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Tolé Sagnon, secrétaire général de la CGT-B : "Si je disparais, la CGT-B ne s’arrêtera pas"

Publié le lundi 7 août 2006 à 08h25min

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Tolé Sagnon

Il est incontestablement l’un des monuments du mouvement syndical de ces vingt dernières années dans notre pays. A la tête de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) depuis 1988, Tolé Sagnon, totalise à nos jours près d’une trentaine d’années de lutte syndicale. C’est cet homme d’action et de conviction que nous avons rencontré dans son bureau du BUMIGEB, à Ouagadougou.

C’était le lundi 31 juillet dernier, à quelques heures seulement du retour du président du Collectif Halidou Ouédraogo de la France où il avait été évacué pour raison de santé. Avec "le Général Sagnon", comme certains aiment à l’appeler affectueusement, nous avons échangé pendant plus d’une heure sur divers sujets : la lutte contre la vie chère ; la rupture des dernières négociations avec le gouvernement ; l’entrée en scène en tant que médiateur, du Conseil économique et social (CES) ; la question de la relève au niveau des syndicats ; l’unité syndicale au Burkina ; la santé du président du Collectif, etc. Sur toutes ces questions, le natif de Lola, dans les Cascades, s’est évertué, avec tout le charisme et toute la sérénité qu’on lui connaît, à apporter des éléments de réponse essentiels.

Cela fait plus d’un an que les structures syndicales du Burkina, dont la CGT-B, mènent le combat contre la vie chère, l’impunité, et d’autres questions sociales. Succinctement, quel bilan faites- vous, à ce jour, de cette lutte ?

Tolé Sagnon : Nous avons, depuis quelques années, engagé une unité d’action syndicale qui a permis de recenser les principaux problèmes des travailleurs de notre pays à travers une plate - forme minimale. Cette plate - forme minimale est un consensus au niveau de l’ensemble du mouvement syndical et met en exergue les gros problèmes que rencontrent les travailleurs. Il s’agit essentiellement de problèmes de salaire, de conditions de travail, de justice sociale parce qu’il y a des dossiers sociaux qui ne sont pas régularisés, des questions relatives à la liberté syndicale, (le droit de grève par exemple), etc. Particulièrement, depuis décembre 2004, nous avons accentué la lutte contre la vie chère.

La lutte contre la vie chère nous a d’abord permis de mobiliser davantage non seulement les militants, mais également l’ensemble des travailleurs. Lors des différentes sorties dans la rue, progressivement, les rangs sont allés en grossissant. Et nous avons aussi eu l’occasion de discuter avec le gouvernement en 2004, 2005, 2006, et même avec le chef de l’Etat en 2005. Nous avons également conclu avec le gouvernement un certain nombre de décisions. Malheureusement, comme nous l’avons dit dans les récentes déclarations, ces conclusions avec le gouvernement n’ont pas toujours porté fruit. Néanmoins, il y a eu des acquis. Par exemple le taux de l’annuité qui est passé de 1,33 à 2%.

Cela est important pour les pensions des travailleurs et des assurés sociaux. Nous avons aussi enregistré une augmentation, quoique dérisoire, des salaires de 4 à 8%. Nous avons également obtenu le déplafonnement de l’assiette de cotisation qui est passée de deux cent mille francs à six cent mille francs. Par ailleurs, nous avons enregistré une sorte de prise en compte des charges professionnelles ayant induit une réduction de l’IUTS. C’est quand même un certain nombre de résultats concrets que les travailleurs ont obtenus, et qu’il faut prendre en compte.

Etes-vous satisfait de ces acquis ?

Non, nous n’en sommes pas satisfait. Certes, nous reconnaissons qu’il y a eu des acquis, mais nous les trouvons insuffisants par rapport au coût de la vie, avec les augmentations intempestives des prix des produits de grande consommation, notamment ceux des hydrocarbures. Les prix de ces produits ont flambé de telle manière qu’aucun travailleur salarié aujourd’hui ne peut raisonnablement supporter leur coût qui a, inévitablement, une incidence sur celui des autres produits de grande consommation.

C’est pourquoi nous estimons les acquis insuffisants. Par ailleurs, la question de la justice sociale constitue l’ un des volets importants de notre combat . Si des travailleurs ont été abusivement sanctionnés et que les réparations de ces torts tardent à voir le jour, nous pensons qu’il n’y a pas une justice sociale, et qu’il faut corriger cela le plus rapidement possible.

