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Affaire des 50 millions : Le procès des mœurs "prébendières" de la IVe

Publié le jeudi 19 octobre 2006 à 08h00min

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L’affaire dite des 50 millions, sous réserve d’un appel éventuel, a donc connu son épilogue le lundi 16 octobre 2006 au Tribunal de grande instance de Ouagadougou siégeant en matière correctionnelle.

Au terme d’une journée marathon qui s’est terminée peu après 20 heures, les deux accusés, Moussa Dabo et Ousmane Noaga Tapsoba, convaincus d’abus de confiance, ont été condamnés, rappelons-le, à 14 mois de prison ferme (peine qu’ils ont déjà purgée en préventive) et au remboursement à El hadj Oumarou Kanazoé des 50 millions litigieux plus 15 autres briques de dommages-intérêts.

Avec ce procès, on en sait un peu plus sur les tenants et les aboutissants de cette ténébreuse affaire même si le voile opaque et l’espèce d’omerta qui l’ont entourée depuis cinq bonnes années ne sont pas totalement dissipés.

En 2001, pour calmer les commerçants pur sagabo qui se plaignaient de la concurrence déloyale que leur livreraient les Syro-Libanais, volontiers chargés de tous les péchés du Burkina, ce qu’on pourrait appeler le complexe politico-économique entreprit de casser le mouvement insurrectionnel.

Puisque les sieurs Dabo et Tapsoba ont été dûment identifiés comme les meneurs de la fronde, c’est avec eux qu’on traitera. Résultat des courses ou plutôt du tour de table : 50 millions remis (puis refusés une première fois) à minuit, l’heure du crime ou, si vous préférez, du deal.

Au centre de ce transfert nocturne de fonds, un trio de choc composé d’Oumarou Kanazoé, connu comme le loup blanc, d’Alizèt Gando qui n’est pas davantage à présenter et de Tintin Ilboudo, moins connu du grand public même si, lui aussi, a fait depuis des décennies son trou dans les affaires.

Trois personnages à la réputation donc bien établie, même quatre puisque derrière ce beau monde se profile l’ombre tutélaire du président du Faso, rien de moins. Les deux pigeons , une heure plutôt indue, mais propice à ce genre de transactions et des liasses de billets enfournées dans un sac (du liquide donc pour ne pas laisser de traces) et tous les ingrédients de cette affaire sulfureuse sont réunies.

On imagine qu’autant "il n’y a pas de reçu dans le wack" pour reprendre une célèbre répartie de Mahamadi Kouanda, autant il ne doit pas y avoir eu de décharge pour prendre possession de ce fameux pactole. De là à penser qu’ils pouvaient en disposer à leur guise, il n’y avait qu’un pas que les inculpés de lundi dernier ont franchi d’autant plus allégrement qu’il n’est pas toujours facile de résister à la tentation de Mammon.

Qu’est-ce que les principaux acteurs de ce vaudeville bien burkinabè se sont-ils d’ailleurs dit cette fameuse nuit à la Chambre de commerce de Ouaga puis, plus tard, chez le chef de l’Etat en personne et tout au long des tractations qui ont précédé l’acceptation définitive de l’offrande présidentielle ?

Car si ce pognon était destiné aux organisations de commerçants légalement reconnues et connues de tous, pourquoi avoir érigé le tandem Dabo-Tapsoba en interlocuteur unique alors que lesdites structures ont des représentants statutaires ?

A vrai dire, si c’était pour flancher après avoir joué les incorruptibles, les deux bonshommes auraient dû être à la hauteur de leur péché en acceptant la proposition de minuit et en "dînant" les sous illico presto.

Ils auraient empoigné du coup ce gombo particulièrement gluant qu’on en aurait peut-être jamais entendu parler, en tout cas pas jusqu’au prétoire. Et s’il n’y a pas de trace écrite, ils pouvaient toujours nier : c’était parole contre parole surtout qu’on leur avait demandé de ne pas ébruiter l’affaire.

Plus sérieusement, on a envoyé à la barre deux pauvres hères qui casquent pour les turpitudes de gens qui ont de l’argent à jeter par les fenêtres. Si fait que le procès a eu lieu sans que, pour autant, la nébuleuse qui entoure cette histoire ne soit, comme on l’a dit plus haut, éclaircie.

D’ailleurs, plus on en parle moins on y comprend quelque chose tant les versions se contredisent et tous les éléments du puzzle sont difficiles à rassembler. Mais à l’évidence, quelqu’un, quelque part, ment forcément depuis le début.

D’abord, qui a remis ces fameux 50 millions ? Est-ce Blaise Compaoré, auquel cas on est fondé à se poser des questions sur l’utilisation de l’argent public quand bien même il a une caisse noire qui veut dire ce que ça veut dire, puisqu’il peut en disposer à sa guise sans pratiquement rendre compte à personne ?

