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Syndicats : La vie est dure mais les Burkinabè restent timorés

Publié le jeudi 13 juillet 2006 à 07h45min

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Le 1er juillet dernier, plus de trois cent travailleurs ont afflué des provinces sur Ouagadougou à l’appel des états-majors syndicaux dans le cadre de la marche nationale contre la vie chère. Point d’orgue d’une stratégie graduelle de pression sur le gouvernement, la marche du 1er juillet se voulait décisive.

Toutefois, le niveau moyen de la mobilisation remet à l’ordre du jour la question des conditions à réunir pour un engagement plus conséquent des travailleurs dans les luttes sociales.

Le scénario est le même à chaque manifestation. La cuvette de la Bourse du travail était le point de ralliement des milliers de travailleurs venus prendre part à la manifestation. A la faveur des retrouvailles, des petits groupes se forment par affinités pour échanger, en attendant l’ordre de départ. Puis vint le signal.

Les délégations se mettent en position. Banderoles et pancartes multicolores font partie du décor et celles de la CGT-B sont particulièrement remarquables par leur couleur rouge et leur grand nombre. L’animation est au rendez-vous avec au centre l’inégalable Franck, l’ingénieur artiste de la CGT-B. Mégaphones, casseroles et sifflets servent à la fois d’instruments d’animation et de moyens d’organisation.

Quand les secrétaires généraux sortent de la Bourse du travail, ils sont encadrés par des éléments du service de sécurité qui les conduisent à la tête de la manifestation. Les cortèges s’ébranlent enfin et empruntent l’itinéraire de la marche. Nous rejoignons alors l’enceinte de la Bourse du travail où sont restés ceux qui pour diverses raisons ont décidé d’y attendre le retour des marcheurs. Nous mettons cette occasion à profit pour échanger avec quelques personnes sur leurs conditions de vie et sur la problématique de la mobilisation sociale.

Au Faso, viima ya kanga

H. B est un cadre supérieur à la retraite depuis près de cinq ans. Il a à sa charge une famille de six personnes. Sa pension mensuelle de retraite est de 100 000 FCFA environ. Ses charges courantes mensuelles (électricité et eau, carburant pour sa bécane, nourriture et divers) atteignent un montant de 162 000 FCFA. A cela, il faut ajouter des frais de scolarité de 500 000 FCFA pour deux enfants et des frais moyens de santé d’environ 100 000 FCFA l’an. A l’échelle du mois, H.B doit débourser en moyenne 212 000 FCFA pour faire tourner sa famille.

AT est un cadre supérieur en activité depuis 12 ans. Son salaire mensuel est d’environ 180 000 FCFA. Ses charges se décomposent de la manière suivante : eau et d’électricité 15 000 F, carburant 15 000F, loyer 35 000F, nourriture 65 000F, soit 130 000 F de dépenses courantes. A cela s’ajoutent 50 000 F représentant la scolarité de ses deux enfants, 60 000 F pour la traite mensuelle de sa mobylette et environ 30 000 F au bas mot par an pour la santé. AT a besoin d’environ 197 000FCFA minimum par mois. Et c’est compte non tenu des frais de réparation de la bécane et des obligations sociales.

Enfin, pour compléter le tableau, nous avons rencontré RS, jeune cadre totalisant à peine 4 ans de service et vivant en province. Salaire mensuel 146 500F. Ses dépenses incompressibles s’élèvent à 111 500 F. Ne sont pas pris en compte les frais de scolarité qu’il honore en raison de 75 000 F l’an et une provision annuelle de 50 000 F au titre de la santé. Une remarque importante, les trois cas évoqués ci-dessus sont des personnes de catégorie A. Elles font donc partie de la catégorie des gens les mieux payés de la Fonction publique. On remarque cependant qu’aucune de ces personnes n’a un revenu mensuel suffisant permettant de couvrir ses dépenses courantes.

Alors comment se débrouillent-elles est-on tenté de se demander ? La solution trouvée par AT, c’est la compression des lignes budgétaires. Les coupes sombres sont inévitables dans le budget de santé, de nourriture et de transport. Quand ce n’est pas suffisant, on entre dans les loyers où on négocie des prolongations de délais et il arrive qu’on jongle avec les frais de scolarité. Dans le meilleur des cas, on s’endette à la banque pour solder les scolarités et cela alourdit davantage les dépenses.

