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Cheikh Sylla, ambassadeur du Sénégal : « Je quitte le Burkina avec le cœur gros »

Publié le samedi 24 juin 2006 à 09h42min

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Cheikh Sylla

Son Excellence Cheikh Sylla, ambassadeur du Sénégal au Burkina est en fin de mission. En poste dépuis huit ans au pays des Hommes intègres. Ce diplomate est l’un des rares à avoir passé autant de temps au Burkina. Cela lui a valu le titre de « doyen du corps diplomatique ».

Sidwaya Plus a rencontré cet homme à la personnalité atypique qui a défriché de nombreux chantiers de coopération entre le Burkina et le Sénégal. Sa carrière professionnelle, les relations entre le deux pays, l’actualité au Sénégal, ... ont constitué le menu de cette entretien qu’il a bien voulu nous accorder avant son départ.

Sidwaya Plus (S.P) : Vous avez passé huit ans au Burkina Faso en tant qu’ambassadeur du Sénégal. Il n’est pas assez courant qu’un diplomate passe autant de temps au pays des hommes intègres. Comment êtes vous arrivé à faire ce record ?

Cheikh Sylla (C.S) : On peut mettre cela au compte des bonnes relations qui existent entre le Burkina et le Sénégal. Etant donné que j’étais le premier ambassadeur du Sénégal au Burkina Faso, il fallait démarrer quelque chose et il se trouve que lorsque je suis arrivé, nous étions encore dans l’ancien régime. C’était le président Abdou Diouf qui m’avait nommé et lorsque survint ce que nous avons appelé l’alternance en 2000, ceci dans cela, je suis resté pour consolider ce qu’on avait déjà commencé. Voilà pourquoi je suis resté aussi longtemps.

S.P. : Quels sont les enseignements que vous tirez de votre passage au Burkina Faso ?

C.S : Il faudrait beaucoup de temps pour le dire. Il y a tellement de choses à dire à ce sujet. Mais ce que j’ai cherché à faire, c’était de voir les éléments de complémentarité entre nos deux peuples. Cela afin, non pas de copier, mais de prendre l’exemple sur ce que fait l’autre pour s’enrichir mutuellement. C’est un peu comme le disait notre ancien président Léopold Sédar Senghor, « enrichissons-nous de nos différence ».J’ai voulu donc mettre l’accent sur cela. L’exemple des pluies provoquées au Burkina et du charbon de bois est une belle illustration de cet échange d’expériences.

Ensuite, le Burkina Faso est le premier pays africain dans lequel j’ai servi et le premier pays où je suis resté 8 ans. Cela laisse évidemment des traces, en termes d’attachement affectif à la fois au pays et à ses habitants. C’est vraiment le cœur gros que je quitte le Burkina.

« Qui trop embrasse, mal étreint »

S.P : Quel est le point de la coopération entre le Burkina Faso et le Sénégal.

C.S : En arrivant ici, le Sénégal et le Burkina Faso avaient déjà conclu un certain nombre d’accords. Mais ces accords existaient sur le papier, leur mise en œuvre laissait beaucoup à désirer. Cela parce qu’il n’y avait pas d’ambassadeur résident pour suivre les dossiers. Mon premier objectif était donc de mettre en place un cadre juridique sous la forme de ce qu’on appelle une grande commission mixte de coopération. Nous avons pu réunir cette commission quelques mois après à Dakar au mois d’avril 1999.

A partir de là, nous nous sommes dit : nous avons des accords qui ne sont pas réellement mis en œuvre. Qu’est-ce que nous pouvons faire ? Dans quels domaines pouvons-nous le faire ? Où allons-nous commencer ? C’est ainsi que nous nous sommes aperçus que dans le domaine de l’agriculture par exemple, nous avons beaucoup de choses à faire. Nous cultivons du coton moins que le Burkina, et nous nous sommes rendus compte que le Burkina avait beaucoup d’expériences en matière de lutte contre la mouche blanche. Nous avons aussi eu vent du démarrage de « l’opération Saaga ».

Côté Sénégal, le Burkina s’est rendu compte que l’expérience en matière de pêche pouvait lui servir pour sa pêche qui est continentale. Ensuite, sur le plan de la formation, avec l’université de Dakar et les écoles inter-Etats qui se trouvent ici au Burkina, nous avons ciblé un renforcement de la coopération dans ces domaines. Nous nous sommes arrêtés là parce qu’on dit que « qui trop embrasse, mal étreint » Nous avons dit : commençons par ces deux grands domaines et on verra le reste.

