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Me Sankara sur l’affaire Norbert Zongo : "On a tous été arnaqués par le juge d’instruction"

Publié le vendredi 21 juillet 2006 à 10h11min

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Le non-lieu accordé par le juge d’instruction à l’adjudant Marcel Kafando, unique inculpé dans l’affaire Norbert Zongo, suscite l’indignation et le dépit dans le camp de la partie civile. C’est ce qui ressort de l’entretien que nous a accordé Me Sankara Bénéwendé, l’un des avocats des victimes du drame de Sapouy, hier 20 juillet 2006 à son domicile.

Me Sankara, vous êtes l’un des avocats de la partie civile dans l’affaire Norbert Zongo. Après le non-lieu accordé à Marcel Kafando, pouvez-vous nous dire quel est votre sentiment ?

• C’est un sentiment d’abord de déception, ensuite le sentiment également d’une frustration parce que nous avons tous à un moment donné, placé notre espoir en la justice burkinabè, principalement depuis janvier 1999 après le rapport de la C.E.I, puisque nous avions nous-mêmes porté plainte avec constitution de partie civile.

Et on a estimé que le juge d’instruction, qui avait été désigné avec pour mission exclusivement de travailler sur le dossier de feu Norbert Zongo, allait effectivement mettre les moyens dont il disposait ainsi que son intelligence au profit de la manifestation de la vérité. Mais j’ai aujourd’hui l’impression qu’on a tous été arnaqués par le juge d’instruction qui visiblement s’est joué de tout le monde.

Et voilà ce dont nous avons écopé. C’est ce qui justifie peut-être qu’on soit frustré, parce que, pas plus tard que le 30 juin dernier, je lui adressais une correspondance relative à une convocation qu’il m’avait adressée, pour que je prenne connaissance du dossier. Je lui ai demandé de me communiquer à mes frais, les pièces du dossier.

Et jusqu’à l’heure où nous parlons, nous n’avons pas encore reçu ces pièces, alors que la loi impose au magistrat instructeur de nous communiquer au moins les pièces du dossier, pour qu’on puisse savoir exactement qu’est-ce qu’on fait et quels sont les éléments que nous pouvons tirer pour la défense.

Deuxièmement, le 18 juillet, aux alentours de 13 h 30, mon collaborateur, Me Yamba, a reçu un coup de fil sur son portable. C’était le juge d’instruction qui lui demandait en substance, s’il était au cabinet. Me Yamba a répondu par l’affirmative et son interlocuteur lui a annoncé qu’il arrivait. Nous étions plus ou moins convenus qu’il nous apportait les pièces du dossier.

C’est plutôt un envoyé qui est arrivé, muni d’une enveloppe contenant des convocations pour comparaître devant le juge à 16 h 30. J’avais donc la charge de ventiler lesdites convocations aux neuf (09) autres avocats de la partie civile. Vous vous rendez compte que matériellement ce n’était pas possible.

Par courtoisie, je l’ai tout de suite appelé et je lui ai demandé ce qu’il me faisait là, car j’avais jusque-là toujours coopéré avec la justice pour cette affaire. En effet, durant tout le temps que ce dossier était à l’instruction, lorsque par exemple il s’agissait de contacter les autres confrères, je le faisais à mes frais.

Cette fois-ci je lui ai dit que le temps matériel ne me permettait pas de les aviser. Je lui ai néanmoins promis d’être moi-même au rendez-vous, l’invitant à trouver les voies et moyens de contacter mes autres confrères.

A l’heure dite, dans le cabinet du juge d’instruction, d’autres avocats constitués, eux, pour Marcel Kafando étaient aussi présents. Nous avons tous pris connaissance de ce que vous savez et qui a fait l’objet de la conférence de presse d’hier mercredi.

Alors comment expliquez-vous ce à quoi l’instruction est parvenue dans cette affaire ?

• Il n’y a pas d’autre explication ni interprétation à faire. La justice du Burkina Faso ne veut pas se saisir d’un certain type de dossiers, dont celui de l’assassinat de Norbert Zongo. J’ai noté que les deux procureurs, qui ont reçu la presse (cf. L’Observateur n°6685 du jeudi 20 juillet 2006 NDLR), sont unanimes à reconnaître que Marcel a été inculpé le 02 février 2001. Le 15 mai 2001, il y a eu confrontation entre Marcel et le dénommé Jean Racine Yaméogo qui est resté constant !

