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Sari Suomalainen, représentante-résidente de l’UE au Burkina : “La vie est chère partout dans le monde”

Publié le mercredi 11 octobre 2006 à 07h56min

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Sari Suomalainen

Présente au Burkina Faso depuis près de trois ans, Mme Sari Suomalainen est le chef de la délégation de la Commission européenne. Elle se prononce sur plusieurs sujets dont la vie chère au Burkina, la démocratie, les interventions de son institution au Pays des hommes intègres. Elle s’exprime également sur d’autres points ayant trait à l’actualité africaine et internationale, notamment le Togo, la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo.

(S) : Quels sont les principaux domaines de l’intervention de l’Union européenne dans notre pays ?

Mme S. S. : Nous intervenons principalement dans les domaines d’appui macroéconomique à la lutte contre la pauvreté, des infrastructures routières et du développement rural, axé sur la sécurité alimentaire. Nous sommes également présent dans d’autres domaines comme la justice, la culture, le secteur privé...

(S) : Quelle appréciation faites-vous du processus démocratique qui est en cours au Burkina ?

Mme S.S. : La démocratie avance au Burkina. Il y a des efforts qui sont faits, mais comme partout dans le monde, la situation n’est pas parfaite. La tendance est bonne, mais il y a des défis qui restent à relever, comme la décentralisation, la participation de toute la population.

(S) : Quelles sont selon vous, les insuffisances de la démocratie burkinabè ?

Mme S.S. : Cela nous prendrait beaucoup de temps de discuter sur la démocratie, car il faudrait d’abord en donner une définition. Cependant, on peut parler de la participation de la société civile, des contrôles démocratiques au niveau des instances comme l’Assemblée nationale... Mais quand je fais allusion aux défis qui restent à relever, je donnerai un exemple : le fait qu’une partie de la population n’ait pas d’acte de naissance l’empêche de participer pleinement à l’enracinement de la démocratie électorale au Burkina.

(S) : Lors des élections présidentielle et municipale passées, l’opposition a été pratiquement laminée par la majorité. Comment interprétez-vous cette défaite ?

Mme S. S. : Il y a encore une fois, beaucoup de choses qui peuvent expliquer ces résultats de l’opposition burkinabè. Il y a naturellement les moyens mis à la disposition de chacun des acteurs. Pour moi, il y a des choix politiques et des sujets avancés que certains partis ont fait et qui leur ont été défavorables, mais c’est surtout le vote des électeurs qui fait la différence.

(S) : Vous estimez donc que le jeu démocratique est assez clair au Burkina ?

Mme S. S. : Que voulez-vous dire par là ?

(S) : Que l’opposition joue parfaitement son rôle et la majorité présidentielle également le sien en permettant à tout le monde, lors des élections, d’avoir à la fois accès aux médias et la liberté de mener campagne comme il se doit ?

Mme S. S. : Je pense que les médias sont bel et bien libres au Burkina. Comme je le disais tantôt, il y a la question des moyens mis à la disposition des uns et des autres. Une certaine jeunesse des partis politiques est un handicap, parce que la préparation d’une élection est un travail de longue haleine. Donc, il faut avoir l’engagement d’un groupe suffisamment large pour pouvoir bien travailler et continuellement.

(S) : Le Burkina est-il bien géré ? Si oui, quels sont vos éléments d’appréciation ?

Mme S. S. : Votre question me donne la possibilité de parler d’une chose très importante : la bonne gouvernance. Elle est appréciée dans le cadre des revues du CSLP (Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté) par l’ensemble des partenaires techniques et financiers (PTF). Beaucoup de choses ont été faites, mais nous pensons naturellement qu’il y a encore beaucoup à faire. Le Burkina s’est donné un nouveau plan national de bonne gouvernance et nous, nous travaillons avec le pays sur cette base.

Ce plan porte sur la gouvernance démocratique mais aussi et plus particulièrement sur la gouvernance économique. Un des aspects de la gouvernance économique, c’est bien entendu la lutte contre la corruption. C’est un fléau qui est assez répandue au Burkina, mais il faut tout de suite le combattre pour éviter qu’il ne franchisse des limites incontrôlables.

