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Rentrée gouvernementale : Les soucis kafkaïens de P. E. Yonli

Publié le mercredi 30 août 2006 à 08h13min

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P. E. Yonli

Plus que quelques jours pour que le gouvernement Yonli reprenne du service. Cette reprise de service risque de s’opérer sur des chapeaux de roue, au regard des problèmes qui assaillent les Burkinabé et qui requièrent que le chef du gouvernement prenne des mesures énergiques.

En effet, malgré l’état satisfaisant de l’hivernage, excepté des situations comme celle de la province de la Gnagna, qui cumule des centaines de millimètres de déficit pluviométrique, le chef du gouvernement et son équipe auront fort à faire avec leurs compatriotes qui se démêlent dans des situations inextricables.

Il leur faudra alors trouver les solutions qui seyent et une communication qui soit adéquate pour être en phase avec leurs concitoyens.

A l’instar de la plupart des anciennes colonies françaises, les Burkinabè sont connus pour être des râleurs, des éternels insatisfaits, des gens qui rouspètent pour un oui ou pour un non, des spécialistes lorsqu’ils s’agit de pinailler sur des détails alors que l’essentiel est ailleurs.

Rien de surprenant à cela quand on voit ce qui se passe en France : grève générale qui paralyse tout le pays, débrayages des cheminots de la Société nationale des chemins de fer (SNCF), qui sèment le désarroi dans tout l’Hexagone, émeutes résultant du mal-être dans lequel végètent des millions de Français, etc.

Au point que pour nombre d’Américains par exemple, la France est un pays de pagailleurs et de trouble-fêtes. Mais il y a ceci de positif que c’est probablement cet esprit frondeur qui a fécondé la Révolution française de 1789 (avec son corollaire les droits humains au sens contemporain du terme) dont toute l’humanité est fière aujourd’hui. En outre, peut-on oublier, en dépit de ses limites, ce que la Commune de Paris a apporté en matière d’expérience dans la gouvernance démocratique moderne ?

A l’échelle de notre pays, c’est ce trait de caractère qui a favorisé le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 et les vaillantes luttes syndicales de 1970, 1972, 1975, 1976, 1980 ; lesquelles se sont sédimentées pour accoucher du 25 novembre 1980 avec l’avènement du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), du 7 novembre 1982 avec le Conseil de salut du peuple (CSP) et du 4 août 1983 avec le Conseil national de la révolution (CNR). Enfin, peut-on ignorer que les luttes pour la démocratie, au début des années 1990, et la crise consécutive à l’assassinat de Norbert Zongo s’inscrivent dans cette longue tradition de lutte ?

Aujourd’hui, c’est peu de dire que nous sommes encore à la croisée des chemins, car si nos villes et nos campagnes émettent des signes, à travers le bâtiment et les infrastructures routières, qui attestent que le pays va de l’avant, il y a comme une triste réalité qui s’impose à notre raison : les difficultés quotidiennes auxquelles est sujette l’écrasante majorité des citoyens du Faso augmentent de manière géométrique tandis que leurs capacités à y faire face croissent de façon arithmétique. En d’autres termes, les problèmes augmentent en nombre et en ampleur plus rapidement que les possibilités de solution.

Le casse-tête chinois des hydrocarbures

Depuis le début de l’année 2006, les prix des produits pétroliers n’ont cessé de grimper de façon vertigineuse, à cause, dit-on, de l’augmentation tout aussi vertigineuse que constante du prix du baril, qui caracole à 75 dollars US. On s’en souvient, c’est l’augmentation de plus de 50 F CFA du prix du super à la pompe qui avait été la cause de la rupture du dialogue gouvernement/syndicats. Après une baisse de quelque 10 F CFA, le prix est reparti de plus belle pour être à 726 F CFA aujourd’hui pour le même produit.

Or, lorsque les prix des produits augmentent, il y a une relation de cause à effet entre ce phénomène et le renchérissement des tarifs des transports de passagers et surtout de marchandises. Déjà, la SONABEL relève ses tarifs, qui étaient pourtant parmi les plus chers au monde, pour compter du mois de septembre. Quand on sait que l’accès à l’électricité est l’un des éléments qui entrent dans le classement en matière de développement des pays par le PNUD, il est à craindre que notre rang ne s’améliore pas.

