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Affaire Norbert Zongo : La comédie est finie !

Publié le mardi 1er août 2006 à 07h40min

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Norbert Zongo

La justice a prononcé un non-lieu dans le dossier Norbert Zongo. L’instruction sur la piste ouverte par la Commission d’enquête indépendante (CEI) s’est éteinte. Contre Marcel Kafando, le juge n’a rien trouvé. Le mince indice qui le maintenait sous les liens de la prévention, le témoignage à charge de Racine Yaméogo, s’est cassé, puisque ce dernier a dit qu’il n’est plus "très sûr " de ce qu’il avait dit.

Cette rétractation, considérée comme un élément important par le procureur Faso, a suffi pour classer le dossier. Le problème à la vérité, ce n’est pas le non-lieu en faveur de Marcel Kafando, mais le non-lieu dans l’affaire Norbert Zongo. Le juge Wenceslas a été dessaisi et le dossier renvoyé au greffe du Tribunal de grande instance de Ouagadougou. De façon très claire, le dossier est désormais classé. Il n’y aura donc pas, pour l’instant, justice pour Norbert Zongo.

Cette affaire survient au moment où le pouvoir est tout puissant. En face, la société civile est moribonde et l’opposition politique morte. Cette dernière vient de faire un sermon, de principe, sur la tombe de Norbert Zongo, et de constater en même temps son impuissance : ils étaient terriblement seuls, les leaders de l’opposition...les élèves et étudiants étaient en vacances.


Dossier classé !

La justice a fini par arriver là où elle voulait. Le dossier Norbert Zongo est classé. C’est terminé. De tous les crimes commis dans ce pays, c’est le plus odieux. Mais ils ont décidé qu’il n’y aurait pas de justice pour Norbert Zongo. Il ne reste plus à sa famille, que d’aller s’aligner pour prendre les millions de l’Etat, pour ne pas tout perdre.

Terrible nouvelle que celle prononcée le 18 juillet dernier par la justice burkinabè, sans même sourciller. La décision vient bien de la justice, et non du seul juge Wenceslas Ilboudo, qui n’a été dans cette affaire qu’un instrument consentant. Voici le film d’un déni de justice.
Depuis le 30 juin 2006, le processus définitif qui devait conduire au classement du dossier Norbert Zongo s’est emballé.

Dans une lettre en date du 28 juin et évoquant l’article 175 de la procédure pénale, le juge d’instruction s’adresse aux conseils des ayants cause de Norbert Zongo. Ces derniers, qui ne sont pas dupes, comprennent que la procédure du classement du dossier est en marche. En effet, l’article 175 parle justement des dispositions pour le bouclage d’une procédure judiciaire.

Flairant les choses venir, Maître Sankara adresse rapidement un courrier au juge d’instruction pour lui demander de lui permettre à ses frais " de faire copie des pièces ( les nouvelles) du dossier... ".

Le juge Wenceslas accepte la requête et promet même de s’en charger gratuitement. Les avocats de Norbert Zongo attendront en vain. A chaque relance, le juge Wenceslas trouve une esquive. Quand il se décide le 18 juin à communiquer avec les avocats, c’est pour leur transmettre une convocation pour ce jour même, à 16 heures. Et quand les avocats s’y rendent, ils trouvent sur place leurs confrères de la défense, conduits par Maître Abdoul Karim Ouédraogo, l’avocat attitré de François Compaoré. Aux avocats des partis en présence, il est remis ce soir-là l’ordonnance de non-lieu, pour le dossier Norbert Zongo.

Mais quelques jours avant, les choses avaient été bien ficelées pour que le dossier lui-même soit définitivement classé. En effet, le 13 juillet, réagissant à l’ordonnance de soit communiqué du juge Wenceslas, le procureur du Faso avait définitivement scellé le sort du dossier Zongo.

Dans son réquisitoire définitif de non-lieu, Adama Sagnon, procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, fermait définitivement les procédures sur l’affaire, en demandant purement et simplement que non seulement " Marcel Kafando ne soit plus poursuivi, mais qu’aussi, le dossier soit déposé au greffe du tribunal de grande instance de Ouagadougou pour être repris en cas de survenance de charges nouvelles ". En clair, le juge Wenceslas est désormais dessaisi du dossier, lequel dossier est rangé dans un tiroir. Quand le procureur général dit qu’il attend des faits nouveaux avant de le confier à un autre juge, on peut dire qu’il prend ses interlocuteurs pour des imbéciles.

