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Koudbi Koala : L’homme des Nuits atypiques de Koudougou (NAK)

Publié le lundi 31 juillet 2006 à 07h49min

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Koudbi Koala

L’invité de la rédaction des Editions Sidwaya de ce mois de juillet 2006 est un homme de culture. Mieux, un homme qui vit de culture. Comme pour dire, la culture nourrit son homme à condition de trouver le bon bout. Et avec “ses” Nuits atypiques de Koudougou (NAK), Koudbi Koala, il ne fait plus aucun doute, a fait le choix du vrai.

Inspiré par les Nuits atypiques du Lagon en Gironde (France), Koudbi qui pendant longtemps a “squatté” d’autres festivals culturels à travers le monde et surtout en France s’est fait une raison. Pourquoi ne pas créer chez moi une structure pareille. Une forme de “jamboree” qui rassemblera au plan national, sous régional, voire mondial tous ceux et toutes celles qui croient en la culture comme moyen d’intégration des peuples, d’épanouissement de l’homme et certainement sources de revenus. Ainsi donc naquirent les NAK en 1996.

Depuis lors, Koudougou, la ville qui accueille le festival, respire chaque année au rythme des sons de la musique traditionnelle et moderne. A telle enseigne que imaginer le Boulkiemdé sans “ses” NAK, c’est se risquer à créer des couacs. Au cours de cette rencontre avec les journalistes de Sidwaya le mercredi 12 juillet dernier, l’homme de culture lève un pan du voile sur lui, parle également de politique, de Koudougou, la ville “rebelle” ou “frondeuse” c’est selon.

Dans tous les cas, c’est un témoignage riche en enseignements que Koudbi Koala le “patron” des Nuits atypiques de Koudougou et vice-président de l’assemblée générale de l’association Emmaüs International livre avec cette assurance et cet esprit de liberté et de réparti qui font les Hommes de culture. Des Hommes qui, par moment sont en avance sur leurs contemporains et qui, en réalité pour nombre de personnes, sont des gens atypiques. Dans le sens de personnes qu’on ne maîtrise pas.

Sidwaya (S) : La rencontre gouvernement-secteur privé vient de refermer ses portes. En quoi cette rencontre peut aider le secteur privé à être plus compétitif au plan national et international ?

Koudbi Koala (K.K.) : J’ai suivi un peu à la volée, les débats qui ont eu lieu à Bobo-Dioulasso et j’ai vu aussi ce que le gouvernement veut faire pour le secteur privé et ce qu’il a déjà fait. Je pense que les deux parties se sont bien comprises. J’ai beaucoup admiré cela et je me suis demandé dans quel Burkina sommes-nous aujourd’hui ? C’est rare qu’un gouvernement veuille écouter le secteur privé dans ses revendications.

Je me suis aussi posé la question à quand une rencontre gouvernement-société civile, surtout avec les associations qui se battent au quotidien auprès des masses populaires pour le développement de notre pays.

Il faut que le Premier ministre essaie d’initier cette rencontre avec les associations car tous les jours nous cotoyons des gens démunis. Le secteur privé parle en termes de millions, voire de milliards, les associations s’expriment en termes de 100 F, 200 F, 500 F pour aider les plus démunis. Nous souhaitons une rencontre périodique avec le Premier ministre pour apporter notre contribution au développement de notre pays.

S. : A ce genre de rencontre, le refrain qui revient chaque fois, c’est la lutte contre la fraude. Cependant, la fraude persiste, comment lutter efficacement contre la fraude dans un pays comme le Burkina ?

K.K. : Je parle de ce que je sais, de ce que je vis tous les jours. Au niveau associatif, il n’y a pas de fraude à faire. Au contraire, le quotidien est tellement difficile que l’on peut se demander contre qui et pourquoi on frauderait dans ce milieu-là. Si bien que lorsque nous voyons quelqu’un qui veut tricher, nous lui disons, ce n’est pas ainsi que nous allons construire notre petit Burkina. Il faut encourager les services compétents à contrôler tout le monde au même titre, c’est ainsi qu’on peut lutter à un niveau individuel et collectif contre ce fléau qu’est la fraude. Au niveau associatif, nous n’avons vraiment pas de quoi lutter contre la fraude parce que ce vocabulaire n’est peut-être pas de notre milieu.

Mais au niveau des hommes d’affaires, le privé, dans l’administration publique, il faut en parler beaucoup.

S. :Nous sommes en fin d’année scolaire, quel jugement faites-vous au niveau de l’éducation au Burkina ?

K.K. : L’éducation est au rabais. Au CE1, moi j’écrivais des lettres pour envoyer en Côte d’Ivoire, Aujourd’hui, il y a des enfants qui sont en Terminale mais ce n’est pas évident. C’est dire que le niveau de l’éducation est en chute libre et il faut avoir le courage de le reconnaître.

Toutefois, ce qui est peut-être louable cette année, c’est que durant toute la période des examens, je n’ai pas entendu parler de beaucoup de fraude, du “pétrole” au niveau des enfants, ni de fautes imputables à ceux qui ont organisé ces examens et cela est très bien. Ce que je voudrais dire concernant l’organisation des examens, c’est que nous avons un centre de formation technique à Bénebnooma et d’autres établissements du même genre à Koudougou.

Mais nos enfants viennent passer des examens à Ouagadougou. Comment les autorités doivent faire pour que les enfants qui viennent ici ne soient pas dépaysés et soient à l’aise pour passer leurs examens ? Cela n’est pas évident car lorsque l’enfant migre pour un milieu qu’il ne connaît pas pour un examen, cela comporte beaucoup d’aléas. Leurs résultats peuvent en pâtir parce que leurs conditions d’évaluation n’ont pas été bonnes. J’ai entendu aussi dire qu’il y a des correcteurs qu’on embauche uniquement pour la correction des examens et qui ne sont pas des enseignants. Cela n’est évidemment pas bien car quelqu’un qui n’a pas la routine des corrections ne peut bien apprécier les copies des enfants. Tout cela est à revoir pour un meilleur devenir de l’enseignement.

S. : Qu’est-ce qui explique la baisse du niveau et que proposez-vous concrètement pour y remédier ?

K.K. : La baisse du niveau vient de la démission des parents. Avant, quand on allait à l’école, on avait une ambition. Moi par exemple, quand j’étais à l’école primaire, je voulais être instituteur, parce que l’instituteur m’avait beaucoup séduit et j’ai été enseignant par la suite. Aujourd’hui, les parents mêmes ne donnent pas une envie à l’enfant d’être autre chose que ce qu’il voit à leur niveau. C’est le cas des enfants de ceux qui pensent être nantis.

Ils ne font pas d’efforts. La faute vient aussi de nous parents, parce que l’enfant n’est plus modelable à partir d’un certain âge. Par exemple, en pédagogie, on nous disait qu’à partir de six (6) ans, on ne peut plus rien changer.

En plus, il y a le fait que l’enseignement aujourd’hui ne rapporte pas gros à ceux qui s’y consacre tous les jours.

J’ai été professeur pendant cinq (5) ans et j’avoue que si je n’avais pas été religieux, ce n’était pas du tout évident. Mais, nous avions la passion de l’enseignement et tous les enfants qui y étaient, étaient vraiment passionnés. Aujourd’hui, lorsqu’on prend un professeur qui est engagé par l’Etat, il préfère aller faire des cours de vacation que de s’occuper de la classe qu’on lui a confiée.

Si l’Etat faisait en sorte que l’enseignant soit à l’aise, celui-ci se consacrerait entièrement à sa mission. Il faut ajouter le fait qu’aujourd’hui, il y a des enfants qui se permettent d’insulter leur professeur, sans oublier qu’un parent peut venir engueuler un professeur devant les enfants. Tout cela est catastrophique pour l’avenir du système éducatif. Il y a lieu de revenir au moins à l’éducation de base, pour que les parents prennent leurs responsabilités et qu’ils travaillent de concert avec les professeurs pour éduquer véritablement les enfants.

S. : Quelle appréciation faites-vous de la gestion de la crise entre populations frontalières Burkina-Mali par les autorités de ces deux pays ?

K.K. : C’est le problème encore de la colonisation. Pour moi, tous les Africains sont des compatriotes. Il n’y a pas de différence à faire entre les populations africaines. C’est la colonisation qui est venue avec cette histoire de frontière et son corollaire de problèmes. Et les politiciens en profitent tellement que lorsqu’il y a un problème, si le politique ne se mêle pas d’une manière positive, le problème persistera. Ce qui se passe actuellement entre le Mali et le Burkina, c’est un problème qu’on peut résoudre même au niveau des populations elles-mêmes puisque ce sont les mêmes populations. Mais il y a peut-être un problème de terre qui se pose et demain ce sera sûrement un problème d’eau, etc.

