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Affaire des 50 millions : Minuit à la chambre de commerce

Publié le mercredi 18 octobre 2006 à 07h33min

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Comme nous l’écrivions dans notre édition d’hier, Moussa Dabo et Ousmane Noaga Tapsoba, les deux prévenus dans l’affaire dite des 50 millions des commerçants, ont été condamnés à 14 mois de prison ferme et à payer au total 65 millions FCFA à El Hadj Oumarou Kanazoé.

Mais ils n’iront pas en tôle puisqu’ils ont déjà passé 14 mois de détention préventive. Ce procès pittoresque a mis en face deux figures de prou du Collectif contre l’impunité : Me Halidou Ouédraogo et Me Bénéwindé Sankara défendant respectivement Kanazoé (partie civile) et les prévenus. Il a aussi signé le grand retour Me Halidou Ouédraogo au prétoire d’où il s’était éloigné pour des raisons de santé.

C’est bien connu, la femme et bien entendu l’argent sont souvent sources de division entre amis et parents. On en a encore eu la preuve avec les 50 millions de nos francs supposés destinés à tous les commerçants et que Moussa Dabo et Ousmane Noaga Tapsoba ont gardé puis dépensé à des fins personnelles.

Depuis, le malheur est à leur trousse puisqu’ils ont été écroués à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) depuis août 2005, en attendant leur jugement qui, après trois renvois, a finalement eu lieu le 16 octobre 2006.

Cette affaire aux forts relents de détournement et même de corruption, il faut le dire, avait fini par rendre délétère l’atmosphère entre les commerçants de Ouagadougou. Les pro-Dabo et Tapsoba d’un côté et les pro-Tintin (le témoin clé de l’affaire) de l’autre. Dans ces conditions, il est évident qu’un danger planait sur la sérénité et l’ambiance du procès.

C’est sans doute pour cela que les autorités du palais de justice de Ouagadougou, ont, très tôt le matin, fait déployer un imposant cordon de sécurité tout autour de l’édifice judiciaire. Tous les portails d’accès étaient fermés et gardés par des policiers qui filtraient méticuleusement les entrées.

A partir de 8 heures, les lieux étaient hermétiquement fermés à toute personne à moins d’être journaliste, auxiliaire de justice ou employé au palais. En procédant ainsi, il s’agissait de limiter le nombre de personnes admises à suivre les débats de ce procès, histoire de minimiser les risques de débordements.

La grande salle d’audience du Tribunal de grande instance (TGI) était le théâtre du déroulement de l’audience. Là, deux à trois centaines de privilégiés, des commerçants pour la plupart, avaient pu prendre place. En attendant le commencement des choses sérieuses, la salle bourdonnait, car çà et là, des gens devisaient, se taquinaient...

Les avocats aussi étaient déjà en place. Du côté de la défense, Moussa Dabo et Ousmane Noaga Tapsoba, il y avait Mes Bénéwindé Sankara, Bernardin Sagnon et Prosper Farama. Leur vis-à-vis de la partie civile (les avocats assurant la défense des plaignants que sont El Hadj Oumarou Kanazoé, Alizèta Ouédraogo, Ilboudo Tintin et 88 associations de commerçants) étaient : Mes Félicitée Dalla, Benjamin Nombré et un certain Halidou Ouédraogo.

Un face-à-face explosif en perspective quand on sait que Halidou Ouédraogo, président du « Pays réel » et Bénéwindé Sankara sont deux grandes pointures du Collectif de lutte contre l’impunité créé au lendemain de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998.

"Maintenez votre compétence"

Il était 8h20 lorsque le tribunal, présidé par le magistrat Latin Poda, a fait son entrée dans la salle d’audience. Le premier prévenu appelé à la barre est Moussa Dabo, le présumé cerveau de cette affaire de détournement de 50 millions détenus par El Hadj Oumarou Kanazoé. L’assistance était toute ouïe pour entendre la version de l’histoire de la bouche même de Dabo.

Mais il faudra s’armer de patience puisque les avocats de la défense ont formulé une requête auprès du tribunal et soulevé deux exceptions de procédure. De quoi s’agit-il en fait ?

Il s’agit de la citation directe introduite par les prévenus contre Kanazoé et Alizèta Ouédraogo pour tentative de corruption. Me Sankara a jugé qu’il était bon de lier ce dossier à l’affaire d’abus de confiance pour laquelle Dabo et Tapsoba sont à la barre.

Ce n’est pas possible, a déclaré Daouda Zoungrana, substitut du procureur du Faso qui soutient que, « On a analysé les choses, mais il n’y a pas de lien ». Pour lui, la défense veut seulement paralyser la procédure.

Me Halidou a aussi abondé dans ce sens car, « C’est un dossier simple qu’on a voulu faire traîner longtemps ». Et Me Dalla de marteler qu’il n’y a pas lieu de faire une jonction de procédure. Ce n’est pas l’avis de Me Prosper Farama pour qui, « La réalité est que le parquet refuse d’enrôler le dossier contre Kanazoé ».

