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Abdoul Salam Kaboré, ancien dignitaire du CNR : "La Révolution n’est pas l’affaire de Sankara ou Blaise"

Publié le vendredi 13 octobre 2006 à 08h48min

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Abdoul Salam Kaboré

Après un temps d’hibernation, votre rubrique "Les oubliés de l’actualité" revient, pour, comme son nom l’indique, faire sortir un peu de l’oubli des hommes et des femmes qui, à un moment donné, ont fait l’actualité. Pour cette reprise, notre attention s’est portée sur le pharmacien-commandant Abdoul Salam Kaboré, ancien ministre et ancien compagnon de feu capitaine Thomas Sankara.

Grande a été notre hésitation pour classer le pharmacien- commandant dans cette rubrique, et cela au lendemain de son interview à la télévision nationale sur le projet de création de l’Association des ministres et aussi du décès, suivies des obsèques grandioses, du vieux Joseph Sambo Sankara auxquelles il a pris part. Le pharmacien militaire est-il un oublié de l’actualité ?

Oui, avons-nous fini par trancher. Nous avons décidé donc de savoir ce qu’est devenu l’homme après le 15 octobre 1987 que l’on a très rarement entendu depuis cette date qui, l’on sait, marque la fin de la Révolution démocratique et populaire (RDP) enclenchée le 4 août 1983.

Et nous voilà donc à la Pharmacie Laboratoire du Progrès, au secteur 17 de Ouaga, le 31 août 2006 en fin de matinée, pour rencontrer le Docteur Abdoul Salam Kaboré. Le maître des lieux nous reçoit dans l’arrière-cour pour un entretien à bâtons rompus d’environ 2 heures au cours duquel il a évoqué sa vie passée et actuelle.

Rappelé au pays pour prendre le train de la Révolution

Avant tout, et en guise de présentation, il fait savoir qu’il est né en 1951, est marié et père de 7 enfants. Il est également grand-père avec 5 petits-fils. Côté études, il a successivement fréquenté l’école primaire publique de Safané dans la province du Mouhoun, l’ancienne Ecole militaire préparatoire aujourd’hui Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) de la 6e à la classe terminale et où il a rencontré Thomas Sankara qui avait une classe d’avance sur lui. Du PMK, il a été en France pour 5 années d’études en pharmacie à l’Ecole de santé navale de Bordeaux.

Le pharmacien-commandant est également titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en pharmacie industrielle décroché à l’Institut européen de pharmacie industrielle de Montpellier en France. Autres parchemins de notre interlocuteur : un diplôme d’études approfondies (DEA) en chimie organique et un DEA en chimie thérapeutique.

L’ancien dignitaire était sur le point de soutenir une thèse d’Etat en sciences pharmaceutiques lorsqu’il a été rappelé au pays par ses camarades révolutionnaires pour occuper des postes de responsabilité dans le nouvel appareil d’Etat fait-il savoir. C’est ainsi qu’il a été président des Comités de défense de la Révolution (CDR), ministre de la Santé de 1983 à 1986, et ministre des Sports d’août 1986 au 15 octobre 1987.

Il a aussi été, concomitamment avec ses fonctions ministérielles, président du Service populaire pour la construction de la patrie qui s’est occupé à l’époque de grands travaux comme par exemple la réalisation du chemin de fer de Kaya.

Premier pharmacien militaire du Burkina

Avant la Révolution, le Docteur Kaboré (premier pharmacien militaire) a été, pendant 4 ans, pharmacien-chef des Forces armées voltaïques qui a été son premier poste à son retour de l’Ecole de santé navale de Bordeaux. L’entretien du 31 août dernier, relevions-nous, a eu lieu au lendemain du décès, le 4 août 2006, du vieux Joseph Sambo Sankara, père de feu Thomas Sankara. Abdoul Salam Kaboré avait-il des liens particuliers avec le vieux Sambo ? Oui, répond-il en indiquant qu’il faisait partie du cercle restreint des enfants du vieux qui était ami à son père, administrateur civil décédé en cette année 2006, et a servi comme ce dernier à Yako dans les années 1950.

Un autre point qui faisait la Une de l’actualité au moment de l’entretien : la création de l’Association des ministres du Faso. Le pharmacien-commandant en a profité pour faire une mise au point par rapport à sa position vis-à-vis de l’initiative : les réserves émises sur les antennes de la télévision nationale sont antérieures à l’Assemblée générale constitutive de l’association et il était convenu que la télévision revienne pour une autre interview après cette instance pour qu’il dise si ses appréhensions demeurent ou pas.

