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Non-lieu dansl’affaire Norbert Zongo : "La justice est instrumentalisée"

Publié le lundi 28 août 2006 à 08h06min

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La justice est manipulée. C’est la conviction du Bureau exécutif national de la Ligue pour la défense de la liberté de la presse qui s’appuie sur des exemples, des plus anciens aux plus récents, pour finalement appeler à un sursaut moral.

"Le 12 juillet 2006, la République française commémorait la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Le 18 juillet 2006, le Burkina Faso classait purement et simplement l’assassinat de Norbert Zongo. Dans le premier cas, Alfred Dreyfus, officier de l’armée appartenant à une minorité, était un juif qui avait été condamné, dégradé et déporté à la suite d’une conjuration au sein même de l’Armée. Il s’agissait là d’une erreur judiciaire provoquée. Dans le second cas, Norbert Zongo, journaliste d’investigation assassiné, l’instruction se clôturait par un non-lieu. Il s’agit là d’un déni de justice.

Dans l’affaire Dreyfus, l’officier arrêté le 15 octobre 1894 était condamné moins de trois mois après, le 22 décembre 1894.

Dans l’affaire Norbert Zongo, c’est huit (8) ans environ après que le dossier est classé. Dans l’affaire Dreyfus, la chose est menée si promptement que c’est après la condamnation que le travail de mobilisation va se faire, son frère ayant la conviction de l’innocence du capitaine Dreyfus.

C’est ainsi que diverses personnalités vont prendre fait et cause pour Dreyfus : Bernard Lazare, un anarchiste, Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, Clemenceau, un radical, Anatole France, écrivain membre de l’Académie, Léon Blum, socialiste, Charles Peguy, poète catholique, Jean Jaurès, socialiste, et naturellement Emile Zola, l’écrivain engagé, peintre de la classe ouvrière avec son article "J’accuse", et bien d’autres hommes de lettres, de sciences, d’universitaires. Ce fut la première apparition du terme "intellectuels" et la naissance de la Ligue française pour la défense des droits de l’Homme.

Point besoin d’un Emile Zola

Dans l’affaire Norbert Zongo, point n’a été besoin d’un Emile Zola pour mobiliser contre "si tu fais on te fait et y a rien" et pour le triomphe de la justice. Au nom de l’honneur de l’Armée, on a fabriqué de fausses preuves pour établir la culpabilité de Dreyfus et quand il a été avéré que le traître n’était pas Dreyfus mais un autre officier, la hiérarchie militaire, appuyée par le pouvoir politique, s’est élevée contre la révision du procès .

Si une institution comme l’Armée, pour laquelle l’honneur est au-dessus de tout, n’a pas hésité à fabriquer des faux pour accabler Dreyfus, dans le climat de misère morale qui prévaut aujourd’hui au Faso, - rappelons-nous le diagnostic posé par la deuxième personnalité de l’Etat "la morale agonise au Faso" - alors un témoin qui revient sur ses propos...

D’ailleurs cette clôture de l’affaire pour aussi inacceptable qu’elle est ne surprend pas. En effet, notre régime est coutumier de l’instrumentalisation de la justice. L’on se souviendra qu’en 1995, alors que les enseignants innovaient dans les formes de lutte en menaçant de ne pas procéder aux évaluations en fin d’année, la Cour suprême saisie par le gouvernement avait considéré qu’il s’agissait d’une "exécution défectueuse des obligations professionnelles" ; autrement dit une grève illégale. (Avis 01/bis C.S du 14 avril 1995).

Des citoyens inégaux devant la loi

Deux ans plus tard, en juin 1997, le refus de la garde par le personnel de santé à l’initiative de leur syndicat tombait sous le même couperet. Le Procureur général, pour justifier l’ordonnance de non-lieu, a évoqué le principe du doute qui profite à l’accusé. Ce souci de dire le droit, rien que le droit ne semble pas être au bénéfice de tous les citoyens. Et Ernest Nongma Ouédraogo ne dira pas le contraire. Signataire d’une déclaration de son parti à l’occasion du 4 août 1995, Ernest Nongma Ouédraogo avait été arrêté et détenu sous mandat de dépôt dès le 10 août 1995 pour offense au chef de l’Etat et diffamation, faits prévus et punis par les articles 105 et 109 du Code de l’information.

Une détention préventive en violation flagrante de l’article 127 du même Code de l’information qui stipule que "si l’inculpé est domicilié au Burkina Faso, il ne pourra être préventivement arrêté".

Le Procureur du Faso, à l’époque, était Dramane Yaméogo et le président du Tribunal le sieur Jérôme Traoré. Le 14 août 1995, Ernest Nongma Ouédraogo était condamné à 6 mois fermes. Jugement confirmé en appel sous la présidence de Millogo Dé Albert.

En janvier 1998, la presse annonce la mort de David Ouédraogo dans les locaux du Conseil. Le Procureur du Faso, informé, ne daigne même pas ordonner l’ouverture d’une enquête préliminaire. Rien ! Inertie également du Procureur général, Kam Gberdao Gustave, qui a pouvoir d’instruction sur le Procureur du Faso, article 36 du Code de procédure pénale.