Il faut qu’on négocie beaucoup avec les populations de base, que les politiques, dès le départ essayent de construire quelque chose avec les populations de base, qu’on aille dialoguer avec elles afin qu’elles sachent que les frontières qu’on nous a imposées ne sont pas des frontières. C’est tellement fictif que nous vivons autre chose sur le terrain. Si on arrive à informer les gens, à les conscientiser de la sorte, je pense qu’il n’y aura plus de problèmes de frontière.

Avec nos cicatrices raciales, si je vais en Côte d’Ivoire, peut-être que j’aurai des problèmes, mais si je ne les avais pas, qu’est-ce qui prouve que je suis Burkinabè ou que je suis Malien ou autre chose ?

Il faut urgemment que nous, Africains, nous arrivions à dépasser ces problèmes de différence, de frontière et autre. Voyez un peu ce qui se passe en Europe. L’on peut aller de Paris à Berlin et partout sans problème. N’est-ce pas fabuleux ? Pourquoi cela ne serait-il pas possible entre nous frères africains ? Pourquoi un petit problème de terre amène à tuer jusqu’à neuf personnes ? Ce n’est pas normal. Je lance à cet effet donc un appel aux politiques pour qu’ils s’arrangent et fassent en sorte que ça marche entre les frontières.

S. : Quelle appréciation faites-vous du processus de communalisation intégrale en cours actuellement dans notre pays ?

K.K. : Depuis 1990, on a appelé tous les Africains à La Baule et on leur a dit démocratie oblige. On opte pour la démocratie ou on ferme le robinet. Il y en a qui ont réussi plus ou moins, il y en a qui n’ont jamais réussi. Pour ce qui nous concerne, je pense que même si nous nous sommes laissé prendre au jeu, il y a des choses qui sont assez palpables, qui sont assez visibles. Mais ce que je déplore souvent, c’est qu’on va vite en besogne.

On ne prend pas le temps de préparer suffisamment les esprits à certains changements alors que l’expertise nationale le permet. Si je prends le cas des élections qui se sont passées, d’abord au niveau de la présidentielle, c’est bien, c’est un début de démocratie. Ensuite, il y a eu les municipales, surtout dans les villages, les populations n’ont vraiment rien compris encore à la chose. Je discute souvent avec les gens, ce qu’ils attendent des maires nouvellement élus, c’est ahurissant. A écouter, cela risque d’être très grave pour eux. Pour les populations, tous leurs problèmes, même les plus particuliers et les plus individuels seront réglés par ces maires.

Puisque c’est un des leurs qui gouverne, il prendra tous leurs problèmes en charge. Il fallait préparer les gens au préalable, ce travail n’a pas été fait et certains maires risquent de laisser des plumes durant ces premiers mandats. Certains même risquent de démissionner avant deux ou trois ans car ce ne sera pas du tout facile. Beaucoup de ces maires ne sont même pas résidants, il y en a qui se sont amusés à être à Ouagadougou et à être maire dans leurs provinces, mais on viendra les envahir chez eux pour les problèmes quotidiens.

Le travail d’information préalable aurait pu permettre d’éviter cela en montrant aux gens dès le départ ce à quoi ils devaient s’attendre à travers ces élections.

Je ne jure de rien mais “wait and see”, car les paysans ont plutôt compris que le maire, c’est leur frère, c’est leur mère, etc. Or je sais qu’il y a des maires qui n’ont même pas le nécessaire pour vivre décemment eux-mêmes, à plus forte raison, prendre en charge d’autres personnes.

S. : Mais qui devrait mener cette campagne de sensibilisation ? Les candidats ou le gouvernement ?

K.K. : C’est le gouvernement à travers les médias et les services décentralisés de l’Etat, n’est-ce pas lui qui dit d’aller à ces élections ? C’est lui qui devait prendre toutes les dispositions utiles pour que tout se passe bien. Il devait conscientiser ceux qui sont candidats à battre la campagne dans ce sens et non uniquement dans le sens de demander à être élu sans dire ce qui attend les électeurs une fois qu’on est élu. J’ai vu même des partis qui ont donné des sommes dérisoires à leurs candidats pour aller battre campagne. Cela a suffi juste pour qu’il aille boire son dolo un jour de marché sans rien dire à leur électorat. Si ce candidat-là est voté aujourd’hui, qu’est-ce qu’il devient ? Ce sera très difficile dans ces conditions. C’était du rôle de l’Etat d’y songer avant toute chose.

S. : Mais quel serait le rôle des partis politiques si l’Etat devait se charger de cette mission, de cette sensibilisation ?

K.K. : Peut-être que je mets tous ces gens-là dans le même sac. Pour moi, tous ceux qui veulent le pouvoir doivent s’y mettre. Ceux-là, ce sont les partis politiques, et à mon sens, c’est l’Etat qui ouvre la voie à ces partis pour qu’ils aillent vers l’électorat pour se faire élire. Donc c’était à l’Etat de prendre les dispositions à tous ces niveaux-là pour que le travail soit fait convenablement.

S. : Avez-vous des ambitions politiques après avoir fait vos preuves dans le domaine de l’humanitaire et du culturel ?

K.K. : Non, j’ai toujours dit que par rapport à ce que nous faisons si nous nous amusons à vouloir être maire ou autre chose, on ne fera plus ce qu’on est en train de faire convenablement. Et il y a tellement de boulot dans ce que nous faisons que nous n’allons pas perdre le temps à vouloir faire autre chose. Il y en a qui sont contents de faire la politique, d’être maires, qui ne dorment même pas pour l’être. Moi, je ne rêve même pas d’être autre chose que ce que je fais. Donc, ce que je peux faire, c’est donner des conseils à un maire. Par exemple, ma vision du développement, je peux la donner au maire de Koudougou. Mais vouloir être maire, c’est quelque chose qui ne m’a jamais effleuré l’esprit parce que tout simplement si je suis maire, je ne pourrai jamais faire le cinquième de ce que je suis en train de faire dans mon association.

Je m’épanouis tellement dans ce domaine que je me demande pourquoi aller m’aventurer dans un créneau ou je ne connaît absolument rien.

S. : On qualifie souvent Koudougou de ville rebelle avec les turbulences à répétition que cette ville connaît. Comment expliquez-vous cette situation ?

K.K. : Pauvre Koudougou ! J’ai toujours vécu à Koudougou, mais j’avoue que quand on est à l’intérieur, cela n’a rien à voir avec ce qu’on dit de cette ville de l’extérieur.

Peut-être que les gens de Koudougou n’aiment pas l’injustice flagrante. Et cela fait qu’on les taxe, souvent à tort, de rebelles. A Koudougou, quand ce n’est pas juste, quand on sent une odeur d’injustice quelque part, on réagit naturellement. En parlant par exemple de la mort de Norbert Zongo, jusqu’à la fermeture de Faso Fani, qu’est-ce que nous devrions faire ? Ne devait-on pas se révolter pour cela ? C’est naturel quand même que de dire non à un moment où tu en as marre. Si Koudougou est taxé de ville rebelle par rapport à cela, qu’on continue à taxer Koudougou de ville rebelle. Les habitants de Koudougou tous les jours savent ce que Koudougou est réellement. Koudougou veut aussi faire partie du Burkina pour son développement et quand il y a une injustice flagrante, Koudougou se lève et dit non. Koudougou se porte comme un charme, Koudougou se bât avec ses fils et ceux qui l’aiment pour aller de l’avant.

S. : Mais n’empêche que Koudougou a toujours voté pour le pouvoir en place ?

K.K. : Non, non, non, il y a quand même des partis d’opposition à Koudougou. Au niveau du conseil municipal actuel, il y a 10 élus d’un autre parti qui se dit de l’opposition. Le Conseil municipal sortant était dirigé par l’opposition.

S. : Mais est-ce que le nouveau maire de Koudougou a des chances de réussir ?

K.K. : Il aura des chances de réussir s’il s’approche de la population. Il n’y a pas de secret, les gens veulent être respectés. Quand il y a un problème, il faut être présent à leur côté. Que tu sois de l’opposition ou du parti majoritaire, si tu respectes, les gens, ils te respectent et quand tu as un problème, ils sont avec toi. Mais il y a certains hommes politiques, dès qu’ils ont le pouvoir, ils ne s’approchent plus de quelqu’un, on dirait qu’ils deviennent des intouchables. Ces gens-là, ils passeront à côté de la réalité.

