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Les sages et la situation nationale : Peuvent-ils encore joué un rôle ?

Publié le mercredi 13 septembre 2006 à 08h01min

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A cause du phénomène de la vie chère et des problèmes judiciaires que traverse le pays, les Burkinabé ont de la peine à comprendre leurs dirigeants et à l’inverse, les derniers ont du mal à communiquer comme on a pu s’en apercevoir lors de l’application du décret relatif au port obligatoire du casque entrée en vigueur le 1er septembre dernier.

Du coup, dans l’opinion, on en vient à se poser les questions de savoir si les sages n’ont pas été floués, s’il n’est pas opportun qu’ils donnent de la voix, s’ils ne sont pas finalement comptables et responsables de ce qui se passe aujourd’hui, etc. Ces préoccupations, légitimes dans leur principe, ont trouvé leur expression publique dans le no 6720 du quotidien L’Observateur paalga du 8 septembre 2006 et dans le no 99 du bimensuel L’Evénement du 10 septembre 2006. Nous nous permettons de nous engouffrer dans cette brèche pour partager avec les auteurs des papiers concernés et l’opinion notre avis sur la question avec tous les risques d’erreur et d’incompréhension inhérents à ce genre d’exercice.

Pour Guy Hermann Bazémo, auteur de l’article paru dans L’Observateur paalga, ‘’Il y a parjure contre l’opinion nationale et internationale, contre le peuple, mais aussi contre les autorités politiques, morales, religieuses, coutumières, intellectuelles, surtout vu que celles-ci se sont prêtées de bonne foi au serment et ont accepté d’être des garanties que le chef de l’Etat ne manquerait pas à son jurement...

Lorsqu’on est garant, de par la loi, de quelqu’un qui commet une faute, on est aussi responsable civilement que cette personne et mis en devoir de réparer avec elle et pour elle le tort causé, quitte à se faire rembourser après.

On peut donc dire que toutes les autorités coutumières, religieuses, tous les chefs d’Etat présents, toutes les personnes nommées ‘’sages’’...en sont responsables au même titre que le bénéficiaire. Leur responsabilité ici est aggravée par le fait que, malgré le sacrilège, ces autorités, ces sages, restent toujours, pour la plus grande partie, silencieux.’’

Quant à Germain Bitiou Nama, il s’interroge dans L’Evénement : ‘’Existent-ils encore des sages au Faso qui pourraient faire entendre raison à nos princes ?

’’ Avant d’ajouter : ‘’Nous avons eu toutes les difficultés du monde à recueillir la réaction de nos vénérables sages sur la question du non-lieu et l’abandon de l’information sur X. La raison généralement invoquée, c’est la fin de leur mandat. Une seule personne a accepté de s’exprimer. Les autres ont usé de nombreux artifices pour ne pas avoir à se prononcer. Et nous revoilà dans les considérations qui ont pesé sur le dossier et qui ont compliqué son instruction. Dès lors qu’il s’agit de prendre position publiquement, il y a problème.’’

Sans nul doute, il n’est pas alarmiste de dire que le Burkina Faso est à la croisée des chemins et une institution tel le Collège de sages composée de personnes de la même qualité pourrait être très utile à la nation entière ; sans nul doute, si les sages donnaient de la voix, les choses se passeraient autrement. La preuve, c’est qu’une institution comme le Conseil économique et social (CES) qui est loin d’avoir la carrure du Collège de sages fait renaître l’espoir auprès des Burkinabé pour s’être proposé de jouer les médiateurs dans les négociations syndicats-gouvernement.

Cependant, au sujet de l’attitude que ces sages devraient observer dans le présent contexte, il importe de remonter aux origines de la création de leur collège, du choix des personnalités qui l’ont composé, de rappeler ses missions avant de mettre tout cela en rapport avec l’environnement sociopolitique actuel.

Aux origines de la création du Collège de sages

En rappel, le Collège de sages a été créé par décret no 99-158/PRES du 1er juin 1999 avec ‘’pour mission d’œuvrer à la réconciliation des cœurs et à la consolidation de la paix sociale. A cette fin, il est chargé :

- de passer en revue tous les problèmes pendants qui sous-tendent la crise actuelle ;
- de proposer le traitement à réserver à tous les crimes impunis ainsi qu’à toutes les affaires d’homicide résultant ou présumées résulter de la violence en politique, pour la période allant de 1960 à nos jours ;
- de faire des recommandations susceptibles de promouvoir la réconciliation nationale et la paix sociale.’’

La création dudit collège a été rendu nécessaire par le fait que ‘’La crise que notre pays traverse depuis quelques mois est réelle et profonde. Elle n’est pas que conjoncturelle ; elle est structurelle. Elle s’étend à tous les secteurs de la vie nationale et touche toutes les couches de la population. Elle se manifeste dans les domaines social et culturel, politique et administratif, économique et enfin au niveau éthique. Les tragiques événements récents, notamment le drame intervenu le 13 décembre 1998 à Sapouy, n’en ont été que le détonateur.’’ (in Rapport du Collège de sages, Ouagadougou, 30/07/99).

