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Procès : Week-end chaud au palais de justice militaire

Publié le mardi 13 avril 2004 à 07h19min

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Intendant Bernardin S. Pooda

Du vendredi 9 au samedi 10 avril 2004 le procès des présumés putschistes s’est poursuivi avec l’audition des derniers accusés et la déposition des quatre témoins. Le lieutenant Philippe Minoungou, le lieutenant-colonel Gilbert Diendéré, le lieutenant-colonel Moïse Minoungou et le commandant Pierre Ouédraogo ont juré de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

La journée du vendredi dernier a débuté avec une déposition conjointe des sergents-chefs Abdoulaye Konfé et Souleymane Zalla. Les deux, selon le juge Franck Compaoré, ont toujours été ensemble aux rencontres. Comment avez-vous connu le capitaine Ouali, a questionné ce juge. "Dans un maquis non loin de l’hôpital pédiatrique Charles De Gaulle où nous avait conduits le capitaine Bouledié Bayoulou...’’, a répondu le sergent-chef Konfé.

Le lendemain, a-t-il poursuivi, Bayoulou, est venu nous chercher au Mess des sous-officiers pour nous amener à l’église du Pasteur Paré Israël à côté de Ouaga 2000. Là également attendaient le capitaine Luther Diapagri Ouali et le caporal Bassana Bassolet. Dans la villa où ils se seraient installés, le sergent-chef Konfé affirme qu’ils (lui et son compagnon Zalla) auraient été informés par les autres de la préparation d’un coup d’Etat.

Le sergent-chef Souleymane Zalla a été ensuite appelé à la barre pour sa déposition. Il est revenu sur les faits déjà évoqués toutefois avec plus de précision. Selon lui, le plan de l’attaque leur aurait été présenté. "L’action devait se dérouler un mercredi pendant le conseil des ministres et à l’occasion le général Kwamé Lougué alors ministre de la Défense devrait être extrait du groupe...’’ a-t-il expliqué.

Mieux dira-t-il, les rôles avaient déjà été attribués à chacun des membres du groupe. Quant à eux (Konfé et Zalla) défendra le sergent-chef Abdoulaye Konfé, ils n’ont pas eu de mission à exécuter dans le cadre du putsch. "Vous ont-ils donné d’autres détails sur les armes, les hommes, etc dont ils disposaient", a demandé le président de l’audience Franck Compaoré aux deux compagnons. "Non", soutiendra Zalla.

Tout de même curieux qu’un officier en occurrence le capitaine Bouledié Bayoulou parle d’un coup d’Etat à des personnes (les deux sous-officiers Zalla et Konfé) qu’il venait de connaître, a relevé le président. Ainsi, il a engagé une confrontation entre les deux sergents-chefs et les autres accusés. Le capitaine Ouali pour sa part a reconnu la tenue de la rencontre de Ouaga 2000. Il s’est agi selon lui d’une "prise de contact approfondie afin d’analyser l’état d’esprit de chacun...’’ et non de discuter du coup d’Etat.

Le capitaine Bayoulou également a accepté avoir transporté dans son véhicule les sergents-chefs Zalla et Konfé pour "rendre visite à la femme du sergent-chef Bako Baguiboué indisposée...’’. Le juge fera remarquer que Bayoulou ne s’est pas rendu au lieu indiqué mais plutôt à la villa vers Ouaga 2000.

Par la suite, les accusés Abdoulaye Konfé et Souleymane Zalla reconnaîtront avoir reçu de la part du capitaine Ouali successivement 25 000 F CFA et 250 000 F CFA chacun, tantôt pour se détendre, tantôt pour tout autre chose qu’un coup d’Etat. "Avant ou après avoir été informés de la préparation du putsch ?", a questionné Abdoulaye Karim Traoré, substitut du commissaire du gouvernement. "Après" selon Konfé et "avant" estime Zalla.

"Pourquoi n’avoir pas informé la hiérarchie de ladite préparation ?", M. Traoré a-t-il renchéri. "Parce que nous n’avions pas encore tous les détails. Peut être que si je l’avais appris de Naon que je connais très bien, j’aurais accordé plus de crédit et partant, informé mes supérieurs’’, justifie le sergent-chef Zalla.

