est-il que je suis resté à la mairie. En toute sincérité, j’aurais aimé aller à l’Assemblée. j’ai même insisté pour y aller. J’avais déjà fait quelques années à la mairie. De ce fait, je voulais avoir d’autres expériences dont celle de l’Assemblée nationale afin de m’affirmer. Bref, on ne peut pas tout avoir. Donc, je ne suis pas mécontent d’être resté à la mairie. Tout au moins, j’ai pu faire mes six ans sans bavures, sans “fouet”.

S. : Reconnaissez-vous en cela une marque de confiance de la part des autorités ?

B.L.O. : En tout cas c’est ce qu’ils m’ont dit.

S. : Malgré tout, vous êtes allé à l’Assemblée ?

B.L.O. : On m’a demandé encore d’aller à l’Assemblée, ceux-là mêmes qui m’avaient suggéré de rester à la mairie de Ouahigouya. Essayer de comprendre pourquoi, ils vous diront tout de suite que c’est de la politique. Et il n’y a pas d’autres explications.

S. : Etiez-vous d’accord avec eux ?

B.L.O. : Je n’étais pas tout à fait d’accord avec eux. Mais ils ont avancé des raisons de patriotisme mais aussi politiques.
Même si j’ai été manipulé, je me suis laissé manipuler parce que je ne suis pas un enfant (rires). Je sais qu’on me manipule mais je me laisse faire pousser pour diverses raisons.

S : L’opinion dira en ce moment que vous n’êtes pas sûr de ce que vous dites...

B.L.O. : Je me laissais manipuler c’était pour l’équilibre dans la région. Sinon je ne me trahis pas. Je reste intègre. Aujourd’hui, je refuse qu’on me manipule.

S. : Est-ce pour cela que vous avez quitté la scène politique ?

B.L.O. : Attention ! On ne peut pas quitter la politique quand on l’a déjà faite. Vous êtes tous des politiques parce que vous votez, vous jugez. C’est le poste politique que vous n’avez pas et peut-être une conviction philosophique politique. Sinon que tout le monde est politique.

S. : C’est assez paradoxal. Ceux qui ont cru en vous envoyant à la mairie et à l’Assemblée nationale, sont ceux-là mêmes qui vous ont blâmé. Comment comprendre cette attitude ?

B.L.O. : Je suis allé à la mairie le 4 mars 1995. J’ai été élu député en 1997. J’ai préféré aller à l’Assemblée nationale plutôt que de rester à la mairie. Mais on m’a demandé de rester à la mairie. En 1997, les données politiques ont changé et c’est pour cela qu’on m’a demandé de venir aider à développer la ville. Voilà la raison.

S. : Pourquoi donc après tout ce sacrifice, on vous blâme ?

B.L.O. : Les hommes sont les hommes. On m’a puni, Je supporte.

S. : N’est-ce pas parce que vous avez quitté le CDP pour l’ADF/RDA ?

B.L.O. : J’ai travaillé avec conviction au CDP. Mes amis étaient à la tête du CDP dans les départements quand on a nommé un secrétaire général qui est allé les sortir. Ce sont eux au temps de l’ODP/MT qui avaient le pouvoir local. On a demandé au secrétaire général de les expulser du parti et des bureaux, parce qu’ils sont de mon association. Ils sont venus me voir, je leur ai dit que je n’y pouvais rien. Je suis allé voir qui de droit pour savoir pourquoi ils ont été chassés. On ne s’est pas empoigné ce jour-là, mais on n’était pas content l’un de l’autre.

S. : Le secrétaire général ?

B.L.O. : Un homme politique dont je voudrais taire le nom. Pendant les dernières élections municipales, les mêmes qu’on avait chassés du parti sont venus me voir pour savoir s’ils pouvaient se présenter. Je leur ai dit qu’ils le pouvaient parce qu’ils sont citoyens comme n’importe qui.

Ils sont allés voir la direction du CDP à Gourcy qui les a rejetés. C’est ainsi qu’ils sont allés se présenter à l’ADF/RDA et ils ont eu beaucoup de voix. Deux ministres ont concurrencé avec eux, mais il y a eu seulement une différence de trois (3) conseillers. Ils ont eu la région. Je ne me suis pas mêlé mais la presse m’a insulté. Certains journalistes disent du mensonge, de la calomnie pour faire plaisir à qui de droit. Je tais leurs noms.

S. : Est-ce qu’on vous a entendu avant de vous blâmer ?

B.L.O. : J’ai rédigé une lettre pour me faire entendre mais on ne m’a pas écouté.

S. : Pourquoi ?

B.L.O. : Je ne sais pas. C’est la politique.

