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Colonel Saye Zerbo, ancien président : « Le 5 août 1960, nous sommes devenus nous-mêmes »

Publié le samedi 5 août 2006 à 08h35min

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Colonel Saye Zerbo

La commémoration du 46e anniversaire de notre indépendance nous a donné l’occasion d’échanger avec le colonel Saye Zerbo, ancien président du Burkina Faso sur cette date symbolique. Une opportunité pour avoir son avis sur l’Armée nationale, la situation sociopolitique actuelle ainsi que d’autres sujets.

Sidwaya Plus (S.P.) : M. le président, la Haute-Volta actuelle Burkina Faso a accédé à l’indépendance le 5 août 1960. Comment avez-vous vécu l’événement en tant que militaire à l’époque et quelle signification lui conférez vous ?

M. le président Saye Zerbo (S.Z.) : Effectivement j’étais militaire et officier dans l’Armée française à Bobo-Dioulasso. Mais, je dois d’abord rappeler que la Haute-Volta est « née » après la création de l’Armée nationale le 3 août.

C’était une affaire politique à l’époque. En effet, le président feu Maurice Yaméogo voulait rapidement asseoir une armée et faire en sorte que l’Armée française puisse quitter le sol voltaïque avant le 31 décembre 1961.

Donc, les choses se sont précipitées, c’est ainsi que le 15 octobre 1961, il y a eu le transfert des officiers voltaïques qui étaient dans l’Armée française dans l’Armée nationale.

S.P. : Mais comment avez-vous vécu l’événement du 5 août 1960 à l’époque ?

S.Z. : Le 5 août 1960, j’étais certainement dans l’Armée française et je suivais les événements du pays. Qui n’est pas content d’être indépendant ? Même quand on n’a pas les moyens, le fait d’être soi-même est déjà quelque chose.

On était très content d’avoir l’indépendance et d’être dans une armée qui est la nôtre.

S.P. : Donnez-nous maintenant la signification du 5 août 1960 ?

S.Z. : Qu’est-ce qu’on peut donner comme signification autre que, vraiment, nous sommes nous mêmes, nous pouvons nous gérer nous-mêmes, même quand on n’a pas les moyens qu’il faut. C’est très important.

S.P. : Avec le temps, M. le président, vous êtes devenu un acteur politique et militaire de premier plan au Burkina Faso, quel regard rétrospectif jetez-vous sur nos 46 ans d’indépendance ?

S.Z. : Je ne suis pas historien, mais ce que je peux dire, c’est que les choses ont évolué très rapidement par rapport à d’autres pays. Je peux par exemple vous citer le cas de notre ministre de la Défense, Bamina Georges Nébié, le Premier ministre. C’est lui qui a mené les négociations avec les Français pour asseoir l’Armée nationale en accord avec le président Maurice Yaméogo.

Donc, il a négocié dur et cela s’est réalisé. Depuis on a tout de suite commencé à asseoir l’Armée nationale. Maurice avait déjà préparé l’Armée surtout au niveau des structures. Le capitaine Lamizana qui était dans l’Armée française à Abidjan, a été rapatrié et mis à la disposition de la nouvelle armée. C’est ainsi qu’il est devenu le chef d’Etat major de l’armée et s’est attelé à constituer l’Armée nationale.

S.P. : Quel regard jetez-vous sur l’évolution politique du Burkina même si vous n’êtes pas historien ?

S.Z. : Quand j’étais en formation à Paris, nous étions appelés officiers en 1958-1959. Le président de notre pays en ce moment là était le Premier ministre de l’époque. Alors, sa mort évidemment nous a touché et il a été remplacé par Maurice Yaméogo. Depuis lors, les choses ont évolué comme je vous le disais, rapidement et même politiquement.

S.P. : Le 5 août est célébré cette année sur fond de revendications sociale et politique notamment l’affaire Norbert Zongo, la chèreté de la vie.

Quelles analyses faites-vous du contexte sociopolitique actuel et quels conseils avez-vous pour un retour de la sérénité ?

S.Z. : Je pense qu’il faut tempérer les choses, l’être humain n’est pas infaillible. Il faut apprendre à pardonner car le pardon est très important. C’est préférable que les uns et les autres mettent un peu d’eau dans leur vin au profit de tout le monde. Et cela est faisable.

Si les uns refusent de tolérer les autres aujourd’hui, qu’adviendra-t-il si les premiers se trompaient demain ? Il faut oublier, taire des fois les choses, quand bien même ça fait très mal. Il faut avoir le courage d’enterrer pour ne pas remuer les cendres.

S.P. : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué positivement et négativement dans votre carrière militaire et politique ?

S.Z. : Parler de soi est difficile, ce sont les autres qui sont mieux placés pour le faire.

