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Les Burkinabè et le crédit : La traque de l’argent frais

Publié le vendredi 25 août 2006 à 07h22min

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Avec des "perdiems" comme salaires, comment la grande majorité des Burkinabè arrive-t-elle à joindre les deux bouts ? Le boom des institutions de micro-finance aidant, le crédit est désormais à portée de main. Intrusion dans quelques ménages ouagalais où le crédit est devenu l’arme absolue pour survivre.

Les revenus des gens, aujourd’hui, ne leur permettent pas de consommer, à plus forte raison épargner. Tel est le constat fait par le directeur d’un établissement financier de la place. Dès lors le crédit est devenu le compagnon de survie de beaucoup de salariés et de petits entrepreneurs.

Asséta N. est secrétaire dans une grande institution de la place. Le crédit, ça la connaît. Tout en tapant sur son clavier, elle raconte : " Sans crédit, on ne peut rien faire au Burkina Faso ; le salaire est trop petit. En plus du crédit que j’ai contracté avec ma banque, j’ai dû prendre un autre dans une institution de micro crédit (PRODIA) pour faire du petit commerce à côté". Elle vit donc avec deux crédits. Le premier lui a permis de s’acheter une moto. Quand on lui demande s’il lui reste quelque chose à la fin du mois pour vivre, elle rétorque : "A Ouaga, on ne vit pas, on survit. Le second crédit que j’ai contracté me permet de faire du petit commerce. J’achète et vend à tempérament vêtements, chaussures et articles divers ; ce qui fait que je suis rarement à court d’argent pour résoudre mes petits soucis de famille".

Souleymane Traoré, enseignant en province, lui, n’a pas eu ce privilège des deux crédits. Lorsqu’il s’est présenté devant son agent de crédit pour un "prêt scolaire" à la rentrée 2005-2006, ce dernier a refusé. Motif : quotité cessible entamée. Pourtant, le professeur aurait voulu que le banquier fermât les yeux et lui octroyât le crédit. Il avait tant besoin "d’argent frais", peu lui importait ce que la banque allait lui "couper" après. L’enseignant a oublié que l’octroi du crédit est réglementé. La règle, selon Séraphin Bonébo, directeur de la Caisse populaire Songtaaba, membre de l’Union régionale des caisses populaires du Plateau central, "est de laisser au moins 30% de son salaire à l’intéressé pour vivre". Le montant du remboursement, ajoute-t-il, est fonction du revenu du client.

Soif de crédit

Le crédit n’a jamais été aussi à la mode avec le développement des institutions de micro-finance. Parmi les plus connues, le Réseau national des caisses populaires, la Caisse des producteurs, PRODIA. Les Burkinabè courent après le crédit. Un phénomène lié quelquefois au besoin de liquidités pour résoudre tel ou tel problème familial urgent.

A la Caisse populaire, une panoplie de produits est proposée aux clients parmi lesquels les "prêts sociaux" pour fêter un baptême ou pour des raisons de santé. Parmi ces prêts dits sociaux, l’avance sur salaire pratiquée par la plupart des banques et institutions de crédit. Les conditions de ces prêts sont généralement plus souples. Il suffit d’être salarié et de disposer d’un compte dans l’institution. Une demande écrite ou un certificat médical suffit pour un prêt qui ne dépassera pas une année.

Dans ce type de crédit, on peut loger les prêts scolaires. Ils sont rares les salariés qui n’y ont pas recours et qui en abusent parfois. Kouka Kaboré, instituteur en province, en a abusé pendant un temps : "Il y a quelques années, je prenais les prêts scolaires juste parce que j’avais besoin de sous pour résoudre d’autres problèmes sociaux. Cette année par contre, j’en ai pris pour régler la scolarité de mon fils qui est en âge d’aller à l’école."

Le crédit est quelque chose de sérieux. C’est un moyen de réaliser des projets personnels. Il y a deux ans, M. Ki, employé dans une ONG, a profité d’un "crédit pèlerinage" pour payer le voyage à la Mecque. Il vient de solder la dernière traite et s’apprête à prendre un autre crédit pour offrir une moto à sa femme.

Mme Congo, employée dans une maison d’édition de la place, est une partisane du crédit utile : "Il ne faut pas prendre un crédit pour un crédit. Il faut le prendre pour investir. Je ne me vois pas en train de prendre un crédit pour acheter des habits, la sape par exemple". Et de raconter son expérience du crédit :"Depuis que je travaille (6 ans aujourd’hui) j’ai pris deux crédits. La première fois, j’ai acheté une moto que j’ai remboursée pendant 3 ans. Actuellement, j’en ai pris un autre, mais cette fois, c’est pour construire. Je n’ai pas eu de problème. J’ai juste eu besoin de légaliser certains papiers et de produire un engagement de virement de salaire de mon employeur."