Silence du ministre de la Justice qui a lui aussi pouvoir d’injonction pour l’engagement de poursuites. Il faudra le courage et le désespoir d’Arthur Ouédraogo, frère de David, pour déposer plainte avec constitution de partie civile pour que la justice soit enfin saisie. Ainsi, tous ceux-là qui, dans un Etat de droit, ont pour attributions de mettre la justice en branle, le Procureur du Faso, le Procureur général, le ministre de la Justice, n’ont pas fait leur travail. "Le mort du Conseil, immanquablement, engageait la responsabilité d’éléments de la garde présidentielle et du donneur d’ordre. "Le cerveau qui a pensé, la main qui a exécuté" disent les Italiens.

Le lieu de féliciter le directeur du journal "Le Pays"

Il a été dit maintes fois que c’est le dossier qui conduit le juge d’instruction. Peut-on nous expliquer comment se fait-il que ceux-là qui ont couvert le crime en laissant faire, puis en se taisant, et ceux-là qui ont essayé de l’étouffer en faisant dresser un procès-verbal affirmant que David était mort à la gendarmerie n’étaient pas présents à la barre lors du jugement de l’adjudant Kafando Marcel et autres ?

Vint l’affaire des poursuites contre les dirigeants du Collectif contre l’impunité. En prévision des manifestations commémoratives du 13 décembre 1999, le Collectif, à travers une déclaration avait lancé un appel à l’ensemble des forces armées et de sécurité pour :

- garantir la sécurité des manifestants,

- défendre la liberté de manifestation,

- jouer effectivement leur rôle d’armée républicaine.

Dans un premier temps, le Directeur de publication du journal "Le Pays" fut convoqué à la Sûreté et contraint à des va-et-vient. Il fallait l’effrayer et lui faire passer l’envie de publier dorénavant les déclarations du Collectif.

C’est le lieu de féliciter en toute sincérité Boureima Jérémie Sigué pour l’argumentaire de sa défense à l’époque. Le Procureur du Faso prit le relais en engageant des poursuites contre le bureau du Collectif pour "démoralisation de l’armée en temps de paix et appel à la dissidence."

Le 27 décembre 1999, le procès s’ouvrait avec plus de quarante avocats pour la défense des dirigeants du Collectif. Première surprise, le Procureur du Faso, celui-là même qui avait engagé les poursuites et fixé la date de l’audience, demande le renvoi pour complément d’informations. Protestations des avocats de la défense. Deuxième surprise, le Procureur termine ses réquisitions sans demander une quelconque condamnation et de soutenir, sans honte aucune, qu’il s’agit d’un procès aux fins d’éducation et de sensibilisation.

Le Tribunal correctionnel serait une structure d’éducation et de sensibilisation que cela se saurait. Il convient pour une bonne lecture des faits de rappeler que dans le rôle du Procureur du Faso, il y avait Traoré Malobaly Alphonse.

Tranchant en âme et conscience, le président du tribunal, avait annulé la procédure pour vice de forme car suivant l’article 117 du Code de l’information, l’auteur principal d’un délit de presse n’est pas l’auteur de l’article en cause mais le directeur de publication. Il faut croire que le juge qui a condamné Ernest Nongma Ouédraogo ne connaissait pas cet article-là. Et pourtant c’était la même loi n°93-56/93/ADP du 30 décembre 1993 portant Code de l’information qui avait été visée.

Diversion et manipulation

En novembre 2000, faisant écho à la recommandation du Collège de sages sur la nécessité de donner une suite judiciaire aux crimes économiques et de sang, le Parquet général fait inscrire l’affaire des élèves de Garango au rôle des assises de décembre 2000. Pure manipulation, puisque ce ne sont pas ces affaires-là qui étaient indexées par le Collège de sages. Très vite l’affaire tourne au fiasco. Les débats à l’audience montrent qu’il n’a pas été fait un croquis des lieux, le B.A-BA en la matière, qu’il n’y a pas eu une expertise balistique des balles qui ont tué ni de celles extraites de la jambe d’un élève blessé et qu’il n’y a eu aucune confrontation au cours de ce qu’il faut appeler quand même instruction. Pouvait-il en être autrement quand on sait qu’à l’époque des faits, des autorités et pas des moindres ont soutenu que "les élèves se sont attaqués à une caserne." Le 6 de ce même mois de décembre où se déroulaient les assises, Nébié Flavien était abattu à Boussé par balle, gendarmes et policiers soutenant mordicus qu’il n’ y a pas eu usage d’armes à feu.

Quelques jours plus tard, Nama Bitiou Germain et Newton Ahmed Barry en déplacement extrayaient d’un tronc d’arbre une balle sur le lieu des affrontements. Preuve matérielle et formelle qu’il y avait eu tirs à balles réelles sur les enfants. Ils seront interpellés au motif que cela ne relève pas de leurs compétences. Depuis, c’est tintin pour le dossier Nébié Flavien. Il ne faut pas risquer de fâcher les agents de la force publique car après on ne pourrait plus compter sur eux pour mater à tout va. Les baïonnettes intelligentes, on n’en veut pas.