Cinq ans après, Racine Yaméogo revient sur sa déposition et l’argument qu’il avance, qui d’ailleurs a été noté par le Procureur général, Abdoulaye Barry : "Je ne veux pas insister pour inculper à tort un compagnon d’armes". Ce motif-là, ce n’est pas ce qu’on demande au juge d’instruction de faire ! Un juge d’instruction est a priori un enquêteur. On lui donne un ensemble d’éléments matériels et même subjectifs en lui demandant d’instruire en fonction de tout cela, à charge et à décharge.

On ne lui a pas demandé, sur la base d’une déclaration d’un ami de M. Kafando, de faire le dossier. Ce n’est pas possible ! Et c’est pourquoi je dis que pour moi c’était prévisible. Depuis la mort du journaliste Norbert Zongo, beaucoup de gens étaient sceptiques. Et aujourd’hui, huit ans après, je crois que ceux qui étaient sceptiques ont véritablement raison parce que je pense que c’est à l’image de la justice burkinabè.

Comme cela a été dit lors de la conférence de presse du Procureur général, ce doute profite toujours à l’accusé, ce qui a justifié ce non-lieu. Qu’en pensez-vous ?

• C’est pour cela qu’il y a instruction. S’il s’agissait de juger sur la base des éléments indubitables, on n’irait jamais à l’instruction. Tout de suite on se fait une idée et puis c’est fini ! Le principe conforte en réalité la notion de la présomption d’innocence. Tout le monde sait que Marcel Kafando ne pouvait pas à lui seul commettre un crime aussi abominable et complexe.

Donc, on ne demande pas au juge de charger l’adjudant-chef Marcel Kafando. On lui demande, sur la tête de Marcel Kafando, de trouver tous ceux là qui ont concouru à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois (03) compagnons. Il y a eu par exemple des fusils, des revolvers qui ont été utilisés, des douilles ont été retrouvées.

Il dit qu’il a eu des difficultés à faire des perquisitions au sein du Conseil de l’Entente... donc objectivement, il y a obstruction à son travail et lui, il se sent impuissant. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un blocage qu’il faut rendre le tablier ! C’est une démission de la part du juge Wenceslas Ilboudo.

Selon vous, le juge avait-il une autre alternative face à ce blocage ?

• L’alternative, c’est la loi car en tant que juge d’instruction, il a la loi avec lui. Ce sont là les pouvoirs du juge d’instruction. A travers le monde, les juges ont pris souvent des responsabilités historiques. C’est ce qu’on lui demandait de faire. Il n’a pas voulu ! A côté de nous, le juge Zoro à Abidjan a donné un exemple, même si par la suite, il a quitté la Côte d’Ivoire. Je crois que ce type de juges, on en trouve pas au Burkina Faso.

D’après vous, qu’est-ce qui a bien pu motiver la volte- face du témoin Jean Racine Yaméogo ?

• N’oubliez pas qu’il est militaire lui aussi ! Et, bien que revenu dans le civil, l’armée reste son milieu. Il dit d’ailleurs que Marcel est son ami et qu’il ne peut pas continuer à insister ! Moi, je comprends M. Yaméogo Racine...

Me Sankara, vous avez fait appel de la décision du juge. Alors où en est-on ?

• Les ordonnances du juge d’instruction sont susceptibles d’appel devant la Chambre d’accusation. C’est ce que nous avons fait. Seulement en tant que partie civile, nos moyens sont limités. C’est comme si aujourd’hui nous devions remplacer le Procureur dans les tâches qui lui sont dévolues. Car en tant que ministère public, c’est lui qui dispose de l’opportunité des poursuites. Et le Procureur du Faso rend un réquisitoire de non -informer avant que le juge n’ait pris l’ordonnance de non-lieu.

Ça veut dire que le juge d’instruction et le ministère public sont aujourd’hui du même bord ! Dans la justice burkinabè on dit toujours que la politique entre au Palais par le Parquet. Je crois que ce sont ces considérations-là qui font que ce qui paraît clair, simple et limpide, devient compliqué et complexe.

Selon vous donc, dans cette affaire, le Parquet pouvait faire appel de cette décision.