S. : Après les postes de maire et de député, le CDP vous a blâmé. Est-ce une trahison ?

B.L.O. : Je n’en sais rien. Ils ont leur conception que je ne peux pas analyser ici. Ils ont leurs raisons que je ne dirai pas non plus.
Les hommes politiques en Afrique défendent leurs galettes et leurs postes. C’est normal.

S. : Estes-vous victime du conflit de clan au sein du CDP ?

B.L.O. : Je suis victime d’un ou de deux hommes. Je ne suis pas victime du CDP.

S. : Et pourtant la décision a été signée par les responsables du parti...
B.L.O. : D’accord. Mais le parti ne s’est jamais assis pour décider de cela.

S. : Vous avez reçu un blâme du CDP et en application de l’article 12 des statuts du CDP, qui veut que “le trafic d’influence, l’abus de pouvoir, l’indiscrétion, le non-respect des décisions, soient des manquements graves à la discipline et soient sanctionnés comme tels”. Qu’est-ce qui vous est reproché ?

B.L.O. : On m’a reproché d’avoir appuyé l’ADF/RDA.

S. : Est-ce vrai ?

B.L.O. : J’avais une attitude conséquente avec mes sentiments. Ils ont chassé des gens qui ont conduit le parti depuis l’ODP/MT jusqu’au CDP. Normalement on ne devait pas les expulser. On n’a pas dit pourquoi ils ont été chassés. Je leur ai demandé pourquoi ils ont quitté sans m’en parler ? C’est plus tard qu’ils m’ont dit qu’ils ont été expulsés par le Secrétaire général de la section. C’est dommage.

S. : Au-delà des chiffres, quelle est la réalité entre le CDP et l’ADF/RDA à Ouahigouya ?

B.L.O. : En politique, ce sont les chiffres qui comptent. Au-delà des chiffres, on ne peut pas dire qui est le plus fort parce que les paysans sont pauvres donc corruptibles.

S. : Votre position est ambiguë parce que vous avez décidé de quitter le CDP et en même temps vous dites que vous restez CDP.

B.L.O. : C’est une position ambiguë voulue. Je l’ai voulu ainsi pour montrer à qui de droit que je ne suis pas un objet manipulable. J’ai dit “plus de mandats électifs” mais je reste au CDP.

S. : Aux prochaines législatives, si le CDP vous demandait en tant que militant de base, d’aller sensibiliser une zone, qu’allez-vous faire ?

B.L.O. : J’obéïrai.

S. : Autant quitter le parti...

B.L.O. : Pourquoi quitter ? Je l’ai implanté de mes propres forces. Ce n’est pas sa philosophie que je n’aime pas, ce sont des hommes qui ne sont pas bien.

S. : Dans le Nord, il y a des clans. Dans quel clan vous situez-vous ?

B.L.O. : Je ne suis d’aucun clan. Je suis de moi-même.

S. : Mais plus proche de Tahéré ?

B.L.O. : J’ai dit à Tahéré que l’on devrait taire la querelle. Il a accepté. Je suis allé dire à ses militants de laisser tomber également la querelle. Quelqu’un a dû apprendre cela et m’a téléphoné pour me dire que j’étais du clan de Tahéré et qu’on ne m’aimait plus.
C’est un piège qu’on m’a tendu. Sinon pourquoi m’avoir envoyé pour intercéder auprès d’autres militants ?

S. : Si vous aviez à reprendre, feriez-vous encore de la politique ?

B.L.O. : C’est une question ambiguë (rires). Je ne regrette pas parce que j’ai posé des actes solides. A l’Assemblée nationale, j’ai suggéré des idées dans le cadre de la lutte contre la désertification.

S. : Au plan national et international, quand on dit Bernard Lédéa Ouédraogo, on voit les six “S”. Qu’est-ce que c’est et surtout, comment est née l’idée de créer une telle association ?

B.L.O. : J’ai d’abord créé les Naams. Quand j’étais conseiller d’éducation rurale, j’ai remarqué que les paysans avaient peur de tout ce qui est de l’Occident. J’ai voulu cultiver la confiance en eux-mêmes et en ce qu’ils font. J’ai eu comme leitmotiv la confiance et la sécurité. Quand les paysans ont confiance, ils se sentent en sécurité et se donnent pour le travail. C’est ainsi que j’ai créé les Naams. J’ai vu des coopératives un peu partout dans le monde. Mais j’ai remarqué qu’elles faisaient du mercantilisme.

Les hommes politiques envoient leurs amis dans ces coopératives pour défendre leur poste. J’ai voulu faire autre chose. Je me suis demandé comment vivaient nos ancêtres. Avec les instituteurs qui étaient là, nous sommes allés dans les villages et nous avons fait des investigations sociologiques. On m’avait demandé à Ouahigouya d’être formateur des encadreurs et animateurs ORD. Mais leurs méthodes de travail ne me plaisaient pas parce qu’on octroyait des crédits aux paysans et deux, trois ans après, on revenait demander le remboursement.

