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Hommage du CODESRIA au Pr Joseph Ki-Zerbo : Le Grand fromager s’est couché

Publié le samedi 9 décembre 2006 à 08h57min

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Le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique
(CODESRIA) a appris avec une grande tristesse le décès, à Ouagadougou (Burkina Faso), le 4
décembre 2006, d’un des plus illustres intellectuels-citoyens d’Afrique, l’incomparable
Joseph Ki-Zerbo.

Historien émérite, panafricain par instinct et par choix, infatigable
combattant du changement et de la justice sociale, militant de l’autosuffisance collective,
professeur d’au moins trois générations de chercheurs africains en sciences sociales, source
intarissable d’inspiration de nombre de ceux qui ont eu la chance de le rencontrer, grand
exemple de dévouement au service de la communauté, Grand fromager, Roi de la savane
africaine, debout dans sa dignité et sa majesté. C’était là l’essence de Joseph Ki-Zerbo qui,
s’en est allé, après 84 années passées parmi nous, laissant son empreinte indélébile dans le
sable du temps, de tous les temps, en nous exhortant, en honneur de sa mémoire, à reprendre
le flambeau, avec courage et engagement, jusqu’à la libération effective de l’Afrique.

Né d’un père qui serait le premier converti au christianisme de ce qui n’était pas encore la
Haute-Volta, Joseph Ki-Zerbo s’est très tôt lancé sur une trajectoire d’historien engagé au
service de l’Afrique avec un puissant intérêt pour deux préoccupations jumelles : la
démocratie et le développement. Jeune universitaire, il s’est investi dans l’étude de l’histoire
de l’Afrique, aidant, à travers ses travaux originaux, à la fois à enrichir la méthode historique
et à répondre aux mensonges de l’époque, dont, et pas des moindres, le discours raciste selon
lequel l’Afrique était un continent sans histoire.

Avec d’autres historiens nationalistes de sa
génération, il a produit une impressionnante littérature qui constitue la base de l’histoire
africaine désormais considérée comme un domaine de connaissance complet avec ses
méthodes et ses outils propres. Une part importante de cet effort s’est exprimée dans le cadre
de la rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique publiée par l’UNESCO dont il fut un des
éditeurs. Son rôle de doyen des historiens africains a également consisté à consacrer une large
partie de son temps à la mise en place des fondements institutionnels de la production et de la
reproduction des connaissances historiques en Afrique et sur l’Afrique. Le rôle majeur qu’il a
joué au sein de l’Association des Historiens Africains en est notamment un témoignage
éloquent.

Pour Joseph Ki-Zerbo, collecter et documenter l’histoire de l’Afrique était une préoccupation
essentielle à laquelle il s’est entièrement consacré tout au long de sa vie. Cependant, il n’était
pas évident que cette histoire seule - avec ses points forts et ses petits moments - puisse servir
de fondement à la création d’une base autonome à l’émancipation politique, économique,
sociale et culturelle de l’Afrique et de ses peuples.

C’est pourquoi, avec cette préoccupation, il
s’est plongé, en tant que militant et universitaire, dans les luttes pour la libération nationale, la
démocratie, la justice sociale et le développement, sans s’excuser auprès de ceux qui auraient
pu penser qu’il allait trop loin au-delà de sa vocation universitaire, en s’impliquant dans les
contestations politiques locales et mondiales. Ce faisant, il a assumé simultanément différents
rôles : enseignant, universitaire prolifique, militant infatigable de différents mouvements
sociaux, dirigeant de parti politique - le plus souvent dans l’opposition - et enfin, conscience de la nation africaine.

Tel était l’infatigable Joseph Ki-Zerbo, un homme passionné par ses
convictions et qui était prêt à en payer le prix lorsque cela était nécessaire. C’est ainsi qu’il
quitta son poste en France pour se mettre au service de la Guinée de Sékou Touré qui avait
réussi à arracher son indépendance en sachant mobiliser le peuple guinéen contre la
Communauté française, le projet de Charles de Gaulle visant à créer une fédération entre la
France et l’Afrique afin de maintenir le joug colonial sous une autre forme.

De même, il sera
contraint de s’exiler à Dakar dans les années 80.
Peu d’intellectuels de sa génération ont émergé pour devenir comme lui une encyclopédie
vivante de l’histoire humaine, avec des souvenirs détaillés d’évènements importants de
l’histoire africaine et du monde du 20ème siècle dont il avait été un témoin voire un acteur de
premier plan. Joseph Ki-Zerbo a eu des rencontres officielles et informelles avec nombre des
dirigeants du projet d’indépendance africaine, tels Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Frantz
Fanon, Modibo Keita, Amilcar Cabral, Jomo Kenyatta, Tom Mboya et Julius Nyéréré, pour
n’en citer que quelques uns. Il a participé à tous les grands débats sur le futur du
panafricanisme quand vint l’indépendance, ainsi qu’aux réflexions sur les alternatives de
développement du continent.

