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Respect de la dignité humaine : Questionnements sur des dérives dans la presse burkinabè

Publié le mardi 25 juillet 2006 à 07h37min

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Au juste, qu’est-ce que le journalisme ? Est-ce le métier qui consiste à informer, éduquer et divertir, comme on le dit couramment ? Ou est-ce le métier qui consiste à tout rapporter, tout écrire sans faire la moindre vérification ?

Ce sont là quelques questions que se pose Albert Zongo, qui est tout à la fois désabusé et perdu face à des dérives d’une certaine presse burkinabè. D’où son appel aux journalistes burkinabè "à plus de responsabilité dans l’exercice de leur fonction", à "plus d’efforts dans les investigations et dans l’analyse des faits".

1. La liberté d’information reconnue

Les avancées de la démocratie au Burkina Faso ont eu comme implication la reconnaissance juridique et la pratique d’une presse libre.

Le printemps de la presse au Burkina a commencé véritablement avec la vague de démocratisation des années 90. On se rappelle que sous la conjonction de facteurs externes et internes, la plupart des pays africains sont allés à l’école de la démocratie libérale à partir des années 90. On remarque ainsi dans des constitutions adoptées à partir de cette date une large consécration de cette liberté.

Au Burkina Faso, la liberté d’information apparaît à l’article 8 de la Constitution : "Les libertés d’opinion, de presse, et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements." Cette disposition constitutionnelle sera complétée plus tard, d’une part par la loi n°56-93 ADP du 30 décembre 1993 portant Code de l’information au Burkina Faso et d’autre part, par la loi organique n°20-2000/AN du 28 juin 2000 portant création, composition, attribution et fonctionnement du Conseil supérieur de l’information.

2. La liberté d’information : un levain pour la démocratie et la bonne gouvernance

La reconnaissance juridique de la liberté d’information et sa pratique sont un levain de toute démocratie digne de ce nom. Certains grands auteurs estiment qu’on ne saurait parler de démocratie véritable là où la liberté d’information n’est pas garantie. Ainsi, le Pr Jean Rivero écrivait : " Que serait une démocratie dans laquelle ne s’affronteraient pas des opinions librement formées au terme d’une information largement diffusée et des opinions différentes sur ce que requiert le développement de la cité ?" Pour le Pr Francis Delpérée, "sans information libre, intelligente, éclairée, la société politique est privée de sens. Grâce à la presse, la démocratie peut, au contraire, se régénérer en permanence et permettre le dialogue entre les citoyens et les pouvoirs publics".

Ces opinions doctrinales ont été illustrées par des exemples de journalistes professionnels dont la qualité du travail a contribué significativement à l’avancée de la liberté tout court dans notre pays. Ainsi en a-t-il été de Norbert Zongo, par exemple.

La liberté d’information participe à la saine gestion des affaires publiques par sa propension à être un phare susceptible d’éclairer les gouvernants et à servir de gardien à l’application des principes de la bonne gouvernance dans la gestion de la cité.

3. Une liberté de plus en plus pervertie

Les avantages que procure la liberté d’information et de la presse sont certains en matière de démocratie et de bonne gouvernance. Cependant, force est de constater qu’au- delà des principes, la pratique dans notre pays révèle de plus en plus des dérives d’une certaine presse qui s’adonne assez fréquemment à des atteintes à l’honneur et à la dignité de la personne humaine.

En effet, des citoyens sont traînés dans la boue assez régulièrement dans des colonnes de journaux, parfois sans réelles preuves, sur la base d’écrits de personnes tierces et sans enquête contradictoire des journalistes. Même l’Administration publique n’est pas à l’abri d’une telle dérive : sous le couvert d’agents brimés, brandissant de faux manteaux de dénonciateurs de la mal- gouvernance, des agents de services publics diffament de plus en plus dans certains journaux leurs supérieurs hiérarchiques avec la complicité des professionnels de la plume, qui, gagnés par un certain laxisme et le goût du sensationnel, ne trouvent plus le temps de vérifier les faits. Les erreurs "judiciaires" en la matière sont légion.

Le caractère déplorable de cette pratique de la presse et de cette ignominie n’est pas à démontrer. Alors se posent les questions suivantes :

- Est-il normal que des écrits portant atteinte à la dignité et à l’honneur de personnes soient rapportés sans une attention particulière sur le caractère avéré des affirmations faites ?

- Les journalistes impliqués dans une telle pratique mesurent-ils les conséquences de leurs actes sur les personnes diffamées et sur leur propre profession ?

- La presse veut-elle quitter son terrain pour s’engager dans celui des tracts et de la délation ?