Le gouvernement dit n’avoir pas les moyens de répondre mieux à vos préoccupations ...

Je ne sais pas très bien ce qu’ils entendent par "n’avoir pas les moyens", parce que jusqu’à présent ce que nous constatons, c’est une mauvaise répartition des produits de la croissance. Cette croissance économique, comme l’indique le gouvernement lui - même, s’est maintenue dans la sous-région comme l’une des meilleures. De ce point de vue, nous pensons que, si, par exemple, les avancements des travailleurs sont bloqués, c’est, tout simplement, une question de budgétisation.

Je suppose que ces avancements sont chaque année budgétisés par l’Etat. Cela devrait donc être systématique. Si aujourd’hui nous nous retrouvons, selon le gouvernement, avec 18 milliards d’arriérés sur les avancements des fonctionnaires, cela est inacceptable. Avoir attendu 2003, 2004, et 2005 sans avancement, c’est trop. Alors que le chef de l’Etat, dans son dernier discours à la Nation, s’est engagé personnellement à résoudre cette question, qui reste pendante et demande à être réglée.

Sur la hausse des prix des hydrocarbures, nous avons dit de revoir la structure des prix du fait que l’Etat a mis trop d’impôts sur le litre du carburant que le consommateur est obligé d’acheter trop cher. Il faut absolument qu’on voie avec le gouvernement s’il est possible de relire la structure des prix pour réduire les taxes. Ce sont autant de questions auxquelles il faut nécessairement trouver des solutions.

Si la croissance est positive sur une période donnée et qu’il y a en même temps une inflation moyenne de 3%, c’est que l’on reconnaît d’une certaine façon une régression du salaire réel, même si celui-ci est demeuré fixe. Le plus important pour nous, ce n’est pas qu’on ait 100 000 F CFA de salaire, mais ce qu’on peut faire avec ces 100 000 F CFA. L’ensemble de ces questions fait qu’il y a aujourd’hui nécessité pour le gouvernement de revoir les propositions faites aux travailleurs.

A vous entendre, l’Etat a les possibilités de faire face à vos revendications. Pourquoi met-il alors autant de temps pour y répondre ?

Certes, la gestion des moyens de l’Etat doit concerner les préoccupations de l’ensemble des populations, mais elle doit aussi tenir compte des revendications des travailleurs. Nous avons toujours expliqué que nos revendications ne sont pas extraordinaires. Elles sont plutôt raisonnables. Si l’Etat dit ne pas avoir les moyens d’augmenter les salaires lorsque nous le demandons, et qu’en même temps il continue d’accumuler des arriérés sur les avancements des travailleurs, et d’augmenter le prix des hydrocarbures, c’est qu’à un moment donné, on ne pourra plus consommer et continuer à produire avec les salaires perçus, au regard du coût élévé de l’éducation ou de la santé. Ce n’est pas seulement une question de revendication syndicale. C’est aussi et surtout un problème de survie de notre économie qui se trouve posé. Des économistes peuvent vous le dire.

Cette attitude du gouvernement ne traduit-elle pas, quelque part, la faiblesse de votre mouvement ?

Nous lions l’attitude du gouvernement à cette habitude qu’il a prise depuis quelques années et qui consiste à laisser les structures syndicales agir sans réagir convenablement à leurs revendications, en espérant qu’à un moment donné les mouvements s’essouffleront et s’estomperont d’eux - mêmes. Une telle vision n’est pas du tout correcte, parce que quel que soit le secteur d’activité, l’Etat, étant donné que nous sommes en démocratie, a le devoir d’être regardant lorsque surviennent, indépendamment du nombre des manifestants, ce genre de mouvement, ne serait-ce que pour d’abord savoir s’il n’y a pas lieu de faire quelque chose.

Dans bien des cas, c’est sur la base de faits réels que les gens entrent en action. Ensuite, il y a le fait que dans la pratique, depuis décembre 2004, lorsque nous avons engagé vraiment la lutte contre la vie chère, plusieurs actions ont été initiées. Entre 2004 et aujourd’hui, nous avons mené plus d’une dizaine d’actions : des grèves, des manifestations de rue, etc. Mais ce sont des actions bien encadrées pendant lesquelles aucun débordement n’a été enregistré. Cela traduit tout le comportement responsable des syndicats.