En attendant, au bout de la chaîne, c’est le consommateur qui encaisse, à lui tout seul, le choc du renchérissement du coût de la vie. A cause de cette situation, la SOTRACO avait retiré ses autobus de la circulation. Au cours du week-end, au moins une partie des lignes étaient desservies sans qu’on sache si des décisions allant dans le sens de soutenir la société ont été prises. On ne sait pas non plus jusqu’à quand les autobus vont satisfaire la demande en transport urbain des dizaines de milliers de Ouagalais.

Et comme la rentrée scolaire se profile à l’horizon, que d’angoisses supplémentaires pour les parents d’élèves et les élèves eux-mêmes si ce moyen de transport en commun urbain devait fermer boutique ! Indépendamment du coût social de la course, les services de la SOTRACO évitent aux élèves et étudiants d’affronter la triste réalité des accidents de la circulation dans la ville de Ouagadougou. En outre, ils échappent aux griffes des bandits de grands chemins (qui sévissent même en ville malgré les efforts de Djibrill Bassolé) et des délinquants prêts à leur retirer ou à leur voler leur moyen de déplacement (pour ceux qui peuvent s’en procurer bien sûr).

Rentrée des classes et arriérés de salaires

Les Burkinabè que nous sommes se sont toujours vantés de ce que les fonctionnaires ont toujours perçu régulièrement leurs salaires. Autrement dit, il n’y a jamais eu d’arriérés de salaires des fonctionnaires vis-à-vis de l’Etat. Certains vont jusqu’à penser que le jour où il y aura un seul mois d’arriéré au Burkina, Blaise Compaoré et son gouvernement tomberont.

Il est certes vrai qu’il n’y a pas encore eu d’arriérés de salaire, mais c’est une prise de position qu’il faut relativiser, car les absolus à propos des questions temporelles sont, par définition, des erreurs monstrueuses. En tout cas, sur ce terrain, nous préférons la dictature du relatif au despotisme de l’absolu. Venons-en au fait, selon Michel Bialès dans Le dictionnaire d’économie et des faits économiques et sociaux contemporains (Editions Foucher, Paris 1996), "Le salaire est une rémunération comportant plusieurs éléments" : il se compose du salaire direct et du salaire indirect ; le salaire direct se subdivise en salaire de base - salaire au rendement, salaire au chiffre d’affaires, salaire au temps - et en complément de salaire - primes et gratifications, formules d’intéressement ; le salaire indirect, quant à lui, regroupe les prestations sociales.

Ainsi compris, les augmentations de salaire sur la base des avancements qui se traduisent par le nombre d’échelons obtenus font partie du salaire direct et donc du salaire tout court.

Or, que constatons-nous de nos jours ? Que les avancements des fonctionnaires sont sans incidences financières et personne ne sait pendant combien de temps cela va durer. De source proche des ministères chargés de la fonction publique et du budget, bien de fonctionnaires ont l’équivalent d’un ou de plusieurs mois de salaire que la décision de suspendre la correction des salaires a bloqués.

En théorie, même si on ne peut pas parler d’arriérés de salaires, en fait, c’est belle et bien de cela qu’il s’agit. Ici, ce qui importe, ce n’est pas la théorie, mais les faits ; puisque le salarié de l’Etat constate qu’une partie de son salaire direct ne lui est pas payé par l’Etat et que, dans nombre de cas, cela équivaut à un ou plusieurs mois de salaire, ce sont des arriérés de salaire, quand bien même ils ne sont pas à comparer avec ce qui a cours en Centrafrique, au Niger ou au Togo pour ne citer que ces pays-là.

Le pire dans toute cette affaire, c’est que nous sommes à la veille de la rentrée scolaire. Les corrections des salaires auraient permis d’atténuer les difficultés du moment : les prix des hydrocarbures continuent leur hausse, les établissements d’enseignement secondaire ont déjà répercuté la décision prise par l’Etat, sur proposition des enseignants, de majorer les frais de vacation sur les frais de scolarité, les prix des fournitures scolaires connaîtront, semble-t-il, une hausse à moins que l’Etat fasse quelque chose, les parents qui avaient pu acquérir un engin motorisé pour leur (s) enfant (s) devront faire face aux dures conséquences de la facture pétrolière...

