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Démocratie : De quelle presse avons-nous besoin ?

Publié le vendredi 12 janvier 2007 à 07h40min

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De quelle presse a-t-on besoin en régime démocratique ? D’une presse qui a pour mission essentielle la couverture et la clôture des ateliers organisés par les départements ministériels et leurs démembrements ? D’une presse qui s’investit dans le rôle de travailler pour la satisfaction des lubies narcissiques des princes du jour ?

De quelle presse a-t-on besoin dans un Etat de droit ? Des journalistes possédant un esprit critique au haut point ? Esprit critique ne signifie pas esprit de critique. Des journalistes patriotes, défenseurs des faibles, ennemis de l’injustice et de l’arbitraire ? Des hommes et des femmes qui mènent une lutte sans concession contre la corruption, les détournements ; en un mot des journalistes qui dénoncent sans complaisance les pillages du patrimoine commun ?

Le 8 janvier, deux journaux burkinabè, le bimensuel L’Evénement et l’hebdomadaire L’Indépendant ont été cités à comparaître devant le tribunal de grande instance de Ouagadougou. Les deux journaux sont accusés du délit de diffamation respectivement à l’endroit de François Compaoré et de Jean Fidèle Tapsoba. Le tribunal a renvoyé le procès contre L’Evénement au 22 janvier prochain, et celui contre L’Indépendant au 15 janvier. Un motif commun, qui fera désormais jurisprudence dans la justice burkinabè, a été invoqué pour le report des deux procès : le motif de non production de l’original du journal incriminé. Mais le tribunal tenait à juger L’Indépendant. L’avocat du journal a fait remarquer au tribunal que comme dans le premier cas, il y avait lieu de respecter le parallélisme des formes. C’est alors que ce procès aussi a été renvoyé au 15 janvier.

Tout au long de l’année 2006, de nombreux journaux burkinabè ont été attraits devant la justice. On peut citer comme exemples le procès intenté par le député Laurent Bado contre L’Indépendant, le procès contre le quotidien Le Pays. La Société des éditeurs de la presse privée (SEP) a entrepris des médiations qui ont eu pour résultat l’arrêt de procédures devant conduire à un procès, pour le cas de L’Indépendant.

Dans la majorité des cas, à l’exception du procès intenté par François Compaoré contre L’Evénement, c’est la dénonciation des faits de corruption et de détournement avérés qui a conduit les journaux et leurs responsables devant les juges. Pendant ce temps, au Togo voisin, on est déjà parvenu à une sorte de dépénalisation des délits de presse. Les journalistes burkinabè sont-ils moins professionnels que leurs confrères togolais ? La différence de traitement de la presse dans les deux pays est le pur reflet de l’Etat de droit dans les deux pays. Cependant, le Togo revient de loin en matière de respect de la liberté d’expression et de la liberté de presse et de pensée.

Au Burkina Faso, la presse ou si l’on veut le journaliste, est adulé, bien accueilli dans les salons, bien vu dès lors qu’il encense, dès lors qu’il approuve sans nuance les mesures, même les plus impopulaires, dès lors qu’il fait les louanges des hommes les plus corrompus et de ceux qui se donnent des passe-droit dans la conduite des affaires publiques et la gestion du bien commun.

Au contraire, quand un journal ou un journaliste affiche une indépendance de jugement et dénonce les faits de prince posés par une personnalité, quand il critique certaines décisions politiques, quand il dénonce des abus, il devient un dangereux subversif. Il est voué à toutes les gémonies. Il devient quelqu’un à abattre et qu’il faut abattre. Par tous les moyens ! Depuis les événements de Sapouy et vu le rejet unanime de cet acte par le peuple, une autre voie semble avoir été choisie pour bâillonner la presse, notamment la presse privée du Burkina Faso. On la traîne devant la justice dans l’espoir secret de lui infliger de lourdes amendes qui l’obligeront à disparaître. Dans leur entreprise, les fossoyeurs de la presse privée ont dans l’ombre, des journalistes (eh oui !) et des hommes politiques qui les conseillent d’intenter un procès. Fort heureusement, jusque-là, la presse privée burkinabè plie, mais ne rompt pas. Mais il importe qu’elle soit de plus en plus responsable, de plus en plus formée. Elle n’est pas toujours exempte de reproches, loin s’en faut, mais elle est bien appréciée dans son ensemble aussi bien par des démocrates nationaux sincères que par des étrangers. Certaines de ses dérives sont parfois liées à sa jeunesse. Elle mérite mieux que les procès tous azimuts. Il y a bien d’autres voies amiables de recours, prévues par le législateur.

La presse privée burkinabè est toujours payée en monnaie de singe. En dénonçant l’arbitraire et toutes les mauvaises manières de faire de certains, en levant le lièvre, elle attendait que la justice prenne le relais en ouvrant une information judiciaire. Comme dans les pays de grande démocratie. Or, paradoxalement, c’est sur elle que la justice s’abat. Et elle ne pourra s’en sortir que grâce à une solidarité à toute épreuve de ses membres. Dans les systèmes judiciaires des Etats de droit, la presse joue un rôle comparable à celui d’un auxiliaire de justice. C’est ce rôle qu’a joué la presse dans l’affaire Watergate qui a abouti à la démission du président américain Richard Nixon. C’est le même rôle qu’a joué la presse française dans l’affaire Clearstream.

Mais dans cet acharnement qui lui arrive de toutes parts, la presse burkinabè ne doit pas baisser les bras. Elle ne doit pas se décourager ni se détourner de son rôle de veille, d’éveilleur des consciences, d’éducation et de consolidation de l’Etat de droit. Car aujourd’hui, dans ce pays, elle constitue le seul vrai contre-pouvoir, avec, dans une certaine mesure, la société civile.

Savez-vous pourquoi le système communiste s’est effondré comme un château de sable en 1989 ? Plus que les questions économiques, c’est l’étouffement de la liberté d’expression et de presse qui a fait crouler tous les goulags. Ce n’est pas pour rien que l’on dit que la presse, la presse libre, est le quatrième pouvoir. Si on la fragilise, la démocratie devient boiteuse, tout le monde, y compris les ennemis de la presse, finit par étouffer et par se résigner. Et c’est un mauvais signe pour un pays.

Le Fou

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Vos commentaires

  • Le 12 janvier 2007 à 12:12 En réponse à : > Démocratie : De quelle presse avons-nous besoin ?

    Grandement merci au Fou. Il faudra continuer à crier plus fort encore ces vérités que vous ne cessez de cracher. C’est vraiment dommage ce que nous vivons et plus dommage encore le fait que des hommes de communication ou de l’information se retrouvent être les fossoyeurs de leurs confrères, et tout cela à cause de leur "panse". Quand je pense que pour savoir ce qui se passe au pays en étant à l’étranger, il faut avoir recours à RFI , alors que la la TNB nous casse les oreilles en en se vantant ’être sur le net, c’est triste. Il ne suffit pas d’avoir une place sur le net , il faut y donner l’information juste sans peur. Ce n’est pas juste de faire l’impasse sur des évènements qui sont assez graves et de n’en présenter que des images fugitives. On sait bien que dans l’état actuel des choses telles qu’elles se passent, il faut encenser pour ne pas risquer sa place au soleil. Mais travailler de cette manière repousse plus loin l’avènement d’une vraie démoncratie au Faso. Continuer donc monsieur le Fou, à éveiller la conscience des communicants, afin qu’ils jouent de façon véridique leur rôle. Le salut de notre Faso en dépend.

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