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Emmanuel Kouela, directeur général du « Jardin de la musique « Reemdoogo » : « Il y a un vrai problème de soutien à notre culture »

Publié le lundi 31 juillet 2006 à 07h38min

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Emmanuel Kouela

Emmanuel Kouela est le directeur général du « Jardin de la musique Reemdogo » sis à Gounghin. Ouvert en 2004 dans le cadre d’un programme de coopération décentralisée entre la ville de Ouagadougou et la ville de Grenoble (France), le « Jardin de la musique Reemdoogo » se veut un instrument de promotion d’une politique de développement culturel dans le secteur de la musique.

Son directeur général, M. Emmanuel Kouela nous a entretenus sur ses activités, son fonctionnement et le secteur de la musique en général.

Sidwaya (S) : Est-ce qu’on peut connaître davantage qui est le directeur du « Jardin de la musique Reemdoogo » ?

Emmanuel Kouela (E.K.) : Emmanuel Kouela est un fonctionnaire de la ville de Ouagadougou à qui on a confié la lourde responsabilité de la gestion de cette infrastructure. Emmanuel Kouela c’est celui là qui a conduit le projet de mise en place de cette infrastructure depuis 1999.

Après donc les différentes phases de conception sur le projet, la préfiguration sur le fonctionnement, le mode de fonctionnement, le mode de gestion, les différents modes d’activités, l’analyse de la situation.

C’est en fonction de l’analyse de la situation qu’aujourd’hui on se retrouve avec tout ce qu’il y a comme pôles d’activités au niveau du jardin de la musique. Personnellement, je suis un produit du département Arts et Communication de l’Université de Ouagadougou ; avec aussi des spécialisations dans des Instituts au niveau de la France. J’ai une formation sur la conception de projets, de projets artistiques spécialement liés à la musique et la gestion des projets culturels, le développement des activités culturelles, l’administration financière des activités culturelles.

S : Le jardin de la musique est-il rentable ?

E.K. : C’est véritablement en 2005 que les activités ont réellement commencé. C’est en 2005 qu’on est entré dans la phase du développement des activités. Il fallait construire des bâtiments, équiper les lieux, c’est aussi cette démarche, ce travail pour pouvoir prendre en compte toutes les données et dont cet immense système d’équipement fonctionnel qui répond effectivement à un besoin. A la question de savoir si l’équipement fonctionne bien, si effectivement il est rentable, je dirais que c’est un établissement qui fonctionne bien.

Cela est lié au fait qu’il y avait un besoin en la matière. Donc il y a un très bon fonctionnement quand on prend tous les pôles. Au niveau des pôles et les sites il y est prévu un centre de documentation spécialisé sur la musique, et les métiers de la musique.

A ce niveau nous avons une liste documentaire assez fournie qui permet à tous ceux qui sont intéressés par ce secteur-là. Ça fonctionne bien, puisqu’il y a une fréquentation relativement bonne.

S. : Combien gagnez-vous, par an ?

E.K. : Pour l’instant, pour cette partie on n’a pas encore quantifié. Ce service est mis en place, il y a quatre mois environ. C’est en 2006 qu’on a essayé de mettre cette partie-là en marche puisqu’on attendait du matériel et de la documentation.

Ça démarre assez timidement. Mais il y a la fréquentation.

S. : Et pour ce qui est de la création ?

E.K. : J’en viens. (Rires). Donc pour ce pôle-là, il y a une relative fréquentation. Il y a le pôle de la création et de la répétition. Les locaux de répétitions, équipés, sonorisés, sont même débordés, parce que comme vous le savez, il n’y a pas mal de groupes au niveau de la ville qui ont commencé à se professionnaliser depuis que l’outil existe. Donc du coup, il y a un engouement, les gens viennent, ils travaillent, parce qu’il y a un très bel équipement, pour permettre aux gens de travailler. On n’arrive pas à satisfaire les groupes notamment dans les après-midi. Ça veut dire que très souvent on a une occupation simultanée de ces trois locaux. Et si ces trois locaux n’existaient pas à mon avis, on serait dans une situation de pénurie en matière de répétitions. C’est dire que c’est vraiment très occupé.

Il y a aussi le troisième pôle qui est celui de la diffusion de la production (SENIC) où il y a du matériel, une régie complète son et lumière qui permet de valoriser justement ces pratiques et qui donne satisfaction du point de vue rendement parce que c’est du matériel de qualité. Les différentes programmations des groupes permettent aux musiciens de pouvoir présenter ce qu’ils ont comme activités de création.

