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Holocauste de Sapouy : On brûle Norbert, on enterre son dossier

Publié le mercredi 26 juillet 2006 à 07h38min

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Le 13 juillet 2006, le procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, Mr Adama Sagnon, dressait un réquisitoire définitif de non lieu

Il en ressort entre autres que :

« La Commission d’Enquête Indépendante a identifié des « suspects sérieux » à partir de simples hypothèses ; que le droit pénal étant d’interprétation stricte ne saurait s’accommoder avec une démarche dubitative ... » ;
« De la Commission d’Enquête Indépendante en passant par sa déposition de témoin devant le juge instructeur et la première confrontation, l’attitude du sieur YAMEOGO Racine a fondamentalement varié ; que ce comportement s’analysait comme celui d’un individu s’acharnant contre une personne donnée pour retrouver l’auteur ou les auteurs de la mort de son oncle maternel ... » ;

« ...la Commission d’Enquête d’Indépendante dans son rapport, attribuait le mobile du crime principalement aux enquêtes dérangeantes de Norbert ZONGO ; que cette affirmation n’est pas soutenue par une démarche crédible et est plus proche du subjectivisme ... » ;
« ...il ne résulte pas de l’information (des) charges suffisantes contre Marcel KAFANDO d’avoir commis le crime d’assassinat et de destruction de biens mobiliers qui lui sont reprochés .. »

Au motif que le doute profite à l’accusé, le 18 juillet dernier, c’était au tour de Wenceslas H. Ilboudo, juge du premier cabinet d’instruction du Tribunal de Grande instance de Ouagadougou de décider -que l’inculpation de Marcel Kafando étant fondé sur les propos de monsieur Jean Racine Yaméogo qui s’est dédit, et n’ayant pas suffisamment d’indices pour inculquer quiconque- qu’il n’y pas lieu de poursuivre Marcel Kafando et X pour assassinats et destructions de biens mobiliers sur la personne de Norbert Zongo, Yembi Ernest Zongo, Blaise Ilboudo , Abdoulaye Nikiema et par conséquent délivrait une ordonnance de non lieu.

Il est encore heureux qu’aussi bien que le procureur du Faso dans son réquisitoire définitif de non-lieu et le juge d’instruction dans son ordonnance de non-lieu reconnaissent « que tous les éléments constitutifs de l’assassinat sont constitués qu’il est donc certain que Norbert Zongo, Yembi Ernest Zongo, Blaise Ilboudo et Abdoulaye Nikiéma dit Ablassé ont bel et bien été assassinés le 13 décembre 1998 à 7 Km au sud de Sapouy ».

Par qui ont-ils été assassinés ? Tant que cela ne concerne pas Marcel Kafando et X ; tant « qu’il ressort des pièces de l’information que de nombreux témoins attribuaient les faits à des étrangers » ; on peut classer allègrement ce dossier en attendant que la prescription arrive.
C’est donc "personne" qui a intercepté la voiture de Norbert. C’est "personne" qui a tiré. C’est "personne" qui a mis le feu au véhicule.

Les pistes du déni de justice

Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on en soit arrivé à ce point de non départ avec le dossier Norbert Zongo. La volonté de ne pas faire la lumière sur cette affaire a longtemps été manifeste. En effet, souvenons nous qu’au lendemain du drame, les tenants du pouvoir et leurs thuriféraires avaient poussé le ridicule jusqu’à soutenir la thèse de l’accident, ayant causé la mort du journaliste et ses trois compagnons.

Pendant plusieurs mois, cette thèse sera distillée. C’était là, la première manifestation de cette volonté de noyauter la vérité. Cette logique machiavélique va se poursuivre jusqu’en 2002. Ainsi, pour gagner du temps, diverses commissions seront mises en place. Cette guerre d’usure visait principalement à venir à bout du collectif contre l’impunité et pour la refondation démocratique.
Malgré le manque de consensus ayant abouti à la mise en place desdites commissions et la pertinence des résultats de certaines d’entre elles, le régime du Président Compaoré ne s’est pas ravisé à emprunter le chemin de la Vérité et de la Justice. Il croit fermement à sa vision de toujours : louvoiement, fumigation, usure du temps.

