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Luc Adolphe Tiao : “ La presse ne doit pas être en retard par rapport à l’évolution de l’opinion publique.”

Publié le vendredi 14 juillet 2006 à 09h10min

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Luc Adolphe Tiao

Le troisième sondage du CGD sur l’état de la gouvernance au burkina s’est intéressé à l’image de la presse nationale dans l’opinion publique notamment le degré de confiance dont elle jouit. Le résultat des courses est très peu flatteur pour les hommes de médias.

Pour tenter de comprendre ce “désamour”, tout le contraire de ce que l’on imaginait, nous sommes allés nous entretenir avec le président du Conseil supérieur de la communication(CSC), M. Luc Adolphe TIAO.

Monsieur le président, le moins que l’on puisse dire en consultant le dernier sondage du CGD sur l’état de la gouvernance au Burkina Faso, c’est que la confiance de l’opinion publique à la presse laisse à désirer avec des taux variant entre 41% pour la meilleure notamment la RTB et 20% pour la dernière, les journaux gouvernementaux.
Quelle lecture faites -vous de ces chiffres ?

LUC ADOLPHE TIAO (L.A.T) : Je voudrais avant de répondre à votre question, vous remercier pour l’honneur que vous me faites de m’exprimer sur ces questions liées à l’actualité nationale et sur diverses préoccupations touchant particulièrement la profession de journaliste au Burkina Faso.

Pour répondre à votre question, je voudrais d’abord saluer le travail du CGD dans la perspective du renforcement de la démocratie et de la consolidation de la gouvernance dans notre pays. Vous me permettrez ensuite de louer l’initiative du Centre d’utiliser cette technique combien complexe du sondage comme outil pouvant contribuer à donner des agrégats aux gouvernants et aux gouvernés dans la quête commune d’une bonne gouvernance.

Cela dit, il faut aller au-delà des chiffres, qui sont certes importants, et travailler à mériter la confiance de l’opinion publique. La presse audiovisuelle et écrite aussi bien publique que privée, consciente de son rôle dans la consolidation de la démocratie et dans l’information ainsi que l’éducation des populations doit œuvrer à occuper la place qui est la sienne. Il s’agit de faire en sorte, à prendre en compte les préoccupations essentielles des citoyens des villes et des campagnes. La presse ne doit pas être en retard par rapport à l’évolution de l’opinion publique. Autrement, elle perd sa crédibilité.

Je vois en ces chiffres, une interpellation des journalistes, surtout de la presse de service public, à faire une introspection et à travailler davantage.

La RTB et dans la moindre mesure les radios privées viennent loin devant la presse écrite. Qu’est ce qui peut expliquer une telle disparité ?

L.A.T Je ne dispose pas du profil des sondés pour faire une appréciation qui s’appuie sur des éléments scientifiques ou techniques. Mais je me donne quelques explications.

Premièrement, le sondage confirme ce que l’on sait déjà. La radio demeure le moyen d’information le plus important en Afrique parce qu’elle touche l’immense majorité de la population. Au Burkina Faso, là où la radio nationale n’atteint pas les citoyens, il existe de forte chance de trouver une radio privée associative, confessionnelle et même parfois commerciale.

Deuxièmement, le taux élevé d’analphabétisme de nos populations peut expliquer cette situation.
En effet, aussi bien en ville qu’en campagne, le taux des auditeurs est largement plus élevé que celui des lecteurs. Le corollaire de cet état de fait est le pouvoir d’achat très limité. Du reste, certains de nos concitoyens, même alphabétisés, le sont peut être dans leur langue maternelle alors que la quasi-totalité de nos quotidiens et hebdomadaires sont publiés en français.

Troisièmement, il est fort probable que la radio au Burkina Faso étant un moyen de communication de proximité, capte plus facilement aussi l’auditoire par ses programmes proches des préoccupations des populations.

Les journaux privés qu’on sait pourtant très critiques n’ont la confiance que d’environ 20% des Burkinabé. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

L.A.T : Le sondage révèle en effet que 20% des Burkinabè font confiance aux journaux privés. Je ne pense pas que le degré de confiance soit proportionnel à celui du ton ou de la ligne éditoriale des publications en question.