Au maire actuel de Koudougou, je lui dirai seulement d’être tout près des gens, et d’être à l’écoute de leurs préoccupations. Il sera agréablement surpris de son succès dans le futur. S’il ne le fait pas, qu’il ne soit pas étonné à la fin car Koudougou restera comme cela. Et puis, il faut savoir qu’une fois qu’on est voté, on n’est plus tel ou tel parti. On devient le maire de tout le monde. Quand on élit un chef, il est le chef de tout le monde. Par exemple, à Emmaüs International, on a élu un président qui est Italien. Beaucoup de Français l’ont contesté. Mais une fois qu’il a été voté, tous les pays sont sortis pour dire qu’à partir de ce moment, la hache de guerre est enterrée.

Il faut que ce soit ainsi aussi, une fois qu’un maire a été voté, il faut que les gens contribuent à ce qu’il travaille bien pour le bonheur de tous. En retour, tout maire doit aussi écouter la population, doit écouter sa base. S’il ne le fait pas, ça ne marchera jamais. Où ça peut marcher au départ mais après ça ne marche plus.

S. : Aujourd’hui, du fait de la politique ou des politiciens, est-ce qu’on ne peut pas parler de fracture ouverte au niveau des fils de Koudougou ?

K.K. : Non, la fracture ouverte a peut-être existé avant. Mais aujourd’hui, je pense que les gens commencent à comprendre que les politiciens les utilisent, aussi bien le parti au pouvoir que ceux de l’opposition. De plus en plus, les populations se disent que les politiciens sont des sacrés malins, il faut être sur ses gardes en traitant avec eux. Et moi je dis aux politiciens, vous allez tricher mais ça n’ira pas loin car les gens commencent à vous comprendre.

Prenez le cas des élections cette année, le plus souvent ce que font les populations, c’est de prendre l’argent un peut partout mais dans l’isoloir, elles ne voteront pas forcément qui leur a donné de l’argent mais qui lui inspire confiance. Quand le paysan a compris, il a trop compris et c’est tant pis pour les politiciens. La leçon qu’il faut en tirer c’est que la majorité des Burkinabè n’est pas bête. Il faut les respecter et tenir compte de leurs intérêts parce que comme dirait l’autre, pas d’intérêt, pas d’action.

S. : Quelle opinion avez-vous des leaders politiques de Koudougou ?

K.K. : Les leaders politiques de Koudougou, je n’en connais que quelques-uns : Juillette Bonkoungou, Henri Guissou, Hubert Yaméogo et Hermann Yaméogo. Ils sont tous humains, ils ont besoin de s’entendre sur un minimum pour le développement de Koudougou. Surtout quand il y a un problème, qu’ils essayent de réunir et non diviser. Aussi, entre eux-mêmes d’abord, il faut qu’ils se comprennent

S. : Fasotex naît des cendres de Faso Fani. Est-ce cela représente une lueur d’espoir pour Koudougou ?

K.K. : Je ne sens pas encore cette lueur d’espoir, parce que d’aucuns disent qu’on ne voit pas ce qu’ils font pour le moment. Et même ceux qui travaillent, a ce qu’on dit, ne perçoivent pas cette lueur d’espoir. Je n’y ai pas été mais c’est ce qu’on écoute à travers la ville. Quand Faso Fani était fermé, même nous, Emmaüs on était intéressé par la chose. On s’était dit, si Faso Fani nous aidait à reprendre la chose à 1F symbolique l’impression, on était capable de mobiliser des fonds pour remettre l’impression en place, ne serait-ce que pour préserver les travailleurs.

Mais quand on en a fait part aux politiques, on n’a jamais eu de nouvelles. On a fait les démarches en vain. Après, c’est-à-dire juste avant l’élection présidentielle, on vient nous faire croire qu’on va ouvrir Faso Fani et ensuite on dit que c’est ouvert. Pour moi, tout cela est politique si l’Etat est prêt à subventionner Faso Fani, ça peut bien marcher. Mais si ce sont des hommes d’affaires, des gens qui veulent de l’argent qui ont pris Fasotex, cela ne sera pas évident, vu le nombre de pagnes qui nous inondent aujourd’hui au Burkina. La concurrence est si déloyale que je ne suis sûr de rien. Je souhaite longue vie à Fasotex, mais le contexte international me laisse sceptique.

S. : Cela ne relève-t-il pas du paradoxe que le Burkina soit le premier pays producteur de coton et que nous n’ayons pas de filature ?

K.K. : Bien sûr, mais tout cela relève du politique. Il faut que les politiciens résolvent ce problème-là. Nous étions au Mali l’année dernière pour une tournée sur le coton organisée par Aminata Traoré, ancien ministre de la Culture du Mali. On portait tous des pagnes et on est allé visiter des producteurs de coton et Mme Aminata Traoré est en train de mettre en place une structure pour que le coton du Mali soit transformé au Mali par les Maliens. Et ça commence à aller parce qu’elle a trouvé aussi des partenaires qui ont la même vision qu’elle. Le Burkina est le premier producteur de coton, il faut que nous ayons une vision dans ce domaine-là parce que cela y va de notre dignité.

Souvenons-nous de la période révolutionnaire, où le Faso Dan Fani était adopté par la population à tel enseigne que la demande dépassait l’offre aussi bien à l’interieur qu’à l’extérieur du pays. Pourquoi aujourd’hui on ne peut plus susciter un telle engouement ? C’est toujours le même coton, à ce que je sache. Il y a de la détermination, et je pense que le politique y est pour quelque chose car il faut qu’il nous aide vraiment à utiliser notre coton ici. Quand je vois François Traoré (président de l’Union des producteur de coton du Burkina) tout le temps habillé en Faso Dan Fani, je suis très content. Mais il faut aller au-delà et envisager la transormation du coton sur place.

S. : L’UEMOA tente de mettre en place une unité sous régionale de transformation du coton. Pensez-vous que cela peut contribuer à résoudre le problème du coton ?

K.K. : C’est toujours le même problème. Je pense qu’il faut d’abord agir localement avant de penser à cette grande union-là. Si déjà au niveau du Burkina, nous ne pouvons pas faire quelque chose avec notre coton, il y aura des séminaires et des séminaires mais l’aboutissement sera long. Il faut d’abord commencer avec des gens qui y croient et le reste suivra. Ce projet est noble, mais attendons de voir. Les projets, il y en a plein de bien ficelés mais on ne voit jamais l’aboutissement. Si bien que j’ai peur des longues initiales. Il faut faire petit et on arrive à quelque chose de grand.

S. : Comment avez-vous accueilli les mesure prises récemment par le ministre de la Culture pour réglementer l’organisation des spectacles ?

K.K. : Favorablement, mais comme je l’ai toujours dit, moi j’attends l’application. On prend chaque fois des décisions mais l’application est toujours lente. Je me dis qu’avant de prendre une décision, on doit d’abord songer à son efficacité. Sinon, ce qu’ils ont proposé est super, on est tous acteurs de ce créneau, on essayera d’apporter notre contribution. Le ministère a certainement beaucoup écouté les acteurs du secteur et je souhaite vivement que la mise en application de ces mesures soit immédiate et non attendre.

S. : Avez-vous des propositions pour appuyer ces décisions, ou que comptez-vous faire ?

K.K. : Je pense qu’on en avait déjà discuté et le ministère de la Culture semble beaucoup écouter les acteurs dans ce secteur.

S. : Quelle appréciation faites-vous de l’organisation de la dernière coupe du monde ?

K.K. : J’étais en Allemagne durant cette période. J’étais invité pour parler sport-culture et développement. Pour ce que j’ai pu constater c’est que cette fête a été très bien organisée et tout s’est bien passé. Peut-être qu’on pourrait revenir sur l’action de Zidane.

Il a agi du reste comme un humain. Parce que souvent les gens pensent que lorsqu’on est star, on n’a pas certaines caractéristiques de l’humanité. Zidane a montré qu’il reste avant tout un homme et quelle que soit la place qu’on occupe, lorsqu’on est poussé à l’extrème, on est obligé de réagir de façon naturelle et humaine.

S. : Comment appréciez-vous la prestation des équipes africaines ?

K.K. : Pauvre Afrique ! Il y a lieu de se demander qu’est-ce qu’on a fait aux autres ! J’ai l’impression qu’on a dit qu’il ne fallait pas que l’Afrique arrive aux quarts de finale. Et tout a été mis en œuvre pour y parvenir. Qu’on le veuille ou pas, c’est la triste réalité et cela a été révélé sûrement par la finale avec Zidane et l’Italien. Les Noirs resteront toujours moins que rien.