Effectivement, le reste a suivi. Aujourd’hui, nous coopérons dans au moins une douzaine de domaines qui vont de la pisciculture à la formation touristique en passant par la coopération culturelle et également la coopération dans le domaine militaire qui est assez constante, sans oublier le domaine de l’action sociale et tout récemment, nous avons en chantier, une espèce de forum pour développer nos échanges commerciaux.

Dans cette perspective, le Premier ministre du Sénégal envisage de venir ici avec une très grande délégation parce que nous nous sommes rendus compte qu’il y beaucoup de choses que les gens importent de façon informelle au Burkina. C’est l’exemple du bétail, la viande et d’autres choses que les burkinabé aussi exportent de façon informelle. Nous voulons donc formaliser tout cela et l’étendre à autant de secteurs que possible. Il y a donc des chantiers que nous avons commencés et que nous entendons consolider et renforcer.

S.P : Qui sera votre successeur ?

C.S : Malheureusement, on n’a pas encore nommé mon successeur ; mais je me suis fait dire que la décision est dans le circuit. Je vais donc laisser derrière moi le conseiller qui va jouer le rôle de chargé d’affaires. Mais je suis sûr que les relations qui existent entre les présidents Blaise Compaoré et Abdoulaye Wade sont telles qu’ils vont rapidement s’entendre pour que quelqu’un vienne prendre la relève dans les meilleurs délais.

S.P : Au regard de ce que vous savez de la coopération entre le Sénégal et le Burkina , quel conseil donneriez-vous à votre successeur en vue d’une orientation efficiente de cette coopération ?

C.S : Notre forme de coopération est différente de la coopération que nous entretenons avec le Nord. Le Nord finance des projets, fournit de l’assistance au développement. Ce que nous faisons entre pays du Sud, c’est ce que nous appelons la coopération de complémentarité. Le conseil que je lui donnerais, c’est justement de poursuivre dans ce domaine-là. De voir là où les burkinabé sont un peu en avance sur nous, parce qu’il y a effectivement beaucoup de domaines où ils sont en avance sur nous.

Ils font beaucoup de choses que nous ne faisons pas, et de voir dans le sens inverse, ce qui pourrait servir, non pas comme modèle, mais comme exemple pour que les Burkinabé puissent aussi s’en inspirer. Naturellement, il y a l’intégration sous-régionale qui est tellement importante étant donné que nous avons des communautés dans un pays comme dans l’autre ; essayer de réformer cette intégration-là, c’est important dans le cadre de l’UEMOA, dans le cadre de la CEDEAO.

Je dois souligner qu’au plan politique, contrairement au plan technique que j’ai évoqué, il y a une coopération excellente, il y a un devoir de solidarité que nos deux chefs d’Etat, nos deux pays remplissent correctement. Tout récemment à Abuja, cela s’est manifesté quand il s’est agi de créer la commission qui doit remplacer le secrétariat exécutif. Nos deux pays était candidats pour être membre du Conseil de sécurité et les deux chefs d’Etat se sont concertés et l’un a retiré sa candidature au profit de l’autre.

Le Burkina étant un pays enclavé, nous avons un projet très avancé pour lui fournir une zone franche dans le port autonome de Dakar.

S.P : Justement , à propos de cette zone franche, de quoi s’agit-il exactement et quel peut être l’impact d’un tel projet pour le Burkina quand on sait la distance entre les deux pays ?

C.S : Ce que nous cherchons à faire à travers un tel projet, c’est de faciliter les importations du Burkina en provenance de l’étranger. Il est vrai qu’il y a d’autres ports dans la sous-région que le Burkina utilise. Ce que nous voulons faire, c’est ce que nous avons déjà fait d’ailleurs avec le Mali.

Il y a un périmètre au port autonome de Dakar que nous allons délimiter et dire ce périmètre c’est pour le Burkina. Si le Burkina importe quelque chose de l’Europe par exemple vers le port de Dakar, il pourra le stocker dans cette zone franche jusqu’au moment où il pourra le transférer vers le Burkina, avec bien entendu, des facilitations sur le plan douanier, sur le plan des taxes etc. C’est en fait un périmètre qui sera à la disposition du Burkina et des opérateurs burkinabé.