De la décision du procureur Sagnon, il se dégage deux conséquences de droit : Premièrement, il a pris avec son réquisitoire définitif de non-lieu, en même temps un réquisitoire de non informé. Cela veut dire qu’il intime l’ordre au juge, d’arrêter ses poursuites. Il lui demande de lui remettre le dossier qu’il a décidé de classer. Deuxième conséquence, c’est désormais lui, le procureur qui jugera de l’opportunité ou pas, de donner suite à toutes nouvelles preuves ou nouveaux faits qui seront communiqués. Il est donc désormais totalement maître de la destinée du dossier.

Et pour que plus jamais personne n’invoque quoique ce soit dans l’épais dossier d’instruction conduit par la Commission d’enquête indépendante (CEI), le procureur Sagnon a pris le soin de préciser dans son réquisitoire que " les autres suspects sérieux identifiés par la Commission d’enquête indépendante sont eux aussi hors de cause ".

Dans ce cas, l’appel des avocats de Norbert Zongo devant la Chambre d’accusation, n’a aucune chance de prospérer. C’est très clair, comme l’argumentent le juge Wenceslas et le procureur Adama Sagnon. Toute la procédure était basée sur les affirmations de Racine Yaméogo. A deux reprises, ce dernier avait maintenu ses déclarations. Mais cela ne semblait pas suffisant à la justice. On l’a donc mis en confrontation pour la troisième fois. Et c’est seulement en ce moment qu’il dit ne plus être sûr. Mais on pourra quand même lui reconnaître une intelligence certaine à Racine Yaméogo.

Il ne s’est pas dédit, mais comme la justice n’attendait qu’une moindre allusion au doute, elle s’en est saisie comme la preuve pour innocenter Marcel Kafondo. Racine Yaméogo a dit qu’il préférait " ne pas persister dans ses déclarations antérieures et accuser à tort un compagnon d’armes ". Dans cette affirmation, il n’a nulle part dit que ses affirmations antérieures étaient fausses. Et par ailleurs, la défense de Norbert Zongo, comme nous l’expliquions plus haut, n’a jamais eu accès au procès-verbal de la confrontation entre Marcel et Racine.

Mais cette " affirmation prudente " de Racine suffit au procureur Sagnon qui explique dans sa requête que la dernière version de Racine Yaméogo lui paraît " la plus crédible car, pendant que l’inculpé était constant, le suspect nommé soutenait plusieurs versions quant à la question de savoir s’il était en compagnie de l’inculpé à la date du 13 décembre ". C’est quand même fort de café, cette justification de Sagnon, qui oublie que par deux fois, Racine Yaméogo a dit la même chose.

C’est vrai qu’à la première audition devant la CEI, il avait confirmé l’alibi de Marcel Kafando, mais quelques jours après, il était revenu devant les mêmes membres de la Commission pour se dédire et expliquer dans quelles conditions il avait été obligé de faire ses déclarations. Devant le juge d’instruction également, il a dit qu’il n’était pas, le 13 décembre 1998, avec Marcel Kafando.

Il se rappelle avoir essayé, en vain, de le joindre au téléphone. Deux fois donc, et devant des personnes dignes de foi (le juge Kassoum Kambou notamment, dont personne ne met en cause l’intégrité ), Racine Yaméogo a dit qu’il n’était pas avec Marcel Kafando. Le procureur Sagnon a préféré donner du " crédit " à la dernière version qui faisait bien son affaire. C’est un choix. Pour le reste, et selon les mots qu’il a employés, tout ce que la Commission d’enquête indépendante avait fait n’est rien d’autre que du " subjectivisme ".

L’affaire Norbert Zongo est donc close. Merci à la justice burkinabè et bon sommeil à François Compaoré.
Cette fois, c’est vraiment un passage en force. On ne s’est même pas embarrassé de farde. C’est fini pour le dossier Norbert Zongo. Au moins maintenant, les choses sont très claires. Norbert n’aura pas la justice dans ce Burkina de Blaise. Sa mère l’avait du reste prédit : " Que les autorités burkinabè ne jugent pas si elles veulent.
Dieu jugera ".

Certains, en lisant ces pleurs d’une mère éplorée, pourraient oublier que le jugement de Dieu n’attend pas forcément l’au-delà. On ne peut avoir assassiné Norbert de la façon dont il est mort, et se dire que son séjour sur terre sera tranquille. Lire à ce propos la description du docteur légiste des restes qu’il a trouvés ce jour-là à Sapouy


Le Parquet heureux d’un non-lieu !

