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Droits d’auteur : “Les opérations de saisies sont désormais suivies d’arrestations et de jugements”, Chantal Forogo

Publié le samedi 27 janvier 2007 à 09h32min

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Chantal Forogo

Bobo-Dioulasso, deuxième ville du Burkina Faso, capitale économique et ville carrefour connaît le phénomène de la piraterie, notamment des œuvres musicales. Dans cet entretien qu’elle a accordé à Sidwaya, Chantal Forogo, directrice régionale du Bureau burkinabé du droit d’auteur (BBDA) évoque l’ampleur du phénomène et les moyens de le combattre.

Sidwaya : Mme la directrice rappelez-nous le rôle et les missions du BBDA ?

Chantal Forogo : Le BBDA est un établissement public à caractère professionnel chargé de la gestion collective des droits de la propriété littéraire et artistique. Le Bureau burkinabé du droit d’auteur (BBDA) section de Bobo-Dioulasso existe depuis 1994. Il a d’abord fonctionné sous forme de délégation jusqu’en 2001. En octobre 2001, il a été transformé en agence, puis en direction régionale à partir de 2003. Sa mission principale est de protéger et défendre les droits des créateurs d’œuvres littéraires et artistiques non seulement sur le territoire national mais également à l’étranger.

A cet effet il est doté par la loi de plusieurs attributions à savoir l’établissement des contrats avec les différents utilisateurs d’œuvres, la collection des droits issus de ces contrats et enfin, la répartition les montants recouvrés entre les bénéficiaires de droits. Dans le cadre de sa mission, le BBDA apporte également une assistance juridique aux artistes dans la signature de leurs contrats avec les partenaires et contribue à la lutte contre la piraterie.

S : Quelle est l’ampleur de la piraterie dans la région des Hauts-Bassins ?

C.F : A notre avis, la piraterie est d’abord un phénomène mondial auquel le Burkina n’échappe pas, eu égard à sa situation géographique, puisqu’il partage plusieurs frontières avec des pays dont certains ont disposé avant lui, d’industries de duplication de supports d’œuvres protégées. C’est dire que l’essentiel des œuvres piratées circulant au Burkina proviennent de l’extérieur.

Des partenariats existent entre le BBDA et certaines institutions du pays tels que la douane et l’inspection générale aux affaires économiques afin d’assurer un meilleur contrôle au niveau des entrées et de la circulation sur le territoire national d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Nous saluons au passage ces institutions pour ce soutien inestimable.

Pour revenir à la question de l’ampleur de la piraterie dans les Hauts Bassins, il faut dire que la situation est plus ou moins pareille aux autres régions du Burkina. Elle est surtout fonction de l’étendue de la ville. Plus la ville est grande, plus on rencontre des œuvres piratées.
Cependant, d’une façon générale, on peut affirmer qu’il y a une réduction de la piraterie au Burkina avec la collaboration des partenaires cités, l’adoption du système d’hologramme, les efforts de sensibilisation du BBDA ainsi que les opérations de saisies désormais suivies d’arrestations et de jugements.

S : Quelles sont les œuvres les plus piratées dans la région ?

C.F : Les œuvres les plus piratées sont les œuvres musicales d’artistes burkinabè et étrangers. Le BBDA ne fait pas de distinction entre nationaux et étrangers dans la protection des droits d’auteurs et ce, en application des dispositions de la Convention de Berne ratifiée par le Burkina. Cette convention pose le principe du traitement national selon lequel les œuvres étrangères doivent être protégées sur le territoire national dans les mêmes conditions que les œuvres nationales.

Maintenant il revient aux populations de contribuer à la lutte contre la piraterie en refusant d’acheter les œuvres piratées, c’est-à-dire, celles qui ne portent pas le timbre du BBDA et aux utilisateurs d’œuvres de l’esprit dans les lieux de commerce, de toujours procéder à une déclaration préalable de leurs exploitations.

S : En quoi dit-on que la piraterie grève l’épanouissement des artistes et l’économie d’une manière générale ?