Même si des ports comme celui de Lomé et autre sont plus proches, cela est un problème d’infrastructure qui se pose, et nous essayons de le résoudre d’ailleurs dans le cadre du NEPAD ; parce que nous considérons que cela est fondamental ; le projet de chemin de fer de Dakar jusqu’à Ouagadougou par exemple serait quelque chose qui pourrait nous faire avancer énormément.

S.P : Parlant justement du NEPAD, on a l’impression aujourd’hui que la fièvre du départ est retombée et le projet avec. Qu’en pensez-vous ?

C.S : Il y a des fois où quand on ne parle pas de quelque chose, c’est peut-être mieux et c’est peut-être parce que ça marche. Souvent c’est quand il y a des problèmes qu’on parle. C’est vrai qu’au départ on en parlait beaucoup parce que peut-être c’était nouveau. Mais une fois que le processus a été engagé, ça devient un peu habituel, un peu routinier et on en parle moins. Cela dit, il y a quand même des problèmes que le président Wade a lui-même soulignés d’ailleurs.

Il a dit que nous avons eu une très bonne idée, que nous avons donné de très bonnes orientations, mais que le problème qui se posait c’était au niveau de sa mise en œuvre, au niveau de la coordination des actions. Il y a un secrétariat du NEPAD qui est en Afrique du Sud. C’est à ce niveau qu’il y a un problème de coordination, de recherche de financement qui se posent d’une manière assez connue.

C’est donc à ce niveau qu’il faut revoir les choses parce que les orientations sont là et nous allons insister sur les infrastructures, mais il faudra revoir peut-être le fonctionnement de l’exécutif, de ceux-là qui sont chargés d’exécuter les orientations données par le chefs d’Etats. Le projet est là, et les chefs d’Etat sont conscients de ces problèmes-là et je me suis fait dire qu’il y aurait un sommet qui se tiendrait dans les mois à venir pour justement étudier cette question pour voir comment apporter les correctifs nécessaires.

« On ne peut pas refaire l’histoire »

S.P : Où en est le problème Casamançais aujourd’hui ?

C.S : Sans faire de la langue de bois, je pense que nous avons engagé depuis 2000 un processus qui semble aller dans le bon sens. Il y a deux (2) semaines, l’Abbé Djamacoune a formellement demandé à tous ceux qui sont encore dans le maquis de quitter le maquis pour venir à Ziguinchor pour faire table rase de toutes les discussions que nous avons eues et aller résolument dans le sens d’une solution.

Finalement, c’est un conflit qui n’a pas de sens. Que des gens se réveillent et disent nous voulons l’indépendance d’une telle région, c’est inssensé. Voyez le cas de la Côte d’Ivoire, elle est divisée en deux, le Nord et le Sud. Et pourtant, personne ne dit : nous voulons l’indépendance. Ça aurait été encore plus rationnel, plus compréhensible si cela se faisait en Côte d’Ivoire. Mais ce n’est pas le cas. C’est au Sénégal que cela arrive. Et quand on pose la question, pourquoi vous voulez l’indépendance, quelles sont les bases ? On nous dit : nous avons vu qu’a un moment donné de l’histoire coloniale, la Casamance était autonome, ne faisait pas partie du Sénégal. Nous répondons que ce n’était pas seulement la Casamance.

Toutes les autres régions étaient ainsi, c’était l’époque des royaumes. Nous n’étions pas Sénégalais, nous sommes devenus Sénégalais. Le mot Sénégal, c’est un mot français que les Français ont inventé. Nous avions nos royaumes : Kayor, Bawol, etc. Dire qu’à un moment donné nous étions autonomes, ce n’est pas une justification. Si les Casamançais étaient des gens qui subissaient une oppression, qui subissaient des discriminations visibles, palpables comme cela était le cas ailleurs, ça aurait pu s’expliquer.

Mais les Casamançais ont dirigé l’armée sénégalaise, il sont dans le gouvernement, ils ont occupé tous le postes possibles, imaginables et c’est vraiment cela qui fait mal. Que depuis une vingtaine d’années, on ait ce problème-là qui ne se justifie pas d’une manière rationnelle, c’est vraimant aberrant. Mais encore une fois, on ne peut pas refaire l’histoire, l’essentiel aujourd’hui, c’est d’aller vers une solution à ce problème. Ce qu’il faudrait, à mon avis, c’est que ceux-là qui sont dans la rébellion, puissent dire ouvertement, publiquement, nous ne revendiquons plus l’indépendance.