Déjà en décembre 2000 nous nous étonnions qu’après plus de 18 mois d’instruction le juge en charge du dossier n’ait pas jugé nécessaire de se transporter sur les lieux et d’y entendre au besoin certains témoins.
On a joué avec l’usure du temps, la pression qu’exerçait le collectif n’existe plus (voir Bendré n°318 du 13 décembre 2004). On a aussi choisi la période idéale, les vacances et les facteurs de démobilisation que cela entraîne.

Dès le début de l’année 2005 le ton avait été donné, mais il fallait attendre certainement l’élection présidentielle de novembre 2005 et les municipales de 2006 pour passer à l’acte. En effet l’on se souvient que dans sa livraison en date du mardi 1er février 2005, L’Observateur Paalga nous donnait à lire une interview de Monsieur François Paul Compaoré, agro-économiste et conseiller de son frère, le Président Blaise Compaoré. Dans cette interview très intéressante, Mr François Paul Compaoré, un homme bouleversé, choqué, offusqué, peiné, attristé par les accusations gratuites, les allégations mensongères et les extrapolations faciles faisait sienne " la piste de l’empoisonnement " que la CEI n’a nullement jugé bon de retenir. Dès lors, pour tout observateur avisé de la scène nationale, il était vraisemblable que le dossier Norbert Zongo et ses compagnons d’infortune, ou tous le moins les pistes qui fusionnaient vers la sécurité rapprochée du chef de l’Etat étaient appelées à être balayées. C’était juste une question de temps et d’opportunité.

"Les dubitations de la justice"

Selon le Procureur du Faso Adama Sagnon, « La Commission d’Enquête Indépendante a identifié des « suspects sérieux » à partir de simples hypothèses ; que le droit pénal étant d’interprétation stricte ne saurait s’accommoder avec une démarche dubitative ... ». Les magistrats, avocats et autres juristes qui faisaient partie de la commission apprécieront certainement. Cependant, dire que la Commission a désigné des suspects sérieux à partir de simples hypothèses semble tout de même relever d’une constipation intellectuelle.
Prenons quelques exemples.

Est-ce dubitatif le fait que Marcel Kafando, le chef de la sécurité rapproché du Président n’ait émis aucun appel de son portable le 13 décembre 1998 alors que l’économie de ses appels un mois avant et un mois après la dite date, montre que tous les jours son numéro a émis des appels tant qu’il était sur le territoire national ? Du reste les autres suspects ont-il pu faire preuve de leur emploi du temps ce 13 décembre 1998 ? Enfin, le lieutenant Boukari Baggna qui était l’un des responsables de cette unité n’a-t-il pas déclaré : « j’ai essayé de vérifier la position de mes éléments le 13 décembre 1998, mais je ne suis pas arrivé à savoir quelles étaient leurs positions » Pour qui connaît le fonctionnement de l’armée, le sens du commandement et la discipline, ceci est plus qu’un aveux, c’est la confirmation que ces hommes n’était simplement pas à leurs postes. Pour des militaires qui était consignés, c’est tout de même étonnant !

Est-ce une simple hypothèse qu’il ait trois (03) fusils de calibre 12 à canon court (communément appelé shot gun) qui soient sortis de l’armurerie le 11/ 12/98 et réintégrés le 14/12/98 sans que la fiche de sortie ne fasse état du bénéficiaire alors que les autres fiches en font état ? Il est aussi peut être dubitatif que la signature du magasinier sur cette fiche soit aussi différente que sur les autres fiches de sortie du même jour ? Dans la déposition du témoin oculaire retrouvé par la commission, il précise que les armes étaient plus grosses qu’un pistolet. Lorsque la commission a reconstitué l’attaque avec lui, au vu d’un fusil classique, il a dit que le canon était plus court.
On pourrait citer d’autres éléments « dubitatifs » mais cela n’apporterait aucune plus value aux porteurs d’oeillères.