(S) : Des organisations de la société civile comme le Réseau national de lutte anti-corruption (Ren-lac) publient des rapports sur la corruption. Avez-vous foi en ces rapports ?

Mme S. S. : Naturellement, nous suivons tout ce qui est publié sur la corruption, y inclus le rapport du Ren-lac. Il y a plusieurs moyens de se renseigner sur le phénomène. Avec les autres partenaires, et plus particulièrement dans le cadre général des appuis budgétaires, nous avons exprimé notre inquiétude sur le fait que la tendance s’oriente vers un accroissement de la corruption. Nous félicitons également les autorités qui veulent dialoguer sur la question et prendre les mesures nécessaires pour lutter contre ce fléau.

(S) : Donc, le cas de la route nationale N°1 (Ouagadougou-Bobo-Dioulasso) pour lequel il y a eu une passe-d’armes entre l’UE et le ministère des Infrastructures n’ est plus qu’un mauvais souvenir ?

Mme S.S. : Il n’y a pas eu d’accusation de notre part en ce qui concerne la démarche de l’administration. Nous travaillons ensemble avec l’ordonnateur national qui est le ministre des Finances et le ministre des Infrastructures en charge du secteur. Ainsi, les raisons de la dégradation de cette route et la clarification des choses ont naturellement été débattues dans ce cadre. Actuellement, des travaux de réhabilitation sont en cours sur cet axe pour le rendre de nouveau praticable.

(S) : Depuis quelque temps, le front social au Burkina Faso est secoué par des manifestations contre la vie chère. Convenez-vous avec les organisations syndicales que la vie est vraiment chère au Burkina Faso ? Si oui, quelle peut être la contribution de l’UE pour résorber ce phénomène ?

Mme S.S. : La vie est chère partout dans le monde. Mais au Burkina, cela se ressent beaucoup, surtout au niveau du prix du carburant qui a un impact direct sur l’augmentation des coûts de la vie. A notre niveau, quelle est notre contribution face à cela ? En premier lieu, je dirai que plus de la moitié de notre aide est consacrée aux appuis budgétaires. Notre appui, même s’il ne va pas directement dans la subvention du carburant, permet, d’une façon ou d’une autre, des arbitrages au niveau de l’Etat pour essayer d’atténuer ce phénomène qui nous touche tous.

(S) : En juillet dernier, la justice burkinabè a accordé un non-lieu au principal accusé dans l’affaire Norbert Zongo. Quelle appréciation faites-vous de cette décision de justice ?

Mme S. S. : Sur cette affaire, il y a eu une déclaration de l’UE, le 2 août 2006. Cette déclaration a même reçu l’adhésion de plusieurs pays en dehors de l’UE, qui sont sur la voie d’adhésion. Nous nous sommes prononcés sur cette affaire, qui reste d’actualité. Notre appel au gouvernement du Burkina Faso est de faciliter dans tous les sens du terme, la manifestation de la vérité sur ce dossier par la justice.

(S) : L’Union européenne appuie le Burkina Faso en compagnie d’autres institutions, telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement. N’y a-t-il pas souvent de chevauchement ou de compétition entre vous, pour appuyer le Burkina ?

Mme S.S. : Je suis très contente de pouvoir dire aujourd’hui qu’au Burkina, grâce aux efforts des autorités et de l’ensemble des partenaires techniques et financiers, il y a une coordination très accrue de nos interventions sur le terrain. Toutes les parties concernées, les pays bénéficiaires et les donateurs ont signé en 2004 à Paris, une déclaration sur l’efficacité de l’aide au développement. Au Burkina, depuis un an, nous faisons des efforts pour être plus complémentaires.

(S) : A combien s’élève l’appui, en termes financiers, de l’Union européenne au Burkina cette année ?

Mme S.S. : L’appui de l’UE au Burkina s’effectue selon un cycle quinquennal. Et dans le cadre du 9e Fonds européen de développement (NDLR 2001 - 2007) pour le programme indicatif national, cet appui représente un montant total de 433,5 millions d’euros (284,4 milliards de F CFA).