En effet, on se souvient que fin 1998 et particulièrement 1999 ont été des années très difficiles pour le régime de Blaise Compaoré tant le pouvoir était dans la rue ou presque et il suffisait, pour le Collectif d’organisations démocratiques de masse et de partis politiques, de tout exiger pour tout avoir ; sans marchandages pourrait-on dire. Ainsi, il a exigé et obtenu la mise en place de la Commission d’enquête indépendante (CEI). Ainsi, la pression qu’il exerçait sur le pouvoir était telle que quelque part les sages se sont vu obligés de prendre en compte ses revendications relatives aux réformes politiques et institutionnelles.

Malheureusement, avec le recul, on a l’impression que passée l’euphorie née des quelques batailles gagnées, le Collectif n’a pas exercé suffisamment de pression pour la rétroactivité de l’article 37 nouveau de la constitution limitant le nombre de mandat présidentiel à deux. Il n’a pas non plus exploité toutes ses potentialités afin de substituer au terme recommandation le mot obligation (civile) dans le rapport des sages. Alors que la recommandation est une sorte de résolution d’un organe dépourvue de force obligatoire pour les parties, l’obligation civile est une obligation dont l’inexécution est sanctionnée par organe préalablement identifié.

Le président du Collège, Mgr Anselme Sanou, l’a lui même plus ou moins reconnu quand, dans une interview accordée à l’hebdomadaire San Finna dans son no 13 du 09/08/99, il disait qu’ ‘’Etant la nature de ce document (NDLR : le rapport du Collège de sages), et nous l’avons bien marqué, il y a différents niveaux de consommation si vous voulez. Puisque vous parlez de consommation, il y a des produits qui ne se consomment pas crûs, d’autres parce qu’ils sont mûrs, peuvent être consommés immédiatement...Quand le chef de famille, qu’il soit sage ou pas, a dit à l’ensemble de la famille voici dans quel sens va ceci, ce n’est pas à lui de se lever pour aller le faire ou pour voir comment ça se fait.’’

Qu’est-ce que le sage ?

Si donc, comme nous venons de le voir, la recommandation n’a de force obligatoire que sur le plan moral mais pas du point de vue du droit, il nous paraît important de relativiser les critiques à l’endroit des sages. La recommandation, c’est comme le conseil, c’est à celui qui en a fait la demande d’en faire l’usage qu’il veut même si dans notre cas, nous aurions préféré que le gouvernement prît en compte le maximum de recommandations.

Par ailleurs, le contenu sémantique du concept de sage même permet de comprendre pourquoi, la majorité d’entre eux a usé ‘’de nombreux artifices pour ne pas avoir à se prononcer.’’ Selon Elisabeth Clément dans La philosophie de A à Z (éd. Hatier, Paris 1994) le mot sage vient du ‘’latin sapidus, « qui a du goût ».’’

Dans l’antiquité, il désignait ‘’Celui qui sait et dont le jugement est sûr (s’applique tout d’abord aux Sept Sages de la Grèce : Thalès, Solon, etc.)’’ou un ‘’Type de l’homme réfléchi et prudent, qui ne craint pas la mort, et qui connaît la sérénité d’une vie conforme à la raison.’’ Aujourd’hui, il est synonyme de ‘’Celui qui a la connaissance juste des choses, et qui fait preuve de prudence et de modération dans ses jugements comme dans sa pratique.

’’ Au regard de cette définition, nos sages n’ont-ils pas raison d’observer de la prudence et de la réserve sans que ce ne soit une manière pour eux de se débiner ? Peut-être sommes-nous dans l’erreur mais nous pensons sincèrement que si. Ce sont d’ailleurs ces qualités qui leur ont fait reconnaître en toute objectivité que ‘’La création du Collège de sages a suscité de nombreuses réactions tant de la part de la classe politique que de la part des organisations de la société civile et des populations. Ces réactions allaient du scepticisme à l’hostilité en passant par le pessimisme. Pour les uns, il s’agissait d’une manœuvre de diversion de plus. Pour les autres, sa conception unilatérale ne pouvait lui conférer une quelconque crédibilité. Il fallait donc s’en démarquer. Les plus indulgents, tout en se posant des questions sur sa légitimité, se demandaient ce qu’il adviendrait de ses recommandations.’’

Cela dit, à moins qu’individuellement ou collectivement ils soient officiellement rappelés, il n’est pas souhaitable qu’ils fassent irruption dans l’arène politico-juridico-médiatique. Du reste, c’est parce que ces personnalités ont su faire preuve de réserve en 1998 et 1999 qu’elles ont été identifiées comme des sages et leur rapport, de par sa pertinence, a confirmé leur statut de sage. Autrement dit, dans le contexte actuel, les sages ne peuvent jouer aucun rôle et ne doivent rien faire, publiquement cela s’entend, quand bien même les citoyens qu’ils sont ont leur appréciation de la gestion des affaires de l’Etat. Du moins, c’est ce que nous pensons.

Z.K.

L’Observateur

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