Volant au secours du parquet, le président du tribunal a déclaré que, « Le dossier n’est pas enrôlé, mais on le fera après ». C’est là le consensus qui a été trouvé, le dossier de corruption devra être enrôlé pour une autre fois.

Puis ce fut au tour de Me Farama de revenir à la charge avec cette fois une exception de procédure en soutenant qu’à la lumière de l’ordonnance de renvoi du 10 mai 2006, rendu par le magistrat instructeur, on peut dire que les prévenus comparaissent illégalement devant le tribunal correctionnel puisque y ayant pas été renvoyés. Cette affirmation a hérissé et les avocats de la partie civile et le parquet qui ont tous dit leur désaccord quant à la lecture des textes fait par Me Farama. Le parquet a déclaré avoir notifié le dossier à Me Sankara.

Se sentant interpellé, l’avocat s’est défendu en affirmant que, « Je ne suis pas le seul conseil des prévenus. On n’a rien notifié à mes confrères le 12 mai 2006 ». Pour mettre fin aux débats, le président, Latin Poda, a annoncé que, « le tribunal accepte votre exception dans la forme, mais la rejette dans le fond ».

Cet incident clos, les avocats de la défense vont ouvrir un autre front, en se fondant sur l’article 52 du code de procédure pénale portant sur les conditions du flagrant délit. Les faits reprochés aux prévenus remontant à 2003, on ne peut plus parler de flagrant délit surtout qu’une instruction a eu lieu. Les avocats ont alors demandé au tribunal de se déclarer incompétent pour juger cette affaire et à renvoyer le parquet à mieux se pourvoir.

Il n’en est pas question pour Me Dalla pour qui le tribunal est compétent. La preuve, pour elle, c’est que les avocats de la défense ont récemment demandé au tribunal la jonction des affaires de corruption et d’abus de confiance. En interpellant le président du tribunal, elle a déclaré : « Monsieur le président, ils disent que vous êtes incompétent, si vous l’êtes, c’est que vous l’êtes en tout. On ne peut donc pas vous demander la liberté provisoire des prévenus ni de faire la jonction de deux procédures ».

Mais Me Bernardin Sagnon est resté ferme sur sa position qui est qu’un dossier qui a quitté la Chambre d’instruction ne peut pas venir devant le tribunal de flagrant délit. Si le dossier va à l’instruction, ça veut dire que les conditions de la flagrance ne sont plus réunies. Et Me Farama d’ajouter que le tribunal ne peut pas siéger en flagrant délit, mais en citation directe.

C’est tout aussi l’avis de Sankara pour qui ce dossier qui a été instruit ne peut venir devant le tribunal correctionnel que par la voie de la citation directe. S’adressant au président du tribunal, Me Halidou Ouédraogo a déclaré : « Maintenez votre compétence et que le dossier soit jugé ».

Sur ces entrefaites, Me Sankara a demandé que les avocats restent debout en lorsqu’ils ont la parole. En disant cela, il faisait allusion à Me Halidou qui depuis le début restait toujours assis lorsqu’il prenait la parole. Se sentant morveux, Halidou s’est mouché bruyamment et a déclaré : « Je ne me crois pas au-dessus du tribunal. Ce n’est pas encore le moment des plaidoiries. Me Sankara me connaît très bien...Désormais je vais beaucoup mieux, et je plaiderai débout ».

Le président du tribunal qui assure la police de l’audience a mis fin à cet incident. Puis, revenant à l’exception de procédure soulevée, il a reçu dans la forme, mais a déclaré le tribunal compétent pour connaître de cette affaire d’abus de confiance. Le procès pouvait enfin se tenir. A la barre, Dabo Moussa a eu le loisir de raconter de long en large sa version de l’histoire de ces 50 millions (voir encadré).

"N’ébruitez pas l’affaire"

A la fin de son récit, on a surtout retenu que l’argent leur a été remis pour briser la lutte des commerçants contre les pratiques anti-concurrentielles des syro-libanais qui, non seulement sont grossistes, mais en plus vendent leurs produits en détail en ouvrant des supermarchés dans divers quartiers de Ouagadougou.

Dabo est catégorique que cet argent appartenait à lui et à Tapsoba Moussa puisqu’ils étaient les leaders de la lutte. D’ailleurs, il a ajouté que si l’argent était destiné à d’autres personnes pourquoi on ne les a pas cités lorsqu’on leur a remis les sous.

A la question du parquet de savoir pourquoi il n’avait pas informé les autres commerçants, le prévenu a avoué : « On nous avait dit de ne pas ébruiter l’affaire ». Si Blaise a donné de l’argent à Kanazoé en 2001, ce n’est finalement qu’en 2003, après l’incendie du marché, que Dabo et Tapsoba ont accepté de le prendre. Dabo se souvient que c’était à la Chambre de commerce, aux environs de minuit. Etaient présents à ce « transfert » de fonds, Kanazoé, Alizèta, Tintin Ilboudo, Dabo et Tapsoba.