« De la commission d’enquête indépendante en passant par sa déposition de témoin devant le juge instructeur et la première confrontation, l’attitude du sieur YAMEOGO Racine a fondamentalement varié ; que ce comportement s’analysait comme celui d’un individu s’acharnant contre une personne donnée pour retrouver l’auteur ou les auteurs de la mort de son oncle maternel ... »

Tout d’abord, il est fort utile de souligner que devant la Commission d’Enquête Indépendante (C.E.I.), Jean Racine Yaméogo a dit avoir été en compagnie de Marcel Kafando, le 13 décembre 1998. C’est dire que les propos de Jean Racine Yaméogo ont pesé pour peu dans les motifs qui ont menés à la désignation des six suspects.

C’est bien devant le juge instructeur que par deux fois, le 29 février 2000 et le 15 mai 2001 que Jean Racine Yaméogo confronté à Marcel Kafando avouera n’avoir pas rencontré ce dernier le 13 décembre 1998.
Si cinq ans après cette confrontation le même Jean Racine Yaméogo vient à dire que c’est plutôt le 14 et non le 13 décembre qu’il était avec Marcel Kafando et d’ajouter « je ne veux pas insister pour inculper à tort un compagnon d’armes », il y’a lieu de se poser les bonnes questions. Pourquoi cinq ans après ?

Que le Procureur du Faso nous explique comment se fait-il que le « comportement (de Jean Racine Yaméogo) - qui- s’analysait comme celui d’un individu s’acharnant contre une personne donnée pour retrouver l’auteur ou les auteurs de la mort de son oncle maternel » se transforme en celui qui ne veut pas faire du tort à « un compagnon d’armes » ?

« ...la Commission d’Enquête d’Indépendante dans son rapport, attribuait le mobile du crime principalement aux enquêtes dérangeantes de Norbert ZONGO ; que cette affirmation n’est pas soutenue par une démarche crédible et est plus proche du subjectivisme ... »
Pour la vérité des faits, sauf amnésie volontaire, le Procureur aurait du citer exactement la commission qui dit clairement dans son rapport que :« Concernant les mobiles de ce quadruple meurtre, la Commission d’Enquête Indépendante pense qu’il faut les chercher du côté des enquêtes menées depuis des années par le journaliste, et notamment sur ses récentes investigations concernant la mort de David OUEDRAOGO, le chauffeur de François COMPAORE, conseiller à la Présidence. ».

Si le procureur estime que cette conclusion -et non une affirmation- de l’enquête « n’est pas soutenue par une démarche crédible et est plus proche du subjectivisme ... », il aurait intérêt à expliquer comment, au cours de ses investigations, la Commission a été amenée à déboucher sur les pieds et les dos brulés de Hamidou Ilboudo, Bruno Ilboudo et de Adama Kiendrebeogo, puis la mort par suite de torture de David Ouédraogo. Les auteurs ? Edmond Koama et Ousséni Yaro. Leur chef ? Marcel Kafando ! Ces trois éléments n’ont-ils pas été condamnés lors du procès David Ouédraogo en août 2000 ? Ceci ne confirme pas le travail sérieux et crédible de la commission ? Norbert a-t-il acheté un costard pour un des membres de la commission ? Avait-il un beau-frère parmi les commissaires, etc ? En quoi la commission dont la majorité des membres n’avaient aucun rapport avec Norbert Zongo pouvait-elle être subjective ?
Si ce n’est pas de la schizophrénie ça y ressemble !

C’est aussi « ça » le Burkina !

Pour le commun des Burkinabè, il ne faisait aucun doute que le pouvoir n’allait jamais laisser la lumière jaillir sur ce dossier. Si fait que l’ordonnance de non lieu délivrée le 18 juillet 2006 qui entend ne plus poursuivre ni Marcel, ni X, ne vient que comme confirmation de cette volonté d’enterrer au plan juridique ce dossier.
Et pourtant, la vérité, celle qui crève les yeux, celle qu’on ne peut réfuter, celle qui fait mal, c’est que des hommes ont tué d’autres hommes. Ces victimes ont des noms, des identités. Des hommes ont commis ces crimes. Et sur ordre. Ces hommes ont des noms, des identités. Ceux qui ont donné les ordres ont également une identité. Ce n’est tout de même pas un sujet anonyme, non identifiable.
Qui a fait quoi contre qui ? Cette question, il faut se la poser. Inlassablement. Encore et encore. Car il est inadmissible, intolérable qu’on nous bassine qu’après Thomas Sankara qui est mort de la grippe aviaire, Clément Oumarou Ouédraogo du kwashiorkor et bien d’autres d’une crise d’asthme, Norbert Zongo soit mort d’un accident de la circulation.

