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Affaire Norbert Zongo : “...Ce n’est pas le bon rapport de la Commission” selon Robert Ménard

Publié le mardi 24 octobre 2006 à 07h39min

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M. Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), une association de défense de la liberté de la presse basée à Paris (France) a animé une conférence de presse au Centre national de presse Norbert Zongo (CNP/NZ) vendredi 20 octobre 2006 dans le cadre de la Journée nationale de la liberté de la presse au Burkina Faso.

Sa conférence a porté essentiellement sur des “éléments nouveaux” qu’il a apportés au dossier Norbert Zongo, journaliste burkinabè assassiné le 13 décembre 1998 et dont les auteurs n’ont jamais été identifiés. Voici une transcription faite de la déclaration liminaire orale de M. Ménard.

“La dernière fois que j’avais donné une conférence de presse à Ouagadougou c’était en 1999. J’avais traité de quelques noms d’oiseaux des gens qui sont des responsables de la garde présidentielle. Mais ce que je vais dire aujourd’hui sera de la même violence mais par rapport à d’autres gens.

Hier j’ai rencontré, avec Léonard, à la fois le procureur général, le procureur du Faso, le juge d’instruction et le ministre de la Justice. J’ai remarqué comme vous, je dirais, leur lâche soulagement. Manifestement, ils

Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières

respiraient de s’être débarrassés de cette affaire. Ce que je vais vous dire et c’est ce que je leur ai dit, c’est qu’ils ne sont pas débarrassés de cette affaire. Et s’ils ont cru qu’ils avaient enterré le dossier Norbert Zongo, c’est raté. Sur leur propre terrain, je ne vais pas parler de politique parce que je ne suis pas Burkinabè, je veux juste parler de ce que nous pouvons faire en termes de droit.

D’abord, Me Sankara y a fait allusion ; Reporters sans frontières va saisir et est en train de voir si on peut saisir deux instances précisément. C’est d’abord la Cour africaine des droits de l’homme qui a été mise en place en juillet dernier. Il n’y a pas de jurisprudence pour voir ce qu’il en est, on verra bien si c’est possible. Deuxièmement, il y a la Commission de justice de la communauté qui dépend de la CEDEAO, qui regroupe les pays d’Afrique de l’Ouest. Là, il y a une jurisprudence. Nous verrons avec Me Sankara et avec nos amis ici, ce qu’il est possible de faire. Ça, c’est une chose.

Il y a un terrain à ne pas abandonner ; c’est évidemment le terrain international. Mais cette affaire est politique et plus on s’éloigne de Ouagadougou, moins la politique a un poids par rapport à la justice. On a donc intérêt à voir du côté de ces instances africaines, ce qu’il est possible de faire, saisir sur quoi et dans quelles conditions. Mais tout cela est au stade de l’étude, c’est trop compliqué et il est très tôt de dire ici, on va faire ça ou ça. En revanche, ce qui n’est pas trop tôt, c’est prendre au mot les gens qui sont normalement chargés de rendre justice ici au Burkina Faso.

Tout à l’heure, Me Sankara a cité l’article 189 du Code de procédure pénale qui définit que ce sont des preuves nouvelles, des éléments nouveaux qui obligeraient les magistrats à rouvrir le dossier. Normalement, ce qui vient de se passer est un échec pour eux. Normalement, c’est un drame professionnel, mais manifestement ce n’est pas le cas pour eux.

On a parlé hier avec Me Sankara qui représente la famille, il y a un élément nouveau. Cet élément nouveau, paradoxalement, j’en parle d’autant plus librement qu’il y a d’autres personnes que moi ici qui siégeaient à la Commission d’enquête indépendante, c’est le rapport que vous avez eu entre les mains.

Le rapport que vous avez eu entre les mains, ce rapport que vous connaissez qui a été remis au Premier ministre et que vous avez entre les mains, que tout le monde a, n’est pas le bon rapport de la Commission. Ce rapport a été bouclé le 13 mai. Le 26 avril, on a écrit un premier rapport au niveau de la Commission. Les gens pourraient témoigner ici. Le premier rapport qui est là, on s’était engagé, entre nous, à ne pas y faire allusion pour deux raisons :

- d’une part, parce qu’on avait donné notre parole de ne pas le faire.

- et d’autre part, parce que quand ce pré-rapport a été écrit et signé le 26 avril, on a eu l’imbécicité les uns et les autres, de croire que pour obtenir l’unanimité des membres de la Commission, il fallait revoir à la baisse un certain nombre des “considérant” des conclusions de ce rapport. On a passé trois semaines à discuter avec des gens qui, manifestement au fond, n’avaient aucune intention de le signer puisque finalement, ils ne l’ont pas signé, ce rapport.

Petit à petit, on a épuré ce rapport, édulcoré ce rapport d’un certain nombre de points qui nous semblent, on en a parlé hier avec Sy Chérif, essentiels. Cela veut dire que depuis huit ans, les gens qui travaillent sur ce document, c’est ce que j’ai dit au procureur du Faso et au procureur général, travaillent sur un document édulcoré.

Le ministre m’a dit, mais pourquoi aujourd’hui vous faites ça ? Parce qu’aujourd’hui, il y a le non lieu et que j’estime que la parole que j’avais donnée, c’est-à-dire ne pas faire état de la première et de la seule bonne version de ce rapport, ne tenait plus. Je pense qu’il y a un tel déni de justice aujourd’hui avec ce non-lieu que je me sens relevé de l’engagement qui était le mien.