Pour nombre de travailleurs, il n’y a pas d’autre choix que l’affairisme avec tous les aléas que cela suppose. Alors, il n’y a plus que la lutte. Sur ce terrain, de l’avis de certains responsables syndicaux, le militantisme progresse. Pas assez rapidement cependant, comme on aurait pu le penser, au regard des dures conditions de vie. Ces derniers temps, les grèves lancées par les syndicats ont eu un succès en demi-teinte.

On assiste à un ralentissement du rythme de travail, mais pas de paralysie des services. Or c’est bien connu, quand le gouvernement n’a pas le couteau à la gorge, il ne bouge pas. Malgré tout, HB pense que la meilleure façon de doper la mobilisation, c’est de maintenir l’esprit d’oser lutter.

Il ne faut jamais relâcher la pression, ajoute-t-il. Pour AT, il faut développer l’encadrement syndical vers le bas. Il y a, selon lui, un manque de dynamisme des structures de base quand elles existent. Dans ces conditions, nombre de travailleurs sont littéralement paumés face à la dureté de la crise. C’est ce qui explique selon lui, le scepticisme rampant que l’on observe dans les rangs des travailleurs. En effet, l’image des responsables syndicaux est assez brouillée chez les travailleurs moyens qui imputent à ces derniers l’inefficacité des stratégies de lutte syndicale.

A titre d’exemple, le choix du week-end pour les manifestations ne fait pas plaisir à tout le monde. D’aucuns considèrent cela comme une simple randonnée aux allures festives qui ne gênent surtout pas le gouvernement. Et puis le week-end est pour les travailleurs un moment privilégié pour s’acquitter des obligations sociales. Il faut craindre, réplique HB qu’en multipliant les manifestations les jours ouvrables, on ne crée d’autres problèmes difficiles à gérer. Le débat est donc ouvert.

Retour des marcheurs

Après le retour des marcheurs à la Bourse du travail, c’est la deuxième et dernière phase de la manifestation qui commence. Tour à tour, les responsables syndicaux se sont succédés à la tribune. Des messages de circonstance destinés à galvaniser les militants. Dans ce registre, c’est le secrétaire général de l’UNSL/FO, Joseph Tiendrébéogo qui donne le ton : " Nous prions le gouvernement Paramanga de ne pas nous forcer à engager la 3è vitesse... l’engin de 3è vitesse va piétiner des gens ". C’est Tolé Sagnon qui axera son intervention sur la revendication la plus emblématique, la baisse du prix des hydrocarbures. S’appuyant sur une étude réalisée par son organisation, il montrera que cette baisse est possible, à condition de le vouloir.

En agissant sur les paramètres suivants : la capacité du stock de sécurité qui permet de tenir de 3 à 6 mois ; il n’est donc pas nécessaire de procéder à des ajustements mensuels, en révisant à la baisse les droits et taxes perçus par l’Etat, les frais de transport et de transit, les frais et marges de l’Etat et des marketers, on peut ramener le prix des hydrocarbures à des niveaux supportables.

Dans l’interview du Premier ministre publiée dans L’Evénement N° 93 du 10 juin 2006, ce dernier semble corroborer les propos de Tolé Sagnon. Il avait en effet dit en substance à propos du mécanisme de fixation des prix des hydrocarbures : " Nous pourrions par exemple nous ravitailler à 70% à partir de Lomé qui est plus proche de nous et les 30% restants à partir d’Abidjan. Il s’agit d’inverser la tendance actuelle pour réduire le coût des transports. "

A propos des prélèvements de l’Etat, voici ce que disait Yonli : " Pour changer le mécanisme (il s’agit de l’ajustement périodique des prix), nous pouvons regarder quels sont les facteurs exogènes et internes qui influent sur les cours et agir là dessus. Nous sommes en train de discuter de tous ces éléments avec tous les acteurs du secteur. "

Alors, s’il existe une telle disponibilité du gouvernement à revoir les choses, on se demande alors pourquoi ce mur de glace. Il y a bien sûr les autres revendications, dont l’augmentation de 25% des salaires et pensions n’est pas la moindre, mais elles sont par principe négociables. Mais aujourd’hui, les ponts sont coupés entre gouvernement et syndicats suite à l’incident intervenu lors de la dernière table ronde.