• Oui. Par exemple dans l’affaire Thomas Sankara c’est le ministère public qui a fait appel contre l’ordonnance du juge d’instruction qui avait dit d’instruire le dossier !

D’après vous, cette affaire est-elle enterrée ou peut-on s’attendre à des rebondissements ?

• Déjà nous avons fait appel. Je crois que le dossier sera certainement instruit et enrôlé pour être apprécié au niveau de la Chambre d’accusation. Mais si d’aventure, la Chambre d’accusation confirmait la décision de non-lieu, ainsi que le ministère public le dit, on a dix (10) ans pour attendre de voir. Ça veut dire que dans l’intervalle, beaucoup de choses peuvent se passer. Mais moi, je reste sceptique quant à la capacité de notre système judiciaire et des hommes qui l’animent de pouvoir véritablement dire le droit.

Mais vous savez bien que le dépositaire de la justice, c’est toujours le peuple et le droit comme la loi sont des éléments dont la souveraineté appartient toujours au peuple, qui apprécie. De ce point de vue, je crois que c’est un combat multiforme qui devrait à priori engager les journalistes ; car ce qui se passe en RDC et ailleurs dans le monde et qui est dénoncé par les associations de journalistes, se passe aussi au Burkina.

Il appartient avant tout aux journalistes de considérer que c’est leur confrère qui a été tué dans des conditions aussi calamiteuses, et qu’aujourd’hui, ce qui est bien c’est de lui rendre justice. Tout le monde y gagne. Sous d’autres cieux, s’il est condamnable de voir qu’on brûle les sièges des journaux, il est tout aussi condamnable qu’on tue impunément des journalistes.

Pour cela, moi je crois qu’il faut accepter de lutter pour la liberté de la presse. Et la justice a intérêt à protéger les journalistes parce que c’est eux qui font véritablement la justice. Donc, l’affaire Norbert Zongo n’est pas un dossier qui peut être classé, encore moins enterré. L’affaire restera là tant que le droit ne sera pas dit. C’est la prospérité et il faut accepter de lutter pour la postérité.

Propos recueillis par H. Marie Ouédraogo


Suite au non-lieu pour Marcel Kafando : La famille Zongo se concerte

Si les initiés n’ont pas été surpris, on ne peut pas en dire autant du commun des Burkinabè, qui a été estomaqué en apprenant l’ordonnance de non-lieu prononcée au bénéfice de l’adjudant-chef Marcel Kafando, l’unique inculpé que le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo avait sous la main dans l’affaire Norbert Zongo.

Depuis cette fameuse conférence de presse au parquet général de la Cour d’appel de Ouagadougou, animée par le procureur général Abdoulaye Barry et le procureur du Faso Adama Sagnon, ne fait qu’alimenter les conversations à Ouaga, au Burkina et ailleurs dans le monde. Mais qu’elle est l’ambiance dans la famille de l’illustre journaliste disparu et que pense-t-elle de cette décision judiciaire ? C’est ce que nous avons voulu savoir en nous y rendant hier 20 juillet 2006 en fin de matinée.

A notre arrivée, sur le coup de 12h30, c’est Jérôme Zongo, un des frères du fondateur de L’Indépendant, qui nous a accueillis. Sous le hangar, une femme donnait à manger à un nourrisson. Aucun sourire sur les lèvres de notre hôte, qui avait par contre les yeux larmoyants. Idem pour son frère Bernard, venu s’asseoir à côté de nous sur un banc. On sent le deuil dans cette famille.

Lors des échanges, Jérôme a eu du mal à contenir la douleur qui le ronge : « J’ai vraiment envie de dire un mot. Mais si je parle actuellement, je risque de commettre des erreurs. Laissez-moi le temps de digérer ma peine, car actuellement je suis dérangé parce que ça ne doit pas se passer comme ça... ».

Il nous a appris que c’est par un ami qu’il a eu vent de « la fameuse » ordonnance du juge d’instruction. « Dans la journée de mercredi, je n’ai pas suivi les informations. C’est à la nuit tombée qu’un ami m’en a informé et j’ai suivi cela au journal télévisé ».