Les sondés disposent peut-être, à tort ou à raison, d’éléments qui ne leur permettent pas d’avoir confiance aux médias. Ces données sont nouvelles car, traditionnellement, l’on fait plus confiance à la presse écrite dans le traitement de l’information. Dans le cas d’espèce, il apparaît deux hypothèses : soit le contenu des journaux serait perçu comme très partisan, donc moins objectif et moins crédible, soit tout simplement l’inverse. Les sondés pourraient croire que les journaux n’écrivent pas dans le sens de leurs opinions.

En tout état de cause, on peut observer que les personnes qui se sont exprimées, ont des attentes qui ne sont pas comblées. Comme je l’indiquais plus haut, ces chiffres doivent amener les patrons de presse et l’ensemble des journalistes à redoubler quotidiennement d’efforts dans leur noble mission d’information, de sensibilisation, d’éducation, de critique et de distraction.

Peut-on déduire de cette étude que la presse, particulièrement la presse privée est peu crédible ?

L.A.T : Non, je ne ferai pas une déduction aussi simpliste même si je dis que les sondés pourraient le penser. Les sondés pourraient répondre en fonction d’idées qui circulent dans leur entourage proche, en se fiant à l’avis d’un leader d’opinion plutôt que leur propre expérience. Ce sont autant de facteurs de nature à influer sur le résultat du sondage. Ces 20% de confiance des sondés à la presse privée doit être perçus comme une invite à une perpétuelle remise en cause et à la recherche permanente du professionnalisme pour les médias burkinabè.

Peut-on néanmoins se réjouir de ce que la presse devance l’opposition qui a un degré de confiance de seulement de 14,7% ?

L.A.T : Il n’ y a pas lieu de se réjouir de cette situation. Il est fort probable que les citoyens soient déçus de la chose politique et des hommes qui l’animent.
Un journal a titré une fois que « Le Burkina a mal à son opposition ». Sincèrement, je pense qu’il faut avoir le courage de dire que dans notre pays, l’opposition n’a pas encore trouvé ses marques. Elle a du mal à s’imposer car elle me semble volatile. Cette image peut, en effet, embrouiller leurs militants. La démocratie se construit aussi avec l’opposition. Sans elle, la démocratie peut être comparée à une sauce sans sel.

Si la presse semble plus crédible, cela voudrait dire que l’opposition, si l’on s’en tient aux données du sondage, n’incarnerait pas les aspirations des citoyens. Mais je n’émets là qu’une hypothèse que les politologues peuvent approfondir.

La presse joue-t-elle néanmoins son rôle dans le processus démocratique ?

L.A.T : La presse est un acteur important dans la consolidation de la démocratie. Au Burkina Faso, les journaux, les radios et les chaînes de télévision malgré les multiples difficultés qu’ils rencontrent, contribuent à l’enracinement du processus démocratique. Chaque organe de presse, avec sa ligne éditoriale, essaie d’apporter sa pierre, à travers l’information, la formation, l’éducation et la critique constructive à l’édification d’une société démocratique.

C’est vrai que beaucoup d’efforts restent encore à faire mais on peut se satisfaire dans l’ensemble de ce que la presse fait. Le plus important est de savoir qu’il faut toujours persévérer dans cette quête permanente.

Que peut-on faire pour améliorer l’image de la presse dans l’opinion publique ?

L.A.T : Pour l’amélioration de l’image de la presse dans l’opinion publique, il n’y a pas de solutions miracles. Les hommes et les femmes de médias qui sont les premiers concernés doivent prendre leurs responsabilités. Il leur appartient de travailler à donner une image positive de leur profession.
Pour ce faire, il faut qu’ils mettent en avant le professionnalisme, qu’ils bannissent l’amateurisme et cessent de monnayer leurs talents.

La résolution de préoccupations comme celles de la carte de presse, de la convention collective peut y contribuer. Mais il faut, avant tout, que les journalistes aient conscience de leurs responsabilités et que la corporation prenne les dispositions idoines pour que la profession ne soit pas considérée comme un endroit où tous ceux qui ont échoué ailleurs, atterrissent.

Ce sondage ne va-t-il pas avoir un impact négatif sur l’action de la presse, les autres acteurs pouvant lui demander d’enlever la poutre qui serait dans son œil avant de s’occuper de la paille qui serait dans leurs yeux ?