A propos d’employeurs, ils sont l’une des premières garanties des salariés quand ceux-ci entreprennent les procédures pour un prêt. Le premier sésame est la fameuse attestation de virement irrévocable de salaire. C’est un engagement certifié par l’autorité qui oblige l’employeur à virer le salaire de l’agent dans son compte, tant que celui-ci est débiteur de la banque. L’employeur est également tenu d’informer la banque ou la Caisse en cas de rupture de contrat ou de licenciement . Dans ce dernier cas, l’employeur doit verser les droits et indemnités dans le compte du débiteur afin que l’institution de crédit puisse solder le crédit. C’est sa seule obligation.

Cheick Eric Zoma, chef du service administratif et du personnel à l’ONEA, est catégorique : "Le virement est irrévocable. L’entreprise est tenue d’avoir les copies des engagements à son niveau. Si demain, pour une raison ou une autre, l’agent n’est plus avec nous, nous sommes tenus d’informer sa structure financière que nous ne sommes plus en mesure de virer son salaire."

Du bon usage du crédit

Du côté des banquiers, on estime que le bon usage du crédit est de la responsabilité du client ; c’est lui qui rembourse. Une dame qui a préféré garder l’anonymat, dit avoir tenté d’acquérir sa moto Yamaha à l’ONEA en la rachetant à un agent dudit service à l’occasion du crédit interne organisé par la Mutuelle des travailleurs. Par cette entremise, elle se doterait ainsi d’une moto à moindre coût. Le besoin d’argent frais est à l’origine de ce type de transaction qu’on observe également aux alentours des trois majors du crédit-équipement que sont la FIB (Financière du Burkina), SBE (Société burkinabè d’équipement) et la SOBCA (Société burkinabè du crédit automobile).(voir encadré 3).

Certains agents ont trouvé-là un moyen pour résoudre leurs problèmes d’argent. Ils prennent des équipements au niveau de l’entreprise et les revendent à des particuliers. La transaction ici se fait cash. Mme Sawadogo, employée dans une entreprise de la place, a acheté sa moto Yamaha par ce circuit. Sur le marché, le prix de la moto se négocie autour d’un million deux cent mille F CFA. Elle l’a achetée à moins d’un million. L’employé qui lui a vendu cette moto se verra prélever le montant de 1,2 million plus les intérêts. Ce même système existe devant les institutions de crédit qui ont pignon sur rue, telles la FIB, la SOBCA et la SBE. Apparemment, il fait des heureux.

Montrer patte blanche

Boureima Dembélé, vice-président de la mutuelle des travailleurs de l’ONEA, reconnaît que certains agents placent les équipements qu’ils acquièrent à crédit pour avoir de l’argent frais à la place. Ces agissements n’engagent que leurs auteurs selon lui. Ce qui compte, selon Seydou Tapsoba, agent de crédit à la Caisse populaire de Sin-yiri, c’est le remboursement effectif du crédit : "Nous nous assurons, quel que soit le type de crédit octroyé, que le client est solvable". D’où l’exigence de toutes sortes de garanties.

Parmi les assurances exigées par les banques et les institutions de financement du crédit, une garantie couvrant le principal du prêt ou la caution solidaire, appelée encore aval. A ce niveau, c’est souvent la croix et la bannière pour certaines personnes. C’est une question de confiance, compliquée par le fait que les gens veulent rester discrets sur leur endettement. Séraphin Bonébo, directeur de la Caisse Songtaaba confirme la difficulté pour certains clients de s’en procurer : "Effectivement, il y a des cas où certains de nos clients ont eu du mal à trouver des avals. C’est un peu de leur faute parce que certains ne veulent pas faire savoir qu’ils ont un crédit ou carrément, ils ne sont pas sérieux et personne ne veut se risquer à les avaliser".

Caractéristiques d’un bon aval

Abdoulaye Tapsoba raconte qu’un de ses amis commerçants lui avait demandé de le cautionner pour un crédit. Il dit avoir refusé parce qu’il doutait de la rentabilité de l’opération à financer. En fait, il s’agit de trouver la personne crédible financièrement pour garantir le prêt. Voici les caractéristiques d’un bon aval selon le directeur de la Caisse Songtaaba : "Un bon aval doit être en mesure de rembourser le principal du crédit du débiteur. Nous évaluons les capacités financières de l’aval avant de l’accepter. Mais il arrive qu’on rejette certains dossiers d’aval parce que ne constituant pas une garantie sérieuse. Mais en fait, l’aval, au-delà de sa capacité financière, doit être une personne influente auprès du débiteur. Souvent, les clients peuvent rembourser, mais il y en a qui traînent les pieds, ou qui sont de mauvaise volonté."