(S) : Le Burkina est actuellement à l’heure de la communalisation intégrale et ce depuis le 23 Avril dernier. Cette nouvelle vision de la gestion de nos communes vous facilite-t-elle la tâche et quelle sera son incidence sur la coopération entre l’UE et le Burkina Faso ?

Mme S.S. : Effectivement, je ne dirai pas qu’actuellement, cela nous facilite la tâche. Cela représente plutôt un défi supplémentaire aussi bien pour l’administration que pour les partenaires techniques et financiers. Cependant, je pense que la décentralisation est une voie que tout pays doit emprunter. C’est un processus qui facilite la participation, au niveau local, des populations aux actions de développement de la société. Nous sommes en train de négocier avec les autorités burkinabè une nouvelle stratégie de coopération, qui devrait être opérationnelle d’ici au 1er janvier 2008 et la décentralisation fait partie du cadre dans lequel le débat se fait sur le contenu de notre futur programme.

(S) : Quelle appréciation faites-vous de la vitalité de la société civile burkinabè ?

Mme S.S : (rires) Sa vitalité est formidable. Il y a plus 32. 000 associations et groupements au Burkina. En même temps, cela constitue un défi de canaliser toutes les composantes et formes de la société civile et les instances locales vers les décideurs de l’administration et des instances démocratiques.
Malheureusement, tout le monde ne fait pas partie du monde associatif au Burkina. Il y a des personnes, comme dans beaucoup de pays du monde, qui sont un peu marginalisées, et qui ne participent pas.

(S) : Il n’y a pas longtemps, le président du Faso a servi de médiateur à des négociations qui ont abouti à un accord politique global entre les principaux acteurs de la crise togolaise. Quel commentaire cet accord suscite-t-il en vous ?

Mme S.S. : Comme l’a déjà déclaré, le commissaire en charge du développement et l’aide humanitaire, M. Louis Michel, immédiatement après la signature de l’accord, ma première réaction est de féliciter les acteurs togolais, mais également le facilitateur dont le travail a été essentiel pour parvenir à la conclusion de cet accord. Par ailleurs, c’est un sentiment de joie et d’espoir qui m’anime car la situation est demeurée trop longtemps dans l’impasse.

(S) : L’Union européenne a répété dernièrement au chef de l’Etat togolais, par l’intermédiaire du commissaire Louis Michel, qu’elle ne reprendra véritablement sa coopération avec le Togo qu’après des élections justes, transparentes et ouvertes à tous. Mais jusque-là, rien ne semble bouger du côté de Lomé.Un mot là-dessus ?

Mme S.S. : Je dois dire que l’essentiel dans cet accord est l’organisation d’élections pour constituer un gouvernement d’unité nationale. Ce sont des points clés qui ont incité tous les acteurs politiques du Togo à accepter de signer cet accord global. Donc pour moi, c’est plutôt dans ce sens-là que le commissaire (NDLR : Louis Michel) s’exprimait. Il faut travailler à aller vers les élections aussi tôt que possible. Et comme vous le savez très bien, les élections ne peuvent pas s’organiser du jour au lendemain. Je ne connais pas les détails sur les points qui doivent être clarifiés avant qu’elles ne puissent avoir lieu, dans ce sens-là, je ne peux pas me prononcer sur les délais, mais l’accord a été signé le 20 août et aujourd’hui, nous sommes le 13 septembre ( NDLR :date de l’interview).

Je suis persuadée que le travail de préparation de ces élections est en cours et que même si on n’en perçoit pas chaque jour les avancées, la situation actuelle ne présente pas des signes de difficultés majeures à la mise en œuvre de l’accord.

(S) : Un autre foyer de tension est la Côte d’Ivoire. Comment voyez-vous une sortie de crise dans ce pays ?

Mme S.S. : Je peux juste exprimer mon inquiétude sur la situation actuelle. Mais pour la sortie de crise, je ne pourrais pas vous dire plus que ce qui a déjà été mis sur la table, sur les différents mécanismes qui existent pour permettre une sortie de crise.

(S) : Vous pensez que la justice doit taper ?

Mme S.S. : (Rires) La justice dans le sens général oui !

(S) : Que fait ou peut faire l’Union européenne pour que l’Afrique ne soit pas une poubelle de l’Occident en matière de déchets toxiques ?