L’affaire Thomas Sankara

Le sommet de cette instrumentalisation de la justice sera atteint avec les affaires Thomas Sankara et Norbert Zongo. L’affaire Thomas Sankara est de celles qui font perdre son latin à tout bon juriste. Sans qu’il soit besoin de faire la genèse de l’affaire, l’arrêt de cassation ayant déclaré les juridictions ordinaires incompétentes, invitait les parties à se pourvoir autrement. C’est-à-dire saisir la justice militaire. Or, il se trouve que dans le droit burkinabè un justiciable ne peut pas saisir directement la justice militaire. Il doit passer nécessairement par le Procureur du Faso qui est le seul à pouvoir demander au ministre de la Défense de délivrer l’ordre de poursuites. Le procureur a refusé de saisir le ministre de la Défense au motif que le dossier était prescrit. C’est ainsi que l’affaire fut portée devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies.

Subséquemment, le Comité dans son avis émettait des recommandations dont la publication de l’avis, la lumière sur la mort de Thomas Sankara et l’indemnisation de la famille.

Curieusement le Procureur du Faso n’a retenu que l’indemnisation de la famille. D’argent vous en aurez. De justice point. Exactement comme après la Journée nationale de pardon.

Comment peut-on demander à des justiciables, dans un Etat qui se veut de droit, de choisir entre la Justice et l’argent ?

Le non-lieu, une suite logique

C’est de cette perte de sens que découle l’ordonnance de non-lieu rendue dans l’affaire Norbert Zongo. Des jalons avaient été posés qui devaient aboutir à cette ordonnance par procuration prise à la requête du Procureur du Faso. En effet, la veille de la remise du rapport de la Commission d’enquête indépendante, deux commissaires représentant l’Etat ont refusé de signer le procès-verbal d’adoption. Ce sont le magistrat Somda Jean Emile et le capitaine de Gendarmerie Traoré Hermann.

Par la suite, alors qu’il y avait des suspects identifiés et dénommés, le Procureur avait requis contre X. Plus tard le juge inculpait l’adjudant Marcel Kafando. Aujourd’hui, on dit que le doute doit profiter à l’accusé. Devrait-on en même temps déposer le dossier au greffe dans l’attente aléatoire et hypothétique de faits nouveaux quand on sait que le crime de Sapouy n’est pas le fait d’une seule personne ?

- Comme par hasard, on constate que certains acteurs de ces affaires politico juridiques ont connu des promotions-ascenseurs.

- Ainsi, Yaméogo Dramane est aujourd’hui notre ambassadeur à Abuja au Nigéria. Kam Gberdao Gustave a été nommé, par les bons soins du Burkina Faso, juge au Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, en Tanzanie. Somda Jean Emile a été nommé successivement ministre, conseiller au Conseil constitutionnel puis juge à la Cour africaine des droits de l’Homme. Traoré Jérôme vient de remplacer Malobaly Alphonse Traoré au Secrétariat général du ministère de la Justice ; lequel Malobaly Alphonse Traoré préside désormais aux destinées de la Haute autorité de coordination de la lutte contre la corruption. Millogo Dé Albert sera successivement ministre de la Fonction publique, puis ministre de la Défense. De là à penser que..., il n’y a qu’un pas que la Ligue pour la défense de la liberté de la presse ne franchira pas.

Un sursaut moral

Jusqu’au 16 août la Ligue pour la défense de la liberté de la presse avait espéré, certes, sans grand espoir, que la justice se rattraperait.

Aujourd’hui parce qu’il s’agit d’une décision de justice, il faut, plus qu’une mobilisation de masse, un sursaut moral.

C’est pourquoi :

- la Ligue pour la défense de la liberté de la presse appelle les autorités coutumières et religieuses, gardiennes des valeurs morales et spirituelles à prendre la parole ;

- la Ligue pour la défense de la liberté de la presse interpelle les femmes et les hommes de bonne volonté de ne pas continuer à se taire ;

- la Ligue pour la défense de la liberté de la presse rappelle que le proverbe moaga selon lequel "le pouvoir n’est bon que par l’arbitraire qu’il permet" n’a pas droit de cité dans une République ;

- la Ligue pour la défense de la liberté de la presse note le silence des partenaires au développement et les accuse de non-assistance à nation en péril ;

- aux magistrats acquis, il vous souviendra que la justice est rendue au nom du peuple.

- enfin la Ligue pour la défense de la liberté de la presse salue l’initiative des femmes en noir qui indiquent ainsi la voie à suivre.

La Ligue pour la défense de la liberté de la presse reste convaincue que les assassins ne l’emporteront pas au paradis, que tôt ou tard, ils devront s’expliquer comme avant eux :

- les criminels nazis

- les tortionnaires argentins

- Pinochet au Chili

- Charles Taylor au Libéria

- Et bientôt Hissein Habré au Tchad, etc.

La roue de la fortune tourne et le jour viendra."

Le Bureau exécutif national

Le Pays

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