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Direction de l’Environnement des Hauts-Bassins : 7 ans de malversations, plusieurs milliards détournés

Publié le vendredi 23 juin 2006 à 08h11min

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L’on se rappelle qu’en décembre 2004, une quinzaine d’agents publics de l’Etat burkinabè, majoritairement des cadres ayant servi à la direction régionale de l’Environnement et du Cadre de vie des Hauts-Bassins, avaient été mis aux arrêts pour s’être rendus coupables de perception illicite de taxes dites d’aménagement auprès des exploitants de bois de chauffe. (Cf. Le Pays n°3280 du 24 décembre 2004).

Après environ 2 mois passés sous les verrous de la Maison d’arrêt et de correction de Bobo Dioulasso, ils ont bénéficié d’une libération « sous caution ». La stratégie frauduleuse avait consisté, pour eux, en l’édition de fausses quittances sous le label du Trésor public burkinabè pour masquer le forfait et mettre en confiance leurs victimes.

Après 7 ans de pratique, la malversation pourrait porter sur près d’une dizaine de milliards de nos francs. L’affaire « suit son cours normal », a-t-on appris de sources judiciaires. En attendant son dénouement éventuel, nous présentons ici, à partir de témoignages des victimes et d’agents proches du service de l’Environnement des Hauts-Bassins, les mécanismes d’une pratique qui a sérieusement grevé les maigres économies des contribuables et le budget national de l’Etat.

L’affaire remonte à 1997. Les directeurs régionaux de l’Environnement et des Eaux et Forêts d’alors s’étaient réunis en atelier au Centre CESAO à Bobo Dioulasso. Entre autres recommandations ayant sanctionné les travaux de cette rencontre, les participants ont souhaité qu’il soit institué un fonds d’aménagement des forêts, sur la base des recettes forestières, à mettre à la disposition du ministère de tutelle, dans le but d’un réaménagement des forêts naturelles. La recommandation, avant même qu’elle ne soit transformée en texte normatif, avait fait naître une idée machiavélique dans la tête de Urbain Yaméogo, alors directeur régional de l’Environnement et des Eaux et Forêts des Hauts-Bassins.

Il réunit aussitôt les exploitants de bois de chauffe et de charbon, pour les informer qu’une mesure nouvelle, édictée au niveau supérieur, leur imposait désormais de s’acquitter de taxes supplémentaires dont la gestion devrait, à terme, favoriser le réaménagement des forêts naturelles internes. iContrefa ion des quittances La stratŽgie frauduleuse était ainsi amorcée.

Entre 1997 et 2004, les grossistes transporteurs de bois de chauffe du Houet étaient ainsi soumis au paiement d’une taxe supplémentaire de 900 F CFA par stère de bois en sus de l’ancienne taxe qui est de 300 F CFA. Ils étaient rassurés dans la mesure où des quittances leur étaient délivrées. Elles avaient été imprimées selon le modèle des factures régulières du Trésor public. Selon nos sources, des dizaines de souches de carnets de quittances aux numéros identiques auraient été découvertes lors des enquêtes.

Urbain Yaméogo, principal instigateur de cette pratique, était au départ l’unique ordonnateur de l’émission et de l’utilisation des fausses quittances. Puis entrent en scène des acolytes, en l’occurrence Pierre Galané, alors directeur provincial du Houet et Rigobert Medah, régisseur. Ayant pris goût à la chose, ils auraient, à leur tour, entrepris d’émettre par dizaines, de faux quittanciers qu’ils ont utilisés à l’insu du patron de la manoeuvre.

Selon un ex-chef de service régional à la DRECV-HB, il n’aurait jamais été question, lors des réunions hebdomadaires et trimestrielles du service, d’évoquer la destination exacte des fonds frauduleusement générés par les taxes supplémentaires. Toutefois, a-t-il ajouté, « la gestion des fonds avait changé de main suivant les humeurs des directeurs et la nature des rapports qu’ils entretenaient avec des agents. Depuis 1997, les fonds ont transité entre les mains de Mahamadi Ouédraogo, Boua Ouattara, Rigobert Médah, Nestor Kini et Tiémogo Sirima... ». Ce faisant, le montant à reverser au Trésor public était à la discrétion du seul régisseur, les quittances régulières n’étant pas remplies. rUne affaire de gros sous

Il est difficile de connaître avec exactitude le montant du pactole qui a ainsi été indélicatement amassé par ces faussaires. Nous avons toutefois obtenu des informations sur les recettes qui auraient pu être générées dans le cadre du fameux fonds dit d’aménagement, sur la base des carnets délivrés pour la période allant du 1er février au 31 avril 2004, soit 3 mois. (conf. bordereaux d’envoi No 2004-062 ; 2004-113 et 2004-137). Rien que pour cette période, 558 carnets de fausses quittances ont été délivrés. En estimation donc, ce sont plus ou moins 186 carnets qui étaient mensuellement délivrés. Soit environ 2 232 carnets par an et approximativement 15 624 carnets pour l’ensemble des 7 ans qu’a duré l’arnaque.

Par ailleurs, le nombre de permis de circulation délivrés par jour a été estimé en moyenne à 636 pour environ 5 stères de bois par permis. Les permis étaient délivrés aux exploitants tous les jours ouvrables. Sur cette base, la recette mensuelle approximative, au moment de la manigance, pourrait être estimée à 114 480 000 CFA, soit approximativement 1 milliard 300 millions par an, et un cumul de plus de 9 milliards de nos francs, si l’indélicatesse a effectivement duré 7 ans.