- La presse est-elle envahie aujourd’hui par des amateurs qui ne maîtrisent par la déontologie du métier ?

- Les journalistes mesurent-ils les conséquences de cette pratique, qui donne la "liberté" pour chacun d’écrire tout de l’autre parce que quelque part une profession a perdu de sa valeur ?

- N’est-ce pas dans ces conditions qu’un illustre opposant de notre pays, excédé par une série d’articles parus dans la presse, a avoué au cours d’une conférence de presse : "Je hais les journalistes, car ils manquent de moralité" ?

Si le gardien chèrement acquis par le citoyen se transforme en voleur, cela ne signifie- t-il pas alors qu’un autre combat de libération attend le peuple ?

4. Et si l’on faisait autrement !

Nous avons accueilli avec allégresse la liberté de presse pour qu’elle nous libère de l’oppression de la toute puissance publique et des abus de tout genre.

Mais la presse n’est-elle pas devenue la toute puissance qui écrase le citoyen sans qu’il ne puisse faire grand-chose ?

En effet, au nom de la liberté d’information et de presse, et de la volonté de contribuer à une information saine, des citoyens subissent des préjudices chaque jour, avec pour seul recours un droit de réponse dont chacun a fini par comprendre la vacuité : l’eau versée ne se ramasse jamais. Et que la vérité du journaliste est toujours la seule qui s’impose. La remise en cause et l’introspection ne sont pas toujours au rendez-vous dans certains milieux. Comme quoi, la tyrannie appartient au monde du pouvoir et même au quatrième.

Certaines plumes ont refusé leur mission de nous éduquer et de nous aider à bâtir l’Etat de droit. Elles ont découvert que les badauds s’amoncellaient chaque fois autour du mal, et ont décidé d’exceller dans cette production spécialisée.

Face à cette dérive, je pose aux journalistes et à toute l’opinion cette question : les acteurs de la plume ont-ils le droit de gérer de la sorte cette liberté à eux confiée par le peuple ?

Nous pensons qu’ils peuvent et qu’ils ont le devoir d’agir autrement.

L’effort de pratiquer la vérité en ces temps difficiles dans un milieu professionnel tel que le journalisme gagnerait à être constant chez le journaliste. C’est seulement de cet effort faut qu’il apprenne à gagner dignement sa vie sans se laisser condamner par des déviants sociaux à chercher sa pitance dans la boue et dans les attentats à la dignité humaine.

Il importe que les journalistes de la plume facile apprennent : (i) qu’une blessure morale est parfois plus douloureuse qu’une blessure physique, surtout lorsque l’on l’a subie injustement ; (ii) et qu’une blessure demeure une blessure. On ne la répare jamais entièrement : la cicatrice demeure.

C’est pourquoi j’en appelle à tous les journalistes épris de paix et de justice, à plus de responsabilité dans l’exercice de leur fonction : cette responsabilité commande de leur part plus d’efforts dans les investigations et dans l’analyse des faits. C’est à cette seule condition qu’ils peuvent apporter leur contribution à l’enracinement de la démocratie et de la bonne gouvernance ainsi qu’à l’épanouissement de la personne humaine tout en renforçant le titre de noblesse de la profession.

La liberté d’information, les journalistes l’on définitivement acquise : Norbert Zongo en a payé le prix pour tous. Et il serait heureux de voir les journalistes exercer avec dignité leur métier et le respect de la personne humaine.

Ce que le peuple attend des journalistes, c’est une contribution plus franche à l’enracinement de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance.

Les journalistes doivent comprendre qu’ils contribuent à l’éducation du peuple. Et s’ils l’éduquent à la délation, ils auront certainement, à terme, la société qu’ils auraient contribué à bâtir. Et il importe qu’ils en prennent conscience : les situations en Côte d’Ivoire et au Rwanda n’ont pas jailli du néant, elles ont été construites, parfois par des journalistes.

Albert Zongo

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 25 juillet 2006 à 12:25 En réponse à : > Respect de la dignité humaine : Questionnements sur des dérives dans la presse burkinabè

    Monsieur

    Vos critiques sont acceptables, mais elles restent vagues, très générales et peuvent être transposées dans plusieurs pays. On ne sait pas à qui et à quoi vous faites allusion. Soyez précis avec des exemples de dérapages que vous auriez constatés afin que les journalistes burkinabè en général et ceux concernés puissent puissent se corriger. Un journaliste n’a pas la prétention de tout savoir, et s’il lui arrive d’utliser par exemple le conditionnel, c’est pour dire que le doute existe dans son esprit. Vous faites exactement ce que vous reprochez aux journalistes.

    Ismaël

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