Il a assuré ne pas comprendre pourquoi Racine s’est rétracté. « Comment un homme peut-il dire aujourd’hui que ce bois (ndlr : il nous indexe un morceau de bois) est noir, et demain dire que c’est rouge ? », s’est interrogé notre interlocuteur. Il nous confiera qu’il a quelque chose à nous révéler, à propos de Racine Yaméogo si toutefois nous lui ouvrons les colonnes de notre journal. « Je l’ai déjà dis à mon frère. Il faut que nous fassions quelque chose. Nous n’avons pas la force, mais avec l’aide de Dieu, nous y arriverons ».

Quant à Bernard Zongo, selon luicette affaire ne peut pas s’arrêter là : « Il faut qu’il (ndlr : Racine) s’explique, car lui seul sait pourquoi il a changé brusquement d’avis. Il faut que les gens disent la vérité pour que l’affaire de Norbert puisse aboutir ». Ces pans de nos échanges avec nos interlocuteurs, on aurait pu ne pas en tracer une seule ligne, car il s’agit d’une conversation informelle et donc hors micro.

Chacun d’eux n’a fait que nous livrer ses propres sentiments et non ceux de la famille. Cette dernière va se réunir pour une concertation qui définira sa position officielle face à l’ordonnance du 18 juillet. « On va se concerter et on verra la décision à prendre. ça ne peut pas se passer comme ça », nous a juré Bernard.

La veuve Geneviève était absente à notre passage. Jointe par nous sur son cellulaire, elle nous demandera de la rejoindre au siège du journal « L’Indépendant ». Comme les autres, elle aussi ne voudra pas s’exprimer avant une concertation familiale. Elle s’est juste bornée à nous confier que c’est par « notre avocat (ndlr : Me Sankara) que nous avons appris la nouvelle.

Il m’a appelée mercredi pour m’en informer ». Sur notre insistance, elle lâchera quelques mots sur Racine, la clé de voûte de ce dossier : « Je ne l’ai jamais vu de face. C’est dans cette affaire que j’ai entendu parler de lui. Je le prenais même pour un civil. Ce n’est que récemment que j’ai su qu’il était un militaire ». Ce qui est sûr, c’est que la famille n’abandonnera pas la lutte : « Nous devons nous battre afin que justice soit rendue à Norbert ».

San Evariste Barro,
Christophe Tougri (stagiaire)

Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 21 juillet 2006 à 11:49, par Abdou O En réponse à : > Me Sankara sur l’affaire Norbert Zongo : "On a tous été arnaqués par le juge d’instruction"

    Je ne suis pas juriste mais à la lecture de l’article je me pose des questions sur le personnage de Maître sankara et je demande aux juristes de m’éclairer.

    Quand Maître Sankara dit :

    "Nous étions plus ou moins convenus qu’il nous apportait les pièces du dossier". Est ce au juge de se déplacer pour apporter un dossier à un avocat ?

    "Je crois que ce type de juges, on en trouve pas au Burkina Faso" a propos des juges qui prennent leur responsabilité historique.
    N’est ce pas porter un discrédit sur l’ensemble des juges du Burkina. Ce qui à mon sens est déplacé pour quelqu’un sensé défendre les causes qui sont affichées par Maître Sankara

    • Le 21 juillet 2006 à 15:33, par Guy Roland En réponse à : > Me Sankara sur l’affaire Norbert Zongo : "On a tous été arnaqués par le juge d’instruction"

      Moi non plus je ne suis pas un juriste mais je pense que si Me SANKARA parle ainsi il sait de quoi il parle lui qui est dans le métier et qui gagné des procès. Aujourd’hui on n’a pas besoin de parler de discrédit sur nos juges car ils sont tous nommés par le pouvoir en place et ces jugent ne sont pas fous pour s’attaquer aux hommes du pouvoir.De nombreux juges ont eu l’occasion d’entrer dans l’histoire par la grande porte. Combien ont pris leur responsabilités ? L’affaire Thomas SANKARA, Oumarou Clément OUEDRAOGO et enfin NOrbert ZONGO sont classé comme ça. Je vous parie que quelques temps après le Juge Wenceslas aura une promotion ici au pays ou à l’extérieur. C’est ça la vie au Faso. Croyez moi !

  • Le 21 juillet 2006 à 12:49, par Armando En réponse à : > Me Sankara sur l’affaire Norbert Zongo : "On a tous été arnaqués par le juge d’instruction"

    C’est triste, vraiment triste et je compatis à la douleur de la famille.

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