Dans l’incapacité de payer, les paysans se cachaient. J’ai réfléchi à une structure qui suscite confiance et qui sécurise. Au cours de notre étude sociologique, nous avons découvert qu’il y avait plusieurs associations semblables aux groupements villageois. Il y avait les associations” Son Song-taaba”, “Sosoaga” et “Kombi naam”. Seule la dernière était démocratique. Dans l’association”Son Song taaba”, ce sont les catégories semblables qui se retrouvaient pour travailler : les pauvres avec les pauvres, les forgerons avec les forgerons etc. L’association”So soaga”, seuls les riches pouvaient y accéder.

L’idée des six “S” est née au CESAO. Ce n’est pas partout qu’il y a des groupements Naam. Les Sénégalais, Maliens, Nigériens etc ; qui étaient avec moi au CESAO, m’ont demandé de leur parler de l’association traditionnelle qui faisait du développement amélioré.
Ils sont même venus voir ce qui se faisait sur le terrain. Ils ont admiré et tous ont décidé d’en faire pareil chez eux. Mais on ne pouvait donner l’appellation naam dans tous les pays.

C’est ainsi que j’ai proposé les six “S” (se servir de la saison sèche en savane et au Sahel). Au début, ma proposition a été contestée mais deux ans plus tard, tout le monde était d’accord avec moi et on a adopté l’appelation six “S”. Ensuite j’ai proposé la cigogne comme logo. Ils ont refusé en disant qu’un oiseau ne pouvait pas les représenter.

Pendant dix ans, ils n’ont rien trouvé comme logo et ma cigogne a été acceptée. J’ai proposé la cigogne parce que c’est en fait un oiseau qui sait partager. Les six “S”, c’est une ONG qui a emprunté au naam ses valeurs.

S. : Les six “S” sont nés de la volonté de deux hommes ; vous-même Bernard Lédéa et Bernard Lecomte. Comment se fait-il qu’on parle moins du second ?

B.L.O. : Bernard Lecomte nous a quitté très vite parce qu’il avait des maux de cœur. J’étais secrétaire général exécutif de l’association pendant plus de quinze ans.
J’ai négocié avec les gouvernements des huit pays membres pour faire reconnaître les six “S”.

S. : Vous êtes partisan de la culture comme moteur du développement ? Tout comme le professeur Joseph-Ki-Zerbo propose un développement endogène. Quel lien peut-on établir entre ces concepts ?

B.L.O. : Le développement endogène et le développement à partir de la culture sont la même chose. D’ailleurs Ki-Zerbo a dit dans son livre qu’il faut partir de nous pour revenir à nous. Senghor, lui a dit qu’il faut s’enraciner dans l’ouverture. Abdou Diouf également a dit à peu près la même chose, développer sans abîmer notre culture et la nature, on part de ce principe pour essayer d’être responsable de nos problèmes et les résoudre. C’est une méthode centrale qui consiste à partir de ce que l’homme est, donc de sa nature, de ce qu’il sait, de ce qu’il vit et de ce qu’il sait faire. S’il ne part pas de là, il est dominé. Nous avons également créé les modes opératoires. Il y a les trois pierres de la ménagère africaine pour enseigner aux paysans le développement humain durable. Nous prenons des activités concrètes, nous les analysons pour les adapter au contexte du moment.

S. : Selon vous le développement repose sur l’éducation, la formation et la santé. Pourquoi le choix de ces trois secteurs ?

B.L.O. : Pour faire les Groupements Naam, nous sommes partis des Groupements postscolaires (GPS) qui savent lire et écrire. Nous prenons également les anciens combattants qui se disent “intellectuels” parce qu’ils connaissent le Blanc. Ils servent de trait d’union entre le monde traditionnel et le monde “intellectuel”.
Mais petit à petit, nous sommes allés vers le Kombi naam où il y a de valeurs cardinales. Il faut s’accrocher aux valeurs et non au vide. Je suis d’accord qu’il faut éduquer et former les populations, sinon le développement améliorée est impossible.
En matière de développement, il faut concevoir, analyser, expérimenter et appliquer d’où l’importance de l’éducation et de la formation. Mais pour arriver à tout cela, il faut la santé.

S. : Quelle est votre position par rapport à l’introduction des OGM ?

B.L.O. : Nous faisons confiance aux scientifiques pour analyser le problème et nous dire ce qu’il faut faire. Notre position est qu’il faut manger. Si les OGM peuvent nous permettre de produire en quantité et en qualité, tant mieux.