C.F : Vous savez que les pirates démarrent toujours leur activité à partir de produits finis, surtout d’œuvre à succès. Ainsi, ils se font d’énormes ressources financières à des conditions très peu coûteuses de production et de distribution au détriment des auteurs, artistes interprètes et producteurs. Ces derniers voient leurs rémunérations de leurs œuvres et prestations diminuer voire pillée par la piraterie. Les éditeurs et les producteurs qui ont investi de grosses sommes d’argent pour réaliser les premières fixations ne peuvent plus écouler leurs stocks de produits.

En conséquence, les artistes n’ont pas de rémunération ou n’ont que des rémunérations dérisoires si bien que beaucoup d’entre eux se retrouvent au chômage du fait qu’ils ne sont plus en mesure de développer de nouveaux talents. Comment pourraient-ils s’épanouir dans ces conditions ? Les conséquences de la piraterie touchent l’économie de façon générale dans la mesure où d’une part, l’Etat ne tire rien de l’activité du pirate. En raison de la clandestinité de celle-ci il ne peut pas percevoir de taxes. D’autre part et c’est le pire des cas, la piraterie fait obstacle à l’activité de création et au développement des industries culturelles.

Or, il est prouvé que dans les pays développés, les industries culturelles constituent l’une des plus importantes sources de croissance économique et d’indépendance culturelle en ce qu’elles participent à l’amélioration du produit national brut à hauteur de 4% à 6%, ce qui est énorme. Il va falloir donc que tous, autant que nous sommes, nous nous donnions la main pour barrer la route à ce fléau afin que le domaine culturel de notre pays puisse pleinement apporter sa part de contribution au développement de notre économie.

S : Malgré tous vos efforts, on se rend à l’évidence que vous rencontrez beaucoup de peine à endiguer ce fléau. Est-ce à dire que la piraterie a encore de beaux jours devant elle ?

C.F : Effectivement, les pirates sont très subtils. Il suffit de les contrecarrer de ce côté qu’ils débouchent de l’autre. Mais le BBDA ne croise pas non plus les bras. Il a déjà procédé au remplacement de l’étiquette qui avait commencé à montrer ses limites, par l’hologramme, un système d’identification et de protection beaucoup plus efficace des œuvres musicales. En outre, il est à pied d’œuvre pour rendre opérationnel le Comité national de lutte contre la piraterie créé par la loi 32/99 du 22 décembre 1999. Avec un tel comité, la lutte sera désormais quotidienne et nous croyons que les pirates finiront par se lasser.

S : Est -ce que vous rencontrez des difficultés particulières dans l’exercice de votre mission ?

C.F : Les difficultés ne manquent pas au BBDA mais nous sommes convaincus d’agir pour de bonnes causes. Alors nous évitons le découragement. Ces difficultés se rencontrent généralement dans nos rapports avec les usagers du fait que la culture du droit d’auteur n’est pas encore tout à fait entrée dans les mœurs, et la pauvreté aidant, le recouvrement des droits est parfois compliqué. Il y a aussi des incompréhensions parfois dans nos rapports avec les membres, c’est-à-dire les auteurs, artistes interprètes etc... et même dans les rapports entre membres. Le BBDA est amené souvent à gérer des contentieux.
Mais ce qui est encourageant dans tout cela, c’est que l’on finit toujours par s’accorder.

S : En dehors des opérations coup de poing, on ne voit pas beaucoup le BBDA notamment sur le terrain de la sensibilisation. En quoi cela est-il dû ?

C. F : Je suis d’un avis plutôt contraire parce que le volet sensibilisation a toujours occupé une bonne place dans le programme annuel d’activités du BBDA. Seulement tout n’est pas médiatisé et cela est dû aux problèmes de finances. Le coût de la communication est très élevé. Par exemple en 2004, des journées nationales de lutte contre la piraterie et de promotion de la musique burkinabé ont été organisées à Ouagadougou. Ces journées qui s’étaient étalées sur ont été marquées par une formation des personnes chargées de l’application des lois et par l’ouverture au public des portes du BBDA avec la mise en place d’équipes de renseignements et de sensibilisation.

En 2005 toujours à Ouagadougou, se sont tenus des séminaires sur la lutte contre la piraterie et à Bobo-Dioulasso, les vendeurs et importateurs de phonogrammes et de vidéogrammes ont été réunis, informés et sensibilisés sur les procédures légales de commercialisation des œuvres de l’esprit. Cette année 2006, le BBDA a opté pour une sensibilisation de proximité marquée par une tournée dans 25 villes moyennes du pays. Vous avez suivi la clôture de cette tournée organisée à Bobo ici le 4 Août dernier.