S. : Est-ce que cela n’est pas lié au fait que le sport est devenu aussi du business ?

K.K. : Bien sûr que le sport est devenu du business. C’est cela le drame, et dans le business, l’Afrique ne pèse peut-être que 2% dans l’économie mondiale et cela se ressent forcément au niveau du sport. C’est vraiment dommage. On voit tout en terme d’économie.

S. : Pensez-vous que Drissa Traoré “Saboteur” à la tête des Etalons pourra nous emmener à la CAN de 2008 ?

K.K. : Je ne connais pas trop l’itinéraire de l’homme, mais au regard de ce qu’on dit de lui, c’est d’abord un policier, donc qui a de la rigueur et en matière de sport si la rigueur n’y est pas c’est difficile. Pour cela, par rapport à ce qu’il a fait pour les autres, s’il ne le fait pas pour son pays, je ne sais pas ce qu’il va faire. Je lui fais donc confiance en me disant que pour les prochains Jeux, le Burkina ira au moins en quarts de finale ou en demi-finale pourquoi pas. Quant à la qualification, je pense que cela est d’office avec Saboteur.

S. : Le Président du Faso vient de procéder à l’inauguration d’un centre de foot, étude destiné aux enfants de la rue. Quel intérêt portez-vous à ce centre ?

K.K. : A Benebnooma, nous avions un projet depuis 1998 sur une école de foot et depuis nous sommes dans les démarches pour ouvrir cette école. Si bien que quand j’ai vu l’inauguration de cette structure par le chef de l’Etat, je me suis dit que les autorités ont enfin pris à cœur le sport et surtout le football pour les enfants de la rue. Mais nous avons eu entre temps des partenaires que nous avons refusé parce qu’ils ont dit qu’ils prenaient tout en charge mais s’ils découvrent un talent, ils l’extirpent pour l’envoyer en Europe. Nous leur avons gentiment dit “gardez votre argent”. C’est pour cela que nous n’avons pas encore construit notre école mais mon dernier voyage en Allemagne va sûrement faire avancer les choses dans le bon sens car d’intéressants contacts ont été pris.

S. : Mais pensez-vous sincèrement que cette école sera pour les enfants de la rue ?

K.K. : Justement, je pense que ce sera le cas, c’est pour cela que j’ai applaudi. Autrement si c’est pour que les riches-là envoient leurs enfants là dedans, je n’applaudirais plus. Ils ont dit “enfants de la rue” et un enfant de la rue tout le monde sait qui c’est.

Ce ne devrait être autre chose. Pour cela, même si ce n’est pas gratuit, chacun devrait contribuer selon ses moyens. Mais si c’est pour envoyer des enfants qui payeront 500 000 F par mois ou par an, on passera à côté de la plaque.

S. : Laquelle des deux (2) équipes de Koudougou supportez-vous ?

K.K. : Je supporte les deux équipes de Koudougou, je leur dis si vous avez des besoins, si on en a, on peut aider tout le monde au même titre et on l’a toujours fait dans la mesure de nos possibilités. Je leur ai aussi demandé pourquoi ne pas se mettre ensemble et former une seule équipe. Mais jamais ils ne veulent entendre cela. Chacun veut être autonome.

S. : Que pensez-vous de la situation en Guinée, avec un président qui tient à peine sur les deux pieds ?

K.K. : Vraiment, je ne comprends pas ce qui arrive à la Guinée. Le président ne tient plus, mais pourquoi on ne peut pas le remplacer ? Depuis Sékou Touré, c’est lui qui est aux affaires, il est impotent et il ne veut pas laisser le pouvoir. Je me dis que le problème n’est pas au niveau de lui-même en tant que tel. C’est son entourage certainement qui le maintient pour son propre salut car cet entourage souffrira plus de son départ que lui-même. Sinon, si cela ne tenait qu’à lui-même, je pense que, ne serait-ce que pour sa santé, il serait parti.

S : Comment voyez-vous la situation au Togo avec les derniers pourparlers qu’une des parties a refusé de parapher.

K.K : Le Togo est un pays frère et voisin et on sait ce qui s’y passe. Tout le monde a suivi comment le fils a succédé au père. Ceux de l’opposition, jusque-là n’ont pas encore avalé cela et ils ne l’avaleront certainement jamais en tant que politiques.

Même quand on n’est pas politique, ce que j’ai toujours déploré en Afrique c’est que certains pensent que c’est leurs fils qui doivent nous diriger dans le futur, cela n’est pas normal.

Pour le cas du Togo, c’est sûr que ceux qui ont refusé de parapher le document final disent d’abord non à cela et aussi au fait que les gens qui sont au pouvoir seront toujours au pouvoir parce qu’ils ont les moyens. Il faut souvent dire non même si c’est difficile.

S : Comment avez-vous acceilli l’arrivée de Yayi Bony au pouvoir au Bénin.

K.K : C’est une très bonne chose. C’est une surprise heureuse en ce sens que quelqu’un qui n’a pas de parti politique, arrive dans un contexte dont les gens avaient marre. Il faut que cela arrive dans tous les pays africains où on a ras-le-bol qui a fait que l’actuel président a été élu au Bénin d’une manière vraiment sans fraude et limpide.

Ainsi donc, ces candidatures indépendantes sont à encourager et une fois qu’on arrive là, vous verrez que nos pays seront très bien dirigés.

Il y a des gens qui ont les qualités pour bien diriger mais qui ne peuvent pas s’approcher parce qu’ils n’ont pas de parti politique.

S : Comment appréciez-vous l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire ?

K.K : Il faut dire plutôt la situation au Burkina, car ces deux pays-là sont tellement liés qu’il est difficile de parler de l’un sans l’autre.

C’est dommage que cela perdure, je garde espoir. Par rapport à tout ce qu’on entend aujourd’hui, par rapport à l’actuel Premier ministre, qui fait tout pour que les gens s’asseyent, parlent et puissent vraiment se comprendre pour bien gérer ce pays, je pense que l’espoir est aujourd’hui permis ; sans la Côte d’Ivoire, ce n’est pas le Burkina seulement, mais c’est toute la sous-région qui a des problèmes.

C’est donc de tout cœur que nous souhaitons que la paix revienne dans ce pays-là. L’économie du Burkina est aujourd’hui chancelante parce que la Côte d’Ivoire ne va pas bien.

S : Mais comment voyez-vous la Côte d’Ivoire après le 30 septembre ?

K.K. : L’ONU a lancé un ultimatum, Bany pourrait exercer une forme de gérance transitoire, le camp Gbagbo n’ayant pas encore dit le dernier mot. Je crois qu’il faut se prononcer. Si au premier octobre, il n’y a pas d’élection, il faudra que l’ONU dise aussi son mot ou fasse, en tout cas quelque chose pour qu’on sache que c’est du sérieux qu’elle faisait. Sinon ce serait vraiment de la comédie inutile.

S : Il se tient actuellement au Maroc une rencontre sur l’émigration. Comment voyez-vous les perpectives de l’émigration pour le continent africain ?

K.K : Je disais un jour aux membres de notre association que si j’avais l’argent, je ferai partir tout le monde en France pour un certain temps et les uns et les autres comprendraient certainement que cette affaire d’émigration n’est pas une fin en soi. J’en connais qui y sont allés et qui ont dit ma place est au Burkina. Toutefois, je me dis aussi que c’est la pauvreté qui explique tout cela.

Si on était suffisamment riche, ce serait le dernier souci pour un africain de vouloir aller vivre là-bas. Partir et revenir oui, mais y rester non. Cela parce que quelque chose te manquera.

Il faut vraiment une politique pour faire comprendre aux gens que ce qu’on leur fait miroiter là-bas, ce n’est pas toujours vrai. En plus, faire en sorte que ceux qui sont sur place puissent avoir du travail pour se maintenir. Pour moi l’émigration peut s’arrêter si l’Etat prend ses responsabilités. Voilà maintenant Sarkozy qui sort avec son “émigration choisie”, c’est horrible.

Prenez un arbre avec ses feuilles, quelle est cette feuille qu’on peut séparer de l’arbre sous prétexte qu’elle n’est pas de l’arbre. C’est pour dire que quoi qu’on fasse, la solution est ici en Afrique.

S : Que pensez-vous de ceux qui disent que c’est parce que nous gérons mal nos pays que nous sommes dans cet état de précarité ?