"Un volet wack’’

A l’issue de cette confrontation, le soldat de 1re classe classe Adjima Onadja a été appelé à faire sa disposition. L’arrêt de renvoi l’accuse d’avoir reçu la somme de 500 000 F CFA de la part du capitaine Diapagri Luther Ouali pour consulter des personnes détentrices de pouvoirs occultes (le "wack") en vue de soutenir le projet de déstabilisation du régime. Il aurait déjà consulté un vieux jardinier avec 250 000 F CFA, selon l’arrêt de renvoi. Le soldat Onadja a, de son côté admis avoir bénéficié de 500 000 F CFA de Ouali pour entretenir sa famille de deux (2) femmes et de douze (12) enfants. Et c’est dans ce sens que "j’ai remis 250 000 F CFA au jardinier pour qu’il s’occupe de ma famille pendant mon voyage sur Bingo’’ a-t-il ajouté.

Même si dans son audition du 26 septembre dernier, devant le juge d’instruction, le soldat de 1re classe Adjima Onadja, selon le parquet, avait reconnu les faits qui lui sont reprochés. Car le conseil de Onadja me Nignan relèvera des "failles’’ au niveau de l’instruction. Il dit avoir remarqué dans les dossiers des déclarations n’appartenant pas à son client mais plutôt à un autre militaire.
L’inexistence de liste de personnes supposées consultées par son client dans le dossier, la non confrontation de celui-ci avec Ouali, ont été présentées comme des faits tendant à disculper son client.

Avant d’observer une petite suspension, la parole a été donnée à tous les accusés pour des éventuels compléments à leurs dépositions.

Tout est parti du lieutenant Minoungou

La reprise a été marquée par l’audition des témoins. Le premier témoin à jurer de dire la vérité, rien que la vérité sans haine ni crainte a été le lieutenant Philippe Minoungou. Dans sa relation des faits, il ressort que le sergent-chef Bako Baguiboué et le caporal Bassolet seraient venus (à bord du véhicule du Pasteur Israël Paré en partance pour son champ le voir à Pô le samedi 27 septembre 2003. Des deux militaires lui auraient remis la somme de 2 400 000 F CFA plus un portable de la part du capitaine Ouali. "Ils m’ont parlé du coup d’Etat et demandé ma participation. Sur place je ne pouvais pas dire non par peur pour ma vie. J’ai pris l’argent et le portable et je suis allé au bureau. C’était vers 16h30 et je suis resté au bureau jusqu’à 1h du matin à me poser des questions sur ce qu’il faut faire’’, a expliqué le lieutenant Minoungou.

Finalement la décision d’informer la hiérarchie a pris là-dessus. Il dit avoir attendu la venue du colonel Gilbert Diendéré à Pô le lundi 29 septembre 2003 à l’occasion d’une cérémonie de remise d’ouvrages militaires pour lui faire le compte-rendu. C’était en présence du lieutenant-colonel Moïse Minoungou et du commandant Pierre Ouédraogo. Et l’argent ? Il dit avoir demandé au colonel la permission de l’utiliser.

A la question de savoir si le Pasteur Paré a assisté à la conversation. Le lieutenant répondra par la négative. Pourquoi avoir attendu le lundi avant d’aviser la hiérarchie, s’est inquiété Me Farama de la défense.. "Je voulais réfléchir. A Diendéré parce que je voulais faire des doléances...", a laissé entendre le lieutenant Minoungou. Ensuite, les accusés dont les noms sont ressortis du compte-rendu du lieutenant Minoungou Philippe lui ont posé des questions.

Le colonel Gilbert Diendéré, a aussi été invité à "dire la vérité’’. Selon lui, à l’issue de la cérémonie du 29 septembre dernier, le lieutenant Minoungou, a souhaité de rencontrer pour l’informer que "deux jours auparavant il (Minoungou) a été contacté par un Pasteur et deux militaires qui lui ont remis 2 400 000 F CFA et un portable pour le recrutement d’hommes en vue d’un putsch. Il a également ajouté que le Pasteur Paré lui avait exprimé la nécessité de renverser le régime en vue de mettre le pays à la disposition de Dieu pour un rayonnement de la parole dans la sous-région’’.

