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Médias privés : Les victimes d’une injustice légitimée

Publié le vendredi 18 août 2006 à 07h26min

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Au Burkina, d’où vient cette insidieuse et caricaturale manière de vouloir coûte que coûte distinguer médias de services publics et médias privés ? Curieuse et imaginaire ligne Maginot qui ne correspond pas à la réalité sur le terrain, tant les frontières de l’information sont poreuses, et tant il est avéré que nous sommes censés chasser le même fauve sur les mêmes terres.

Le reste dépend de ce que chacun fait de son gibier, un bouillon indigeste, amer ou succulent parce que répondant au désir du client. Il n’y aurait rien à dire si cette démarcation n’était pas mécaniquement et subjectivement magnifiée et inoculée par des professionnels (?) du métier dans l’inconscient collectif des lecteurs, des téléspectateurs et des auditeurs qui ne prennent pas toujours la mesure des mille et une difficultés de la presse privée.

Qui est en fait média de service public et qui ne l’est pas ? Dans le contexte du Burkina, n’est-ce pas un abus de langage ? On ne saurait laisser de côté ces questions quant au choix de l’appellation médias de service public. On pourrait même éternellement disserter sur cette notion. Disons tout simplement que, quelle que soit leur appellation, tous les médias participent au renforcement de la démocratie dans notre pays.

Parler de médias de services publics, par opposition à médias privés, c’est insinuer que ces derniers travaillent contre le public, dans le pire des cas, et, dans le meilleur des cas, se détournent des préoccupations de ce public. Or, en toute humilité, ils font généralement même plus que ceux qui ont tendance à s’arroger le titre de défenseurs exclusifs des intérêts du public.

Vouloir ranger d’un côté médias de services publics et médias privés en ce que les premiers seraient au service du public et les seconds à la solde d’on ne sait quelles chapelles est, à notre sens, une insulte à l’intelligence des citoyens, qui ne sont plus dupes car ayant tourné le dos aux éloges et à la glorification de la pensée unique. Au Burkina, où rares sont les études d’audimat ou de lectorat, il est tentant de s’attribuer tout seul le dossard ou le maillot jaune d’apôtre de celui qui sert le mieux les intérêts du public. En fait, cette manière de ne pas appeler un chat un chat ne traduit-elle pas une volonté délibérée de couper l’arbre qui permet d’atteindre la forêt ?

Il est un fait établi que se parer du manteau de médias de services publics est la voie royale et facile pour servir le pouvoir tout en feignant de servir le public.

L’appellation médias de services publics ne permet-elle pas tout simplement de s’attirer les largesses matérielles, humaines, financières, logistiques et technologiques de l’Etat, et la la relative compassion du public ? On sait qu’en Afrique comme ailleurs les citoyens n’ont pas toujours confiance en l’Etat, le suspectant de distiller des contrevérités en cachant la vérité, toujours dérangeante aux yeux des dignitaires qui se refusent à croire que l’information peut servir de rempart à leurs propres erreurs, que tout homme est appelé à commettre.

On comprend alors, sans pour autant le défendre, le refus de certains du qualificatif médias d’Etat, qui se confond en Afrique, en réalité, à médias au service du parti au pouvoir. Sous nos tropiques, en effet, Etat et parti au pouvoir sont comme blanc bonnet et bonnet blanc.

Le concept de médias de services publics permet à ses géniteurs de se donner bonne conscience, se disant qu’ils font oeuvre utile en aidant à faire entendre la voix des citoyens, et à la presse dite de service public de justifier la bienveillante attention de l’Etat à son égard.

Certes, l’on rétorquera que l’Etat, ayant compris le lien dialectique entre la démocratie et la liberté de la presse, octroie, chaque année, une subvention à la presse privée. Celle-ci, pas ingrate, ne peut que saluer une telle initiative. Encore qu’il n’est pas rare d’entendre des responsables dire publiquement ne pas supporter d’être critiqués par la presse privée alors qu’elle bénéficie du fruit de leur générosité. Preuve encore une fois que beaucoup confondent les ressources de l’Etat, qui appartiennent au contribuable et doivent être au service du contribuable, avec leur patrimoine privé.

Fort heureusement, dans leurs rangs, on rencontre des femmes et des hommes qui pensent autrement, sinon on enverrait la presse privée à la guillotine. N’en déplaise à ceux qui se bandent les yeux, la presse privée remplit ses obligations fiscales (très énormes, compte tenu de ses difficultés dans un contexte de cherté des produits qui interviennent dans la fabrication d’un journal), contribue à la résorption du chômage (toute chose qui participe de la réduction des tensions sociales) alors qu’elle subit la concurrence déloyale de la presse d’Etat, blanchie et nourrie par les pouvoirs publics. Suprême injustice faite à la presse privée, combien de fois des titres ont été suscités et supportés à bras le corps par l’Etat pour faire ombrage à la presse privée ?

On ne saurait occulter cette énorme masse de publicité que l’Administration publique est sommée d’adresser prioritairement aux médias d’Etat. Il en est de même des abonnements obligatoires aux médias d’Etat, et auxquels doivent souscrire tous les services de l’Etat.

Une autre incohérence, et non des moindres, concerne la formation, base de tout travail de qualité. Les journalistes formés dans les écoles de l’Etat sont purement et simplement injectés dans les médias d’Etat à la fin de leur cycle. Rien pour la presse privée qui contribue pourtant, dans la phase pratique de cette formation, à fournir aux jeunes journalistes qu’elle reçoit dans les rédactions leurs premières armes avant le combat dans les médias d’Etat. D’une manière ou d’une autre, l’on a le sentiment d’une volonté délibérée d’étouffer et d’éreinter la presse privée. A moins que d’autres gestes concrets viennent infirmer ce sentiment, il faut dire qu’on a suffisamment entendu cette inflation de beaux discours lénifiants sur la nécessaire pluralité de la presse.

Mais, la presse privée ne s’en plaint pas outre mesure, consciente de sa noble mission jalonnée d’épines.

Seulement, nous disons que dans un Etat idéalement démocratique, il y a de la place pour chaque média. A condition que chacun joue son rôle sans vouloir jeter l’anathème sur l’autre, et que l’Etat se montre équitable vis-à-vis de chacun.

"Le Fou"

Le Pays

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