K.K : Ce n’est certainement pas faux avec nos jeunes démocraties. Mais c’est beaucoup plus le manque de moyens qui est à la base. Ici, tout est prioritaire, et avec peu de moyens on fait souvent des merveilles.

S. : Tantôt vous parliez d’aide, de quelle aide s’agit-il ?

K.K. : L’aide dont je parle est celle qui est désintéressée. Il ne s’agit pas de nous octroyer de l’argent et d’envoyer un coopérant qui encaisse tout et repart. C’est dramatique. Nous avons mené une étude à Emmaüs qui indique que sur 100 euros d’aide, 82 euros repartent chez le/ou les donateur(s). A quoi cela sert-il ?

S. : Et pourtant l’aide est budgétisée à leur niveau ?

K.K. : Ils le font mais c’est très subtile. Très souvent, lorsque les coopérants viennent ici, ils apprennent le boulot sur notre dos. Et lorsqu’il s’agit de rémunération, ils gagnent 2 à 3 fois plus que leurs collègues locaux. Pourquoi cette discriminatin ? A compétence égale, traitement égal.

S. : Les présidents africains ont décidé au sommet de l’UA tenu à Banjul de faire juger l’ancien président tchadien, Hissène Habré au Sénégal. Or Charles Taylor, l’ancien président du Liberia n’a pas bénéficié des mêmes faveurs. Il sera jugé aux Pays-Bas par le Tribunal spécial sur la Sierra Leone (TSSL). Quelle est votre appréciation de cette situation ?

K.K. : Je ne sais pas si l’Afrique sait ce qu’elle veut. Il y a deux poids deux mesures. Je me dis que les chefs d’Etat font des calculs. Ils se disent peut-être “si je fais ça à un ancien homologue, c’est ce qui m’arrivera un jour”. C’est ce calcul qu’ils font parce que la justice sénégalaise n’a pas refusé l’extradition de l’ex président tchadien en Belgique. Je crois que les présidents criminels devraient être jugés à l’extérieur, cela serait plus impartial et apaiserait le cœur des uns et des autres. Parce qu’un jugement au Sénégal, risque d’être influencé par des pressions, et je me demande comment la justice sera faite.

Ceci dit, le jour où j’ai vu Charles Taylor, un chef d’Etat menotté pour être transféré, je n’en croyais pas mes yeux.... Mais il est souhaitable que très rapidement, les juridictions africaines puissent prendre en mains de tels dossiers.

S. : J’ai compris aussi que nous nous battons mais de l’autre côté ils font ce qu’ils veulent avec nous.

K.K. : Quand ils veulent quelque chose, quel que soit notre point de vue, cela ne les intéresse pas, ils veulent simplement parvenir à leur fin.

Dans nos associations par exemple, nous voyons des partenaires qui demandent l’argent dans leur ville pour nous, et quand ils arrivent ici, ils veulent nous imposer leurs projets.

Si vous n’avez pas d’autres financements, vous acceptez leurs conditions et vous prenez leur argent. Mais le jour qu’ils viendront trouver que le projet n’a pas réussi, ils se plaignent, oubliant que ce n’est pas notre projet qu’ils ont financé mais qu’ils nous ont donné l’argent pour réaliser leur projet qu’ils avaient en tête. Au niveau mondial, c’est la même chose que vivent nos Etats. Les gens viennent dire aux dirigeants, nous voulons que ça se passe comme cela. Les chefs d’Etat acceptent pour bénéficier des financements sinon ils ne l’auront pas.

On a des compétences ici qui coûtent moins cher, des gens qui sont expérimentés. Je souhaite qu’on les valorise. Le portique pour rentrer à Koudougou, vous l’avez vu, quelle est l’entreprise qui l’a construit ? Quelle vision a-t-on pour cette commune, combien cela a coûté ?

S. : Quel est votre parcours, on sait que vous étiez professeur d’anglais avant de vous occuper de la culture ?

K.K. : J’ai fait l’école primaire à Koudougou. Après je suis allé au Petit séminaire de Koudougou d’où l’on m’a renvoyé au bout d’une année et demie pour indiscipline. Je suis venu au Collège de la Salle où j’ai obtenu le BEPC. J’avais chanté et animé la messe, je suis allé à Bobo-Dioulasso pour ma formation religieuse au noviciat de Sakabi.

J’ai continué au collège de Tounouma. Après le baccalauréat, on m’a envoyé comme enseignant à Toussiana. De là je suis allé à Dakar (Sénégal) pour les études. De retour, j’ai enseigné à Nouna et à Toussiana et c’est là que j’ai quitté les Frères des Ecoles Chrétiennes (FEC).

Je suis reparti à Poitier en France pour le troisième cycle où que tout a commencé par rapport à l’association. J’ai toujours lutté quand j’étais chez les frères pour qu’on crée une école technique parce que j’enseignais l’anglais et je me demandais, si c’est de cela que les gens avaient vraiment besoin pour réussir au Burkina. Je pensais que c’était mieux pour eux de faire des choses plus pratiques.

A Poitiers, un jour j’ai vu une pancarte marquée “Danse africaine le week-end” et c’était 150 FF soit 17 500 F CFA à l’époque.

C’était quand même beaucoup pour ma bourse qui, soit dit en passant était plus consistante que celle servie par l’Etat burkinabè à mes compatriotes qui était de 75 000 F CFA.

Je suis allé et c’est une Togolaise qui était là-bas. Je lui ai demandé si je pouvais m’inscrire. Elle a dit oui. Je me suis inscrit et j’étais le seul Africain. Le samedi je suis parti aux répétitions et je m’efforçais de faire tous les gestes qu’ils me demandaient. Le dimanche j’ai dit que je ne pouvais pas continuer de répéter les mêmes gestes, de façon mécanique de faire le 1, 2, 3 qu’ils me demandaient. J’ai demandé à me mettre au tam-tam pour aider la Togolaise parce que c’étaient des Blancs qui jouaient et le rythme ne me plaisait pas.

Cette rencontre m’a permis de créer un atelier de percussion à la maison des jeunes de Poitiers où je faisais voir la percussion et la danse africaine. Je discutais avec mes élèves en leur disant que je voulais créer une autre école au Burkina parce que l’école était inadaptée à nos réalités. De conseils en conseils, jai fait venir un cousin et une nièce en France et nous avons sillonné la côte Ouest pendant le mois de juillet et d’août.

J’ai expliqué jusqu’à la signification des cicatrices raciales pour qu’ils comprennent que ce n’est pas un lion qui m’a griffé. J’ai vendu tout ce que je pouvais en ce sens. De fil en aiguille ça a fait tache d’huile. Et depuis juillet 1982, les gens ont demandé ma troupe “Saaba”. Nous avons continué ainsi jusqu’en 1983 où je suis rentré à Koudougou dans mon quartier qui s’appelait “Bourkina” avant la Révolution, le secteur n° 10. J’ai vu beaucoup de jeunes qui étaient sans emploi, des enfants qui ne pouvaient pas aller à l’école.

J’ai recruté sept enfants à qui j’apprenais à lire, à écrire et à jouer du tam-tam. Deux jeunes et une dame sont venus volontairement me donner un coup de main. J’ai bénéficié par la suite du soutien de Yvon Corlay et ce, pendant 3 ans. Là c’était en février 1983 ; en juin 87 j’avais 87 enfants. J’ai ouvert des classes dans mon quartier. Tout ombrage était une salle de classe. Ceux qui sont atteint le niveau CM2 ou 6e et qui ont quitté sont venus me demander ce que je pouvais faire pour eux, ils voulaient eux aussi apprendre. Je leur ai demandé ce qu’ils souhaitaient. Les premiers m’ont dit qu’ils désiraient apprendre la menuiserie. Je suis parti en France, et au retour j’ai ramené des scies et nous avons occupé une maison abandonné comme atelier. Ce fut ensuite les filles pour faire la couture, puis la dactylographie.

Petit à petit nous avons ouvert une bibliothèque et aujourd’hui nous avons beaucoup de réalisations au centre Benebnooma et tout cela grâce à la troupe “Saaba”. Dans quelques jours nous irons aux Pays-Bas pour cinq semaines de spectacle. C’est la troupe qui nous permet de boucher les trous. Aujourd’hui nous disposons d’un centre de formation national et même international. Mais tout cela comme je l’ai dit a commencé en France.

Dès le départ, j’étais contre les subventions parce que mon expérience avec le pasteur à Dakar est amère. Il donnait de l’argent aux Gambiens pour réaliser des projets et quand on partait, on nous baladait.