Maintenant, si ces actions ne convainquent pas le gouvernement à discuter raisonnablement avec les syndicats, nous allons continuer à mobiliser davantage nos militants. C’est d’ailleurs pour cela que l’année 2005 a été celle des luttes suffisamment intenses. Bien que nous n’ayons de leçon à donner à quelqu’un, nous pensons que les luttes sociales ne devraient pas être perçues comme des tensions permanentes. Il y a une phase de préparation, de sensibilisation ou de mobilisation, et un temps d’action.

Pour que les actions portent véritablement, elles ne se décrètent pas du jour au lendemain. Malheureusement, dès lors que l’on entre dans une phase de préparation, des gens disent tout de suite que les luttes sociales ont cessé, et qu’elles ne mobilisent plus. Il faut donc, que ces gens comprennent qu’il y a toujours des moments de mobilisation, d’action, de bilan. Donc, si le gouvernement considère le comportement responsable des syndicats comme relevant de leur impuissance à faire suffisamment de pression sur lui, et de ce fait, refuse d’examiner sérieusement les revendications qu’ils posent, de notre côté, nous sommes convaincu que la mobilisation croît, et continuera de croître.

Si le gouvernement veut plus de gens dans la rue, il y en aura. Et si le gouvernement fait de la provocation envers les travailleurs, c’est lui- même qui alimentera la mobilisation sociale pour le mouvement syndical. Les luttes vont continuer de s’intensifier. De toute façon, on aura toujours la possibilité de dire aux travailleurs : voilà la situation, si vous voulez qu’elle se règle, mobilisons -nous davantage !

Les travailleurs burkinabè s’intéressent- ils encore, vraiment, à la lutte syndicale comme par le passé ? Les travailleurs, par exemple, étaient tellement mobilisés en 1966 qu’il ont réussi à faire tomber le pouvoir de l’époque.

Il faut se dire que, de par le passé, les conditions d’existence même de nos travailleurs et populations n’étaient pas les mêmes que celles de ceux d’aujourd’hui. Si vous prenez la situation de 1966 ou les grèves de décembre 1975, combien de personnes y avait-il à Ouagadougou ? Avec toute la

volonté du monde, il est aujourd’hui difficile de faire une ville morte comme celle de 1975. Tout cela est lié au contexte et à l’évolution du mouvement social. Les mouvements sociaux que l’on observe à travers le monde, par exemple ceux des altermondialistes ou les luttes au Niger, ne sont pas plus que ce qui se passe chez nous. Quand le Collectif organise des actions, tout le monde, toute l’Afrique se tourne vers le Burkina pour regarder cet exemple d’unité d’action extraordinaire. Il y a donc des mobilisations sociales liées au contexte et au travail des dirigeants des mouvements sociaux. Etant convaincu de notre bon droit et de nos revendications, nous allons poursuivre notre travail.

Maintenant si on nous demande si les gens se mobilisent pour nos actions, nous ne pouvons que faire des comparaisons. Aujourd’hui le taux de syndicalisation en France est à peine de 10%. Pourtant la France est le pays vers lequel tout le monde se tourne depuis 1789. Ce relatif faible taux de syndicalisation n’a nullement empêché les Français d’obtenir des avancées sur des luttes ou conquêtes sociales, par exemple le retrait du Contrat première embauche. C’est un ensemble de questions qui montre en fait que les luttes sociales sont aussi liées au comportement des dirigeants. Ces derniers doivent savoir, à un moment donné, que quand les manifestations se développent, il faut donner satisfaction à telle ou telle revendication, parce que répondant réellement à certaines préoccupations sociales.

Nous, nous allons toujours marcher, et il y aura certainement des gens dans les bureaux qui regarderont par les fenêtres. Cela ne veut pas pour autant dire que ce pourquoi nous marchons, ne les intéresse pas. Regardez le résultat. Lorsque nous avons obtenu le déplafonnement de l’assiette de cotisation à la caisse, ce n’est pas uniquement pour le petit ouvrier qui lutte et n’a même pas 100 000 F CFA de salaire. Le déplafonnement concerne plus ceux qui ont de gros salaires. Et c’est justement ceux qui regardent par les fenêtres qui en profitent parce qu’ils sont très bien rémunérés. Ils sont les premiers à se mettre devant quand il y a des résultats. C’est cet ensemble de situations que nous, nous regardons.