Norbert Zongo, à cause de son engagement dans le journalisme d’investigation, a été assassiné puis brûlé par des Burkinabé qui s’étaient faits propriétaires de la vie d’autres citoyens en disant :"si tu fais on te fait et il n’y a rien". Ils ont brûlé Norbert Zongo, aujourd’hui ils veulent célébrer les funérailles de son dossier. Il y a là ouvertement un déni de justice, ils ont peut-être le pouvoir de leur démarche pour le moment ; ils pourront multiplier les manœuvres, les tripatouillages et autres bidonnages mais cela pourrait-il empêcher que la vérité se fasse ? Une éclipse saurait-il empêcher le soleil de se lever et de se coucher ?


Les avocats des parties civiles s’expliquent sur le dossier

Le collectif des avocats des parties civiles dans l’affaire Norbert Zongo ( Me Sankara, Farama, Yamba, Ouedraogo, Diallo) a organisé une conférence de presse le 21 juillet 2006 au Centre national de presse Norbert Zongo. Au menu, l’ordonnance de non lieu dans cette affaire. Me Sankara au nom des avocats a souligné qu’ils ont fait appel de l’affaire et affirmé que toutes les voies de droit seront prospectées pour empêcher une seconde mort de Norbert Zongo.

« La lampe allumée dans ce centre ne doit pas s’éteindre. Le combat pour la justice et la vérité pour Norbert Zongo n’est plus essentiellement judiciaire » souligne l’avocat avant d’inviter les Burkinabé à quelle que position qu’ils se trouvent à faire en sorte que ce crime ne reste pas impuni. Au cours des échanges avec la presse, Me Farama a relevé que expression « le doute profite à l’accusé » n’est pas valable en droit pour les dossiers en instruction. Par contre, elle l’est pour les jugements. Il a également évoqué l’affaire Clément Oumarou Ouédraogo dans lequel Ouédraogo Yacouba, le seul inculpé dans cette affaire n’a pas bénéficié de cette faveur. Pourtant il s’est rétracté après s’être vanté d’être l’auteur de l’assassinat. Cela n’a pas empêché qu’il soit jugé.

Le collectif des avocats a également révélé quelques faits. On peut retenir :
- Marcel Kafando soutient avoir été en communication téléphonique avec un certain Ki le jour du drame. L’enquête a révélé qu’il n’y a pas eu de communication entre ces deux personnes.
- Au cours d’un entretient avec le juge d’instruction, la veuve Zongo a demandé a celui-ci si en son âme et conscience il pense que la lumière sera faite sur l’assassinat. Réponse du juge : la lumière ne peut pas être faite sous ce régime.
- Depuis que Racine Yaméogo a témoigné contre Marcel Kafando, il n’a cessé de subir des pressions. Non seulement il a perdu son emploi et partout où il pose des dossiers d’embauche, ils sont automatiquement rejetés.

Par Pabeba Sawadogo

Bendré

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Vos commentaires

  • Le 26 juillet 2006 à 11:01 En réponse à : > Holocauste de Sapouy : On brûle Norbert, on enterre son dossier

    J’ai très honte d’être Burkinabè. J’ai vécu les évènements depuis ce lundi 14 Décembre 1998 jusqu’à l’enterrement. Et ce jour-là aucun CDPiste courageux ne pouvait sortir avec un T-shirt CDP, à Ouaga ! J’ai pitié de la justice au Faso. Que ces juges se taisent à jamais. On les voit déjà proclamer, après le règne de Baise COMPAORE ( qui n’est malheureusement pas éternel et à qui je souhaite une mort de vieillesse au pouvoir !) : "qui était fou ?".

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