A partir de ce moment-là, on peut s’asseoir et s’il y a des disparités économiques entre les régions, d’autres problèmes sociaux, on peut les résoudre. Mais je veux que nous aillions dans cette direction. Evidemment, dans le mouvement de la rébellion comme dans tout mouvement, il y a des tendances, il y a des choses que les gens pensent mais qu’ils n’osent pas dire publiquement et il nous appartient, à nous autorités sénégalaises de les aider dans ce sens là pour qu’on en finisse.

S.P : Le Sénégal vit actuellement une période de pré-campagne pour la présidentielle de 2007. Comment voyez-vous cette échéance ?.

C.S : Effectivement, les élections sont prévues pour février 2007. On aura la présidentielle et les législatives. Maintenant, il appartient à chaque parti politique de choisir le moment pour présenter un candidat. Le président Wade n’est pas encore investi par son parti, mais, et son parti, et beaucoup de gens dans la population sénégalaise, lui demandent de se présenter comme candidat. Je ne peux pas dire tout de suite et maintenant qu’il va être candidat parce que même au niveau de l’opposition au Sénégal, on sait qu’ils sont en train de dire qu’ils veulent faire comme ils l’ont fait en 2000. C’est-à-dire que les partis veulent chacun désigner un candidat et s’entendront peut-être pour des alliances au second tour. Je pense que nous sommes en train d’aller dans cette direction-là et probablement, d’ici à la fin de l’année, les choses seront plus claires et on saura qui sera candidat et qui ne le sera pas.

S.P : Mais comment voyez-vous les chances du président Wade à cette élection ?

C.S : Il y a le président Wade et il y a l’opposition. On est en train de nous orienter vers un débat qui ne devait pas être l’essentiel. Parce que l’essentiel , c’est que j’ai été président depuis X années. Quel est mon bilan ? Est-ce- que j’ai fait quelque chose de palpable ici au Sénégal. Et le président Wade l’a fait et il le dit et les autres le disent aussi. Est-ce que les sénégalais sont satisfaits de ce que le Président a fait de 2000 à maintenant ! Est-ce qu’ils sont prêts à accepter qu’il puisse continuer et faire plus ? Je pense que c’est cela le vrai débat. C’est sur le bilan du président que les Sénégalais vont devoir juger. Après ce qui s’est passé en 2000, je crois que les Sénégalais en sont à un point où il exigent des résultats. Et ces résultats sont là.

S.P : Votre prochaine destination est l’Allemagne. Comment vivez-vous ce départ vers l’Europe ?

C.S : J’ai déjà servi en Allemagne. J’étais conseiller à l’époque. Maintenant, je suis ambassadeur. A l’époque, j’ai servi dans une Allemagne divisée, il y avait l’Est et l’Ouest et la capitale était Bohn. Maintenant c’est Berlin, donc j’imagine que le pays a certainement changé. Mais j’ai quand même une idée de ce qui se passe là-bas et je pense que sur cette base-là, je vais pouvoir faire quelque chose aussi bien dans le cadre de la coopération entre mon pays et l’Allemagne que dans le cadre de la coopération sous-régionale comme l’UEMOA, la CEDEAO, avec mes autres collègues africains.

S.P : Quel est votre dernier mot ?

C.S : Juste réitérer que je me sens burkinabé de cœur, et cela n’est pas une formule diplomatique, ni une manière de parler. Comme je l’ai dit, après huit (8) ans, il y a quelque chose dans ce pays-là qui ne vous lâche pas. Le Burkina est un pays où en arrivant, au départ, on peut se plaindre peut-être de la chaleur, mais avec le temps qui passe, le Burkina vous happe, et il devient très difficile ensuite de devoir quitter. Surtout quand on est resté depuis huit ans, c’est vraiment de tout cœur que je dis que c’est ma seconde patrie parce que je ne suis jamais resté aussi longtemps dans un pays. Heureusement que nous sommes presque des voisins et que cela pourra faciliter les retrouvailles ultérieures.

Entretien réalisé par Ladji BAMA (bamayacou@yahoo.fr)
(Stagiaire)

Sidwaya

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