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Décorations : Petits cadeaux entre copains et coquins ?

Publié le lundi 18 décembre 2006 à 09h09min

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Le 11 décembre dernier, à l’occasion de la fête nationale, il est un fait qui a retenu notre attention : Issaka Korgo, homme d’affaires, qui a actuellement maille à partir avec l’Etat à travers son gouvernement, a été nommé au grade de chevalier de l’Ordre national par décret n°2006-500/PRES/GC du 30/10/06 portant élévation, promotion et nomination à titre normal, à titre exceptionnel et à titre posthume dans l’Ordre national, à l’occasion du 11 décembre 2006.

En rappel, Issaka Korgo est cet opérateur économique que le Conseil des ministres en sa séance du 07 septembre 2006 avait sanctionné en rayant de la liste des fournisseurs et prestataires de service de l’Etat les sociétés qu’il dirige, notamment la SOKOCOM. 

Des poursuites judiciaires ont même été engagées contre lui, même s’il a été relaxé pour infraction non constituée le 5 octobre 2006. Il était reproché à l’intéressé d’avoir imité la signature du ministre des Finances et du Budget, Jean-Baptiste Compaoré, dans un procès-verbal de livraison de fournitures.

C’est donc pour faux et usage de faux en écriture publique qu’il était poursuivi. Que s’est-il passé ou qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’il reçoive aussi rapidement une telle distinction ?

Est-ce parce que, comme le tribunal en avait fait le constat, le dossier est réellement vide ? Ou est-ce parce que le gouvernement s’est, même s’il n’a pas encore dit son dernier mot, aperçu que ce qui est reproché au sieur Korgo n’avait pas lieu d’être ?

Ou encore est-ce parce que les ministres de la Justice, garde des Sceaux, des Finances et du Budget et du Commerce, de la Promotion de l’entreprise et de l’Artisanat n’ont pas trouvé la décoration antinomique à l’état actuel du dossier ?

Ou enfin, est-ce parce que, comme on le susurre, l’homme d’affaires a des amis partout (même si, par ailleurs, il ne manque pas d’ennemis) qui, à défaut de pouvoir l’aider dans le dossier judiciaire, se sont employés à le faire décorer ?

A ces questions, il serait hasardeux de vouloir donner des réponses sans équivoque tant les personnes physiques et morales à décider sont nombreuses, qui ramollissent même les certitudes les plus fermes.

Seul l’Exécutif, par le biais des ministres concernés, peut donner des réponses à ce qui apparaît pour les uns comme du laxisme et pour les autres comme la réparation d’une injustice.

Cependant, en attendant qu’à l’occasion d’un point de presse, le gouvernement nous dise de quoi tout cela retourne, on peut se hasarder à faire un commentaire plus ou moins éclairé par la controverse que cette affaire a déclenchée dans les colonnes des journaux et sur les stations de radio et de télévision.

A notre humble avis, dès qu’il y a controverse autour d’une affaire, d’un problème ou d’une personne, il est difficile de dire qui, d’X ou d’Y, a raison ou a tort. L’explication est bien simple : trancher suppose qu’on ait des preuves ou des témoignages crédibles, vérifiables et irréfutables pour soutenir les arguments contre et les arguments pour. Ce qui n’est pas toujours le cas.

Dans l’affaire Korgo, loin de nous l’idée de dire qu’il est blanc comme neige dans ses affaires (du reste y en a-t-il un seul qui le soit dans ce milieu ?) ; toutefois, on peut difficilement dire que ce qu’on lui reproche est fondé. La justice, quant à elle, va plus loin : l’infraction n’est tout simplement pas constituée ! Son avocat, Me Prosper Farama, n’a-t-il pas mis au défi, quiconque posséderait cette fameuse imitation de signature de l’exhiber ? Et jusqu’à présent personne n’a amené ce fameux document contrefait.

Peut-être, le gouvernement aurait-il dû, en plus du dossier relatif à l’imitation de signature, rechercher dans le passé de l’incriminé tout dossier pouvant le confondre s’il avait tenu coûte que coûte à avoir sa peau. Or, ce n’est visiblement pas le cas, pour le moment en tout cas.