Mais par rapport aux résultats acquis, j’ai fait de mon mieux dans mon rôle, quand j’étais d’abord commandant d’unité et commandant de régiment. Et j’ai exercé les fonctions de chef d’Etat par pur accident politique. Je n’étais pas destiné à la politique car je n’en avais pas besoin. Seulement le 25 novembre 1980 m’est tombé dessus, quand bien même j’avais tout fait pour l’éviter sans le pouvoir. Toute chose que les gens n’ont pas compris et ne comprennent pas. Si les « gens » avaient pris leurs responsabilités, ce ne serait pas du tout arrivé.

S.P. : Qu’avez-vous fait concrètement pour éviter les événements du 25 novembre 1980 ?

S.Z. : Avec le soulèvement des syndicats, des enseignants à l’époque, pendant près de trois mois, l’école était par terre, l’année scolaire presque hypothéquée.

Or, l’armée étant l’émanation du peuple, tout ce qui a trait à ce dernier la touche également. C’est ainsi pour sauver l’année, la crise, les sous-officiers et officiers se sont concertés. Cette délégation est allée voir le chef de l’Etat pour lui dire ce qu’il y a. Le chef d’Etat-major général de l’armée nous a aussi contacté pour fixer ses responsabilités lors des événements. Cela s’est révélé être un échec. Ensuite, le 25 novembre à trois heures du matin se tenait une réunion, un cabinet de crise au domicile du ministre de la Défense à Koulouba et où il était question qu’on amène le colonel Saye Zerbo mort ou vif.

J’ai été informé par les soldats qui assistaient à cette réunion et qui m’ont demandé la conduite à tenir. Je leur ai dit que je n’ai rien à dire puisque mon sort déjà était décidé d’avance. Autrement dit le chef d’Etat n’a pas accepté notre solution pour remédier à la crise. J’attendais qu’il me téléphone pour me demander de venir le voir. Je lui demandais juste le papier du décret qui « déclasse » le ministre de l’Education nationale, ce qui n’a pas été fait.

S. A quoi le colonel président occupe-t-il sa retraite ?

S.Z. : Avant d’être chrétien, je cultivais au champ avec mes deux épouses. Etant à la retraite, je le fais car il faut travailler pour vivre. Etant devenu chrétien plus tard, je suis le culte les dimanches et continue mes occupations champêtres non loin de Ouagadougou à Boulbi où je passe de temps en temps la journée ?

S.P. : Est-ce que le colonel président Saye a écrit ses mémoires ?

S.Z. : Oui, mais c’est surtout ce que j’appellerai un journal en quelque sorte de ma vie.

S.P. : Avez-vous un mot particulier pour clore cette interview ?

S.Z. : Mon souhait est que cette armée puisse se développer et atteindre le niveau même des armées des grandes puissances. J’ai fait des études militaires pour ça, mais malheureusement avec les événements pré-cités, je n’ai pas eu le temps nécessaire de former des gens. Cependant le peu que j’ai formé est resté très ferme et a évolué correctement dans l’armée.

D’autre part, il faut retenir que l’Indépendance nationale du 5 août 1960 est survenue après le 3 août 1960, date de la création de l’Armée nationale. Cette anomalie s’explique par le fait que le président Maurice Yaméogo souhaitait fermement le départ des troupes françaises. Il fallait alors allé vite, créer des structures militaires. Lors des négociations, la Haute-Volta a exigé cela et la France a accordé la demande. Le principal motif des autorités voltaïques à l’époque étaient de parvenir à une autonomie propre. Ce qui fut fait à l’époque, malheureusement le principal instigateur (feu Maurice Yaméogo) a été évincé du pouvoir par un jeu politique si bien que le mécanisme qui était mis en place a freiné, sinon la Haute-Volta était très bien partie avec cette autonomie.

Interview réalisée par Boubacar SY
Abdoul Rasmané ZONGO (Stagiaire)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 6 août 2006 à 11:08 En réponse à : > Colonel Saye Zerbo, ancien président : « Le 5 août 1960, nous sommes devenus nous-mêmes »

    Ce que le colonel dit à propos de la formation des hommes est assez révélateur du gaspillage des ressources humaines dans un pays où il en manque. Voila un militaire et un homme de valeur, formé à prix coûteux (relativement à son niveau et son grade) qui se trouve être écarté de son milieu naturel (comme un poison hors de l’eau) et ce, à tous les niveaux. Alors que son expérience aurait pu servir à la formation des hommes par exemple, même s’il ne peut plus être intégré comme un militaire ordinaire dans l’armée, vu son passé et son rang d’ancien Président. Est-ce que c’est lui-même qui ne le veut pas ou bien est-ce qu’il ne peut plus être utile ? Est-il par exemple dépassé du point de vue de la connaissance dans ce domaine ? Je me le demande. ça m’étonnerait. En tout cas, nous devons pouvoir tirer bénéfice maximum de nos anciens.

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