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Protection de l’environnement : Philippe Yoda, un passionné de la transformation des déchets plastiques

Publié le mardi 17 octobre 2006 à 07h15min

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Philippe Yoda

M. Philippe Yoda est le coordonnateur de l’Association pour l’innovation et la recherche technologique appropriée en environnement. Il est finaliste avec d’autres innovateurs du Burkina, pour participer à la Foire régionale de développement (FRD) qui se tiendra à Bamako au Mali les 13 et 14 novembre 2006 .

Dans cet entretien, il évoque son parcours, ses joies et ses craintes par rapport à la transformation des déchets plastiques qui, selon lui « contribue pourtant à la protection de l’environnement et à la lutte contre la pauvreté dans notre pays ».

Sidwaya (S.) : Comment vous est venue la passion pour les activités de récupération des déchets plastiques ?

Philippe Yoda (P. Y.) : J’avais un mouton qui m’était très cher et fidèle et qui me suivait partout. Un jour de l’année 1983, il est tombé subitement et est mort. J’ai d’abord cru à un empoisonnement.

Quand on a ouvert sa panse, il y avait plein de sachets plastiques.Je me suis demandé que feront ceux qui ont pour principale source de revenu l’élevage, si moi en tant que citadin, j’ai un problème avec un seul mouton. C’est de là que m’est venue l’idée de créer l’Association pour l’innovation et la recherche technologique appropriée en environnement.

S : Avez-vous été formé avant de commencer cette activité ?

P. Y. : Non, le problème devenant de plus en plus récurrent au niveau des caniveaux et de l’environnement en général, il fallait vite réagir. Le plastique obstruait les caniveaux et créait des nids de moustiques. J’ai également fait l’expérience de la culture de maïs sur un sol où sont enfouis des déchets plastiques. Il en ressort que, à une certaine profondeur, avec une interruption de pluie de 48 heures, la plante se fane. J’ai alors compris que mon ouvre de récupération par la création d’objets pouvait être salutaire.

S. : Quels sont les avantages de la transformation des déchets plastiques ?

P. Y. : Le poids d’une loge de compteur d’eau en matière plastique est par exemple de 22,7 kg. La même loge en ciment pèse 27 kg. La ville de Ouagadougou produit environ 40 000 tonnes de plastiques par an, selon les statistiques du ministère de l’Environnement et celles de la Voirie, il y a de cela quelques années. Avec la démographie galopante, ces chiffres doivent être revus à la hausse. C’est pourquoi, mon souci est de transformer ces déchets plastiques en objets utilitaires durables : pots de fleurs, pavés, tuiles, loges de compteurs, bancs, etc. De plus, la tôle par exemple coûte un peu cher pour le Burkinabé moyen et les tuiles en déchets plastiques peuvent s’y substituer valablement si notre projet en la matière est retenu comme viable.

S. Voulez-vous parler de l’appui financier nécessaire à la réalisation d’un tel projet ?

P. Y. : Si cet appui existe, ça ira. C’est le seul procédé qui prend en compte une si grande quantité de sachets. Au début, nous avons fabriqué des cordes qui, malheureusement, retournent dans leur état dans les poubelles. Nous privilégions désormais les objets qui ont une longue durée de vie.

S : Concrètement, combien coûte un pavé ou une loge de compteur de robinet en matière plastique ?

P. Y. : Le m2 de pavé en plastique revient à 6 000 F CFA et le m2 de pavé en ciment coûte entre 7500 et 8000 F CFA, selon qu’ils sont faits avec des presses manuelles, pressés ou vibrés avec ou sans poudre de carrière. Pour les pavés en plastique, plus la superficie est grande, plus les prix baissent pour encourager les populations à adopter notre slogan : « Ramener les déchets à la maison avec des objets utilitaires qui durent dans le temps ! ». La loge de robinet en ciment revient à 11 250 F CFA et en plastique de récupération à 8 250 F CFA. Les ouvrages que nous fabriquons coûtent relativement cher, parce que nous ne sommes pas subventionnés.

S. : Avez-vous des partenaires qui vous appuient ?

P. Y. : Dans le cadre de l’élaboration du marché que j’ai eu avec l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) pour les loges de compteur et l’aménagement et la pose de pavés, c’est la Banque régionale de solidarité (BRS) qui m’a soutenu, pour un montant de près de 30 millions de F CFA. Comme autres partenaires, je travaille avec « Les Engagements nationaux », le ministère de l’Environnement, l’ONG belge « Autre Terre ».

S. : L’activité de transformation des déchets plastiques vous nourrit-elle ?

P. Y. : Non seulement elle me nourrit, mais elle nourrit 25 autres personnes, particulièrement des femmes.

S. Quelles sont les activités menées par ces femmes ?

P. Y. : Elles participent à la collecte, au lavage, au déchiquetage et au tri des déchets. Au niveau du centre de formation aux métiers de valorisation des déchets plastiques que je dirige également, 25 femmes y travaillent tous les jours.
Nous avons également formé des associations pour la collecte des plastiques dans la ville de Ouagadougou. Ce qui fait un total de 75 personnes qui vivent des activités liées à la transformation des déchets plastiques.

S. : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez à travers l’activité de recupération des déchets plastiques ?

P. Y. : Il y a beaucoup de difficultés : le piratage des oeuvres, la mauvaise foi, même lorsque les gens connaissent les solutions aux problèmes. Mais au fil du temps, je fais des innovations qui font changer de position les plus sceptiques. J’ai foi en l’avenir, car j’estime que toute activité d’invention et d’innovation peut dans un premier temps, être en bute à certaines résistances. Parfois, l’innovateur ne profite même pas de son vivant du fruit de ses recherches et sa valeur n’est reconnue qu’à titre posthume.

S. : Ces genres d’activités peuvent également avoir des conséquences sur la santé. Quelles sont les précautions que vous prenez ?

P. Y. : Au niveau du centre, les femmes sont protégées et disposent de cache - nez, de gants, de blouses et de bottes pour faire le travail. En outre, certains gaz émanant de la fonte des plastiques sont recueillis dans un capteur que nous avons inventé et qui a été approuvé par le Centre wallon de biologie industrielle du Professeur Thonart en Belgique. Nous avons approché Total qui nous a livré quatre foyers à gaz à expérimenter, pour diminuer la pollution résultant de l’émanation des gaz dus à la combustion du bois que nous consommions en abondance et qui coûte très cher. Le chargement de bois se vend entre 175 000 et 200 000 F CFA. Avec le gaz, il y a des avantages aux plans sanitaire et économique.

S. : Vos mérites ont pourtant été reconnus à plusieurs reprises.Pouvez-vous nous en parler ?

P. Y. : J’ai été lauréat de la médaille d’or du Salon international de l’innovation, organisé par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Au niveau national, j’ai été à plusieurs occasions primé. Ce sont surtout des prix d’encouragement, mais qui ne m’aident pas financièrement. Moralement, je suis satisfait que ce que je fais soit reconnu. J’ai de la peine à faire accepter le caractère d’intérêt public national que revêt mon projet. Je suis finaliste au niveau du Burkina Faso pour participer en novembre prochain à la Foire régionale de développement (FRD) qui se tiendra à Bamako au Mali. C’est une initiative de la Banque mondiale qui s’intéresse aux meilleurs projets innovants.

S. : Avez- vous des souhaits ?

P. Y. : Je lance un appel aux autorités en charge de l’assainissement, afin qu’elles aient foi en ce procédé qui est viable à long terme, source de création d’emploi et qui contribue à la protection de l’environnement et à la lutte contre la pauvreté.

Marie KANGAMBEGA (stagiaire)

Sidwaya

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