Cependant, à travers toutes ces expériences, il n’a jamais
compromis son intégrité intellectuelle ni son honnêteté personnelle, un fait qui lui a valu le
privilège moral de reprocher -publiquement et en privé- à la première génération
d’africanistes l’abandon des idéaux nationalistes au profit de projets individuels visant à
maximiser leur pouvoir et leurs intérêts.

De ce fait, sa voix était celle de l’autorité, et toute sa
vie, alors que la première génération de dirigeants africains laissait la place à d’autres, il s’est
réservé le droit, dans cette manière magistrale et unique, de conseiller, de rappeler, de
critiquer et de condamner.
Les membres du CODESRIA ont été heureux d’avoir un aperçu de cette riche expérience
personnifiée lorsque Joseph Ki-Zerbo prononça une des conférences magistrales marquant la
célébration du 30ème anniversaire du Conseil pour le développement de la recherche en
sciences sociales en Afrique en décembre 2003 à Dakar (Sénégal).

Ce fut également une
occasion au cours de laquelle, en reconnaissance de sa contribution, il fut honoré par la
communauté des chercheurs africains en sciences sociales qui lui décerna la qualité de
membre à vie du CODESRIA, en même temps que Ngugi wa Thiong’o, Archie Mafeje et Ali
Mazrui. Aucun des 500 universitaires africains ayant écouté son discours en cette occasion n’a
quitté la salle sans se sentir inspiré par tant de richesse et de clarté contenues dans le propos
ainsi que par la cohérence et la lucidité avec laquelle, malgré ses presque 82 ans, il avait
transmis ce message. C’était là notre Joseph Ki-Zerbo, le Fromager sans âge qui, pour la
communauté de la recherche en sciences sociales, était un mentor en toutes saisons.

Au-delà
même de l’Afrique, il a été célébré comme un don rare à l’Humanité ainsi que le montrent les
nombreuses distinctions qu’il s’est vu décerner, notamment le Prix Nobel Alternatif, attribué
par des associations sociales de bases à des personnalités de renommée internationale.
En tant qu’institution, le CODESRIA lui est particulièrement reconnaissant, ainsi qu’à son
épouse, Jacqueline et à ses enfants, de lui avoir donné le privilège, peu de temps avant sa
disparation, d’enregistrer des interviews consacrés à sa vie, son oeuvre et son temps.

En faisant
cela, Joseph Ki-Zerbo et sa famille ne pouvaient faire un cadeau plus somptueux à léguer aux
membres du CODESRIA, à la grande communauté des chercheurs africains en sciences
sociales et au monde. Ces matériaux d’une grande richesse, recueillis dans le cadre de
l’initiative du Conseil visant à rassembler les contributions des grands chercheurs africains
dans un format numérique, devraient devenir un formidable outil pédagogique pour les générations présentes et futures.

Au moment où nous exprimons notre tristesse et nos regrets à
l’occasion de son départ, nous sentons également que nous devons célébrer sa vie et nous
réjouir que pendant son existence, Joseph Ki-Zerbo, ait été parmi nous et que nous n’en avons
été que plus heureux. En effet, les grands universitaires de son envergure sont
particulièrement rares et au-delà de ces considérations, il était tout simplement une personne
exceptionnelle.

Longue vie à Joseph Ki-Zerbo.

Dakar le 7 décembre 2006

Adebayo Olukoshi
Secrétaire exécutif du CODESRIA

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Vos commentaires

  • Le 21 janvier 2007 à 13:05, par Chetima Melchisedek En réponse à : > Hommage du CODESRIA au Pr Joseph Ki-Zerbo : Le Grand fromager s’est couché

    Je suis étudiant en Histoire V à l’université de Ngaoundéré au Cameroun. Je connais le professeur Ki- Zerbo Joseph à travers ses oeuvres sur l’Afrique. En le lisant, je réalise le rêve qu’il a tant voulu atteindre, savoir l’unité de l Afrique dans toute sa diversité culturelle. Il revient à nous, jeunes historiens de continuer le destin qu’il nourrissait pour l’Afrique en vue de l’achever et lui rendre ainsi un hommage mérité. Le Professeur Ki-Zerbo s’en est allé certes, mais il demeure vivant dans nos esprits et à travers ces oeuvres, il continuera à vivre aussi longtemps que l’Afrique continuera à éxister

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