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Dialogue intertogolais : Les inconnues de l’équation Compaoré

Publié le jeudi 17 août 2006 à 08h06min

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Les Togolais se sont retrouvés à Ouaga pour trouver une solution à la crise que traverse depuis longtemps leur pays. Le président Blaise Compaoré joue les médiateurs pour amener les fils et filles de l’ex-"Suisse de l’Afrique" à la reconciliation. Pour Dany Komler Ayida, chercheur togolais, le plus difficile est à venir car rien ne garantit une mise en oeuvre sans accrocs des engagements qui seront pris à Ouaga.

Le médiateur Blaise Compaoré s’apprête à proposer à la classe politique togolaise deux accords devant mettre fin à une des crises politiques les plus vieilles et les plus pernicieuses de ces 16 dernières années en Afrique. En effet sans être en proie à des violences armées comme en Côte d’Ivoire ou en RDC, le Togo fait face depuis 1990 à une transition démocratique bloquée faite d’élections truquées, de brutalités et tueries militaires contre des militants de l’opposition et de mise en quarantaine du pays par la communauté internationale.

Le présent dialogue politique se présente donc comme une occasion exceptionnelle pour les Togolais de renouer avec la normalité. Et c’est là où les choses deviennent compliquées. Car au-delà d’un compromis qui satisfasse aux desiderata d’une classe politique passablement éreintée et prête à tout pour survivre, c’est avec les aspirations démocratiques actuelles du Togo qu’on joue.

La bonne humeur affichée samedi par Gilchrist Olympio au sortir de son audience avec Blaise Compaoré en dit long sur les sentiments intérieurs de ce vieil adversaire de la dictature au Togo. Car au-delà de toute chose, le leader de l’Union des Forces de changement venait d’obtenir confirmation d’une suprématie qu’il a toujours revendiquée. L’UFC, sauf dernier changement devra désigner le Premier ministre d’un gouvernement d’union et de transition chargé d’organiser des élections législatives et municipales. On parle même déjà de Patrick Lawson le vice-président du parti pour succéder à Edem Kodjo. Cette « victoire » comme n’hésitent pas à la présenter certains de ses proches, entraîne de facto la déception voire le désarroi dans les camps des autres leaders politiques togolais.

Car qu’on se le dise, en allant à Ouaga et en brandissant mille et un points de désaccords, la plupart de ces politiciens n’avaient d’yeux que pour la primature. Cette ambition au rabais des opposants togolais n’est d’ailleurs que l’effet visible de l’appât dont se sert le jeune Faure Gnassingbé pour amadouer ces hommes qui avaient pendant près de quarante années troublé les sommeils de son feu père Gnassingbé Eyadema. Chacun croyait son heure venue d’accéder à l’antichambre de la haute fonction d’Etat, à défaut de devenir le chef suprême. Léopold Gnininvi de la CDPA, Yaovi Agboyibo du CAR et l’actuel Premier ministre Edem Kodjo de la CPP seront les recalés des auditions de Ouaga.

Un gouvernement RPT-UFC avec d’autres formations politiques du Togo : ce coup de maître en voie de réussite par le président du Faso recevrait la bénédiction d’autres responsables africains dont Obasanjo du Nigéria, Bongo du Gabon et Konaré de la Commission de l’UA. Ils avaient déjà tenté en avril 2005 d’imposer un tel attelage à la suite des violences électorales ayant fait plus de mille morts selon les organisations de défense des droits de l’homme, près de la moitié selon une commission d’enquête internationale ONU-UA. Un an après, réchauffée et resservie dans de nouvelles conditions, cette solution politique semble satisfaire quelques-uns tout en faisant peser certains doutes chez les démocrates togolais.

Derrière l’hypothétique dégel

On tend irrémédiablement vers une recomposition de la classe politique au Togo avec ce qui est déjà considéré dans certains milieux comme un « ralliement » de l’UFC au pouvoir. Les contestations les plus sérieuses viendront d’un front réunissant de nombreux activistes de la société civile avec des vétérans de l’opposition togolaise non partisane en exil. Un des ténors de ce courant, l’avocat Robert A. Dovi, vient d’ailleurs de rentrer au Togo après 14 années d’exil.

Cet ancien bâtonnier et ancien président de la Commission nationale des droits de l’homme du Togo est considéré par des responsables de la société civile togolaise comme « l’homme neutre qui pourrait départager les ambitions affichées par les protagonistes traditionnels ». Lecture d’ailleurs partagée par certaines chancelleries à Lomé mais qui n’a pas su convaincre, au profit d’autres calculs supposés pragmatiques au vu des enjeux de positionnement que cela implique.

Ce qui est déjà évident c’est que le futur accord de Ouaga ne sera pas célébré par tous les Togolais comme objet notable d’un quelconque changement. Tout d’abord parce que cet « agreement » a un goût de deal qui rendra les Togolais plus sceptiques et soupçonneux envers les deux partis dominateurs, le RPT et l’UFC. Ensuite parce qu’il va entraîner de nouvelles adversités y compris de nouvelles alliances pour remettre en cause l’hégémonie du parti de Gilchrist Olympio. Enfin parce que le RPT en acceptant cette cohabitation est loin de céder aux réformes de fond indispensables à un vrai changement démocratique dans ce pays.

Déjà on voit à Lomé des partis politiques appendices du pouvoir contester le principe même de réforme des forces armées. Or cette armée est au cœur de tous les problèmes politiques et devrait être le focus de toute la thérapie. Cependant on n’a vu aucun des responsables à Ouaga et la réforme consignée sur papier n’est pas nécessairement acceptée par la vieille garde du RPT qui rêve à de nouvelles entourloupes pour conserver le pouvoir, comme à la suite de la mort d’Eyadema en février 2005.

La plus grande inconnue après Ouaga, ce sont les mesures politiques et sécuritaires pour assurer l’exécution idoine des engagements. Car des accords politiques, les Togolais en ont déjà signé 11 en 16 ans d’imbroglio politique.

Alternative ?

Avec des exigences presque jamais totalement assouvies, les Togolais apparaîtront aux yeux des uns et des autres comme d’éternels insatisfaits. Mais la crise dans ce pays semble trop mal cernée par ceux qui tentent d’y remédier. Ainsi Blaise Compaoré dans sa facilitation a hérité d’un parchemin dressé par l’Union européenne en avril 2004, qui propose à la classe politique togolaise de faire la paix au moyen d’élections législatives. Tout le dialogue commencé le 21 avril 2006 à Lomé devait donc définir des conditions d’organisation de ces élections. En le faisant on passe par pertes et profits les présidentielles frauduleuses d’avril 2005 qui ont confirmé l’héritier d’Eyadema à la tête du Togo et on fait fi les autres exigences de l’édification d’un Etat de droit au Togo.

En observateurs, la diaspora togolaise, la société civile - par-delà les deux organisations de femmes associées au dialogue - les communautés religieuses seront amenées à descendre autrement dans l’arène. Pour les démocrates togolais, les revendications de changement politique transcendent la participation à la mangeoire. C’est pourquoi les animateurs du prochain exécutif de transition auront fort à faire, face à cette population usée et désabusée. Plus que jamais, les Togolais voient le temps venu d’amorcer une alternative politique avec de nouveaux hommes et de nouvelles idées.

Dany Komla Ayida

Chercheur togolais au National endowment for democracy, USA

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