J’ai amené deux documents pour que ça ne paraisse pas des affirmations sans fondements. D’une part, les deux versions des conclusions du rapport : la version officielle et le véritable rapport. Vous verrez à la lecture à quel point ces deux documents sont radicalement différents. Je vous ai amené un autre document où il y a les passages qui ont été supprimés du rapport final pour tenter d’obtenir d’un certain nombre de gens qu’ils signent le rapport.

En deux mots, qu’est-ce qui a changé entre le premier rapport et le deuxième ? Ce sont deux personnes qui ne sont pas citées dans le rapport final, qui ne sont pas mises en accusation dans le rapport final et qui le sont longuement dans le rapport du 26 avril (1999).

Le premier et cela ne vous étonnera pas, c’est François Comparoé. François Compaoré, dans cette affaire nous a menti. C’est écrit en toutes lettres avec un certain nombre d’exemples, ses mensonges devant la Commission. Certainement, moi j’en parle facilement, mais la peur était telle à l’époque par rapport à François Compaoré, raisonnablement parce que quand même, jusqu’à preuve du contraire, il est toujours le petit frère du chef de l’Etat dans un régime qui, certes a fait des progrès, mais rappelez-vous en 1998, on sortait de la mort de Norbert et on se disait : “il ne fallait pas plaisanter avec ces gens là”. Donc, on a expurgé du rapport final, les accusations précises, circonstanciées sur les mensonges de François Compaoré.

Et plus grave encore, parce qu’il est dans l’actualité aujourd’hui, il y a deux pages entières qui concernent M. Kanazoé. M. Kanazoé est au cœur de cette affaire-là. Je le dis alors que nous ne l’avons jamais dit. Vous le verrez dans le rapport du 26 avril et non pas dans le rapport expurgé, il est celui qui fait le lien entre tout le monde. C’est celui qui a l’argent. C’est celui qui offre de l’argent, qui approche la famille de Norbert Zongo, les proches de Norbert Zongo. C’est lui qui est le lien, c’est très important, avec François Compaoré. C’est quelqu’un qui va d’abord nous mentir et dans le premier rapport, on explique un certain nombre de ses premières déclarations avec les déclarations suivantes.

Pourquoi je vous dis cela. Parce qu’aux yeux d’un certain nombre de membres de la Commission, il y avait deux personnes qu’il était exclu de mettre en cause. C’était moins important pour eux qu’on cite tel ou tel membre de la garde présidentielle, ce qu’ils ne voulaient pas c’est qu’on parle des commanditaires de cette affaire-là. Or, les commanditaires, ils sont explicites dans ce rapport-là, c’est François Compaoré avec son allié M. Kanazoé. Voilà ce que je voulais dire. Je m’étais juré de ne jamais donner une conférence de presse, c’est-à-dire on a dit de ne jamais remettre le document, j’ai donné ma parole de ne jamais le remettre. C’est l’engagement qu’on avait pris.

Puis, on avait peut-être eu tort de le faire, de se mettre avec les uns et les autres pour édulcorer ce rapport. Aujourd’hui, on ne peut plus tenir ça. Je vous le dis d’autant plus que les conditions dans lesquelles on a travaillé au niveau de la Commission d’enquête indépendante, il faut que je vous le dise, on voulait jouer le jeu. On a eu la naïveté de croire que le juge qui a été nommé avant la mise en place de la Commission et qui allait reprendre le dossier allait faire son boulot, donc on n’en a pas rajouté. Mais les limites de la Commission, c’était quoi ? D’abord à l’intérieur de la Commission, il y avait des gens qui, avant qu’on puisse interroger telle ou telle personne, allaient leur dire sur quoi on allait les interroger et ce qu’il fallait répondre.

C’est très compliqué quand même d’interroger quelqu’un, alors que vous savez que votre collègue d’à côté l’a vu la veille au soir pour lui dire ce qu’il faut dire et ne pas dire. On a placé Kafando en garde à vue, on avait des gendarmes à notre disposition, on l’a donné aux gendarmes en leur disant “vous le mettez en garde à vue chez vous”. Mais il se fait que quelques heures après, on demande naïvement aux gendarmes d’aller nous chercher Kafando à la gendarmerie. Mais Kafando, il n’a jamais été à la gendarmerie. Les gendarmes l’avaient ramené paisiblement chez lui. Or, le mettre en garde à vue, pour nous, ce n’était pas pour l’empêcher d’aller dormir chez lui. C’était de l’empêcher de rencontrer et de téléphoner à un certain nombre de gens.

Or, entre-temps, il avait tout le temps de rencontrer qui il voulait, de téléphoner à qui il voulait. Quand on a demandé aux gendarmes, et, c’est Sy Chérif qui l’a fait courageusement, d’aller chercher les armes à la garde présidentielle. Les gendarmes ont cru qu’on les poussait au suicide et je ne rigole pas, je les comprends. Je comprends que quand on est gendarme dans le climat dans lequel on travaillait, aller se pointer à la garde présidentielle pour chercher des armes et des véhicules ; c’était loin d’être évident.

Ce sont les limites de la Commission. Malgré ces limites, le rapport est intimement plus accusateur que la version que vous avez. Voilà ce que je voulais vous dire, pas plus que ça mais pas moins que ça. Ce matin, on a amené, et on a eu la même démarche auprès de la famille via Me Sankara, le véritable rapport de la Commission d’enquête. On l’a amené, on l’a déposé devant le procureur du Faso, j’espère, je n’ose pas imaginer que le procureur du Faso réponde qu’il ne s’agit pas d’éléments nouveaux. Maintenant on le met au pied du mur.

Voilà ce que je voulais vous dire.

Merci ! ”

Propos retranscrits par Romaric Ollo HIEN

Sidwaya

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