Lorsqu’il s’agit d’un crime, le parquet est toujours intraitable. On a vu nos honorables procureurs, à l’occasion de la tentative du coup d’Etat des Ouali. C’est à l’occasion d’ailleurs que l’expression " ratisser large " a été inventée par l’un d’entre eux. Et voilà que pour un crime odieux, comme celui de Norbert Zongo, nos procureurs oublient de ratisser. Ils se refusent même à ratisser. Ils sont heureux, comme des gamins, d’annoncer un non-lieu. C’est-à-dire leur propre échec.

Fin mai 2006, après la confrontation entre Racine et Marcel, le procureur Sagnon est très heureux. Il ne peut s’empêcher d’annoncer qu’un fait nouveau important est survenu dans le dossier et qui pourrait déterminer son évolution immédiate. Quelques jours auparavant, le juge d’instruction avait auditionné François Compaoré, pour la dernière fois. Ce jour-là, le procureur du Faso et le procureur général étaient eux-mêmes venus accueillir le prévenu, avec tous les honneurs dû à son rang. Quand le juge a fini son audition, ils se sont fait fort de l’accompagner jusqu’à sa voiture. François Compaoré est un prévenu. Mais pas un prévenu comme les autres.

Après ces auditions, il n’y avait plus de doute : on évoluait sûrement vers un non-lieu, pas pour Marcel Kafando, mais de l’affaire Norbert Zongo. C’est le juge d’instruction, comme à son habitude, qui s’en ouvre à certains de ses interlocuteurs. Dès le début du mois de juin 2006, il confie en effet, qu’il allait prononcer un non-lieu. C’est ce qu’il argumentera d’ailleurs dans son ordonnance : " ...attendu qu’à la deuxième confrontation entre l’inculpé et le témoin le 31 mai 2006, celui-ci a soutenu ne plus être formel sur la date de sa rencontre avec celui-là....

Attendu qu’il résulte de l’expertise française versée au dossier que les faits incriminés ont été commis par plus d’une personne ; qu’après l’audition de plusieurs témoins, aucun n’a pu apporter des informations de première source ; que longtemps confrontés à ce problème, nous n’avons pas eu suffisamment d’indices pour inculper quiconque ; que même les suspects sérieux désignés par la Commission d’enquête indépendante ont été tous couverts par les témoignages de leurs proches, levant ainsi le doute sur leur emploi du temps du jour ; que les recherches par nous faites en vue de retrouver les moyens utilisés et les éléments de police technique et scientifique sont demeurées vaines ;

Attendu que des pièces du dossier, aucun indice précis grave et concordant ne peut être retenu contre quiconque... "
Voilà, c’est fait en quelques mots, le juge Wenceslas a innocenté tout le monde : Marcel Kafando et les autres " suspects sérieux " identifiés par la Commission d’enquête indépendante. De la part de ce Juge d’instruction, que nous avons fréquenté jusqu’en décembre 2003, qui se croyait trop malin pour berner ses interlocuteurs, nous avions compris depuis lors, qu’il ne fallait rien attendre de lui. Pendant toute la période que nous avons pu avoir des contacts et des échanges, dont une partie a déjà été publiée dans L’Evénement du 10 décembre 2003, sous le titre " Wens m’a dit... ; À propos de Marcel Kafando. Nos apartés avec le juge Ilboudo ", nous avions la conviction que Wenceslas Ilboudo, malgré les mises en garde de nombre de ses collègues, était déterminé à faire aboutir le dossier. Nous savions que la partie n’était pas simple pour lui, mais qu’il savait aussi, que sa carrière de juge allait dépendre de l’évolution de ce dossier très difficile.

Construit sur cette base de confiance mutuelle, où du moins, c’est comme ça que nous l’avons cru au départ, nous avons pu durant des années, échanger des informations qui nous semblaient importantes. Sur cette période, le juge Wenceslas Ilboudo nous a affirmé, plus tard d’autres personnes nous ont confirmé l’avoir entendu de sa bouche, qu’il avait l’intime conviction que c’est effectivement " les éléments de la garde présidentielle et notamment ceux désignés par la Commission d’enquête indépendante qui ont perpétré l’assassinat de Norbert Zongo... " Sur les fameux " fusils Valtro ", il nous a assuré que des membres du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) lui avaient certifié que ces fusils existaient dans l’arsenal du Conseil de l’Entente. A cette période, il était dans le projet de faire une descente inopinée au Conseil pour inspecter le magasin d’armement. Nous lui avions fait remarquer qu’en l’absence d’une expertise personnelle sur les armes, c’est une descente qui pourrait s’avérer inutile. Il me répond que " tu oublies que je suis un ancien du PMK ; le Prytanée militaire du Kadiogo ". J’avoue que çela, je ne le savais pas, et cette révélation m’a pris de court. J’ai seulement dit qu’avec le temps qui s’était écoulé, il n’est pas impossible que ces fusils aient disparu de l’arsenal du Conseil.