L’aval ne suffit plus

Mais, il faut reconnaître que l’aval ou la caution ne suffit pas toujours. Les institutions multiplient toutes sortes de garanties pour sécuriser les crédits qu’elles octroient au public. D’après Seydou Tapsoba, agent de crédit à la Caisse populaire de Sin-yiri, des dispositions sont prises en interne, au niveau de leur structure, pour sécuriser les crédits. Ainsi, pour tout demandeur, une souscription au régime de prévoyance crédit est demandée. Cette souscription remplace une autre forme de sécurisation du crédit, le Fonds mutuel. Il couvre le débiteur en cas de décès ou d’invalidité. Son taux dans le réseau de la Caisse est de 0,075% du montant du crédit multiplié par le nombre de mois du crédit. Dans les banques de la place, tout dossier de crédit est désormais assorti d’une assurance. A la mutuelle de l’ONEA, un des responsables a reconnu que le taux proposé tiendrait compte de ce paramètre. Toutes ces précautions sont des frais supplémentaires pour celui qui veut un prêt. Mais les clients ont-ils vraiment le choix ?

Cependant, à la Caisse populaire le crédit est toujours accompagné d’un plan épargne obligatoire. Une sorte d’épargne forcée que le client recouvre au terme du dernier paiement. Tout cela nécessite un effort financier supplémentaire de la part du débiteur.

L’heure de vérité

Une chose est d’avoir un crédit, une autre est de le rembourser. Après avoir passé le filtre de la paperasserie, le crédit est octroyé au client qui peut en jouir. Commence alors une longue relation avec la structure financière : le paiement des traites et la saisie par huissier si cela se passe mal. Tout retard devient alors une alerte pour les services de recouvrement. S’ensuivent les relances écrites, et les visites clients pour s’enquérir des raisons des difficultés de paiement. A PRODIA, où le financement des micro-entrepreneurs est l’activité principale, des équipes terrain essaient d’apporter un minimum d’appui en matière de gestion afin d’assurer la réussite de l’activité. Avec ce système, son directeur, Mamadou Ouédraogo, avoue :" Les remboursements se passent bien en général, mais nous ne sommes pas une structure qui fait un taux de remboursements à 100% ; il y a des impayés certes et nous avons un système pour recouvrer les sommes compromises, avec l’appui d’un huissier".

Pour M. Ouédraogo, s’il y a des impayés, ils sont dus à des cas de faillite dans lesquels les gens n’ont pas bien maîtrisé leur affaire ou l’ont confiée à quelqu’un d’autre. Il affirme qu’il n’y a pas de cas de personnes mal intentionnées qui ont monté des dossiers de crédit pour ensuite disparaître avec l’argent dans la nature.

Le directeur de la Caisse de Songtaaba, Séraphin Bonébo, est sur la même longueur d’ondes que son collègue de PRODIA : "Le taux d’impayés zéro n’existe pas : Nous travaillons à minimiser les risques. Le crédit est lié à la personne humaine. Et chaque jour que Dieu fait, les gens vivent des problèmes. Si ces problèmes ont un lien avec les finances chez nos clients, nous le ressentons parce que les échéances ne sont pas respectées. L’environnement aujourd’hui est marqué par des difficultés de paiement liées essentiellement aux salariés et à certaines entreprises du secteur privé.

A ce niveau, si ce n’est pas l’employé qui a été licencié, c’est l’entreprise qui est en faillite et les revenus ne sont plus disponibles. La plus grosse part des impayés provient de ces cas."

Des cas de clients malhonnêtes, la Caisse populaire en a connus à ses débuts. Le directeur de la Caisse Songtaaba déclare que de petits malins passaient de caisse en caisse pour prendre des crédits, même si c’étaient des cas rares : "Des gens se sont retrouvés avec deux crédits. Cela était dû à notre système qui était manuel. Aujourd’hui, avec l’informatisation de notre réseau, ces cas de figure sont pratiquement impossibles. Les demandeurs de crédits sont maintenant tenus de présenter des attestations de non engagement dans leurs dossiers. Cela est quelquefois contraignant pour le client. Mais, il ne faut pas oublier que nous travaillons avec l’épargne des autres."


