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Burkina-Taïwan : Même si ça tangue, le tango continue

Publié le mardi 10 octobre 2006 à 09h04min

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Tao Wen Lung

Ainsi que nous l’avons relaté dans notre édition n° 6735 du 29 septembre au 1er octobre 2006, quatre membres de l’Association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger ont séjourné du 23 au 25 septembre 2006 à Ouagadougou.

Invitée par le Forum d’amitié sino-burkinabè (FASIB) pour, a-t-on annoncé, « une prospection commerciale », la délégation a rencontré le patronat burkinabè, le président de la Chambre de commerce, El hadj Oumarou Kanazoé, et a visité des unités industrielles de la place. Au-delà de l’objet officiel de leur visite, les quatre Pékinois se sont rendus dans les locaux de l’Assemblée nationale et dans la cour de l’empereur des Mossis, le Moro Naaba Baongo, le tout couronné par une escapade touristique à Manéga. Du coup, les supputations sont allées bon train.

Surtout qu’en juillet dernier, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale n’est pas passée loin de créer un incident diplomatique avec l’autre Chine, île de Formose. (Taïwan), en recevant, fût-il par l’intermédiaire d’un simple conseiller, le FASIB qui, le sait-on, œuvre à l’aplanissement des sentiers qui mènent à Pékin. Tout cela préfigure-t-il des intentions du Burkina de renouer à nouveau avec la Chine continentale au détriment de sa rivale insulaire, Taïwan ?

Dans son bureau spacieux au décor très sobre, l’ambassadeur Formosan Tao Wen-Lung, « serein » et bon rieur, livre ici, sa grille de lecture sur le séjour controversé de la délégation pékinoise. C’était au cours d’un entretien réalisé le mercredi 4 octobre 2006, soit à une semaine de la fête nationale taiwanaise célébrée aujourd’hui mardi 10 octobre.

Une délégation de la République populaire de Chine a récemment séjourné à Ouagadougou. Etiez-vous au courant de cette visite ?

• Nous étions au courant de l’arrivée de la délégation. Nous avons beaucoup d’amis ici et on a été avisés à l’avance. Et puis la visite n’a pas été faite en cachette. Certains ont seulement voulu en faire un événement.

Vous avez été mis au courant par voie officielle ou par un réseau « souterrain » ?

• Je ne peux pas dire que c’est par une voie officielle. Nous avons appris cela comme tout le monde. Vous savez, dans l’apparence on dit que c’est la visite d’une délégation de l’Association d’amitié avec l’étranger qui a été organisée par le secteur privé. Par conséquent, il n y a rien d’officiel.

Vous dites que dans l’apparence c’est une visite organisée par le secteur privé. Mais dans la réalité, de quoi s’agit-il selon vous ?

• Ce que les gens ignorent, c’est que chez nos cousins (Ndlr : les Chinois de Pékin) il n’y a rien de non officiel. Il faut savoir, et on peut le vérifier, que cette association dite d’amitié avec l’étranger, fait en réalité partie de la machine d’Etat. Ces membres ont tous quasiment le statut de fonctionnaire. Je ne doute pas de la bonne foi de leur interlocuteur (Ndlr : le FASIB).Certainement qu’il ignore le statut réel de la partie chinoise.

Quel commentaire faites-vous donc de l’arrivée à Ouagadougou de vos « cousins » ?

• Nous ne sommes pas du tout allergiques à tout ce qui se fait avec nos cousins. Taïwan est un pays démocratique, le Burkina Faso aussi. Nous respectons donc, dans le domaine des relations d’amitié avec les peuples, le choix de tout un chacun. Mais l’objet de la visite des membres de cette délégation de la République populaire de Chine n’a pas été très clair. On n’a pas compris quel message l’on a voulu faire passer. Ils ont été reçus par des opérateurs économiques burkinabè (rires).

Je n’ai pas de commentaires à faire. On doit chercher à faire prospérer l’activité économique quel que soit le partenaire. Mais là où ça ne va pas, c’est que certains ont cultivé une ambiguïté autour de cette visite. Et c’est ce que je n’ai pas apprécié. Si l’on veut augmenter les exportations des produits « made in China » au Burkina Faso, cela ne nous pose aucun problème. Même chez nous, il n y’a pas de mesures qui interdisent le commerce avec la Chine populaire. Nous sommes même les premiers investisseurs étrangers (rires) de ce pays. Ce qui n’a pas été convenable suite à l’arrivée de la délégation ici à Ouagadougou, c’est qu’il y a eu beaucoup d’allusions. Pour nous, c’est dans le cadre des relations commerciales. Mais si c’est pour autre chose, qu’on nous le dise clairement. Il ne faut pas entretenir l’ambiguïté.

