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Décès du Professeur Joseph Ki-Zerbo : Un fonctionnaire de l’UNESCO salue sa mémoire

Publié le mardi 19 décembre 2006 à 08h40min

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Joseph Ki-Zerbo

Au panthéon des personnalités les plus illustres du continent africain, se trouve incontestablement le Professeur Joseph Ki-Zerbo, agrégé d’histoire et diplômé de sciences politiques, décédé le 4 décembre dernier.

Khadim Sylla, fonctionnaire à l’UNESCO, à travers cet hommage estime que sa stature intellectuelle le prédestinait à d’éminentes responsabilités publiques après les indépendances. Mais ses idéaux panafricains l’ont conduit sur les voies escarpées de l’engagement militant et du combat pour le développement.

J’ai rencontré le Professeur pour la première fois à Bamako en 2001, en marge du IIIe congrès de l’Association des historiens africains qu’il présidait à l’époque. L’homme était drapé d’un boubou blanc immaculé. Grand, il avait une voix tendre et douce, parfois monocorde, qui contrastait singulièrement avec la vigueur de son engagement. C’était sans doute la marque d’une sagesse acquise durant plus d’un demi-siècle de militantisme.

2001 était une année charnière, marquée par deux événements décisifs. Au niveau international, la question de la mondialisation faisait irruption de manière brutale dans le champ politique et économique et cristallisait les inquiétudes des populations. En Afrique, la ville de Durban abritait la conférence mondiale contre le racisme.

Ces deux événements allaient ressurgir en toile de fond dans les débats de la rencontre. Pendant que certains débattaient sur la responsabilité historique de l’Afrique dans la traite négrière et les autres, sur la mondialisation capitaliste et ses effets dévastateurs, épousant les paradigmes traditionnels inopérants, le Professeur se livrait à un plaidoyer pour la responsabilisation des Africains face à leur devenir historique, promouvant le développement endogène.

Cette thématique, au cœur de son œuvre intellectuelle, a été développée dans "La natte des autres", contribution dans laquelle il réaffirmait avec force, la nécessité pour l’Afrique de prendre en charge sa propre destinée. L’autonomie intellectuelle, sous toutes ses formes, structurait les références épistémologiques du Professeur. "On ne développe pas, on se développe" , disait-il pour stigmatiser les politiques africaines fondées sur une hypothétique aide au développement.

Au moment où les politiques néolibérales, déstructurantes et appauvrissantes, s’imposent très souvent sous la contrainte des institutions financières internationales comme la seule alternative au développement, alors que la maîtrise des secteurs vitaux des économies apparaît indispensable dans les stratégies nationales de développement, il importe de rappeler ce principe cardinal, ce pré-requis à tout développement.

Pendant les discussions que nous eûmes à Bamako, il ne manquait pas de rendre hommage à cet autre monument du savoir, le Professeur Cheikh Anta Diop, qu’il a aujourd’hui rejoint à la demeure d’Osiris Ounen-Néfer, avec la bénédiction et la reconnaissance de Thot, le Maître de la "Pesée des cœurs".

Trois ans plus tard, ayant terminé la rédaction d’un ouvrage sur l’éducation en Afrique, je le sollicitai pour la préface. Je m’étais déjà abreuvé à la source de son érudition immense, dévorant chapitre après chapitre, toutes ses productions scientifiques, en particulier la synthèse éclatante qu’il rédigea sur les perspectives éducatives africaines, "éduquer ou périr" copublié par l’UNESCO et l’UNICEF.

De passage à Ouagadougou, je me rendis chez lui au quartier Koulouba pour le rencontrer. Après m’avoir écouté exposer les grandes lignes de l’ouvrage, il accepta très naturellement de le lire, non sans ajouter que la préface qu’il écrirait serait probablement courte. J’ai compris que ses multiples occupations et surtout son âge, ne lui laissaient pas assez de temps pour se consacrer à cette tâche.

Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, trois mois plus tard, un texte d’une dizaine de pages, parcourant avec minutie la totalité des chapitres traités dans l’ouvrage. De sa plume alerte, le Professeur résumait et prolongeait l’analyse des problématiques abordées dans un style épuré, ponctué de paraboles, ce procédé magique dont il avait le secret pour fixer définitivement dans nos consciences volatiles, les idées les plus complexes.

Sa réaction spontanée à ma demande est non seulement la marque d’une extrême générosité, mais aussi l’expression d’un engagement militant qu’il souhaitait sûrement voir renouvelé au travers des générations. Panafricain, Ki-Zerbo l’était non seulement dans ses productions, mais aussi dans sa pratique. Déjà en 1958, il était l’un des rares intellectuels africains, avec le physicien Abdou Moumouni, à voler au secours de la Guinée, à la suite du "non" de Sékou Touré à de Gaulle, qui isola le pays et le priva des cadres nécessaires pour son développement.

Il était aussi un visionnaire doublé d’un homme d’action. Initiateur et premier secrétaire général du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), fondateur du Centre de recherche pour le développement endogène (CRDE) et acteur politique de premier plan dans son pays, Ki-Zerbo alliait la théorie à la praxis dans sa quête perpétuelle de l’excellence.

L’homme jouissait d’une immense aura internationale comme en attestent les responsabilités qu’il occupa dans les organisations à vocation intellectuelle et culturelle et les distinctions prestigieuses qui l’ont honoré. A l’UNESCO, il contribua de manière déterminante à la rédaction de l’histoire générale de l’Afrique et assuma la coordination du volume I consacré à la méthodologie et à la préhistoire africaine.

En 1997, il recevait le Prix Nobel alternatif, en récompense à sa contribution la réflexion sur les modèles originaux de développement et en 2004, RFI le distinguait avec le prix Témoin du monde, pour couronner son œuvre et le livre- entretien qu’il réalisa avec René Holenstein, "A quand l’Afrique ?", publié aux éditions L’Aube. Joseph Ki-Zerbo était un modèle et une référence. Il appartient à cette lignée de pionniers qui marquent par leur présence, la trajectoire des peuples. Il était l’incarnation d’un idéal panafricain, débarrassé des scories de l’ethnicisme et du clanisme.

Il symbolisait la fidélité aux idéaux et la persévérance, malgré les vicissitudes de la vie en Afrique. Son mérite est d’autant plus remarquable qu’il lui aurait suffi d’un clin d’œil approbateur à l’endroit des pouvoirs pour accéder à des postes de sinécure, lui assurant l’aisance et la considération sociale que confère la fortune.

Espérons que sa mémoire sera honorée partout en Afrique, de Ouagadougou à Brazzaville, en passant par Dakar, Yaoundé et partout ailleurs. Un premier acte de cette reconnaissance serait de marquer à jamais au fronton de l’Université de Ouagadougou, le nom de l’illustre Professeur, en guise de témoignage d’une Afrique reconnaissante envers ses fils dévoués. "An lara, an sara !" est une autre parabole qu’aimait répéter le Professeur dans la langue du terroir mandingue.

Elle nous revient aujourd’hui en écho des satellites célestes pour nous asséner ce constat surprenant, "a lara, a massa !", contredisant pour une fois la parole du Maître. Les morts ne sont pas morts !

Khadim Sylla, Fonctionnaire Unesco (K_sylla@hotmail.com)

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