L’argent a été placé sur deux comptes, l’un commercial et l’autre bloqué. A son tour, Tapsoba Noaga Ousmane a confirmé les propos de Dabo. Mais il a ajouté que Tintin lui devait de l’argent et que c’est parce qu’il a eu le courage de lui réclamer son argent que celui-ci a décidé de mettre à nu la gestion des 50 millions qu’ils avaient reçus. Ce serait là le début du problème.

Témoignant à la barre, Tintin Ilboudo après avoir fait la genèse de l’affaire, a déclaré que l’argent était remis pour tous les commerçants. A sa suite, quatre autres membres se réclamant de la partie civile ont témoigné. Et s’il y a l’un d’entre eux qui a eu chaud, c’est bien Issaka Kafando. En effet, Me Sankara a demandé au tribunal de l’inculper séance tenante pour faux témoignage et usage de faux puisque se prévalant du statut de président de ACOMA.

Finalement, le tribunal a prié l’avocat de poursuivre s’il le voulait le sieur Kafando devant le procureur du Faso ou le juge d’instruction. C’est à 17h30 que le bal des plaidoiries et réquisitions a été ouvert. Et c’est Me Halidou qui a donné le ton. Pour lui, l’affaire est très simple, une affaire d’abus de confiance caractérisé. « On a tenté la voie amiable, mais ils ont refusé voilà pourquoi, nous en sommes au contentieux ».

Il a alors demandé l’application stricte de la loi à l’encontre des prévenus et qu’ils soient condamnés à restituer les 50 millions à Kanazoé. C’est aussi l’avis de Me Félicitée Dalla qui a estimé que Kanazoé a porté plainte pour laver son honneur. Elle a soutenu que les prévenus ont dépensé tout l’argent à des fins personnels et il ne reste sur les compte bancaire que 194 mille francs.

Elle a donc demandé la restitution des 50 millions plus 38 autres millions dont 35 briques à titre de dommages et intérêts et 3 briques pour les frais de la partie civile. Pour Me Benjamin Nombré, les faits sont têtus et clairs. Les prévenus ont reçu l’argent, ils ne l’ont pas redistribué et ils l’ont utilisé à des fins personnels. On doit alors condamner en leur appliquant la loi.

Dans ses réquisitions, le substitut du procureur, Daouda Zoungrana, le délit d’abus de confiance est constitué puisque tous les éléments de sa condition sont réunis : la remise de l’argent, l’acte de détournement, l’intention coupable et le préjudice subi par Kanazoé qui dut payer de sa poche 50 autres millions pour désintéresser les associations de commerçants. Par conséquent, le parquet demande au tribunal de condamner les prévenus à 48 mois de prison ferme et à une amende de 500 mille francs chacun.

La violation de l’article 432

Du côté de la défense, c’est Me Sankara qui a commencé les plaidoiries. Pour lui, il n’y a pas d’infraction puisqu’il n’y avait pas de mandat valable. Il y a abus de confiance si l’argent était remis pour une fin déterminée qui n’a pas été respectée. Or, l’argent a été remis pour que cessent les manifestations de commerçants, et les manifestations ont cessé. C’est aussi la conviction de Me Sagnon qui suppose qu’il n’y a pas eu violation de contrat.

Et de déclarer que si l’argent devait être redistribué aux commerçants, on n’allait pas attendre jusqu’à 8 mois, suppliant Dabo et Tapsoba de venir le chercher alors que Kanazoé sait où sont les présidents des structures des commerçants. Mieux, il se demande pourquoi attendre deux ans après la remise pour en savoir sur la destination finale.

Bouclant la boucle, Me Farama, a soutenu que si Tintin a voulu faire un prêt sur les 50 millions c’est que l’argent appartenait aux prévenus. Du reste, une lutte se casse toujours par le sommet et non par la base. Dabo et Tapsoba ont été identifiés comme des leaders et c’est pour cela qu’on leur a remis l’argent et pas à d’autres.

Pour lui aussi, il n’y avait pas de mandat entre Kanazoé et les prévenus puisqu’aucun document écrit ne dit le contraire. Me Farama a déploré la violation de l’article 432 du code de procédure pénale, car tous les témoins qui ont défilé à la barre étaient de la partie civile. Il a alors demandé la relaxe des prévenus.

A 19h10, le tribunal s’est retiré pour délibérer. Et c’est vers 20h15 qu’il est revenu rendre son verdict. Les prévenus ont été reconnus coupables et sont condamnés à 14 mois ferme. Ils devront rembourser 50 millions à Kanazoé et lui verseront en outre 15 millions à titre de dommages et intérêts. Le tribunal a jugé irrecevable la constitution de partie civile de Alizèta Ouédraogo, Tintin Ilboudo et les 88 associations de commerçants. Pour finir, Dabo et Tapsoba sont condamnés aux dépens.

Il faut préciser que les condamnés n’iront pas à la MACO puisqu’ils ont déjà purgé 14 mois de détention préventive. Est-ce là le fin mot de cette histoire ou une des parties fera t-elle appelle ? On le saura dans les jours à venir.

San Evariste Barro
Mahamadi Tignan (stagiaire)

L’Observateur Paalga

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