On se souvient en effet que pendant que les deux parties étaient en négociation sur un ensemble de revendications, les prix des hydrocarbures avaient connu une hausse importante, le litre du super passant de 646 F à 705F. Pour protester contre cela, les responsables syndicaux avaient claqué la porte et juré de ne plus y remettre les pieds tant que le gouvernement n’aura pas ramené les prix à leur niveau antérieur de 646F. On en est là jusqu’à présent.

Il y a cependant des amorces de dialogue avec le président du CES qui aurait rencontré les responsables syndicaux dans le but d’une médiation. Initiative judicieuse s’il en est car les travailleurs sont durement éprouvés par la cherté de la vie. Ils sont dans une attente pressante de réponses positives à leurs revendications. En attendant, les Etats-majors syndicaux ont invité leurs troupes à rester en alerte car s’il le faut, l’épreuve de force se poursuivra jusqu’à ce que le gouvernement consente à plus de justice sociale.

Par Germain Nama


La panne de la mobilisation sociale au Burkina

Les manifestations syndicales se suivent et se ressemblent. Mobilisation minimale alors que les préoccupations qui les motivent sont réelles et graves.

Les Burkinabè sont-ils devenus indifférents à tout ? Même à ce qui les touche au premier chef ? Dans les milieux syndicaux et associatifs, on n’est plus loin de le penser. En effet, en dehors des indéfectibles militants, les appels à la mobilisation sociale rencontrent peu d’écho, pour ne pas dire, pas du tout d’écho. Ce qui fait que devant la perplexité de la situation, on se retrouve à la fin de chaque mouvement social, avec cette litanie contradictoire entre les syndicats qui font le décompte des participations et le gouvernement qui le minimise naturellement.

Ces échanges épistolaires tiennent au fait que la mobilisation n’est pas réelle. Elle n’est pas telle que personne ne puisse la contester. Il faut regarder ce qui se passe au Niger avec la mobilisation contre la vie chère. Le mouvement est tel que le gouvernement ne peut pas le minimiser. Comme dit un proverbe bien de chez nous, " quand le soleil apparaît à l’Est, il est difficile de continuer à dire qu’il ne fait pas jour ".

Il faut avoir le courage d’admettre que la mobilisation sociale traverse une véritable crise au Burkina Faso. Dans un pays où pour un oui ou pour un non, les syndicats faisaient descendre des milliers de personnes dans les rues, le spectacle actuel n’est pas sans poser des interrogations. Qu’est-ce qui fait que les gens qui croulent sous les problèmes ne veulent rien entreprendre pour se sortir d’affaire ?

La conscience de la réalité est là pourtant. Les gens en parlent et en parlent trop même. Dans un récent sondage du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), les enquêtés sont unanimes pour reconnaître la mal gouvernance dans le pays, avec plus de 12% des membres du gouvernement corrompus. Ils reconnaissent également que leur situation propre s’est dégradée. Et pourtant, quand on leur demande de venir manifester leur mécontentement, publiquement, on ne voit qu’une infime minorité.

Il ne s’agit donc pas d’une crise de conscience. Les Burkinabè sont conscients de la précarité de leur situation. Il faut à présent investiguer d’autres causes qui expliquent leur non mobilisation. Car ils ont montré qu’ils savent, quand ils le veulent, se mobiliser pour des causes nobles. On peut juste évoquer l’affaire Norbert Zongo, pour citer le cas le plus récent.
Alors où se trouve le problème ? Est-ce au niveau des structures syndicales qui n’ont su ni renouveler le message, ni renouveler le personnel ?

En effet, quand on revient au sondage du CGD, on se rend compte que les Burkinabè sondés sont à 67% favorables au régime politique actuel, la démocratie, en vigueur dans notre pays. Le régime politique à ne pas confondre avec le gouvernement en place. C’est un indicateur très important qu’un leader d’opinion ne peut négliger. Un sondage n’est pas une parole d’évangile. C’est un indicateur qui a son importance, surtout dans une société démocratique, où l’opinion compte. Le message syndical ne devrait-il pas s’adapter à cette nouvelle donne ?

