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ZACA : Aucun soupçon de béton sur le site, grogne à la trame d’accueil

Publié le mercredi 28 juin 2006 à 08h41min

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Le jour, un vaste champ de gravats, témoin de l’ampleur de la destruction des habitations. La nuit, un haut lieu de prostitution à ciel ouvert. Faute d’éclairage public, une zone d’insécurité où sévissent à bras raccourcis, brigands et autres coupeurs de bourses.

Voici aujourd’hui, les différentes facettes qu’offre, aux yeux de nombreux Ouagalais, le site de la future zone d’activités commerciales et administratives (ZACA), trois ans après le passage des bulldozers sur ce qui furent naguère le quartier Zangouétin et une partie de Koulouba, Kiendpalogo, et camp fonctionnaire.

Réinstallés sur une trame d’accueil « aux conditions d’hygiène et de salubrité plus satisfaisantes », les expulsés de la ZACA, comme ils se qualifient eux-mêmes, se considèrent pourtant aujourd’hui comme les nouveaux exclus de la république (de la res publica, la chose publique) : chômage, manque de maternité, de marchés, d’établissements secondaires, de centres de loisirs. C’est dire si l’existence ne se résumait, pour beaucoup d’entre eux, qu’à une chose : l’état de privation.

Lundi 10 novembre 2003 dans la matinée. Rugissement des moteurs de bulldozers. Effondrement par pans entiers de maisons aux toits hâtivement décoiffés. Vive émotion chez les quelques nostalgiques venus assister, impuissants, à la gigantesque œuvre de démolition.

Après la phase éruptive de la contestation menée par le mouvement « nous pas bouger », maison après maison, cour après cour, Zangouétin, Kiendpalogo et une partie de Koulouba, de Kamsonghin, et du camp fonctionnaire, quartiers populaires de Ouaga, s’il en fut, disparaissent, happés par le dessein de modernisation d’une ville.

Finie donc la bidonvilisation, cette lèpre urbaine au cœur d’une capitale qui rêve d’un profil à la hauteur de son ambition d’être la Genève de l’Afrique occidentale. Place à la ZACA, avec son centre culturel polyvalent, son complexe hôtelier 5 étoiles, ses galeries marchandes, ses parkings à niveaux et ses tours R+3 à 7, voire davantage. Annoncé à grands renforts de publicité, le Manhattan version burkinabé tarde pourtant à voir le jour.

La période de gestation dure plus que prévue. Dame rumeur fait état de la présence de nappe souterraine au coeur du site et finit par faire croire à plus d’un que le projet ZACA restera le bec dans l’eau. Vrai ou faux ?

Cette année, le démarrage des travaux

« Ce n’était que de la pure spéculation. Les études du sol, réalisées par le bureau des mines et de la géologie du Burkina (BUMIGEB) et le laboratoire national du bâtiment et des Travaux publiques (LNBTP) n’ont révélé aucun problème d’eau qui puisse déranger les constructions », dément, catégoriquement, le directeur général du projet, Issiaka Isaac Drabo. Mais alors, pourquoi un tel retard ? M. Drabo explique : « Au moment de lancer les travaux, il est intervenu un remaniement ministériel. Alors, il a fallu reprendre les marchés avec les nouveaux ministres (NDLR : ceux des Finances et de l’Habitat) ».

Puis d’annoncer plus loin : « Maintenant, nous sommes à la veille des grands travaux. Le chantier sera lancé cette année 2006 ». Les aléas intervenus dans les prévisions financières ont eu également un effet de ralentissement sur l’exécution du chantier.

Pour une dépense de 18 milliards de francs CFA au titre de l’indemnisation des propriétaires de parcelles, de la démolition des habitations et de l’évacuation des gravats, il était attendu en contrepartie et au terme de la revente des parcelles, la bagatelle de 35 milliards de francs CFA .

Mais, si à ce jour, 80% des parcelles sont déjà vendus, la recette encaissée ne représente, elle, que 20% du montant total espéré. La raison ? C’est que les nouveaux acquéreurs rechignent à verser les reliquats de la valeur des terrains avant l’aménagement de la zone (réseau d’adduction d’eau potable, d’évacuation des eaux usées, d’électricité et de téléphone). « Cela nous met dans l’embarras, car nous avons besoin de cet argent pour le démarrage des travaux », confesse le patron du projet.

