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Nomadisme politique : Ce mal pernicieux qui ronge la démocratie

Publié le mardi 19 septembre 2006 à 08h08min

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Le multipartisme a été considéré, après le discours de la Baule, comme un facteur suffisant pour l’expression d’une véritable démocratie. C’était sans doute oublier la capacité des hommes politiques africains à se muer, tel des caméléons, pour épouser les exigences de l’heure, sinon à en abuser.

On a ainsi assisté, en très peu d’années, à une inflation de partis politiques qui constitue un casse-tête, même pour les analystes les plus avertis. Du monopartisme le plus rigoureux des pères de la nation, on est passé à un multipartisme débridé et foisonnant où plus personne ne se retrouve dans les sigles, les slogans, les devises et les emblèmes à n’en pas finir.

Malheureusement, cette féconde imagination en matière de création de partis ne s’est pas accompagnée d’une fertilité des idées et des projets de société devant sortir les pays africains de leur misère. C’est que la plupart des chefs de partis passent plus leur temps à élaborer des stratégies pour mieux se faire voir et être cooptés par les pouvoirs en place qu’à travailler à asseoir une démocratie multipartite. Ainsi naquit, entre autres fléaux liés au nouveau contexte de démocratie libérale, le nomadisme politique.

Tout comme la création d’un parti, au nom de la liberté d’association politique, se fait comme une lettre à la poste, il est tout aussi loisible à un militant de quitter sa formation pour une autre avec armes et bagages, sans craindre une quelconque sanction, sinon celle éventuelle des électeurs et les malédictions de ses anciens camarades. Autrement dit, on entre et on sort d’un parti comme dans un marché. Dans le principe, il ne devrait pas être fait obstacle à la liberté d’adhésion et de démission d’un parti, surtout sous nos cieux où le chef de parti s’érige parfois en potentat dont les ordres ne sont pas discutés.

Encore faut-il que le combat politique se mène aussi à l’intérieur des instances du parti pour le rendre plus proche de sa vraie vocation. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de courants de pensée comme de la manifestation du pluralisme d’expressions au sein d’un parti. Ces tendances, loin de fragiliser un parti, le vivifient et l’obligent à une remise en cause permanente.

C’est dire donc que le plus souvent, les démissions fracassantes, au cours desquelles l’on rameute les médias, sont dictées par des motivations d’ordre alimentaire. Contre des promesses de nominations à de hautes fonctions ou des enveloppes bien garnies, l’on est près à abandonner ses camarades de lutte sans aucun état d’âme. Et généralement, le point de chute est le parti au pouvoir ou l’un de ses satellites. Très rarement, on a vu un cadre du parti majoritaire rejoindre l’opposition.

Cette transhumance à sens unique prouve à souhait que les démissionnaires fuient la sécheresse de leur parti pour une prairie supposée verdoyante, celle du parti au pouvoir. C’est dire qu’aucune conviction idéologique ne sous-tend ce vagabondage puisque l’on peut allègrement passer d’un parti libéral à un autre qui se revendique du socialisme. Pour les nomades de tout acabit, peu importe la couleur ou l’étiquette, ce qui compte, c’est la générosité du parti d’accueil.

Ce mal pernicieux pour la démocratie, en ce qu’il trahit le choix des électeurs et sert d’instrument de manipulation pour les grands partis, est pourtant toléré par le personnel politique africain. Chacun semble y trouver son compte : les opposants pour avoir une porte de sortie quand l’opportunité se présente, les dirigeants pour continuer à tenir en laisse leurs adversaires politiques.

Voilà pourquoi rares sont les Etats africains qui réglementent cet aspect de la vie des partis dont la forme la plus abjecte est la démission des élus, qu’ils soient locaux ou nationaux (députés). Comment, en effet, tolérer que dans une démocratie, le suffrage des électeurs soit aussi banalement trahi, après chaque élection, par des élus peu scrupuleux ?

Le minimum que le législateur doit faire, c’est d’obliger tout partant à se décharger de son mandat au profit du parti sous lequel il a été élu. Naturellement, cela pose le cas de candidats dont le charisme est à la base de leur élection et qui pensent ne rien devoir à leur parti. Ce problème peut trouver une solution à travers les candidatures indépendantes qui permettraient, à ceux qui le voudraient, de se présenter devant les électeurs sans l’ombre tutélaire d’un parti.

Une réforme à laquelle, là aussi, les acteurs politiques sont réfractaires, dans un pays comme le Burkina. Au regard des rapports de force et des enjeux politiques, ce n’est certainement pas demain la veille que les députés voteront une loi contre le nomadisme politique et pour les candidatures indépendantes. Avec le risque de voir les citoyens se désintéresser de plus en plus de la politique qu’ils considèrent désormais comme un repaire de faux types et de traîtres potentiels.

Un sondage du CGD a montré que 70,3% des Burkinabè sont opposés au nomadisme politique et réclament que les élus démissionnaires soient déchus de leur mandat. C’est un message fort qu’un parlement réellement à l‘écoute du peuple aurait dû entendre. Mais il n’en est rien. Mais pourquoi, dans un sursaut citoyen, les populations et les organisations de la société civile ne prendraient-elles pas l’initiative d’une pétition, en vue d’assainir le paysage politique burkinabè ?

Le Pays

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