Une fois à Ouagadougou, le colonel dit avoir rendu compte au chef d’Etat-major général des Armées qui, à son tour a saisi la gendarmerie pour l’ouverture d’une enquête. Il précisera que c’est sur la base de indications données par le lieutenant Minoungou qu’il retrouvera les noms des militaires ayant effectué le déplacement de Pô.

Le colonel Diendéré a également plaidé pour une non implication du Régiment de sécurité présidentielle dans la conduite de l’enquête. Un point que les accusés n’ont pas partagé. Certains diront avoir été auditionnés à la gendarmerie en présence du colonel. L’Intendant militaire de 3e classe Bernardin S. Pooda a affirmé avoir été photographié étant en détention par un élément du conseil. Ce que Gilbert Diendéré a reconnu.

Le sergent Jean-Claude Kambou pour sa part est revenu sur les indemnités de fonction et les primes de stages qu’ils n’auraient jamais perçues. Les questions de Naon Babou relatives pour la plupart à l’affaire Norbert Zongo et aux missions au Liberia, ont été jugées "sans objet" par le président Franck Compaoré. C’est dans ce climat que le témoin Gilbert Diendéré fut remercié par le juge et l’audience suspendue.

"Deuxième incident majeur du procès"

Le samedi 10 avril 2004, 5e jour du procès, avant l’ouverture de l’audience, des concertations entre les avocats de la défense et parfois avec les clients étaient perceptibles. Dès la reprise de l’audience, la défense demande au président Franck Compaoré une suspension de 15 mn en vue d’un entretien avec les clients. Cela a été accepté par toutes les parties prenantes (Partie civile, Parquet, Juge).

A la reprise, par la voix de leur porte-parole Me Ouédraogo, 13 avocats de la défense ont décidé de se retirer du procès. Parce que, selon eux, "le déroulement actuel de la procédure les empêche avec leurs clients de s’exprimer". Le tribunal a exprimé sa grande surprise par rapport à cette décision. Le président a martelé que "Nous ne saurions discuter de ce qui ne concerne pas le procès précis. A chaque fois, j’ai demandé aux accusés et à leurs conseils s’ils ont quelque chose à ajouter. Ici nous ne pouvons que discuter de l’objet du procès qui est la tentative de coup d’Etat...". Il a par ailleurs rassuré les avocats concernés que la parole sera donnée à tout le monde. Ceux-ci ont demandé à nouveau une suspension pour se concerter. Une vingtaine de minute après, l’audience a repris sans les avocats qui se sont retirés.

Les témoins Moïse Minoungou et Pierre Ouédraogo ont fait successivement leur déposition. Après leur relation des faits les accusés ont exigé la présence de leurs conseils avant de poser les questions. L’ancien Bâtonnier Me Benoît Sawadogo de la partie civile est intervenu. Contrairement au président Franck Compaoré, il a estimé que le retrait des avocats est un incident auquel il faut remédier avant de poursuivre. Continuer sans eux serait enfreindre au droit de la défense, a-t-il défendu. Très respectueusement, Me Benoît Sawadogo a demandé au nom du Bâtonnier une suspension. Une suspension "pour permettre aux avocats de revenir au cas échéant, aux accusés de se constituer d’autres conseils" a justifié le juge. A la suite d’une heure environ de discussions entre "connaisseurs du droit", le procès a pu reprendre.

Les deux témoins (le Lt-colonel Moïse Minoungou et le commandant Pierre Ouédraogo) qui avaient été auditionnés en l’absence des avocats de la défense, ont été rappelés à faire leur déposition. La défense a relevé des contradictions entre les différents témoignages. Le commandant Pierre Ouédraogo tout comme le colonel Diendéré ont affirmé que le lieutenant Minoungou n’avait pas cité de noms alors que le lieutenant colonel Minoungou soutient le contraire, entre autres. A ce sujet, le commissaire du gouvernement Abdoulaye Barry a estimé que l’important, c’est-à-dire les faits (le voyage sur Pô et la remise de l’argent) a été reconnu par les accusés Bako et Bassolé. Il sera appuyé par Me Benoît Sawadogo qui a rappelé qu’en justice la relativité des témoignages est reconnue. les autres témoins seront écoutés à partir de ce matin.

Alassane KARAMA
Boubakar SY
Sidwaya

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