Des dédommagements jugés insuffisants

Faut-il imputer à ce couac financier le fait que la direction du projet semble n’avoir pas tenu sa promesse initiale d’inonder la zone de lumière pour empêcher qu’elle soit ce qu’elle est aujourd’hui devenue, une fois la nuit tombée : un repaire de coupes jarrets et le jardin d’Eden des prostituée ?

« Au départ, nous avons fixé des poteaux et placé des ampoules, qui ont été arrachés par des gens. La meilleure solution, c’est le démarrage des travaux, qui, en créant des activités, contribuera à sécuriser toute la zone », estime le DG, qui ne semble pas voir au tragique l’impasse financière dont nous venons de parler. Mais que sont-ils devenus ceux par exemple du Zangouétin d’antan ?

Loin de toutes ces tribulations du projet, réinstallés sur une des trames d’accueil située sur le centre de gravité de la capitale que promet de devenir Ouaga 2000, les déguerpis de la ZACA ne se sentent pas rassurés pour autant. Bien au contraire. La proximité avec les dorures de cette zone résidentielle aux allures futuristes fait craindre, une fois de plus, le bruit des bulldozers.

« Nous avons été chassés du centre-ville sous prétexte que notre mode de vie n’était pas conforme aux règles d’hygiène et de salubrité. C’est avec le même mode de vie que l’on nous a installés ici, à un jet de pierre de Ouaga 2000. Alors, nous craignons que dans l’avenir, nos enfants subissent le même calvaire que nous ». Paroles du sieur Abdoul Hamid Diallo, maître coranique et ancien résidant de Zangouétin. Avec les fonds reçus au titre de l’indemnisation, sa famille a pu s’acheter une parcelle au prix de 5,2 millions de francs CFA sur la trame d’accueil.

Mais les travaux de construction des maisons se sont arrêtés au chaînage, faute d’argent, obligeant ainsi l’aîné de la nichée Diallo à casser sa tirelire personnelle. « Il y a eu de l’arnaque lors du dédommagement », conclut sèchement le jeune maître coranique. Même, sans prononcer le mot arnaque, sans doute au regard de sa filiation et de son rang, Mouhamadi Kouanda, fils d’imam et responsable de la communauté musulmane locale, n’émet aucun avis contraire :

« L’argent que nous avons reçu n’a pas suffit pour la réinstallation. Beaucoup de maisons sont restées inachevées », a-t-il indiqué sans fournir d’autres explications. Mais, il convient de relever ici, l’effet de loi de l’offre et de la demande. Avec la multiplication des chantiers sur la trame, comme champignons au soleil, les prix des matériaux se sont envolés pour atteindre des sommets himalayens.

Le ciment, pour ne citer que cet exemple, coûtait entre 110 000 et 120 000 francs CFA la tonne. Résultat, beaucoup de familles n’ont pu mener les travaux à terme. C’est le cas de la famille Dakambary qui, avec 11 millions de francs CFA n’a pu ni dresser de clôtures, ni construire de toilettes. « Nous avons été à cours d’argent. En son temps, nous avons acheté la tonne de ciment à 115000 francs CF », se rappelle Souley Dakambary. Au kiosque « Planète café », sont juchés sur de hauts tabourets, une dizaine de jeunes. L’ambiance est bon enfant.

Galère sur la trame d’accueil

En cette matinée du vendredi 16 juin, l’établi vibre au rythme du mondial allemand. Les uns commentent les matches de la veille, les autres se hasardent à des pronostics sur les oppositions du jour. L’humour toujours décapant, le maître des lieux, Aboubacar Congo, ancien vendeur de tissus à Zangouétin, laisse éclater sa joie lorsque nous lui annonçons l’objet de notre enquête.

Gros, il en a sur le cœur. Natif de Zangouétin, comme tous ses clients, quartier où il a résidé, travaillé et fondé sa petite famille, Aboubacar vit la nouvelle situation comme un vrai drame social : dispersion de sa grande famille après le partage du produit de l’indemnisation, perte de revenus, maison inachevée et surtout dissolution de certaines formes de solidarité.