L.A.T : Je ne le pense pas. Indépendamment même du fait que c’est un sondage, la critique de la presse est un phénomène salutaire. Les journalistes ont leurs qualités et leurs défauts comme n’importe quel corps social. Il faut savoir encaisser les coups pour mieux rebondir. La presse doit continuer à faire son travail tout en faisant son autocritique. C’est ainsi que la liberté de presse se construit.

De manière globale comment avez-vous accueilli ce sondage ?

L.A.T : Le sondage permet de se faire une idée des opinions ou des comportements d’une population donnée. Il constitue également un outil qui permet à des personnes d’appréhender des phénomènes sociaux. Et c’est justement pourquoi le sondage d’opinion est particulièrement le type de sondage le plus contesté dans son utilité et sa représentativité.

Il est vrai que l’on peut faire de la manipulation avec le sondage. Les cas sont assez fréquents en politique. Mais dans le cas d’espèce, je ne vois pas quel intérêt le CGD a à perdre sa crédibilité pour faire un faux sondage. On peut lui faire des critiques sur la méthodologie, l’objet et la fiabilité des données. Cela est tout à fait normal mais il ne faut pas dramatiser les choses. Je pense que l’on donne plus d’importance qu’il n’en faut au travail fait par le CGD. Un sondage n’est pas parfait. Mais il est intéressant pour tout le monde et il appartient à chacun d’en tirer les leçons.

Certains acteurs politiques s’en démarquent et vont jusqu’à décider de se retirer des activités du CGD qu’ils accusent d’être « un instrument de propagande du pouvoir ». Que pensez-vous de cette critique et d’une telle attitude ?

L.A.T : Il ne m’appartient pas de juger ceux qui, pour des raisons qui leur sont propres, ne se reconnaissent pas dans les résultats du sondage. C’est justement cette liberté d’expression qui donne le droit à chacun d’exprimer son sentiment ou sa vision sur une question donnée.

Je pense cependant qu’il y a une cristallisation excessive sur la cote de popularité du président Blaise COMPAORE. Au sortir d’une élection reconnue transparente par la plupart des observateurs où le chef de l’Etat a été pratiquement plébiscité, faut-il s’étonner que le sondage du CGD confirme cette donne ? Pour moi, le problème est ailleurs.

Pourquoi malgré tout ce que l’on dit, Blaise COMPAORE demeure-t-il toujours populaire ? Les sondages ne font pas une élection. Nulle part, un homme politique a été élu sur la base de sa popularité ou de son impopularité. On a vu des élections où des hommes politiques présentés comme populaires par les sondages ont perdu les élections. Ce qui vient de se produire au Mexique en est une illustration.

A vrai dire, l’essentiel pour moi dans ce sondage, ce sont les attentes non encore comblées des sondés qui se déclinent en une implication plus accrue de la presse dans le processus de démocratisation, la consolidation de la gouvernance, l’amélioration de l’offre sanitaire, éducative, sécuritaire...

En résumé, l’interpellation des sondés devrait s’adresser au premier chef aux gouvernants mais également aux gouvernés dont le rôle de chaque acteur devra contribuer à l’avènement d’une société de paix, de justice et de tolérance.

Toutes ces attentes posent le problème de la pauvreté dans notre pays. Malgré les progrès réalisés dans de nombreux secteurs, les populations ont encore des attentes vitales à satisfaire.

Faut-il continuer avec la pratique des sondages si oui y a-t-il des mesures à prendre pour fiabiliser leurs résultats ?

L.A.T : L’utilité des sondages n’est plus à démontrer. Le CGD est une ONG relativement jeune qui fait ses premiers pas dans l’organisation des sondages. Il est certain qu’avec le temps et la pratique, il s’améliorera. Toute œuvre humaine étant perfectible, il va sans dire que le Centre prendra du galon et peaufinera progressivement sa technique de manipulation des outils de sondage.

Mais le travail qu’effectue le Centre pour la gouvernance démocratique va interpeller aussi d’autres institutions comme le Conseil supérieur de la communication. Nous devrons trouver les moyens de réglementer les sondages dans la presse notamment en période électorale.

Propos recueillis par Cheick Ahmed
L’Opinion

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