Bibiane Compaoré, consommatrice de crédits

Bibiane Compaoré est une femme parmi tant d’autres. Une mère de famille qui cherche à assurer la pitance quotidienne de sa progéniture et soutenir son mari dans une ville où la débrouille est devenue un mot d’ordre de survie. Grande de taille et forte, elle devise tranquillement avec ses employés, lorsque nous débarquons à son magasin ou plutôt à sa micro-entreprise. Elle est commerçante grossiste de bananes.

Réticente au départ, dame Compaoré accède finalement à notre demande d’entretien. Le temps d’ajuster son foulard et de nous offrir deux chaises. Apparemment, elle a plus peur du photographe qui n’arrêtait pas de la prendre en photo sous divers angles.

La trentaine passée, Bibiane Compaoré possède aujourd’hui deux magasins de conditionnement de bananes. Ces deux magasins sont situés à Tampouy, quartier situé au nord de la ville de Ouagadougou. Elle emploie cinq personnes, tous des hommes. C’est le résultat de cinq années de dur labeur dans un secteur en pleine expansion au Burkina Faso : les fruits et légumes.

Sa réussite, elle la doit au « soutien » de la structure de crédit PRODIA (Promotion du developpement industriel, artisanal et agricole). Elle explique : « Dans ce travail , il faut de l’argent frais. J’ai pris près de quatre crédits auprès de PRODIA pour réaliser ce que vous voyez aujourd’hui. Ce que je voulais, c’est d’avoir plus d’argent. Mon souhait, c’est d’ouvrir un troisième magasin. J’ai beaucoup de clients qui sont prêts à me livrer de la banane verte. Mais faute d’infrastructures, je ne peux pas m’engager."

Elle a débuté par la vente au détail, raconte-t-elle. Ensuite, elle a découvert PRODIA. C’est ainsi que les crédits se sont succédé. Un premier crédit puis un autre. Aujourd’hui, elle en est à quatre et le montant des crédits est allé croissant : "Aujourd’hui, je suis grossiste. Je livre à des clientes demi-grossistes. Certaines prennent à crédit et paient tous les quatre jours ».

Les crédits, elle en redemande :"Maintenant, c’est moi qui suis de plus en plus gourmande de crédits parce que j’ai des commandes que je ne peux pas honorer faute d’argent frais. Ma dernière grosse commande vient du Niger. Mais faute de moyens financiers, je vais y renoncer ». En effet, sa dernière tentative de prêt a échoué à PRODIA. Elle éprouve des difficultés à trouver un bon aval :"La dernière fois, on m’a dit que mon aval n’était pas ça (crédible)", lâche-t-elle un peu découragée.

Son conseil à ses soeurs : il faut être sérieuse, payer les traites à temps pour garder la confiance de son banquier.


Histoires de crédits

*Profession : racheteurs de crédits

Les banques burkinabè se livrent actuellement à une forme de concurrence qui ne dit pas son nom. La tactique consiste à repérer des clients d’une autre banque ou institution, et de leur proposer le rachat de leur crédit à la condition qu’ils domicilient leur compte chez elles. Ces propositions qui sont très avantageuses pour les clients endettés commencent à faire de l’effet. Désormais, il y a des candidats qui frappent aux portes de certaines banques pour faire racheter leurs crédits. Nous avons rencontré une personne qui a reconnu avoir changé de banque pour bénéficier du rachat de son crédit en cours, et dont le montant s’élevait à environ 500 mille francs CFA.

*Les tontines ou le crédit-épargne informel

Qui n’a pas connu la tontine ? Au service, au quartier ou entre copains, on se cotise par mois et on remet à un des membres. Le cycle continue jusqu’à ce que chaque membre de la tontine ait touché sa part. Une sorte d’anticipation à l’épargne doublée d’un esprit de solidarité.

*Crédit boisson

Un instituteur nous a rapporté cette anecdote : "Un retraité a pris un frigo à crédit dans une institution de crédit (SBE). Il est ensuite allé gager le frigo chez une tenancière afin de pouvoir boire régulièrement jusqu’à concurrence du montant du frigo". Alcool quand tu nous tiens.

Les vertus de la mutualité

A l’ONEA, bien que l’entreprise prenne en charge les frais d’hospitalisation, les agents ont droit à un prêt maladie consenti par la mutuelle. Ces prêts se sont révélés un appoint indispensable pour ceux des agents qui ont besoin d’argent pour aller se soigner au village ou dans les pays voisins.

Par Abdoulaye TAO

Le Pays

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