Malheureusement, déplore-t-il, l’accord n’a pas été respecté et c’est ce qui a été dit avant qui a été retenu par l’opinion. Sinon, fait-il savoir, ses craintes ont été levées avec l’AG au regard de l’assurance donnée que l’Association ne sera pas un syndicat vu que la mention "défense des intérêts moraux et matériels des ministres" a été rayée des textes.

Toutefois, ne craint-il pas que l’association se mette à faire des revendications ? "J’aurai mon mot à dire si l’on glisse sur cette pente", répond-il, avant de faire savoir qu’un des nobles objectifs de l’Association, qui a un caractère consultatif, est de mettre à la disposition du peuple un capital d’expériences. Aussi, les ministres (il évite d’employer l’expression anciens ministres car, de ce qu’il a appris à l’AG, on n’est jamais ancien ministre, on est ministre à vie) sont des privilégiés rien que pour avoir pu aller à l’école. Et revendiquer quoi que ce soit reviendrait à brimer le peuple par ces dignitaires.

Or, jure le révolutionnaire dont les convictions demeurent les mêmes, "quel que soit l’instance où je serai, je défendrai toujours les intérêts du peuple burkinabè. Je ne revendiquerai rien qui puisse faire de moi un super privilégié par rapport aux 80% de gens qui souffrent. Il nous faut penser à une meilleure répartition des revenus de ce pays".

Sankara voulait être ministre des Affaires étrangères

Comme relevé ci-haut, la route du pharmacien militaire a croisé celle du défunt président Thomas Sankara au PMK, bien avant le déclenchement de la Révolution. Lorsqu’ils étaient respectivement en classes de 3e et de 2nd, avec le capitaine et d’autres personnes, le commandant s’est mis, à défendre la cause des jeunes officiers issus du PMK et celle des soldats. Par la suite, se souvient-il, le groupe a décidé de se former politiquement car, en ces périodes troubles (il faut se souvenir du bras de fer gouvernement-syndicats en 1975), il faut être vigilant afin de "mieux identifier les vrais ennemis du peuple et les combattre aux côtés du peuple".

Le groupe n’excluait pas de devoir assumer, un jour, de hautes fonctions politiques et, pour cela, il devait être prêt. Il avait, à l’époque, pour idoles l’Egyptien Nasser et ses compagnons qui ont pris le pouvoir après un temps de formation. Avant le 4 août 1983, confie le Dr Kaboré, les jeunes officiers ont eu l’occasion de prendre ou de participer au pouvoir mais se sont abstenus car ne s’estimant pas prêt politiquement : "prendre le pouvoir n’est pas difficile, mais c’est le gérer qui n’est pas facile" fait-il savoir.

Et puis vint la Révolution du 4 août 1983 que ses initiateurs, martèle notre interlocuteur, voulaient qu’elle "soit à visage humain, débarrassée des oripeaux attachés au mot." Une révolution dont, confidence de taille du commandant Kaboré, Thomas Sankara qui, pourtant était le chef de fil incontesté du groupe de jeunes officiers, ne voulait pas prendre la direction. Son poste de prédilection, selon notre interlocuteur, était les Affaires étrangères.

Finalement il a été "contraint" par ses camarades d’accepter la fonction suprême de chef d’Etat. Au passage, le pharmacien-militaire a réfuté l’idée selon laquelle c’est Blaise Compaoré, capitaine à l’époque, qui a pris le pouvoir pour le remettre au capitaine Thomas Sankara. Il n’en a rien été selon notre interlocuteur qui déclare que "la Révolution du 4 août n’est pas l’affaire de Sankara ou de Blaise, c’est l’affaire de tout un groupe avec le peuple burkinabè".

La Révolution, voie de salut du Burkina

Certes, la Révolution fait aujourd’hui partie du passé, mais le propriétaire de la pharmacie du Progrès reste convaincu que "la voie que nous avons choisie était la meilleure" pour faire sortir de l’ornière un pays sous-développé comme le Burkina parce qu’"il faut travailler, être intègre et en phase avec son peuple".

Au juste, pourquoi l’expérience révolutionnaire n’est pas allée loin ? "Les intellectuels africains aiment bien l’aura qui se rattache au mot révolution mais ne sont pas prêts à accepter ses exigences". C’est par cette citation de Thomas Sankara que l’ancien acteur de la Révolution d’août débute l’explication du coup d’arrêt de l’expérience. "Pendant les 4 années de révolution, nous avons "violenté" la conscience du peuple burkinabè. Nous lui avons montré que l’on pouvait diriger autrement le pays, simplement, et que les dirigeants se devaient d’être ceux d’un pays pauvre : le train de vie de l’Etat devait refléter cette assertion. Mais nous avons commis des erreurs que le président Sankara était le premier à reconnaitre. Parmi celles-ci, ll y a eu le licenciement des instituteurs et autres dégagements. Et pour corriger cette erreur, le président du Faso avait déjà signé un kiti pour leur reprise tout comme il avait donné des instructions afin que dans tous les ministères, un travail d’identification des exactions commises soit fait et porté à sa connaissance.