S. : Citez-nous quelques réalisations des six “S” depuis sa création.

B.L.O. : Pendant dix ans, les six”S” se sont autofinancés. Nous avons cultivé du sésame et des arachides, récolte des noix de karité que nous avons vendues.
L’argent a été déposé dans un compte bancaire.
Entre-temps, le Conseil économique et social nous a appuyés avec des charrues, des charrettes, des bœufs de labour etc. Plus tard, les Suisses nous ont demandé d’aller expliquer ce que nous faisons à Berne (Suisse).
C’est ainsi que le directeur de l’organisme, M. Afner nous a accordé cent millions de francs CFA pour commencer.
Depuis, nous avons réalisé mille et une choses. Impossible de tout citer.

Aller voir sur le terrain. C’est l’occasion pour moi de dire que seule la coopération peut financer les activités d’une ONG pendant plus de 30 ans.

S. : Vous parlez de développement à partir de notre culture, cependant vous êtes habillé en veste et cravate. Pourquoi n’êtes-vous pas en Faso dan-fani ?

B.L.O. : D’habitude, je suis en Faso dan-fani. Aujourd’hui, si je suis en veste c’est parce que j’ai froid. La vraie raison est que je boite parce que j’ai subi une intervention chirurgicale à la colonne vertébrale. Avec les grands boubous, je peux tomber facilement sur vos escaliers.

S. : On dit qu’au sein de votre association, vous n’acceptez pas la contradiction, vous êtes autoritaire.

B.L.O. : Non. C’est de la calomnie (rires). Je ne prends jamais de décision seul. Même avant de venir ici à la rédaction, j’ai réuni le staff et je leur ai demandé si je devais partir. Je suis autoritaire avec les paresseux. Je n’aime pas le paresseux, tout comme le menteur et le calomniateur. A ce niveau, je suis violent.

S. : On dit que vous êtes méfiant parce que vous craignez qu’on ne prenne votre place...

B.L.O. : Je cherche quelqu’un pour prendre ma place. J’avais même préparé la relève. Il y avait Dramane Ouédraogo et Abdoulaye qui étaient préparés pour cela. Mais ils étaient obligés de partir parce que je ne peux pas les financer. Nous avons un programme financé par la Coopération suisse depuis plus de trente ans. Cette coopération est fatiguée et ne peut pas continuer. J’avais également préparé Antoine Sawadogo pour me remplacer. Au dernier moment, lui aussi a créé une association à partir de mes idées. Il a décliné l’offre.

C’est à partir de cet instant que j’ai décidé de cultiver l’autoresponsabilisation. Actuellement au sein de la direction, il y a plusieurs cellules que nous appelons unités d’appui et qui sont décentralisées. Ces cellules s’autofinancent et ça marche. En 1992, quand on m’a demandé d’être député, j’ai refusé parce que j’ai estimé que je ne pouvais créer des associations apolitiques et après aller faire de la politique. Il y aurait contradiction.

S. : Les Burkinabè qui ont l’imagination fertile disent que les six “S”, c’est se servir des sous suisses sans souci.

B.L.O. : Vous ne pouvez pas faire le travail que j’ai fait sans être critiqué et vilipendé. Les Suisses eux-mêmes me l’ont dit à Ouahigouya. Mais ils savaient qui était à la base de cette invention pour détruire Bernard Lédéa. Les gens ici sont très jaloux, voire méchants.

S. : Est-ce qu’on peut dire que vous êtes riche ?

B.L.O. : Je suis riche d’expériences, mais financièrement parlant, pauvre. Les Suisses sont de très bons comptables. Pendant trente ans, ils m’ont contrôlé. Je n’ai jamais perdu un franc.

S. : Qu’est-ce que vous pensez de la presse burkinabè ?

B.L.O. : Je dis du bien de la presse, mais je dis du mal de certains journalistes. Je n’ai pas peur de la presse. Elle peut raconter ce qu’elle veut. Mais écrire vrai.

S. : Peut-on dire aujourd’hui que Bernard Lédéa a échoué en politique ?

B.L.O. : Oui. J’ai échoué lamentablement en politique parce qu’on m’a blâmé. La nouvelle de mon blâme est arrivée en France et partout chez les donateurs et les partenaires financiers.
Ils m’ont écrit pour me dire qu’on m’a blâmé, mais moi je m’en fous. Je fais avec. C’est vrai qu’on m’a blâmé, mais je n’ai pas peur. J’ai été fonctionnaire A1 plafond mais, je n’ai jamais été reproché de quoi que ce soit. Que je me fasse blâmer en politique, ce n’est pas grave.

Sidwaya

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