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Yannick Noah : « A la CAN, aucun joueur ne se roulait par terre en hurlant »

Publié le lundi 24 juillet 2006 à 10h03min

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Elevé au Cameroun entre deux passions - le sport et la musique - Yannick Noah a connu le succès dans les deux domaines. Vainqueur, entre autres, du tournois de tennis de Roland-Garros en 1983, le Franco-Camerounais est devenu, depuis, l’un des chanteurs les plus populaires de l’Hexagone.

En deux mi-temps (la fin de cette interview sera publiée la semaine prochaine), il échange quelques balles avec le Dromadaire. Au menu : football africain, racisme, corruption, Weah...

JJ : La non-qualification du Cameroun pour le Mondial a dû vous marquer ?

Yannick Noah : Il y a eu deux phases d’un an. La première qui n’a pas fonctionné. En milieu de phase qualificative, on a tout changé, les joueurs, l’entraîneur, le staff. C’est là que je suis venu. On a fait cinq matches, on en a gagné quatre et fait un match nul. On est reparti avec un mental incroyable. On a réussi à instaurer un nouvel état d’esprit, une nouvelle confiance. Petit à petit, ce qui était impossible est devenu plausible, puis possible.

Sur la fin, c’était quasiment fait. Et puis il y a quelqu’un là-haut qui a dit non. Il fallait sans doute laisser la place aux autres. C’est comme ça que je l’ai vécu. C’est rageant parce que je suis certain qu’on pouvait non seulement se qualifier, mais aller loin. Mais il a eu au départ un énorme gâchis qu’on a payé au final.

Pourtant, le Cameroun restera comme un pionnier, comme l’équipe qui a montré la voie au football africain.

Les Lions indomptables ont ouvert une porte. Avant, jouer contre une équipe africaine, c’était les trois points assurés. Les résultats du Cameroun ont ouvert des portes pour l’ensemble du foot africain. Et malgré cet échec, je ne pense pas que c’est la fin d’une époque. Cette équipe est jeune, talentueuse. Il y a une pause, sans doute nécessaire, qui peut apporter quelque chose.

Le football africain a connu grâce aux succès du Cameroun une formidable expansion depuis une dizaine d’années.

Autrefois, le joueur africain était un joueur fragile et technique. C’était cette tradition qui venait du football de la rue. Mais depuis, on a une génération qui a émigré, travaillé et qui a un bagage physique et tactique appuyé. Pour moi, surtout, le joueur africain est un joueur honnête.

Ce qui m’a frappé en allant à la CAN, c’est de voir qu’aucun joueur ne se roulait par terre en hurlant. C’est quelque chose qui commence à sérieusement m’agacer dans le football, cette façon de plonger, de simuler qui fait désormais partie de la panoplie du joueur. On apprend à tomber dans la surface. On apprend à simuler. Dans la CAN, on ne voit pas tout ça, et le spectacle en est favorisé.

Ensuite, c’est vrai qu’à la CAN, dans le temps, on découvrait des joueurs. On découvrait Salif Keita, Roger Milla. A présent, on regarde la CAN pour voir des vedettes que l’on voit par ailleurs en Europe.

Et pourtant, cet engouement pour le football africain ne semble pas vraiment profiter au football africain lui-même, aux clubs, aux fédérations, aux structures.

Il y a forcément un décalage entre la vie d’un Samuel Eto’o ou celle d’un joueur du Canon de Yaoundé, qui est pourtant le plus grand club du Cameroun depuis 20 ans. Mais il faut bien se rendre compte que le Cameroun a 200 joueurs qui jouent à l’étranger. Et c’est peut-être encore pire pour un pays comme le Nigeria.

Et puis on parle de pays où règne la corruption. Ce qui compte et qui rapporte dans beaucoup de pays africains, ce n’est pas la richesse du sol, c’est la corruption, et c’est ce qui rend le développement des structures très difficiles. J’ai vécu cette situation personnellement. C’est très difficile, pour ne pas dire impossible.

Ce n’est pas désespérant d’être un peu l’arbre qui cache la forêt ? De ne pas parvenir à changer les choses ?

Je me suis dit que c’était déjà ça, que les gens avaient au moins les Lions indomptables. Dans le bus de l’équipe, en me rendant aux matches, j’ai vu l’engouement populaire. J’étais halluciné d’émotion, de sensibilité. Je me suis dit qu’il fallait faire ce que nous avions à faire : apporter de l’espoir et du rêve aux gens. Une fois qu’on a fait notre boulot, la vie reprend son cours. C’est là que le bât blesse.

Ce qui est vraiment désespérant, c’est la corruption qui est omniprésente. On a bien vu tous ces problèmes avec les sponsors, les primes. J’en parlais avec Rigobert (Song, le capitaine des Lions) qui n’arrêtait pas d’essayer d’arranger les choses. Je lui disais : « Ce n’est pas ton rôle, ne perds pas tout ton temps à palabrer. » Il y a perdu beaucoup d’énergie. Ce qui est dommage c’est que je suis persuadé que le Cameroun a le potentiel de faire mieux que deux quarts de finale de Coupe du monde. Je suis même persuadé que le Cameroun peut gagner la Coupe du monde. Si la Grèce peut gagner l’Euro, alors on peut gagner la Coupe du monde.

Pourtant, parfois, des sportifs tentent de s’immiscer dans le jeu politique. Qu’avez-vous pensé de la candidature de George Weah à la présidence du Liberia ?

Je pense que George aurait sans doute fait et fera peut-être un excellent ministre des Sports. Je pense qu’à un niveau donné de responsabilité et de compétences, il faut ne serait-ce qu’un peu de culture générale. Le fait d’être populaire ne suffit pas. Le but, c’est d’améliorer un peu le sort des gens. Je n’ai pas l’impression qu’il avait un programme très structuré. C’est un peu comme Ilie Nastase, qui s’est présenté en Roumanie, et qui aurait pu être élu. Il a un énorme charisme, une force de conviction incontestable. Mais ça ne suffit pas.

Vous-même, personne n’a cherché à vous récupérer ?

Les gens de partis politiques ont vite compris que j’étais un électron libre. Que je risquais d’être incontrôlable. Et ils ne veulent pas de ça ou alors Fela aurait été président du Nigeria.

Et vous pensez que ç’aurait été une bonne chose ?

Ce n’aurait peut-être pas été pire.

La Coupe du monde va se dérouler en 2010 en Afrique du Sud. Pensez-vous que ce peut être un déclic pour l’Afrique dans son ensemble, comme les jeux Olympiques l’ont été parfois pour les pays hôtes ?

C’est sûr que ce peut être un déclic psychologique pour l’Afrique en général. Mais d’un point de vue économique, cela ne bénéficiera sans doute qu’à l’Afrique du Sud, qui est déjà, et de loin, à des années lumières du reste de l’Afrique noire dans ce domaine.

propos recueillis par François Bocoum

(à suivre)

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