Y-a-t-il véritablement une unité syndicale au Burkina ?

L’unité d’action que nous avons développée au Burkina n’a jamais existé nulle part ailleurs. Nous sommes invités à beaucoup de rencontres internationales. Et quand nous y allons, les gens nous approchent pour s’imprégner de notre expérience, par exemple, la manière dont nous avons procédé pour mettre en place notre plate-forme minimale revendicative. La Guinée a connu d’importantes grèves. Mais le mouvement syndical y est divisé.

Au Niger, pendant que certains acteurs sociaux luttent contre la vie chère, d’autres marchent pour soutenir le chef de l’Etat comme s’il n’y avait pas de problème. Au Mali, l’unité syndicale est encore loin d’être une réalité. La Côte d’Ivoire, avec l’actuelle situation politique, connaît la même situation. Nous avons réussi une plate-forme minimale unitaire.

Dans le cadre de cette plate-forme, des mesures ou formes de lutte commune approuvées par tous, sont arrêtées. C’est un exemple formidable. En France, quand ils font l’unité d’action, c’est autour d’un point précis, comme on l’a vu par exemple dans le cadre du CPE. Et dès que l’on trouve des solutions au point en question, l’unité disparaît. Nous, nous sommes toujours ensemble depuis 1999.

Cela fait 18 ans que vous êtes à la tête de la CGT-B. N’êtes-vous pas usé par tant d’années de lutte ?

La fatigue dans le combat peut être liée à la santé physique qui, à un moment donné, peut décourager ou amener un homme convaincu à revoir le rythme de ses activités. En dehors de la santé physique, moi je reste persuadé de la justesse du combat que je mène depuis bientôt 28 ans. Et j’essaie dans la mesure du possible de rester dans cette détermination à voir nos luttes aboutir.

Au niveau de la CGT-B, nous avons acquis une certaine expérience qui nous permet d’apporter notre contribution à la lutte du Collectif. Maintenant, si pour des raisons de santé, je ne suis pas en mesure de conduire la CGT-B aujourd’hui, c’est certain qu’il y aura quelques conséquences. Mais, si je suis en bonne santé et que les autres me font confiance, il n’y a aucune raison de baisser la garde.

Que dites-vous à ceux qui vous accusent d’avoir rompu, en mai dernier, les négociations avec le gouvernement alors que vous auriez pu obtenir des avancées sur certains dossiers ?

Ces personnes se trompent parce que la faute de la rupture des négociations n’est pas à mettre sur le dos des syndicats. Tout le monde a senti le comportement du gouvernement comme un acte de non considération des partenaires sociaux . Qu’est-ce qui s’est passé ? Nous avions soumis des revendications au gouvernement qui nous avait répondu par écrit. Nous avons passé toute la journée à travailler sur ces réponses. Pendant que nous étions là- dessus, le gouvernement augmente "dans notre dos" les prix des hydrocarbures. Et ce sont nos militants qui appellent pour nous demander ce que nous faisons dans ces négociations, alors que le gouvernement continue de les ignorer en augmentant les prix.

C’est donc le gouvernement qui a pris l’initiative de la rupture en ne tenant même pas compte du fait qu’il fallait tout de même attendre que nous puissions conclure les discussions. Normalement, si une telle mesure devait être prise par le gouvernement, elle devrait s’inscrire dans le cadre des négociations. Et nous insistons pour dire, que contrairement à ce qu’a déclaré le gouvernement, le point des prix des hydrocarbures était bel et bien à l’ordre du jour des négociations.

Après l’échec des négociations, vous avez conditionné votre disposition à les reprendre à la mise en oeuvre d’un certain nombre de mesures, dont le retour aux tarifs antérieurement en vigueur . Des manifestations visant, sans doute, à augmenter la pression sur le pouvoir, avaient ensuite été organisées le 10 juin et le 1er juillet derniers. Avez-vous, depuis lors, reçu des signaux du gouvernement qui a réaffirmé au lendemain de l’échec des pourparlers sa disponibilité au dialogue, allant dans le sens de la reprise des discussions ?

Nous avons réagi de cette façon pour désapprouver l’attitude du gouvernement. Nous avons alors posé essentiellement trois conditions. Premièrement, le respect des travailleurs et de leurs organisations. Deuxièmement, la baisse des prix des hydrocarbures au niveau des tarifs en vigueur avant le début des négociations. Et troisièmement, nous avons demandé que l’Etat reconsidère ses réponses.