S. : Pourquoi avez-vous abandonné la soutane ?

K.K. : Les écoles des Frères des Ecoles Chrétiennes étaient les collèges de Toussiana et de la Salle à Ouagadougou, le lycée Pierre Koula de Diédougou, Tounouma, Nouna, Issa Berry à Niamey au Niger et Sikasso au Mali. En son temps, il y avait un conflit de génération et de mentalité parce que c’était des frères blancs qui nous manageaient et ce n’était pas toujours facile de nous comprendre. En tant qu’africain, lorsque je rends visite à des amis et qu’ils m’invitent à manger, je ne refuse pas. je le fais parce que je respecte ceux qui m’invitent mais pour eux ce n’est pas possible. A midi, il faut se mettre à table or je n’étais plus un enfant. Mon bureau était toujours plein de jeunes et eux ils n’acceptaient pas cela. Pour moi, il ne faut pas enseigner seulement, il faut discuter avec les enfants pour savoir pourquoi ceux qui ne travaillent pas sont ainsi.

Peut-être ce sont des enfants de pauvres et il faut écouter leurs problèmes pour les aider. Je suis parti de chez les frères parce qu’il y avait la confusion et je me suis dit peut-être que je n’avais pas la vocation. Beaucoup sont appelés mais peu sont élus.Peut-être aussi qu’il fallait passer par là pour réussir ce que je fais aujourd’hui et pour cela je les remercie. J’ai porté la soutane pendant onze ans mais en mon temps, les frères étaient déjà en civil.

Quand j’étais à Nouna, j’accompagnais les prêtres pour animer les messes en brousse, je chantais très souvent en mooré et je portais la soutane pour montrer que je suis religieux. Je suis parti parce qu’on n’avait pas le même langage, on ne se comprenait pas, j’avais des visions pour des jeunes qu’ils ne voyaient pas. Eux, ils voulaient faire le classique, moi non.

Si tu es fort en math on t’envoie au collège de la Salle pour la série C, si tu es moyen c’était à Tounouma pour la série D ou A. Moi je ne voulais pas de cela, je voulais qu’ils apprennent aussi à travailler de leur tête et de leurs mains, là personne ne va chômer même si je sais que tous ceux qui passent par les frères réussissaient en général. Je suis allé à Diébougou la dernière fois où j’ai rencontré un frère qui m’a dit qu’ils ont commencé à faire de la technique, j’ai trouvé cela super.

S. : Est-ce pour autant que vous ne faites pas de cadeau aux prêtres ?

K.K. : Vous dites cela peut-être parce que moi je dis ce que les gens ne veulent certainement pas entendre. Il y a des choses du milieu qu’on ne devrait pas dire que j’ai dit peut-être, mais ce n’est pas un problème, nous nous sommes compris plus tard. Je ne suis pas contre eux, ce problème persiste parce que je crois qu’il faut prier Dieu et non les hommes, parce qu’il y en a qui prient les hommes et ils seront toujours déçus. Je ne suis pas contre les prêtres mais je dis ce que je pense par rapport à ce que j’ai vécu. Au lendemain du passage de : “A cœur ouvert” il y a eu des gens qui ont célébré des messes pour moi disant que ce monsieur, il est perdu.

S. : Que pensez-vous du célibat des prêtres ?

K.K. : Je pense qu’il faut laisser la liberté à ceux qui veulent le faire, ceux qui peuvent n’ont qu’à rester célibataires. Aujourd’hui, c’est difficile. Ceux qui veulent se marier qu’on leur permette de se marier et de continuer leur ministère parce que je suis mal à l’aise quand quelqu’un qui n’est pas marié me parle du foyer. Je vis avec ma femme et mes enfants et je connais mes difficultés. Je ne sais pas pourquoi quelqu’un va me dire des choses qu’il ne sait pas et je vais les accepter d’autant plus qu’il ne vit pas ce que je vis. Il faut que l’Eglise se décide à donner la liberté aux prêtres de se marier, là c’est clair. Je ne suis pas pour le célibat des prêtres. En Europe, je connais des prêtres qui vivent avec des femmes.

De toute façon, les gens peuvent être choqués aujourd’hui de voir un prêtre marié mais je crois que dans quelques années, cela ne sera plus le cas. Je sais que le pape actuel n’est pas prêt à rompre le célibat des prêtres mais je vous conseille de lire le dernier livre de l’abbé Pierre. “Mon Dieu... Pourquoi ?”, un prêtre qui a rencontré des chefs d’Etat et des hommes riches. Il est convaincu qu’il est nécessaire qu’existe dans l’Eglise des prêtres mariés et des prêtres célibataires qui puissent se consacrer totalement à la prière et aux autres.

S. : Quelle place occupe aujourd’hui les Nuits atypiques de Koudougou sur le plan national ?

K.K. : Quand on créait les NAK, on ne pensait pas que cela prendrait une telle envergure. Si aujourd’hui, je n’organisais plus les NAK, il y en a qui le feraient à ma place. On a dix ans d’expérience et les NAK sont devenues incontournables au plan national. Sur le plan international on est de plus en plus connu.

Les Nuits atypiques de Koudougou sont parties d’une histoire banale.
En 1995, j’ai rencontré un directeur de festival à Langon et je lui ai demandé comment il organise son festival parce que c’est bien fait. La troupe “Saaba” a participé à trois reprises ce festival qui s’intéresse à la musique du monde. La même année, j’étais aux Pays-Bas pour un autre festival (Le Festival mondial). Les deux festivals m’ont beaucoup inspiré par le fait qu’ils permettent à l’artiste le plus connu d’être avec les spectateurs. C’est-à-dire qu’il joue un jour et le lendemain il est avec tout le monde, il mange avec n’importe quel festivalier. Il y avait aussi une exposition de toutes les richesses de la région.

Je me suis demandé pourquoi ne pas tenter l’expérience chez moi à Koudougou, étant donné que je travaille dans ce domaine. Au départ, c’était dur, mais aujourd’hui on a une équipe permanente de cinq personnes qui gèrent les NAK. On essaie de faire en sorte qu’une fois les lampions éteints, on commence aussitôt les préparatifs de l’édition suivante.

Pour la onzième édition qui aura lieu du 29 novembre au 3 décembre 2006 et le thème est “Culture, eau et spiritualité”. Aujourd’hui les terres constituent les causes de conflit, demain ce sera l’eau... Nous parlons de l’eau dans toutes ses dimensions comme élément fédérateur qui peut aussi créer des distensions.

Dans dix jours, nous serons à Clermont Ferrand en France pour sceller un partenariat avec cette région qui est le château d’eau de la France. Les NAK ont invité le Gouverneur de notre région pour aller sceller ce jumelage. Ce sont des acquis du festival.
La Semaine Nationale de la Cultue (SNC) nous a aussi beaucoup inspirés dans la création des NAK.

S. : Au-delà de cela, qu’est-ce que les NAK apportent à la région ?

K.K. : Quand on me pose la question, je dis toujours qu’il faut la poser aux gens de Koudougou. On a fait l’évaluation et on a constaté qu’on a injecté 482 millions de F CFA à Koudougou pendant les dix éditions. Il y a des hôtels qui font leurs chiffres d’affaires avec les NAK. Que ce soit le logement, la restauration, les gens tirent des bénéfices énormes. Grâce aux NAK, il y a de nombreuses associations qui ont été créées et qui fonctionnent aussi bien à Koudougou, qu’ailleurs au Burkina mais aussi dans la sous-région.

A Koudougou par exemple, il y a une association “Enfance pour Enfance” qui a été créée grâce aux NAK parce que le fondateur a découvert des partenaires pendant les NAK. Il y a aussi la “cité des arts”, ces deux jeunes gens qui se sont réunis pour faire la création artistique. Ils sont en France en ce moment pour un festival. Il y a des choses que nous ne maîtrisons pas comme les mariages entre Burkinabè et des gens d’ailleurs. Il y a des gens qui sont venus une fois, qui reviennent, qui trouvent une famille d’accueil ou une association qu’ils aident.

Les NAK ont ainsi aidé beaucoup d’artistes burkinabè à être ce qu’ils sont. Si vous prenez les “Yeleen”, leur première sortie était aux NAK ! on a permis à une dizaine de groupes de découvrir l’Europe et ceux qui ont été sérieux continuent de tourner. Mamar Kassey du Niger, Yeleen, Lounga, Lenga de Latou, Fumtugol, Issa Sanogo, Djiguya Si vous prenez le Nigérien Mamar Kassey, il continue à tourner en Europe et aux Etats-Unis grâce aux NAK, Cela nous encourage à pérenniser les NAK.