L’expérience syndicale dans notre pays montre que le message syndical est allé en s’adaptant au contexte. Les syndicats qui ont mis le gouvernement de Maurice Yaméogo à genoux n’étaient plus ceux de 1980, qui ont ferraillé avec les gouvernements Lamizana, Zerbo, Ouédraogo et Sankara. Dans ses mémoires, Adama Touré, dont l’expérience syndicale est indiscutable, parle ainsi de la transition entre les premiers syndicats ( ceux qui ont fait 1966) et les syndicats des années 1970, les syndicats rouges : " ...un syndicat ne peut être vraiment fort et vraiment uni et mener victorieusement de longues luttes que s’il s’en tient constamment à sa nature d’organisation de masse...

Le SUVESS, dès sa naissance, apporta au syndicalisme voltaïque de nouvelles méthodes de mobilisation et de lutte qui favorisèrent son succès, tels que les larges débats à la base pour décider des mots d’ordre de grève, les piquets et les bulletins de grève...qui mirent en relief le retard de nombreux vieux syndicats... ". En matière de mobilisation sociale, il y a aussi des mises à niveau régulier qu’il faut incontestablement faire.

Or, tout se passe comme si nos syndicats, toutes tendances confondues, étaient restés scotchés aux réalités antédémocratie, antésociété libérale de consommation. Alors, une certaine conception du syndicalisme ne serait-elle pas une explication à la défection actuelle ? On ne peut pas l’exclure. Surtout quand on considère que les leaders syndicaux actuels sont à leur poste depuis les années 1980. Il n’y a pas eu ici aussi la " salvatrice et bienfaisante " alternance. Pour ne rien arranger, certaines centrales sont dirigées par des retraités. Qu’est-ce que ces bons messieurs comprennent-ils encore à la réalité de la génération actuelle ?

On avait aussi un moment considéré l’unité d’action syndicale comme une panacée. Depuis quelques années, les centrales syndicales burkinabè sont unies dans l’action sans que cela ne change rien à la réalité de la mobilisation. C’est donc davantage une question de représentativité réelle des syndicats et des leaders syndicaux qui se trouvent aujourd’hui posée. En effet, beaucoup de syndicats se sont tellement coupés de la réalité, qu’ils ne sont là que pour profiter de la subvention annuelle de l’Etat.

Une subvention gérée de façon " gabegique ", qui si les structures de contrôle de l’Etat étaient rigoureuses, elles auraient envoyé plus d’un responsable syndical à la MACO. Il y a du reste des histoires très dégoûtantes sur la gestion de cette subvention de l’Etat. Le gouvernement laisse faire, parce que ça lui assure au moins la tranquillité sociale.

Il faut donc repenser l’action des syndicats et de leurs leaders, comme le groupe de Adama Touré l’avait fait au début des années 1970 pour l’adapter à la réalité du moment. Autrement dit, ces gesticulations actuelles ne feront rien changer. Le gouvernement ne répondra pas parce que le rapport de force ne le contraint à rien.
Les syndicats sont devenus si réactifs, qu’ils n’ont même pas su exploiter la colère née de l’augmentation sauvage des prix du carburant.

Au moment où l’opinion attendait des mots d’ordre, ils ont différé la réaction, donnant le temps au gouvernement de revenir tranquillement sur les prix. Du coût, cette revendication n’avait plus de sens. Et comme le gouvernement n’est pas dupe, il est certain qu’il mettra du temps avant de réajuster le prix des carburants. Il est en train d’ailleurs, comme l’a dit le Premier ministre Yonli, de réfléchir sur un nouveau mécanisme de fixation des prix.

Dans une situation, presque sans issue, où la mobilisation sociale ne se fera pas avec les méthodes actuelles et probablement aussi avec les leaders actuels, comment ne pas rappeler cette mise en garde du même Adama Touré : " Il faut que le dirigeant syndical cesse d’être un petit dieu pour devenir un modeste responsable amovible "1.

1 Extrait de document intitulé " Les organisations de masse en Haute Volta : situation présente et tâches immédiates de lutte révolutionnaire ", 1968, Document écrit par Adama Touré et Ali Pascal à l’instigation du PAI.

Par Newton A.Barry

L’Evénement

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