A ce niveau, il y a une forte fréquentation. Dans la semaine on a en moyenne trois spectacles. Il faut préciser que c’est des spectacles spécialisés sur la musique, des concerts mais il y a aussi ce qu’on appelle la diffusion connexe notamment les nuits culturelles, les danses. C’est aussi de la diffusion musicale avec un autre concept.

On n’est pas dans le théâtre. C’est vrai qu’on reçoit de plus en plus de demandes en la matière, mais nous, nous sommes prioritairement axés sur la musique.

Pour ce qui est de la rentabilité, je pense qu’en réfléchissant à la question, c’est comme si nous étions un établissement commercial. Nous sommes un établissement public et dans ce cas-là, nous rendons un service public, dans un secteur bien donné, celui de la musique, et tout ce que nous faisons, c’est dans l’esprit d’un service public. Et à partir de ce moment, pour nous, la question de la rentabilité n’est pas occultée mais elle n’est pas fondamentale.

Ce qui est fondamental pour nous, c’est le service qu’on rend. La rentabilité pour moi, c’est la satisfaction des usagers de cette structure.

S. : Y a t-il vraiment rentabilité ?

E.K. : Oui, j’en viens, j’en viens. Je veux placer le cadre global pour mieux situer les choses parce que nous, nous ne sommes pas là pour faire du bénéfice. Si nous sommes là pour faire du bénéfice, c’est dire que, par exemple quand l’on prend les locaux de répétitions, s’il fallait appliquer un tarif en tenant compte du rapport du coût d’investissements tarif applicable, on en serait à un niveau où les principaux bénéficiaires n’allaient pas pouvoir avoir accès.

Alors que nous travaillons justement à faciliter leur accès à leurs outils de travail, notamment les instruments de musique. Mais on sait très bien que ça coûte cher. Parce que les instruments de musique aujourd’hui sont considérés comme étant des produits de luxe et taxés comme tels à environ 110% à l’importation. Donc c’est pratiquement difficile pour ces acteurs-là de pouvoir avoir sur place le matériel nécessaire pour travailler de façon correcte. C’est dans ce cadre-là que nous appliquons une tarification spéciale.

C’est dire que nous sommes dans le secteur social. Comme je le disais à travers les chiffres que j’ai donnés tout à l’heure, c’est pratiquement impossible de dire que nous rentabilisons. Parce que rentabiliser c’est par rapport au coût d’investissement global de l’infrastructure, et par rapport à ce qu’on gagne aussi.

S. : Vous êtes tout de même appelés à générer des ressources pour être autonome un jour ?

E.K. : Bien sûr ! Comme tous les autres services publics, il faut équilibrer les dépenses et les recettes publiques. Là-dessus, il y a des règles de gestion. Nous avons des poches de recette liées aux différents pôles d’activités : le pôle de répétitions, l’espace scénique avec la location pour la production des différents concerts ; enfin le bar qui est mis en concession. A celles-ci il faut ajouter les différentes subventions par les différentes subventions que nous recevons à travers nos différentes démarches. Il y a par exemple, l’aspect formation qui fait rentrer de l’argent. Nous développons des partenariats.

Nous sommes subventionnés par la commune de Ouagadougou pour ce qui est du fonctionnement et qui prend en compte les charges récurrentes (salaires, frais d’électricité, téléphone). Nous avons en moyenne chaque année, plus que ce que l’on demande à une localité gérée en commune moyenne. Ce que l’on nous demande c’est de pouvoir générer des ressources qui permettent de prendre en charge les consommables, les pièces détachées pour les instruments de musique. Notre combat quotidien, c’est d’arriver à maintenir fonctionnel le lieu. Jusqu’aujourd’hui, nous sommes satisfaits parce que nous allons au-delà de ce qui nous permet d’assurer le matériel et les consommables.

S. : Qu’est-ce qui a motivé la création du jardin de la musique quand on sait que d’autres centres comme le CENASA, l’ATB ou la Maison du peuple existent déjà ?

E.K. : A mon avis, la première réflexion, c’est de dire qu’il fallait ce centre. Vous avez cité le CCF, l’ATB, le Théâtre de la fraternité, le CENASA. Nous, nous venons en complémentarité avec ces structures existantes. Le positionnement du jardin de la musique, c’est que nous sommes une structure spécialement dédiée à la musique. A ma connaissance, il n’existait nullement auparavent une telle structure.

Nous sommes donc une structure bien spécialisée dans un domaine précis, tout comme l’ATB et le Théâtre de la fraternité... Il faut saluer le fait qu’il y ait la naissance d’une telle structure. Ailleurs, il y a eu des bases. Et cela n’a pu exister que par une base. Il faut toujours un début. Chez nous, il n’y a pas encore assez d’infrastructures de base, parce qu’il y a une partie qui n’a pas totalement été prise en compte dans le secteur de la musique.