On était rentré dans la phase de l’adhésion à la Révolution, non plus par la "terreur" mais par la noblesse et la justesse de ses objectifs". Cette nouvelle sève vivifiante de la Révolution a-t-elle contre-carré les projets de ceux qui voulaient un arrêt du processus ?, se demande l’ancien dignitaire du CNR. Pour lui, au sein du CNR : "Les gens étaient tous dans le même lit mais ne faisaient pas les mêmes rêves", et les mots camaraderie, intégrité, don de soi n’avaient pas la même valeur pour tout le monde.

Une autre explication de la fin de la Révolution d’août, selon toujours le commandant, est qu’"en voulant faire du bien au peuple, on a bouleversé des intérêts énormes, divers sans nous en rendre compte. Et ces intérêts ont fini par réagir". En d’autres termes, la Révolution a été torpillée de l’intérieur et cela a entraîné sa fin brusque et brutale sinon, se convainc l’ancien révolutionnaire : "je ne pense pas que le peuple burkinabè, dans son immense majorité, voulait de l’arrêt de la Révolution".

Toute chose qui, de l’aveu de l’ex-ministre des Sports du CNR, le conforte, le rend heureux 23 ans après. "Le président Sankara est mort sans avoir été haï par son peuple. Cela est une consolation pour nous", lâche-t-il avant d’ajouter que Sankara, qui a aimé son peuple, d’un amour malsain, incalculable, peut dormir en paix ; il a fait son travail".

Aujourd’hui, la page de la révolution est tournée mais l’ancien ministre garde toujours ses idées révolutionnaires et arbore le Faso Dan Fani à propos duquel il fait savoir que "le jour où vous ne me verrez pas en Faso Dani Fani, c’est que je suis en train de nettoyer ma maison. En ce moment, je me mets en chemise européenne pour ne pas salir mon Faso Dan Fani". Pour lui, cet habit est loin d’être une camisole de force comme certains l’avaient qualifié sous la Révolution.

Aujourd’hui, il dit approuver les séminaires et autres manifestations organisées pour encourager le port du Faso Dan Fani mais trouve que c’est dommage que nous ayons perdu 20 ans avant de percevoir cela. Par ailleurs, l’ancien dignitaire soutient les autres pays africains qui travaillent leurs matières premières comme, par exemple, le bois avant de les exporter.

Huit mois de "détention administrative" au Conseil

Outre le passé, nous avons évoqué le présent avec notre interlocuteur. Que devient le commandant Kaboré ? Après sa libération au bout de 8 mois de détention au Conseil de l’Entente, l’ancien dignitaire a été nommé comme pharmacien provincial à Dédougou où il a servi de 1988 à 1991. Revenu à Ouaga, il s’attelle à l’ouverture de sa pharmacie qui est effective en 1991 suivie, une année plus tard, de celle du laboratoire.

En 1997, le commandant prend sa retraite anticipée de l’Armée et se consacre à son activité de pharmacien et aussi à son village, Sourgou dans la province du Boulkiemdé, dont il est le président des ressortissants à Ouaga et aussi le premier responsable du Comité local de jumelage. Son dévouement pour son village, une sorte de retour d’ascenseur aux siens qui, se rappelle-t-il, se sont fortement mobilisés pour sa libération lorsque les événements du 15 octobre l’avaient conduit au Conseil en "détention administrative", a déjà donné des résultats tangibles avec la réalisation d’un périmètre maraîcher de 4 hectares.

Il y a aussi la vente au village, à prix social durant la période de soudure, et ce depuis 2005, de céréales. "Actuellement, nous sommes en train d’aménager un périmètre de 12 hectares et avons obtenu le financement pour la construction d’un centre de métiers à Sourgou" ajoute-t-il. Avec ces différentes occupations, on peut penser que le Dr Kaboré a tourné le dos à la politique. Pas du tout car, comme il le dit, si de retour de Dédougou il avait pour préoccupation d’ouvrir sa pharmacie, il avait toujours ses convictions politiques sans que l’opportunité de les mettre en oeuvre ne se présente à lui.