Nous avions aussi parfois échangé sur le fait qu’il n’a jamais voulu inculper les autres suspects sérieux, juste le temps d’instruire et de les libérer, s’il y a lieu. Nous avions insisté sur l’impact psychologiquement positif qu’un tel acte allait produire sur la procédure. Sa réponse n’a jamais été claire sur cette question. En revanche, sur le projet de constituer un collège de juges pour prendre le dossier en main, suggestion faite en son temps, aussi bien par les magistrats eux-mêmes que la Conseil économique et social, il m’a toujours dit n’y voir aucun inconvénient.

Dans cette affaire, comme on le voit, le juge d’instruction peut difficilement affirmer qu’il n’avait pas d’éléments concordants pour continuer l’instruction. Marcel Kafando, même s’il ne l’a pas dit dans un procès-verbal, a toujours dit au juge, qu’il savait comment le crime a été commis. Il a dit à plusieurs reprises au juge : " Si je vais mieux, je vais demander l’autorisation et nous allons boucler cette affaire en très peu de temps ". Il a aussi fréquemment dit au juge instructeur que " c’était une affaire entre militaires...J’ai besoin d’une autorisation militaire, sinon, ce sont des civils qui ont fait ça ".

Quand le juge lui propose de continuer à nier sur le procès-verbal, mais de lui donner suffisamment d’informations pour qu’il puisse conduire l’instruction, sans que sa hiérarchie ne le sache, Marcel Kafando a répondu : " Vous vous trompez, on le saura ". Quand le juge lui demande alors pourquoi continuez-vous à couvrir des gens, il répond : " Parce que tout finit par passer et les gens oublient vite. Au lendemain du 15 Octobre, tout le monde insultait Blaise Compaoré. Mais après, tous l’ont rejoint... ".

On peut donc dire que le non-lieu de Marcel Kafando est en réalité un non-lieu dans l’affaire Norbert Zongo. Les procureurs qui devaient naturellement s’indigner de l’aboutissement de la procédure, et faire même appel, sont ceux-là qui défendent le non-lieu. Ils le justifient même. Ils nous font croire que toute la procédure était montée sur la seule base du témoignage à charge d’un témoin. Ce dernier s’étant rétracté, c’est fini.

Messieurs les procureurs, juste une question : " Pourquoi fait-on prêter sermon aux témoins ? " Si une rétraction intervient huit ans après, n’est-il pas de votre devoir d’insister pour comprendre ce qui est advenu ? N’était-il pas indispensable de confronter Racine Yaméogo aux membres de la Commission d’enquête indépendante, devant qui il avait affirmé ne pas être en mesure de confirmer l’emploi du temps de Marcel Kafando le 13 décembre1998 ?

Et puis, franchement, Monsieur le Juge Ilboudo, quand vous dites que " même les suspects sérieux désignés par la commission d’enquête indépendante ont été tous couverts par les témoignages de leur proches... " (Extrait de l’ordonnance de non-lieu du 18 juin), est-ce que vous êtes sérieux ? Peut-on vraiment reprocher à un proche de mentir pour couvrir un des siens en difficulté ?

Mais enfin ! Le dossier Norbert Zongo, en ce qui concerne son aspect judiciaire, c’est terminé. Comme disait Marcel, avec beaucoup de lucidité : " Les Burkinabè oublient vite ". Mais peut-on vraiment s’asseoir sur un dossier comme celui-là ? Où est-ce un prétexte pour ouvrir une autre initiative de résolution du dossier ? Même si les interlocuteurs sont tous " finis ", Alidou Ouédraogo est malade et interné à Paris grâce à la générosité de Kanazoé, un des hommes du régime, les politiques de l’opposition sont totalement discrédités, il n’est pas possible de fermer un dossier comme cela, sans ouvrir une autre alternative

Newton Ahmed Barry

L’Evénement

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