Ceci étant, ce que nous avons constaté après nos différentes actions, c’est l’entrée en scène du Conseil économique et social (CES) qui nous a proposé sa médiation. Nous avons donné notre accord de principe en nous disant qu’il est dans son rôle en intervenant dans cette crise avec le gouvernement. Nous avons déjà eu deux rencontres, et le gouvernement, en principe, a aussi été saisi par l’institution. Il y a, en effet, déjà eu une rencontre de prise de contact que le CES a

qualifiée de positive. Mais, nous estimons que la balle est dans le camp du gouvernement. Nous attendons qu’il fasse des propositions pour la reprise des négociations. S’il ne fait ou ne dit rien, nous allons interpellé à nouveau nos militants pour continuer la lutte.

Etes-vous, au vu de ces initiatives du CES, optimiste quant à la reprise des négociations ?

C’est l’espoir que nourrissent des personnes comme nous, engagées dans les luttes sociales. Si vous n’êtes pas convaincu de la justesse de vos revendications, il faut revoir la plate-forme. Si vous n’êtes pas non plus convaincu de la nécessité de la lutte pour obtenir des acquis, il faut revoir votre copie. Si vous ne faites rien pour préserver vos acquis, ils vont progressivement être remis en cause. Nous, nous sommes convaincu qu’il faut effectivement la lutte pour arracher des acquis, et même pour les maintenir et les consolider. Nous sommes très optimiste quant à la nécessité de résoudre les problèmes que nous avons soumis au gouvernement, étant donné la justesse de nos revendications et l’accueil que les populations leur réservent.

Vous avez par ailleurs déposé en mai dernier une plainte, pour violation de droit de grève, contre le gouvernement devant le Bureau international du travail.

Il faut savoir que la procédure au niveau du BIT est très longue. Le problème, en fait, est lié à l’adoption du code de travail. Nous avons dit pendant la grève des 23 et 24 mai que le gouvernement et les employeurs se sont vraiment ligués pour menacer le mouvement syndical, les ouvriers, les travailleurs de sanctions ouvertes. Cela va complètement à l’encontre de la convention 87 de l’OIT ratifiée par le gouvernement du Burkina Faso.

C’est-à-dire que si les revendications sont reconnues, les organisations syndicales ont le droit de s’organiser et d’appuyer ces revendications, y compris par la grève. Et le gouvernement ne doit pas prendre des mesures entravant le libre exercice du droit de grève. Nous avons, dans le cadre des grèves des 23 et 24 mai, produit des coupures de presse relatives aux développements que les membres du gouvernement ont faits. Comme on n’a pas la même interprétation de la convention 87 de l’OIT que le gouvernement, par rapport à la liberté syndicale, nous, nous avons sollicité l’arbitrage du BIT. La procédure consistait pour nous à faire enregistrer notre demande au niveau de cette instance et à recevoir d’elle un accusé de réception, ce qui a été fait.

Ensuite, le BIT communique nos prétentions au gouvernement qui peut faire des observations. Enfin, il revient au BIT d’examiner la plainte. Mais c’est une procédure qui peut aussi amener le BIT à demander aux parties, c’est-à-dire au gouvernement et aux syndicats, de résoudre, si possible, leur différend à l’amiable au niveau national. Si ce n’est pas possible, le BIT s’en charge.

La plupart du temps, les acteurs de la société civile réclament l’alternance à la tête des Etats. En tant que membre de cette entité, cela ne vous dérange pas d’être resté aussi longtemps au poste de secrétaire général de votre organisation ?

C’est vrai que cela fait pratiquement 25 ans que je suis à la tête des organisations syndicales. Et ce n’est pas peu. Cela constitue, pour moi, une somme d’expériences, mais traduit aussi ma constante détermination dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs.

Ceci étant, peut - on comparer l’alternance au niveau des Etats et ce qui se passe dans les syndicats ? Un syndicat n’est pas un Etat. Le syndicat est une organisation de masse qui défend une portion des revendications sociales qu’il soumet au gouvernement. Par contre, l’Etat est géré par des structures dotées d’une vision politique nationale concernant tous les secteurs d’activités du pays. Le syndicat n’est donc qu’une organisation de masse au sein de cette entité globale qu’est l’Etat. De ce point de vue, l’on ne peut raisonnablement comparer un dirigeant de syndicat à un chef d’Etat.