Mais celle-ci n’a pas tardé à se manifester sous la forme d’un projet de fédération des partis sankaristes dont les initiateurs ont pris langue avec lui. Ce projet était celui de la création de la Convention panafricaine sankariste (CPS). Ayant trouvé l’idée noble, le commandant s’est donc engagé dans le projet en refusant, toutefois, de prendre un poste de responsabilité pour, dit-il, se conformer à une idée révolutionnaire selon laquelle " ce n’est pas parce que l’on est devant que l’on est bon militant".

Malheureusement, des dissensions interviendront dans la CPS et engendreront la création, par Me Bénéwendé Sankara et le Dr Kaboré, de l’Union pour la renaissance / Mouvement sankariste (UNIR/MS). Son appartenance à l’UNIR/MS, précise-t-il, a été guidée par les objectifs et les circonstances de sa création et non par le patronyme Sankara de son président qui rappelle Thomas Sankara.

Du reste, fait-il savoir, "Personne n’idolâtrait Thomas Sankara ou n’était sa 2e ou 3e épouse encore moins passionnée de lui"."Nous avions une ligne politique définie par lui (Thomas Sankara) que nous trouvions juste et à laquelle nous adhérions. De plus, l’individu avait un tel charisme, une intelligence vive, une culture large et un amour immodéré pour le peuple burkinabè que, souvent, on était d’accord avec lui, tant sur le plan de ses analyses, que de sa vision du monde et de l’avenir du Burkina qu’il voyait habité par des hommes et des femmes, intègres, simples, conscients de leur pauvreté, trimant au travail nuit et jour, respectant la chose commune et prêts à se sacrifier pour réserver des jours meilleurs à leurs enfants." martèle-t-il.

Aujourd’hui, il est l’un des 2 conseillers municipaux UNIR/MS de son village. Il aurait pu être maire de Sourgou, fait-il savoir, s’il avait accepté de se présenter sous l’étiquette CDP comme certains membres influents locaux de ce parti le lui avaient proposé. Le commandant s’est également engagé dans le développement local parce que la décentralisation, actuellement en vogue, est ce que lui et ses camarades voulaient mettre en oeuvre à travers les pouvoirs révolutionnaires provinciaux (PRP). "Encore 20 ans de perdu" regrette-t-il.

Tout naturellement, son sang a fait un tour lorsqu’une mission du ministère de l’Administration territoriale est venue évoquer, un jour au village, la décentralisation. A entendre le commandant, il s’est présenté sous la bannière d’un parti politique comme le demande la loi qui, par ailleurs, n’autorise pas les candidatures indépendantes. "Pourtant, les candidadatures indépendantes devraient être autorisées pour ce genre d’élection de proximité. On peut vouloir et être capable de travailler pour son village sans pour autant être militant d’un parti politique. Le fait d’élire des listes de parti a occulté les compétences individuelles" déplore-t-il.

Verra-t-on, un jour, le commandant se présenter à la députation ? "Non, cela ne m’intéresse pas", répond-il avant d’ajouter : "Je ne crois pas en la démocratie qui consiste à payer grassement les hauts fonctionnaires de l’Etat en ne donnant que des miettes au peuple. Je suis pour la démocratie directe". Il préfère, comme on le scandait sous la Révolution, "Vivre avec les masses, vaincre avec les masses".

"Blaise et moi ne nous sommes plus revus depuis le 13 octobre 1987"

Du quarteron de capitaines qui ont fait le coup du 4 août, il ne reste plus aujourd’hui qu’un seul, Blaise Compaoré, qui préside aux destinées du Burkina. Quelles sont les relations entre le pharmacien militaire et cet ancien camarade révolutionnaire ? Aucune, répond-il en faisant savoir que "depuis le 13 octobre 1987, le président Blaise Compaoré et moi, ne nous sommes plus revus".

Loin des caméras et des flashes, le commandant mène sa vie entre son activité de pharmacien qui, à son avis, pâtit également de la récession économique, ses activités politiques et sociales sans oublier ses loisirs comme faire du vélo, jouer au football s’il n’est pas tout simplement en train de jouer à la belote ou au ludo à l’espace de jeux de société en face de sa pharmacie.

Pour avoir été un acteur de la Révolution d’août, songe-t-il à écrire ses mémoires où il relatera par le menu cette expérience ? Il dit n’avoir pas encore commencé mais ne croit pas pouvoir le faire parce qu’il n’est pas porté vers l’écriture ; d’autres étant plus "plumitifs" que lui s’en chargeront, confie-t-il en riant.

Par Séni DABO

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