Mais sans doute n’aurait-il pas dû faire décorer l’intéressé, car l’affaire semble ne pas être totalement close. Et si l’Etat, dit-on, n’a pas perdu le moindre franc dans ses transactions mafieuses, il reste qu’il a roulé dans la farine une banque même si celle-ci, pour des raisons qui lui sont propres, a refusé de porter plainte. Il est vrai que dans l’un et l’autre cas, on s’en aperçoit, ce n’est pas la faute de ce monsieur.

Si le gouvernement décide de ne le mettre en cause que dans la seule affaire relative à l’imitation de signature, ce n’est pas sa faute à lui non plus. Si le même gouvernement a décidé de le décorer, ce n’est également pas sa faute. Et il a raison de boire son petit lait, du moins pour l’instant. A sa place, nous n’aurions pas fait autre chose.

Toutefois, ce n’est pas pour cette raison que les journaux, chacun en fonction de sa compréhension de l’affaire et de sa sensibilité éditoriale, n’a pas le droit d’écrire et de publier des articles d’information et de commentaire à ce sujet dans le strict respect des choix éditoriaux des autres.

Ces différences d’appréciation ne sont point ou ne doivent point être des passes d’armes ou des scènes de ménage médiatiques, mais l’expression d’une salutaire diversité des opinions sans laquelle nous serions culturellement et intellectuellement clonés.

En enseignant le fair-play aux acteurs sociaux quel que soit leur secteur d’activités, et en invitant ceux-ci à pratiquer la tolérance dans leurs rapports avec autrui, les médias s’imposent du même coup ce fair-play et cette tolérance, deux éléments constitutifs de la confraternité.

Pour revenir à cette décoration, il nous semble que ce n’est ni un soutien à la justice, car elle n’en a vraiment pas besoin, ni un désaveu du gouvernement puisque cela n’aurait pas pu se faire sans l’accord ou au moins sans l’avis favorable des ministres concernés.

C’est probablement parce que le grand maître des Ordres nationaux, à savoir Blaise Compaoré, a fait confiance à la justice dans cette affaire. Ce dossier est donc à reverser dans le tiroir des dossiers de la République, qui attend d’être ouvert à l’occasion d’un point de presse. Peut-être.

Il n’empêche, le cas Korgo sur lequel nous nous sommes appesanti repose dans sa globalité le problème des décorations qui sont souvent sujettes à caution. De plus en plus, beaucoup de gens se posent en effet des questions sur les critères d’attributions de ces précieuses médailles car s’il y en a, on a comme l’impression qu’ils ne sont pas toujours respectés.

Quand on voit par exemple des travailleurs qui ne totalisent même pas quinze années de boulot quand ce ne sont pas de parfaits flemmards, ou des dealers patentés décorés pendant que d’honnêtes et infatigables travailleurs à l’orée de la retraite ou à l’article de la mort n’ont jamais été distingués, ça pose problème. Une longue carrière n’est pas toujours synoyme de mérite mais tout de même !

En vérité, par négligeance, simple oubli coupable quand ce ne sont pas pour les raisons politiques, de nombreux citoyens, parfois très illustres, sont royalement ignorés au point que certains promettent de refuser ce cadeau si jamais on le leur proposait un jour.

L’image de ces décorations distribuées à tire-larigot comme des cacahuètes est du même coup symbolique de leur dévaluation et l’on gagnerait à redonner à ces morceaux de métal leur lustre d’antan.

Il n’y a pas de doute qu’il y ait beaucoup de méritants parmi les centaines de Burkinabè qui bombent le torse chaque année pour recevoir leur agrafe mais dans bien des cas, ça ressemble fort à de petits arrangements entre coquins et copains (et même copines) qui n’honorent pas la république. Et c’est bien dommage que les ripailles auxquelles ces cérémonies donnent lieu de nos jours soient inversement proportionnelles au crédit qu’on leur accorde.

L’Observateur Paalga

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