Je vous comprends lorsque vous dites que les syndicats font partie des organisations qui réclament souvent l’alternance dans les Etats. Mais je ne suis pas sûr que c’est de l’alternance qu’il est forcément question. Il peut s’agir aussi de l’alternative parce qu’il ne suffit pas toujours de changer de chef pour que les choses bougent dans un sens donné. Même dans le cadre d’un gouvernement. Et l’alternance dans un syndicat ne signifie pas changer son secrétaire général. Chaque centrale syndicale a une orientation qui ne peut être modifiée par un simple changement au sommet.

Ne craignez-vous pas, à force de rester dirigeant très longtemps, de créer un vide difficilement comblable après votre départ de l’organisation ? Songez-vous la relère à à former ?

Sachez que la CGT-B regorge de ressources humaines. Il ne faut surtout pas penser que je suis indispensable. Si, par extraordinaire ou par la volonté du Tout-Puissant, je disparais aujourd’hui, la CGT-B ne s’arrêtera pas de fonctionner. J’ai, par contre, une certaine expérience du mouvement syndical dont la nouvelle génération a certainement besoin.

Pour ce qui concerne la relève, elle se prépare de tout temps parce qu’il y a eu des moments où les premiers responsables des structures syndicales n’étaient pas disponibles. Et ce sont les adjoints qui ont géré le mouvement. C’est le cas, par exemple, de la grève du 10 juin 2006 pendant laquelle les trois quarts des dirigeants étaient absents (NDLR : ils prenaient part à une rencontre de l’Organisation internationale du travail à Genève, en Suisse), mais tout s’est bien déroulé.

Cela signifie que quelque chose est fait dans le sens de la relève au sein de nos organisations. En tous les cas, si ces adjoints continuent vraiment de montrer leur volonté de maintenir le mouvement syndical dans l’axe souhaité par les travailleurs, c’est sûr qu’ils auront toujours leur mot à dire lors des congrès qui, du reste, sont ouverts.

C’est aujourd’hui (NDLR : nous étions au 31 juillet 2006) que Halidou Ouédraogo, votre compagnon de lutte au sein du Collectif dont il est le président, rentre de son évacuation en France pour raison de santé.

En tant qu’ami et compagnon de lutte, nous suivons l’évolution de la santé du président Halidou Ouédraogo, avec qui nous sommes resté en contact. Grâce à son mental et sa volonté de guérir, celle-ci connaît des avancées positives très importantes. Il est en mesure de se lever, de bouger certains membres, et de s’exprimer correctement. Un accident cardiovasculaire de ce genre a des conséquences énormes qui se réparent pendant des années.

Mais là, en quelques mois, l’évolution de sa santé lui permet de rentrer pour continuer la rééducation. Nous souhaitons que cette rééducation puisse se poursuivre avec plus de volonté et de succès, surtout au niveau des membres. En dehors de cela, le président a, comme je le disais tantôt, le moral haut. Il est resté en contact avec les informations mondiales. Et dès qu’on l’appelle ou quand on est en entretien avec lui, il commence à donner son avis sur les questions d’actualité.

Que voudriez-vous dire pour conclure cet entretien ?

Disons en guise de conclusion que les luttes que nous menons, que ce soit dans les syndicats ou au niveau du Collectif, visent avant tout à nous donner les moyens d’expression dans le cadre d’un Etat de droit, mais pour lesquels beaucoup de Burkinabè ont malheureusement connu la répression. Et quand on arrive à un Etat de droit, chaque citoyen doit être vigilant pour que le processus démocratique continue de s’approfondir.

Dans cet approfondissement de la démocratie, chacun a son rôle à jouer. Le mouvement syndical, pour ce qui le concerne, a un rôle de contre - pouvoir, ce qu’il ne faut pas confondre avec "contre le pouvoir". Nous allons toujours alerter et attirer l’attention des gouvernants sur les problèmes du monde du travail. Maintenant, si le gouvernement décide d’ignorer nos revendications en espérant gagner du temps, c’est lui -même qui contribue à alimenter le mouvement social, et à exposer, à terme, le pays à des crises.

Propos recueillis par Grégoire B. BAZIE

Le Pays

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