S. : Quel appui l’Etat vous apporte ?

K.K. : Je loue l’action de l’Etat. Dès le départ, il a été à notre côté. L’ancien ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme, Mahamoudou Ouédraogo est venu dès la première édition nous encourager. Depuis lors, à chaque édition, il revient ou il nous envoie son représentant pour nous aider à pérenniser le festival. Pour nous, c’est inestimable.

Le gouvernement nous a toujours accompagnés financièrement selon ses possibilités et techniquement. Chaque année, l’Etat nous octroie un million de F CFA (au départ, c’était trois millions). Tout cela, plus l’appui technique et moral, c’est inestimable.

S. : Comment appréciez-vous le fait que chacun veut créer un festival chez lui ?

K.K. : Je suis d’accord quand les festivals émergent de la société civile plutôt que du politique. Le politique le fait peut-être cela à des fins électorales. Quand c’est un homme de la société civile qui aime sa région, qui s’y met même si c’est tous les quatre ans, il va réussir.

S. : Au-delà des NAK, vous avez un centre de formation, une télévision et une radio. Comment arrivez-vous à vous partager pour ces différents métiers ?

K.K. : Tout cela marche bien parce que j’ai des hommes et des femmes qui travaillent avec moi. Je suis entouré de gens compétents, une équipe passionnée et passionnante. Dans tous les secteurs dont vous parlez, il y a des responsables. Souvent, je pars au bureau, je suis malheureux, il n’y a pas de visite, personne ne vient me voir, il n’y a pas de dossier à traiter pour moi parce qu’il y a des gens bien qui le font. Je suis le visionnaire de l’association, c’est vrai parce que s’il y a quelque chose à faire j’en parle à la base et on essaie de passer à la réalisation. Sinon nous avons quatre secteurs d’intervention. La culture, (les NAK et la troupe Saaba), la communication (Radio palabre”.

La première radio communautaire du Burkina qui a fêté ses dix ans en 2004. Elle a vu le jour grâce à un partenariat avec Radio France Hérault. “Radio palabre” émet sur un rayon de 70 km et les émissions commencent de 5h30 à 23 h. Le français occupe 20% de nos programmes et les langues locales 80%. Les gens nous ont dit que c’est bien de parler à la radio mais qu’ils voulaient se voir. On a compris qu’il faut l’image et c’est ainsi que nous avons mis en place “Télé Yaka” grâce à un partenariat avec Jean Claude Frisque, le responsable de “Manivelle production” qui nous a aidés à installer la télé.

“Télé Yaka et “Radio palabre” travaillent avec 23 villages. Nous avons quinze permanents à la radio et trois à la télé.

Ce que nous faisons c’est que d’autres le font mieux que nous, nous nous occupons des créneaux qui sont vides. Si l’Etat vient faire mieux que nous, nous laissons tomber et nous faisons autre chose.

Nous avons également un centre de formation dans le cadre de l’éducation-formation. Il permet aux jeunes de choisir un métier qu’ils feront avec leurs dix doigts sans diplôme au départ.

Nous avons la mécanique générale, la forge, la couture, ce sont des métiers qui ne nécessitent pas un diplôme, mais un savoir-faire. A la fin de la formation nous aidons ces jeunes à s’installer et on les accompagne pendant trois ans. Après ils nous remboursent les frais d’installation et avec cet argent on installe les autres formés.

Au centre de formation, nous avons le préscolaire. On a essayé aussi de créer une école primaire pour la simple raison que les enfants de la maternelle finissent leur formation à cinq ou six ans.

A cet âge, ils sont prêts pour l’école primaire. Quand ils vont dans les autres écoles, ils rencontrent des enfants de huit ou neuf ans qui les briment. On a créé notre école primaire et les premiers élèves seront au CM1 à la rentrée prochaine. Nous avons introduit la culture maraîchère et l’informatique à l’école primaire. Au centre de formation, il y a la section secrétariat-comptabilité, et cette année on a la première promotion du BEP, l’année prochaine il y aura le Baccalauréat. Tout cela a été fait à la demande des populations parce qu’à Koudougou, il n’y a pas ce type d’écoles. Si un jour l’Etat vient créer une école de ce genre, on lui cède la place parce qu’à Koudougou ces types d’écoles coûtent trop cher pour les parents.

Il y a une école catholique ESPAK qui fait la même chose. Mais nous avons la chance d’avoir du matériel et nous essayons d’aider les enfants au maximum. Souvent des parents viennent et ils ne peuvent pas payer, on essaie de voir s’il y a la possibilité que leurs enfants suivent gratuitement la formation. On a aussi une école de cuisine où nous formons les enfants pendant deux ans pour leur montrer comment bien cuisiner et servir. Au bout d’un an, la plupart ont déjà du travail. Nous sommes en train de voir s’il ne faut pas faire des formations à la carte, là les restaurants peuvent former leurs employés selon des domaines bien précis. En un an, quand ils partent, ils ne reviennent plus parce qu’ils ont trouvé du boulot. D’autres ont ouvert des restaurants ici à Ouagadougou qui marchent bien.

Nous avons aussi une école de percussion et de danse où nous recevons des Européens qui viennent pour apprendre à danser et à jouer nos différentes percussions.

Nous avons également une imprimerie pour la formation et la production pour l’autofinancement du centre. Nous imprimons des documents pour les associations, des livres et autres divers. Les bulletins de salaires, de notes dans les écoles nous les imprimons également. Pour Faso Fani, nous imprimions toute la paperasserie. En radio, on fait de la formation aussi pour ceux qui veulent apprendre à parler ou apprendre la technique. Nous faisons beaucoup de social. Nous parrainons 215 enfants scolarisés dans les provinces du Boulkiemdé et du Sanguié. Nous payons la scolarité de ces enfants, l’hébergement, l’habillement, leur santé, tout ce qui a trait à la scolarité. Les parents ne paient rien parce qu’en général ils sont démunis, ou bien ce sont des orphelins du Sida. On est aidé dans ce sens par une association basée en Europe,

Solidarité laïque. Nous avons aussi un magasin que nous appelons le “bric-à-brac” en partenariat avec Emmaüs International. Nous recevons des containers dans lesquels il y a beaucoup d’objets liés aux besoins des populations. On revend ces articles à un prix social pourvu qu’on puisse récupérer le transport et un peu de bénéfice pour des actions de solidarité lors de notre association. Dans ce “bric-à-brac” on donne des lits aux hôpitaux. Si un hôpital vient nous demander des lits, on essaie de programmer pour que ça vienne. Nous envoyons aussi des gens en France pour la confection de ces conteneurs. Nous avons aussi construit dix petites classes pour permettre aux enfants qui n’ont pas un lieu pour étudier de le faire. Les professeurs vont aussi les aider. Nous avons aussi un cyber café où les jeunes de Koudougou vont naviguer.

S. : Vous étiez vice-président d’Emmaüs international, comment cela s’est passé ?

K.K. : Mon mandat s’est expiré parce qu’il dure quatre (4) ans. J’étais président d’Emmaüs Burkina après, c’était au niveau de l’Afrique et il fallait voter en international. J’ai été élu en 2000 en Espagne membre du Comité exécutif et ce sont les membres dudit comité qui m’ont élu vice-président. Aujourd’hui je suis conseiller d’Emmaüs International pour l’Afrique.

S. : Que fait Emmaüs pour le Burkina en dehors des containers ?

K.K. : Emmaüs fait beaucoup de choses pour le Burkina. Ce n’est pas une ONG de financement, c’est un organisme qui tient compte des réalités et des besoins des gens. Chaque année, Emmaüs finance des projets à près de 120 millions de F CFA.

Mais ce que la main gauche donne, la main droite n’est pas au courant. Ceux qui donnent et qui crient sur les toits, qu’est-ce qu’ils gagnent. Emmaüs international est représenté dans 15 pays d’Afrique et tous bénéficient chaque année de ses aides.

Au niveau du Burkina, nous recevons les projets mais nos critères de sélection tiennent compte de ceux qui permettent de se passer de l’aide. Emmaüs Afrique a son siège au Burkina. Emmaüs est présent dans quatre continents et compte plus de 400 associations réparties dans près de 40 pays du monde.