Aujourd’hui, en terme de création, on reste juste au niveau des studios qui ne sont d’ailleurs pas professionnalisant, voire de bonne qualité.

S. : Vous parliez d’infrastructures, il y a également la question de la formation. Est-ce que les artistes en sont vraiment intéressés ? Dans quelles conditions peuvent-ils se faire former ?

E.K. : Naturellement. La formation est capitale à tous les niveaux. C’est à partir de là que l’on valorise les ressources humaines. Il y a deux types de formation : la formation professionnelle et la formation socio-éducative.

Pour la formation professionnelle, il s’agit d’accompagner ce secteur en renforçant les capacités des acteurs. Quant à la formation socio-éducative, elle concerne la sensibilisation sur le comment entrer en musique. A ce niveau nous cherchons à susciter l’engouement des adolescents en les familiarisant dès le bas âge aux outils nécessaires à leur apprentissage.

Ailleurs il y a une certaine esquisse dans ce domaine. C’est-à-dire que la musique fait partie intégrante des programmes scolaires.

S. : Est-ce que le secteur de production fait partie de vos activités ?

E.K. : Oui. Quand on parle de production, il faut distinguer la production discographique de la production scénique qui est le spectacle, la musique en live. Nous faisons de la production scénique. Nous mettons tous les moyens en œuvre pour arriver à produire l’artiste sur scène. Pour ce qui est de la production discographique, nous ne sommes pas dans ce secteur pour l’instant. Cela exige que l’on soit une maison de disque, un label etc.

S. : Pour un artiste-musicien qui veut se produire sur scène, quelles sont les conditions à remplir ?

E.K. : Cela suppose que l’artiste en question a déjà un produit. Ce qui va nous intéresser, c’est le produit lui-même. Nous étudions ensuite la qualité du produit, son originalité. C’est sur cette base que nous travaillons afin de le présenter à un public ; en fonction bien sûr des objectifs que nous visons.

Après on pourra parler de la coproduction. Elle est la mise en commun des moyens pour pouvoir produire un artiste. Cela se passe avec l’artiste lui-même et nous ou entre l’entrepreneur de spectacles et nous. Il revient donc à l’artiste de choisir en fonction de son jugement. Pour ce qui est du coût, nous faisons vraiment une tarification sociale, car l’argent n’est pas ce qui nous intéresse de prime abord. Nous prenons juste ce qu’il faut pour amortir les dépenses occasionnées par le travail. C’est-à-dire 25 à 30%. En fait nous venons en appui aux artistes.

S. : Le ministère de la Culture a manifesté sa volonté de réorganiser le secteur de la production des spectacles par des mesures qu’il vient de prendre. Quelle est votre lecture de cette décision ?

E.K. : Je trouve que c’est opportun. C’est une marche vers la professionnalisation du secteur. Aujourd’hui on ne peut plus rester dans l’informel. C’est pourquoi même la simple occupation des locaux (à notre niveau) est contractualisée. C’est important. Il faut amener les gens à prendre conscience du fait (pour parler comme l’homme de la rue) qu’on ne fait pas les choses au hasard. Il y a des règles qui concourent à la mise en place et à la réalisation d’une activité. Voyez-vous ce sont des activités qui ne sont pas codifiées ; du coup, ça échappe à « tout contrôle »....

S. : On a remarqué un manque d’intérêt des entreprises privées et publiques pour le mécénat. Qu’est-ce qui explique cette situation ?

E.K. : Je pense que le secteur culturel demande également beaucoup d’investissements. Dans tous les domaines dit purement économiques il y a toujours eu un soutien au départ, quelles que soient les formes de la part de l’Etat et des structures externes à plus forte raison le secteur culturel considéré comme une richesse de notre pays selon le discours tenu par les autorités. Cependant, on peut se demander quels moyens met-on en œuvre pour qu’effectivement ce secteur émerge. Voilà ! Il y a un vrai problème de soutien à notre culture. C’est vrai que ce problème est commun à beaucoup de pays... A propos de sponsoring et de mécénat, il faut noter que ce sont deux choses différentes.

Le mécénat, c’est une vision à long terme qui répond à une politique voulue par l’Etat. Si aujourd’hui ça tarde à ce niveau, c’est peut-être, parce qu’il n’y a pas encore une loi qui régit le domaine. Je pense que le ministère travaille pour que le mécénat soit effectif. Et cela est à saluer.

Entretien réalisé par Nadoum COULIBALY
Ismaël BICABA
Eulodie GNAMOU (Stagiaire)

Sidwaya

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