Pour les ménages dans lesquels c’est un seul conjoint qui est salarié sans que l’autre conjoint puisse contribuer, matériellement ou pécuniairement parlant, à la vie de l’unité domestique, ça va être encore plus insupportable. Le contexte est inqualifiable pour les chercheurs d’emploi, les chômeurs, le secteur informel, etc., exposant ceux-ci aux tentations diaboliques de la délinquance, du banditisme, de la drogue, etc. Nous n’osons pas ajouter à tout cela la possibilité pour le Collectif contre l’impunité de capitaliser le mécontentement né du non-lieu dans l’affaire Norbert Zongo, mais qui peut avoir ses vraies raisons dans les difficultés de la vie quotidienne.

Seule manque la volonté politique

C’est dans ce climat que les négociations entre P. Ernest Yonli et les syndicats vont reprendre dans les tout prochains jours, avec la médiation de Thomas Sanou, président du Conseil économique et social (CES), dont l’institution s’est saisie du différend. Les syndicats sont visiblement aujourd’hui en position de faiblesse, car malgré les actions qu’ils ont entreprises, rien de substantiel n’a été obtenu du gouvernement. Pire encore, en dépit de la rupture du dialogue, les prix des hydrocarbures ont continué leur hausse au grand désarroi des populations.

Pire encore, c’est au moment où ils se disent disposés à renouer le dialogue, que la SONABEL annonce la hausse du prix du kilowattheure. Aussi chercheront-ils à mettre à profit cette occasion pour redonner confiance à leurs troupes. Mais, que peuvent réellement Blaise Compaoré et P. E. Yonli dans cette affaire ? A priori, rien, mais, a posteriori, beaucoup.

A priori, rien si l’on part du fait que nous ne produisons ni ne raffinons le pétrole brut au Burkina Faso, que les taxes perçues par l’Etat sur les pétroliers ne peuvent pas être abaissées, encore moins supprimées, sous peine de déstabiliser le budget de l’Etat et, partant, l’économie nationale dans son entièreté. Cela est vrai, mais c’est une vision défaitiste.

A posteriori, beaucoup, car si l’on estime que le président (avec, par ricochet, le premier ministre) dispose d’une légitimité populaire, il n’est point de problème temporel insurmontable par lui ; le peuple lui a confié son destin en temps de paix comme en temps de guerre, en temps de paix sociale comme en temps de crise sociale. C’est pour que, grâce à ses qualités d’homme d’Etat et avec le concours de ses concitoyens, il pérennise la paix sociale ou apporte des solutions aux crises qui secouent la collectivité nationale. S’il ne le peut, il doit rendre le tablier.

Or, il le peut et nous le savons, eu égard à sa stature à l’intérieur comme à l’extérieur du pays et compte tenu du fait que des chefs d’Etat moins percutants que lui ont réussi à soulager leur peuple de bien de maux dont ceux causés par la flambée des prix du carburant. Du reste, dans Le Pays n° 3694 du 28/08/06, monsieur Jean-Marie Sawadogo a signé un article dans lequel il fait des propositions pour que nous nous affranchissions un tant soit peu de notre dépendance vis-à-vis du pétrole.

"...La généreuse nature, dit-il, nous donne l’occasion d’explorer d’autres types d’énergie. Ces énergies, dites renouvelables, sont l’énergie éolienne, l’énergie solaire, les biocarburants (énergie tirée des produits locaux : la pourguère, le maïs, etc.). A propos de biocarburants, composante appelée éthanol (C2H5OH), cette manne... fait déjà le bonheur du peuple malien ... Au Burkina, l’éthanol a fait l’objet d’une expérimentation concluante...Il suffit seulement d’une volonté politique pour donner quitus à sa production quantitative...".

Nous faut-il encore un Salif Diallo au ministère en charge de l’énergie ou à celui en charge de la recherche pour voir les choses bouger de ce côté ? Même si c’était le cas, il faudrait qu’il y ait un suivi après lui pour que le projet ne subisse pas le même sort que la gomme arabique.

De toutes les façons, il est connu de tous que si le genre humain a survécu jusqu’à présent aux catastrophes, c’est grâce à ses capacités extraordinaires d’adaptation. Il est également connu de tous que c’est surtout en situation de crise que les humains sont le plus inventifs. Au lieu de pleurnicher, œuvrons simplement à confirmer cette vérité historique.

Z.K.
L’Observateur Paalga

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