Au Conseil d’administration, nous parlons de l’Afrique, et les autres en tiennent compte. Emmaüs est intervenu pour soutenir les victimes du Tsunami plus que toute autre organisation, je ne peux même pas évaluer en francs CFA. Quand il y a eu le problème de Faso Fani, Emmaüs nous a supporté, il en a fait de même pour Sitarail. C’est un organisme qui est vraiment à l’écoute des gens. Son leitmotiv c’est “aider plus souffrant que soi”. Quand tu es bien, il faut regarder derrière peut-être qu’il y a quelqu’un qui est pire que toi.

On a un centre d’accueil dénommé “Centre d’accueil Abbé Pierre”, on l’a construit avec des pierres taillées de la région d’une capacité de 150 places avec une salle de conférences, et un restaurant pour l’auto financement.

S. : De François Xavier à Koudbi Koala, pourquoi cette métamorphose ?

K.K. : Mon nom botanique c’est Koudbi parce que je suis forgeron, mon grand-frère se nomme Koudougou. De notre mère nous sommes dix enfants dont je suis le dernier. Ma mère se nomme Beenebnooma et je l’ai perdue à quatre ans, c’est dire que je ne l’ai pas très bien connue.

Quand j’ai créé mon association, je me suis dit que toutes les femmes de mon papa et de mes oncles m’ont élevé. Je n’ai pas trop senti que j’étais orphelin. C’est parce que j’avais des gens avec moi que c’était bien. Beenebnooma, un seul doigt ne lave pas tout le village, une seule main ne ramasse pas la farine.

Koudbi comme je l’ai dit est mon prénom botanique, j’ai été baptisé en 1962 avant d’aller au petit séminaire. J’ai hésité entre Jean-Bosco et François Xavier parce que je faisais les cœurs vaillants, j’organisais, j’animais beaucoup, il paraît que Jean-Bosco aimait les enfants et François Xavier était un missionnaire et quand je suis arrivé au séminaire, on m’a dit qu’on ne veut plus entendre parler de Koudbi. Je suis devenu François Xavier, j’étais content parce que j’étais civilisé selon moi et j’avais même envie d’enlever mes balafres. J’ai redécouvert la valeur de mon prénom Koudbi en France.

Un jour, alors que je me présentais à des Français en France, j’ai dit je m’appelle Koala François Xavier, il y a un Breton de Quibron (Yvon Corlay) qui a éclaté de rire. Il dit quoi, François Xavier, tu n’as pas un autre prénom, j’ai dit oui, Koudbi, depuis lors dans mes papiers c’est Koudbi dit François Xavier. Parce que Koudbi signifie quand même quelque chose. Je préfère donc qu’on m’appelle Koudbi, petite forge.

Je suis forgeron, un Mossi bien marqué et je suis aussi catholique, pour ma femme qui est peulh, (elle est la fille du chef de Barani) c’est beaucoup. C’était dur parce que quand on a commencé à se présenter, on a compris que ce serait un amour impossible. Un forgeron qui marie une peulh, cela ne s’est jamais vu. Il y a des histoires, des préjugés selon lesquels, si un forgeron marie une peulh, à sa mort, sa peau part avant son enterrement. Moi je répondais que je ne serai pas là pour m’enterrer, tant pis pour ceux qui le feront. L’amour étant plus fort que tout, quand nous allions pour demander la main, il fallait mettre un enfant devant nous, pour les mettre devant le fait accompli. Je me rappelle, la première rencontre avec son père, je ne vous conte pas le regard africain. Son père a refusé d’accueillir l’enfant et c’est après qu’il m’a dit de venir au village parce que la fille ne lui appartient pas.

Ma femme avait un oncle plus dur que son père (il est devenu le chef) Je suis allé avec toute ma famille.
Mais avant j’avais dit à mon père que je suis le seul à être allé à l’école dans la grande famille, j’ai beaucoup voyagé et je ne peux pas faire ce qu’ils veulent que je fasse. Je lui ai dit que de toute façon, il a des frères, si eux tous ils refusent, je ne vais pas aller à tue-tête. Quand nous sommes allés, l’oncle de ma femme a demandé mon nom au mien. Il a dit François.

Il s’est retiré pour consulter son grand-frère pour dire que c’est impossible. Il y a un griot qui s’est mis à chanter les louanges de ma lignée. Il y a un Mossi, un certain Simporé qui vivait là-bas, qui a dit “ce sont des forgerons”. Il fallait qu’on aille se concerter, après nous sommes revenus avec le nom Mahamoudou. On m’appelait donc par ce nom ; ça a marché. Mais nous sommes parvenus à nous faire accepter de part et d’autre, ma femme travaille avec moi.

S. : Quelle vertu thérapeutique renferme la viande du chien ? Il paraît que vous en raffolez ?

K.K. : Je suis Mossi et je suis forgeron. Je ne vois pas pourquoi la viande du chien me sera interdite. Quand c’est glacé, il faut le réchauffer avec du tô. Ça marche bien (rires). Mais il ne faut surtout pas l’arroser avec du vin, encore moins avec du dolo samo car ce serait très dangereux, du fait de la “révolution intérieure” qui en résulterait.

S. : Comment avez-vous apprécié l’arrivée de “votre femme”, Mme Aline Koala à la tête du département de la Culture ?

K.K. : Je ne doute pas de ses compétences, ce n’est pas un hasard qu’elle a été nommée à la tête du ministère. Nous nous sommes vus à la Semaine nationale de la culture (SNC) et je pense qu’elle fera bien son boulot. Je dis souvent que lorsqu’on aime son peuple, au niveau de la culture, on ne peut pas ne pas bien travailler. Je suis persuadée qu’elle fera de son mieux. De toutes les façons, il s’agit d’une continuité. Le ministère le plus important du Burkina est celui de la culture ; parce que quand on perd sa culture, on a tout perdu.

S. : Avec vos multiples occupations et déplacements à l’extérieur, avez-vous encore du temps pour vous occupez de votre famille ?

K.K. : C’est vrai que ce n’est pas facile. Il faut trouver une femme qui vous comprend. Même au niveau des enfants, il faut de la compréhension. j’ai refusé d’aller à Emmaüs International, pour le deuxième mandat à cause de ma famille. Je sentais que si je ne faisais pas attention, je me retrouverais face à une maison vide, un jour.

Lorsque l’on est dans une telle structure, on pense être indispensable mais ce n’est pas vrai. Emmaüs International marche bien sans moi. J’étais à la fois dans la troupe Saaba, à Emmaüs Internationale et dans bien d’autres structures si bien que j’étais toujours absent à la maison.

Donc j’étais un étranger dans ma propre maison. J’ai dû discuter avec ma femme. Son attitude me prouvait qu’elle n’était pas d’accord mais elle ne disait rien, par respect pour moi. Mais j’ai compris que si je continuais à être occupé par mes diverses activités, je risquerais de me retrouver sans famille.

Dès lors, je me suis juré de ne plus aller en mission au-delà de dix (10) jours. Ce ne sont pas les invitations qui manquent mais il faut savoir refuser. Aujourd’hui je sais faire la part des choses, pour la cohésion dans ma famille.

S. : Vous lisez la presse nationale. Quelle appréciation faites-vous des journaux ?

K.K. : Si j’ai accepté l’invitation de Sidwaya, c’est parce que je sens que maintenant vous êtes pour tout le Burkina. Avant, Sidwaya était pro-gouvernemental.

Mais maintenant il y a des analyses pertinentes. Dans mes voyages, j’amène tous les journaux et lorsqu’on me dit qu’il n’y a pas de démocratie au Burkina, je leur demande de lire les journaux que j’ai amenés. Aujourd’hui, la presse fait du bon boulot mais il vous faut vous mettre dans de très bonnes conditions pour la bonne marche de vos activités.

Cependant, ce que nous déplorons, c’est le fait de payer la presse pour couvrir un événement. Ça sera mieux que l’on mette les journalistes du privé et du public dans de bonnes conditions, pour leur permettre de bien faire leur travail. En Europe, les journalistes courent après les événements. Mais ici, même s’il y a un événement et que le journaliste n’a pas de carburant, que peut-il faire ? Nous comprenons cette situation mais l’Europe ne comprend pas que l’on paie la presse pour couvrir un événement. Dans chaque journal, il y a des analyses pertinentes que j’adore.

Je vous remercie car c’est grâce à la presse que les gens savent ce que nous faisons. Nous ne savions pas que les NAK pouvaient être connues comme une action allant dans le sens du développement. Notre père spirituel l’abbé Pierre disait : “Ce que vous faites, si les gens ne savent pas que vous le faites, c’est que vous ne savez pas le faire”

Sidwaya

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