Que qui vous le dise clairement ?

• Je ne sais pas. Mais avec les interprétations et autres questions de savoir si c’est le signe d’un nouveau choix diplomatique, des discussions s’imposent. Si c’est une simple visite d’association dans le cadre des relations entre peuples, personne n’est contre (rires).

Ne vous êtes-vous pas adressé aux autorités burkinabè pour tirer au clair ce que vous qualifiez d’ambigu ?

• Nous n’avons saisi aucune institution officielle burkinabè sur la question. Je crois que la visite ne peut pas avoir de rapports avec une quelconque reprise de relations diplomatiques avec Pékin. Nos partenaires burkinabè sont vraiment des hommes intègres (rires). Il n’y a pas de problèmes entre nos deux Etats. Avec la 6e Commission mixte, nous lancerons bientôt de grands chantiers. Mais depuis deux semaines, je suis assailli de nombreuses interrogations. Partout on me pose des questions.

Il semble que notre ambassadeur à Taiwan a été invité par Taipei à fournir des explications sur les intentions réelles du Burkina.

• C’est faux. Ce sont des rumeurs. Nous considérons ce qui s’est passé à Ouagadougou comme un non-événement.

En clair, l’axe Ouagadougou-Taipei se porte bien et la récente visite de vos « cousins » communistes ne vous fait pas peur.

• Ça ne me fait pas peur du tout. Je ne doute pas de la sincérité de nos amis burkinabè. Il n’est pas convenable de ma part de dire que ceux qui ont accueilli la délégation de la Chine populaire sont de mauvaise foi. Mais du côté de nos cousins, il n y a pas de sincérité. Il y a quelque chose de caché derrière cette visite.

Seulement, l’Association burkinabè qui a invité la délégation chinoise a pour président d’honneur Zéphirin Diabré, ancien ministre, ex-administrateur associé du PNUD et aujourd’hui dans le directoire de la firme française AREVA. Et son nom est régulièrement cité parmi les premiers ministrables.

• S’il y a eu ambiguïté, cela est du fait de la Chine populaire. Et c’est ça qui est malsain. Beaucoup de gens disent que la Chine continentale est une grande puissance qui peut offrir d’énormes opportunités. Je suis d’accord, elle est une grande puissance économique et commerciale. Mais de quoi l’Afrique en général, et le Burkina en particulier peuvent bénéficier de cette puissance ? La Chine populaire vit surtout de l’exportation de ses produits : textile, équipements ménagers, pharmacopée, etc. Certains Chinois vendent même des beignets comme au Cameroun. Ils concurrencent donc l’économie locale.

La Chine ne s’intéresse qu’aux matières premières de l’Afrique. Avant notre arrivée au Burkina en 1994, qu’est-ce que la Chine populaire a fait pour le pays ? Elle n’est même pas parvenue à produire le riz... La coopération avec Taïwan est fondée sur la transparence et l’équité. Aucune maison de commerce taïwanaise n’est installée au Burkina. Nous ne cherchons pas à concurrencer l’économie locale.

Mais si sur 53 Etats africains il n’y a que 5 qui reconnaissent Taïwan, n’est-ce pas parce que la Grande Chine répond mieux aux attentes des Africains ?

• Depuis 1970, la plupart des Etats africains ont cherché à aller du côté de la Chine populaire. Et ce choix n’était pas tout à fait libre. Elle bénéficie aujourd’hui d’un acquis. Mais quel est le bilan de cette coopération au plan socio-économique ? Nul. Dans le domaine de la promotion des droits humains, c’est encore pire.

Mais comment expliquez-vous le fait que certains de vos anciens partenaires vous tournent aujourd’hui le dos. Il n y a pas longtemps c’était le Sénégal, tout récemment le Tchad.

• Au Tchad comme au Sénégal, qu’est-ce qu’on nous a reprochés ? Absolument rien. On n’a jamais été mis en cause pour notre politique de coopération.

Au Tchad par exemple, l’on vous reprocherait le fait de n’avoir pas soutenu le président Idriss Déby en proie à une rébellion armée ?

• Ce qui est paradoxal et marrant, c’est que dans le camp du pouvoir tchadien, il n’ y avait pas beaucoup d’armes made in China. Par contre les rebelles étaient suréquipés d’armes de fabrication chinoise. En tant qu’ami du Tchad, Taïwan ne pouvait pas exporter des armes dans le pays à l’occasion d’un conflit interne. Pour nous, c’est immoral. Nous sommes un Etat démocratique.

Entretien réalisé par Alain Saint-Robespierre

L’Observateur

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