Aussi le BBDA est toujours présent aux grandes manifestions culturelles du pays tels que le SIAO, le FESPACO, la SNC etc. pour sensibiliser et mettre des dépliants à la disposition du public. Actuellement, des spots de télédiffusion et de radiodiffusion conçus par le BBDA en collaboration avec des artistes dans le cadre de cette sensibilisation, sont en instance de réalisation faute de moyens financiers. Les bonnes volontés seront donc les bienvenues pour réaliser cette activité.

S. Qu’en est-il de la collaboration entre le BBDA et les forces de sécurité ?

C. F : La collaboration est satisfaisante parce que ces forces de l’ordre ont toujours fait preuve de disponibilité et d’efficacité à chaque sollicitation du BBDA. Nous leur disons un sincère merci.

S : Que répondez-vous lorsque les artistes musiciens accusent le BBDA de les gruger notamment au niveau des droits d’auteurs qu’ils perçoivent.

C. F : Ceux qui pensent ainsi ne comprennent pas toujours comment fonctionne le système du droit d’auteur. Il est vrai que l’œuvre de l’esprit est protégée par la loi dès sa création. Mais il ne suffit pas de créer une œuvre musicale pour prétendre systématiquement à des retombés pécuniaires au BBDA ! Il faut que cette œuvre ait été exploitée par le public et le gain est fonction du degré d’utilisation de l’œuvre par le public.

En plus, l’œuvre musicale est grevée de plusieurs types de droits et les périodes de répartition ont été organisées en conséquence. Ainsi les droits de reproduction sont répartis en février, les droits de représentation (radios, télés, exécution publique, cinéma, publicité, séances occasionnelles) en mai, les droits voisins, droits en provenance de l’étranger et encore droits de reproduction, en septembre et enfin les droits à envoyer à l’étranger, en décembre.

Si par exemple l’artiste n’a pas dupliqué de supports l’année précédente, et qu’il se présente à la répartition de février de l’année en cours pour réclamer les droits d’auteurs, il sera déçu ! De même si les organismes de radiodiffusion n’ont pas diffusé sa création ou ne l’ont diffusé que très peu et qu’il n’a animé aucun concert, il ne pourra être bénéficiaire de droits ou ne sera bénéficiaire que d’un montant peu élevé à la répartition de mai. Ainsi de suite pour chaque type de droit.

Cependant l’absence de droits ou leur insignifiance peut aussi être dû au manquement des diffuseurs d’oeuvres et des organisateurs de spectacles à leur obligation de remplissage des révélés de programme. Dans ce cas, l’artiste est pénalisé et cette faute ne peut être imputée au BBDA. Nous rappelons donc une fois de plus aux stations de radio, aux chaînes de télévision etc., qu’il est capital de transmettre régulièrement au BBDA des relevés de programme exploitables afin d’éviter de porter des préjudices aux artistes. Sinon au BBDA, la répartition est faite à l’aide d’un logiciel spécial (AFRICOS) qui ne connaît pas tricher.

S : Vos agents sont souvent accusés de corruption. Que répondez-vous ?

C.F : Il est interdit aux agents BBDA de traiter des affaires parallèles dans l’exécution de leur fonction ou de poser des actes qui porteraient préjudice aux droits des artistes. Par conséquent tout agent qui se rend coupable de tels agissements est sévèrement sanctionné.
Et moi je pense que les personnes qui traiteraient autrement que dans les normes avec les agents du BBDA ne sont que leur complice. Car tout paiement de redevance de droits d’auteurs aussi minime soient-ils, donne toujours lieu et séance tenante, à la délivrance d’une quittance dûment remplie, signée et cachetée.

Si l’usager sens donc qu’en s’acquittant de son dû il n’aura pas droit à sa quittance, il a le devoir de s’abstenir de payer et de se présenter dans les locaux du BBDA. Autrement, il aura conspiré avec l’agent fautif au détriment des auteurs, toute chose qui ne l’exonérera pas du paiement de la redevance due.

Propos recueillis
par Frédéric OUEDRAOGO

Sidwaya

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