Mme S.S. : Il existe les conventions internationales. Il faut donc veiller à ce que tout le monde les suive et les mette en œuvre. S’il y a des défaillances dans ces contrôles il y a vraiment lieu de travailler là-dessus. Dans notre coopération, on peut faire également beaucoup de choses dans le cadre international pour la mise en œuvre de ces conventions. Je ne peux pas vous dire quels travaux sont en cours actuellement, mais je suis sûr qu’il y aura de nombreuses initiatives pour voir ce qu’on peut faire de plus. Mais la première chose à dire est que l’Afrique ne doit jamais devenir une poubelle. Aussi, cela va de soi que l’on doit trouver des solutions qui soient acceptables et contrôlables au bénéfice des générations futures.

(S) : La République démocratique du Congo, contre toute attente, au lieu d’évoluer vers un apaisement du climat politique à l’issue des élections laisse plutôt craindre le pire. Votre sentiment sur la situation qui y prévaut ?

Mme S.S. : Pour moi la crainte que la situation n’était pas aussi stable était déjà là. C’est un pays énorme et de ce fait, il y a eu beaucoup de situations si bien qu’on ne sût pas si les élections allaient être paisibles et se dérouler correctement. Heureusement le scrutin s’est bien déroulé. Les premières élections, les premiers actes de démocratie sont toujours très vulnérables et après des élections, il y a toujours partout dans le monde le même phénomène : l’acceptation des résultats sortis des urnes peut devenir un problème. Il y a aussi le fait qu’on ne peut pas nécessairement s’assurer que tout ce qu’on a créé comme structures pour le bon fonctionnement des élections soit parfaitement fonctionnelle. On peut avoir des doutes sur l’honnêteté des acteurs chargés de leur mise en œuvre. Si bien que les candidats se demandent souvent s’ils ont perdu ou gagné.

(S) : 11 septembre 2001 - 11 septembre 2006, cela fait cinq ans que les Etats-Unis ont été victimes d’attentats terroristes. Que pensez-vous de la lutte entreprise par l’administration Bush contre ce phénomène ?

Mme S.S. : Il y a beaucoup d’aspects dans la lutte contre le terrorisme. Mais la constatation première doit être que le terrorisme n’est pas acceptable. Aux Etats-Unis, au plus haut niveau, des mesures jugées nécessaires pour lutter contre le terrorisme ont été prises. En Europe, nous avons aussi mis en place une stratégie pour combattre ce phénomène. Il y a cependant des différences d’appréciation sur les moyens à utiliser.

(S) : Comment appréciez-vous la presse burkinabè ?

Mme S.S. : Je me félicite vraiment de la presse burkinabè qui est très rodée sur les questions politiques. S’il y a quelque chose que je souhaiterais voir dans la presse, ce sont des informations un peu plus étoffées sur les questions économiques et peut-être sur les questions démocratiques dans le sens du fonctionnement du système avec des rappels sur le contexte.

Par exemple, on a vu beaucoup de commentaires sur le cycle des négociations multilatérales (cycle de Doha), l’état des lieux. Mais il n’y a pas toujours le rappel historique des faits sur ces négociations. Les enjeux ne sont pas nécessairement connus de tous. Les gens qui suivent de très près les débats peuvent tirer tout le bénéfice de ces articles, mais ce n’est pas le cas de tous les lecteurs.

(S) : Que comptez-vous faire pour dynamiser davantage la presse burkinabè ?

Mme S.S. : Dans le cadre de notre appui aux acteurs non étatiques, il y aura le lancement d’appels à propositions pour le renforcement des capacités qui peuvent également concerner la presse.

(S) : Comment vous sentez-vous au Burkina Faso ?

Mme S.S. : Je me sens très bien (rires) dans le sens qu’au Burkina, on a le sentiment qu’on peut bien travailler, pas seulement avec les autorités, mais avec tout le monde. Il y a une culture de collaboration au Burkina qui me facilite mon travail. Dernièrement avec la pluie, on se sent physiquement mieux. Aussi, quand viennent les mois d’avril et de mai, il y a un petit bémol dans ce sentiment (rires).

Propos recueillis par Alassane NEYA et Moustapha SYLLA

Sidwaya

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