« A Zangouétin, il y avait la chaleur humaine et l’esprit de solidarité. Chacun pouvait manger et dormir chez l’autre. Maintenant, sauf en cas de décès, c’est chacun pour soi », se lamente-t-il sous les acquiescements de ses coexpulsés. A peine s’est-il efforcé de reconnaître au moins une certaine amélioration du nouveau cadre de vie, qu’il s’est empressé de rager « Nous préférons la solidarité dans l’inconfort que l’individualisme dans le confort ».

Beaucoup de jeunes, dont la pitance quotidienne provenait du petit business de rue dans les anciens quartiers sont aujourd’hui réduits au chômage. Rasmané Ouédraogo, ex-agent de commerce qui habitait avec son patron à Zangouétin se trouve dans l’inactivité depuis l’époque du déguerpissement. Faute de marché et de yaar sur la trame d’accueil, il compte se reconvertir en chauffeur automobile. Même sort pour Cheick Omar Ouédraogo.

Employé dans un hôtel à Dapoya lorsqu’il résidait à Kamsonghin, il a aujourd’hui abandonné son job pour frais de déplacement hors de portée de son salaire. Avec 700 francs CFA de carburant par jour pour un traitement mensuel de 20 000 francs CFA, une simple arithmétique et point n’est besoin de sortir de polytechnique pour se rendre à l’évidence. Le projet ZACA a certes, prévu des espaces destinés à la réalisation d’équipements marchands. Mais trois ans après, toujours rien ne semble sortir de terre. A qui crier son ras-le-bol ?

Au projet ? A l’Etat ? Ou à la commune ? « Dans les situations de délocalisation, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup d’inconvénients. Mais il n’appartient pas au projet de construire des marchés. Nous avons joué notre partition en prévoyant des espaces pour les équipements. Quant à leur réalisation, cela est du ressort de l’Etat ou de la commune » se défend le DG de la ZACA.

Si à ces motifs déjà suffisants de frustration, vous ajoutez le manque de maternité, d’établissement d’enseignement secondaire, et de centre de loisirs pour jeunes, l’on comprend, sans le partager forcement, le sentiment d’injustice, sans cesse croissant qui anime la grande majorité de « ces laissés- pour- compte ».

Alain Saint Robespierre

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La ZACA en chiffres et en équipements publics

Superficie du site : 200 ha
- Nombre de parcelles : 273
- Taille des parcelles vendues : 500 à 1500 m2
- Prix du m² : 103 000f le m2 (taxe en sus)
- Niveaux des bâtiments : 3 à 7 étages
- Un centre culturel polyvalent : 20 milliards de francs
- Un complexe hôtelier 5 étoiles : 29,5 milliards de francs -Une esplanade culturelle : 1,4 milliards de francs
- Un centre commercial : 5,7 milliards de francs
- Immeuble parking (3 étages) : 9,4 milliards de francs
- Parking camp fonctionnaire (1 étage) : 2 milliards de francs
- Parc récréatif pour enfants : 1,6 milliards de francs
- Galeries commerciales : 826 millions de francs
- Restaurants populaires : 590 millions de francs
- Porte de la mémoire (7 étages) : 9,4 milliards de francs
- Porte du futur (7 étages) : 10,9 milliards de francs
- Coût total des investissements : 100 milliards de francs


Le saviez-vous ?

La porte du futur, comme son nom l’indique, traduit l’extension du projet dans l’avenir. Représentée par un immeuble de 7 étages situé côté ouest de la ZACA, cet imposant building indique la direction de l’évolution de la zone sur les quartiers limitrophes comme Koulouba, Bilbalogho, Saint Joseph, Saint Léon, et Saint Julien.

Mais à en croire la direction du projet, le déguerpissement ne se fera plus à l’aide de bulldozers mais « au coup par coup », c’est-à-dire, le rachat progressif de parcelles par de nouveaux acquéreurs à même de respecter le cahier de charges prévu dans le cadre de l’extension.

A. St. Robespierre

L’Observateur

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