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La dépigmentation,un problème réel de santé

Publié le jeudi 18 mars 2004 à 11h10min

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Selon une étude réalisée par une équipe de dermatologues à Bobo-Dioulasso, sur 100 femmes, 50 utilisent des produits dépigmentants. En effet, il devient de plus en plus rare de rencontrer dans les artères de la ville des femmes au teint noir ciré, satiné ou tout simplement au teint naturel. Mais qu’est-ce que c’est que la dépigmentation et quelles en sont les conséquences ? Le Docteur Andonaba, dermatologue et vénérologue au CHU-SS de Bobo-Dioulasso, répond.

La dépigmentation a pris tellement d’ampleur qu’elle est devenue le troisième problème de santé publique au Burkina après le paludisme et les maladies respiratoires, affirme le Docteur Andonaba. Par définition, c’est l’usage de produits dans le but de s’éclaircir la peau. Cet éclaircissement se fait par la destruction de petites cellules existant sous la peau. Ce sont ces cellules, appelées mélanines qui produisent du pigment noir et protègent la peau contre les rayons solaires et les cancers de la peau. Alors pourquoi cet engouement des femmes à s’éclaircir la peau et à la fragiliser ainsi ? Pour le Dr Andonaba, l’utilisation de ces produits dépigmentants remonte à 38 ans dans le monde et à 25 ans en Afrique. Le phénomène a commencé en Afrique de l’Est et a atteint progressivement les autres parties du continent. Et jusqu’à nos jours, les raisons de cette pratique n’ont pas pu être définies exactement. On pourrait penser à "un complexe de la peau noire" vis-à-vis de la peau blanche. Mais en ce qui concerne le Burkina, il ressort que c’est un désir de séduction qui ne dit pas son nom car, les femmes ont tendance à croire (et certains hommes les y encouragent) que seule la femme au teint clair a de la valeur. Les causes du phénomène restent complexes et sont fonction de chaque milieu en ce sens que des Noirs, qu’ils soient Africains, Américains ou Européens se dépigmentent. Pour les produits incriminés, le Dr Andonaba cite les corticoïdes qui sont les plus prisés. Ce sont des produits utilisés en médecine pour traiter des cas graves d’allergie, de choc hémorragique, etc. Mais ayant découvert que ces produits dépigmentent, les gens en font un usage abusif, dangereux pour leur santé. Les corticoïdes sont très souvent utilisés sous forme injectable et les femmes qui en font usage trouvent que ce sont les plus rapides et les plus efficaces.

Les produits cosmétiques (crème, lait, pommade, savon) à base d’hydroquinone gomment en surface tout le pigment noir. Ce sont les produits les moins chers donc beaucoup plus utilisés par celles qui n’ont pas de grands moyens. Le Dr Andonaba a tenu à souligner que l’utilisation de l’hydroquinone requiert une préparation préalable de la peau pour accélérer l’éclaircissement et obtenir un teint plus ou moins uniforme. Pour cela, les femmes utilisent de l’eau de Javel, de la potasse, du shampooing Dop pour se frotter vigoureusement la peau dans le but d’éliminer la mélanine qui se trouve en surface, avant d’appliquer le produit qui se chargera de la destruction de la mélanine en profondeur. On trouve l’hydroquinone dans beaucoup de produits cosmétiques sur la place du marché. Il s’agit entre autres des crèmes "Clair-liss", "Maire-claire", "HT 25", "Immédiat", "Maxi light"...

Les dérivés mercuriels sont présentement abandonnés parce qu’ils ont entraîné beaucoup d’intoxication.

Il y a enfin certains produits qui contiennent en même temps tous ces excipients pour avoir un effet optimal.

Les amatrices de ces produits dépigmentants connaissent très bien tous les rouages de la pratique. Ce qu’elles ignorent, ce sont les conséquences désastreuses sur leur santé.

Toujours selon le Dr Andonaba, les conséquences sont multiples et sont fonction du produit utilisé. Mais les spécialistes ont essayé de les classer en deux grands groupes à savoir les conséquences locales (sur la peau) et les conséquences globales (sur la santé en général).

Pour ce qui est des conséquences locales, on a d’abord les brûlures de la peau qui laissent de grosses cicatrices sur les parties touchées. Elles sont surtout dues à l’application en grande quantité de pommade ou à l’injection de corticoïdes très puissants.

Il y a ensuite des allergies qui se manifestent par l’apparition de boutons sur tout le corps, des noirceurs des parties de la peau exposées au soleil. Dans certains cas, la gravité de ces allergies peut entraîner la mort. On a également les nombreuses vergetures sur tout le corps qui sont dues à la destruction des fibres élastiques de la peau qui se relâche. La peau devient mince et très fragile, ce qui empêche une intervention chirurgicale au cas où la personne a un problème. Le cas le plus désastreux, est celui des femmes enceintes qui doivent subir une césarienne. Après l’intervention, les sutures ne tiennent pas et cela peut entraîner la mort.

Les utilisateurs de ces produits deviennent progressivement multicolores. Elles dégagent une odeur nauséabonde. Les défenses de la peau étant affaiblies, elles auront tout le temps des furoncles, des dartres, des mycoses, la gale et toutes sortes d’infections de la peau. L’usage des dépigmentants combiné aux rayons ultra-violets du soleil entraîne également un vieillissement prématuré de la peau qui se manifeste par des rides et des plis sur tout le corps.

Quant aux conséquences générales, ce sont surtout les effets secondaires des corticoïdes injectables. Ces produits qui sont directement envoyés dans le sang entraînent l’hypertension, le diabète, les cancers de la peau, les insuffisances rénales, la perturbation du cycle menstruel, le risque de mettre au monde un enfant dont la croissance sera très lente, les problèmes osseux parce que les corticoïdes empêchent la consolidation des articulations, la cécité. Ces conséquences ne se voient pas dès les premiers moments de l’utilisation. C’est un long processus qui s’installe progressivement et détruit la personne à petit feu.

A la question de savoir si l’utilisation de ces produits entraîne une situation de non retour pour la peau ou si elle peut redevenir normale, le Dr Andonaba répond qu’un arrêt à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser les séquelles déjà installées sur la peau puisqu’on ne peut pas les supprimer totalement. Il y a toujours un grand bénéfice à arrêter ces produits et le plus tôt est le mieux. Seulement cet arrêt doit se faire progressivement pour un meilleur rétablissement de la peau. Et la personne qui décide d’arrêter doit avoir un accompagnement psychologique convaincant pour ne pas y retomber.

Les femmes qui utilisent ces produits sont-elles vraiment informées de tous ces dangers ? Ce qui est sûr, déclare le Dr Andonaba, les dermatologues et les autres spécialistes de la santé ont pris conscience de l’ampleur du phénomène et ont décidé d’un commun accord de lancer une vaste campagne de sensibilisation contre l’utilisation des dépigmentants. En effet, on voit déjà des prospectus et des calendriers sur lesquels il y a comme message :"Halte au tchatcho !", nom communément donné à ces produits et à la pratique de la dépigmentation.

Pour le Dr Andonaba, le message à lancer à nos sœurs et mères ainsi qu’à tous les utilisateurs, est très simple : "femmes burkinabè, africaines, la peau naturelle est belle, elle est solide et elle n’a pas besoin de ces produits dégradants". Aussi invite-t-il toute la population à s’impliquer réellement dans cette lutte qui nous concerne tous.

On est bien tenté pour conclure, de rappeler le chanteur noir-américain James Brown, qui dans les années 70, lançait en refrain : "Dites-le haut et fort, je suis Noir et j’en suis fier".

Clarisse HEMA
Sidwaya

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