Mais on s’était laissé dire que c’était pour des œuvres saines ou pour servir l’Etat (renseignements, obligations sociales...).

On nous dira certes qu’avec les manifestations des commerçants contre les Syro-Libanais, la paix sociale aurait été menacée et que cette fin (la préservation du calme) justifiait les moyens utilisés (les 50 millions), mais c’est un peu court comme argument. Du reste, on ne résout pas les problèmes de cette façon, on les déplace ou en les diffère seulement au lieu d’y apporter des solutions structurelles.

Car si on voulait vraiment aider les commerçants, ce ne sont pas les choses à faire qui manquent. Mais si ce n’est pas Blaise, est-ce O.K. qui aurait "enfeuillé" les croquants alors que tout le monde a passé le temps à affirmer que c’est le premier cité qui est le généreux donateur ?

On remarque en tout cas que c’est Ladji qui a porté plainte (et non le chef de l’Etat) et que c’est à lui qu’on doit rembourser les 50 briques, à moins que tout soit mis en œuvre, depuis le début, pour épargner le locataire du palais de Kosyam de cette nouvelle éclaboussure.

Et si c’était, tout bonnement, les Syro-Libanais qui, pour des raisons évidentes, ne pouvant pas discuter directement avec les intéressés (déjà qu’on les traite de corrupteurs patentés), avaient utilisé des prête-noms de luxe (Blaise et Kanazoé) pour les besoins de la cause ?

Mais le tribunal avait-il seulement la volonté d’aller au fond des choses ? On peut raisonnablement se poser la question dans la mesure où des principaux pions de ce jeu sordide, seuls les deux prévenus et Tintin (comment le nom aussi sympathique d’un redresseur de torts peut-il être mêlé à ça ?) étaient dans le prétoire.

Bien entendu, le premier magistrat burkinabè, couvert par le parapluie immunitaire, ne pouvait, en l’espèce, être entendu, mais qu’en est-il de Kanazoé et de la "belle-mère", témoins clés s’il en est, mais que personne n’a vus au palais ? Peut-être, leurs dépositions lors des enquêtes préliminaires ont-elles été suffisantes, mais dans ce cas, Tintin (moins capé il est vrai) aurait tout aussi bien pu bénéficier des mêmes faveurs judiciaires !

Il est vrai que, conspué il y a quelques mois lors de la première instance par les CDR des yaars et marchés, Kanazoé n’avait certainement pas envie de renouveler l’amère expérience, mais c’est sans doute les juges qui n’ont pas juger utile la présence de personnages aussi centraux.

En vérité, plus que le procès de deux "faux-types" qui se débattent sous les fourches caudines des puissants du moment, le mini-déballage de l’autre jour aura été celui des mœurs "prébendières" en vigueur sous les soleils de la IVe République où on distribue l’argent à tire-larigot. Hier c’était un duo d’hommes politiques que le pouvoir arrosait à hauteur de 30 millions pour, ne riez pas, "bâtir une opposition crédible".

On voit ce que cela a donné : Laurent Bado est en quasi-retraite politique et Emile Paré, le "Chat noir du Nayala", cherche un nouveau souffle après avoir perdu ses griffes. Aujourd’hui, c’est une nouvelle paire, de marchands cette fois, qui est cornaqué pour des raisons pas toujours avouables. Dans l’un comme dans l’autre cas, le nom de Blaise Compaoré est mêlé à des affaires glauques. Et c’est ça qui est gênant.

On n’est pas naïf au point de ne pas savoir que ces pratiques occultes et contestables font partie du quotidien dans la gestion des Etats, même parmi les plus démocratiques comme la France, les Etats-Unis, l’Italie ou l’Afrique du Sud, mais si à tous les coups, on doit remonter au premier d’entre nous, ça pose problème et ça accrédite le dicton selon lequel le poisson pourrit toujours par la tête.

A l’avenir donc, monsieur le président, il faut être plus regardant sur vos intermédiaires ou supposés tels pour ne pas dire vos fréquentations afin qu’ils ne vous éclaboussent pas au moindre mouvement.

Au fait, après les politiciens, les étudiants, les commerçants, il faut peut-être un jour penser, si ce n’est pas encore fait, aux syndicats (qu’ils soient jaunes ou rouges), aux journalistes...

Et ensuite aux fabricants de chapeaux de Saponé, aux chasseurs de roussettes de Kombissiri, aux cueilleurs de goyaves de Koupéla, aux pécheurs de crapauds de Zorgho, aux mangeurs de chitoumous de Bobo ou aux catéchistes de Guiloungou.

Ou bien faut-il attendre que toutes ces cellules dormantes de la subversion donnent de la voix pour se faire corrompre ?

Ousséni Ilboudo

Observateur Paalga

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