La gestion de la brigade mobile, selon nos sources, n’était pas des plus claires. De l’avis de l’agent qui affirme avoir servi à la DRECV-HB entre 1994 et 2000, la brigade mobile avait été initiée juste pour enrichir le DR et d’autres personnes, sur la base des amendes. Un camion de bois en infraction, a-t-il précisé, était amendé à 200 000 F et son contenu était confisqué pour être vendu à environ 150 000 F. « Seul le chef de brigade, Nestor B. Kini, qui se trouvait être à la fois chef, régisseur et comptable, avait la responsabilité de fixer le montant des contraventions et de délivrer les quittances.

Il ne rendait compte qu’au DR », a-t-il ajouté. Les exploitants de bois de chauffe que nous avons rencontrés ont dénoncé une concurrence déloyale entretenue à l’époque par les inculpés. Certains en effet s’étaient investis dans la vente du bois sans permis et utilisaient des camions « fond rouge », appartenant à la direction de l’Environnement.

La lettre anonyme qui changea tout

Il en a ainsi été jusqu’en décembre 2004. Le pot aux roses fut découvert grâce à une lettre anonyme dont une copie est parvenue à la justice de Bobo Dioulasso. Le parquet ouvre alors une information judiciaire qui abouti à l’interpellation de Urbain Yaméogo et de 15 autres personnes pour « concussion, faux, usage de faux, détournements de deniers publics, enrichissement illicite, et association de malfaiteurs ».

Après leur comparution, les prévenus sont déférés à la Maison d’arrêt et de correction de Bobo Dioulasso. Leur séjour à la prison civile de Bolomakoté n’aurait duré que deux mois environ, puisqu’ils auraient par la suite bénéficié d’une libération provisoire « sous caution », selon les termes d’une source proche du dossier.

Et comme sanction administrative, les prévenus - qui, précisons-le, jouissent toujours de la présomption d’innocence - ont simplement dû quitter hors de la province du Houet, sauf un parmi eux qui est au seuil de la retraite. De sources concordantes, seul Jean Chrysostome Pizongo qui était par ailleurs chef d’un projet piloté par la Banque mondiale, aurait été congédié par cette institution.

A la direction régionale de l’Environnement et du Cadre de vie des Hauts-Bassins, les équipes dirigeantes ont été renouvelées à presque 100%. Certains parmi les nouveaux venus, déclarent avoir eu vent de cette indélicatesse longtemps entretenue par leurs prédécesseurs.

Ils sont riches, très riches Les fonctionnaires incriminés dans cette affaire, mènent un train de vie assez enviable, au regard de leur traitement salarial et indemnitaire.

- Urbain Yaméogo, le cerveau de la combine, selon des sources concordantes, posséderait plusieurs villas à Koudougou, à Bobo et à Ouagadougou. En 1998, toujours selon nos sources, il aurait acheté 3 motos Yamaha X100 qu’il aurait mises en location.

- Rigobert Méda, en sa qualité de régisseur, avait un salaire annuel estimé à environ 800 000 F CFA. Mais en 6 années d’activité, il aurait acquis entre autres biens, une villa dans chacune des villes suivantes : Dissin, Banfora et Bobo. Il disposerait également d’une parcelle à Bobo ainsi que d’autres biens. Tous les autres inculpés rouleraient carosse. ransporteurs, grossistes et détaillants de bois de chauffe sont les premières victimes de cette affaire qu’ils ont qualifiée de « scandale financier » dans une lettre ouverte adressée au ministre de l’Environnement.

Ayant vainement attendu depuis 1998, et jusqu’en 2004, que la direction des Eaux et forêts, devenue entre-temps direction de l’Environnement et du Cadre de vie, leur rende compte de la gestion du fameux fonds d’aménagement, ils auraient entrepris de traduire leur mécontentement au ministre. Ils auraient notamment déploré les « explications confuses et incompréhensibles » qui leur étaient fournies par la direction sur cette affaire, et « l’insultante opulence faite de voitures luxueuses, de villas somptueuses, de cybercafés etc. », dans laquelle vivaient les faussaires. .Un diffŽrend grotesque

Dans une lettre datée du 5 juillet 2004 et adressée au haut-commissaire de la province du Houet, l’Union provinciale des transporteurs, détaillants et exploitants de bois de chauffe et de charbon, faisait déjà cas d’un « différend grotesque » qui l’opposait à la direction des Eaux et Forêts du Houet.

Pour cette affaire qualifiée de « plus grand scandale financier de la province du Houet en cette décennie », les victimes auraient sollicité l’intervention du haut-commissaire, afin que justice leur soit rendue. oronie de l’histoire : la quasi-totalité des incriminés avaient été distingués, 2 ou trois fois avant leur arrestation, des médailles de l’ordre burkinabè, pour « services rendus à la nation ». L’un d’entre eux aurait reçu sa troisième distinction le 11 décembre 2004, juste quelques jours avant son incarcération.

Pourquoi les auteurs de cette malversation, en attendant le procès, n’ont-il pas été écartés de la gestion de la chose publique ? Pourrait-on un jour retrouver les traces des milliards détournés ? Dans quelles mesures les exploitants de bois qui sont les victimes directes de cette intrigue pourraient-ils être dédommagés ? Pourquoi les biens dont disposent les prévenus n’ont-ils pas été mis sous scellés ? Qui payera la note après ce crime économique si certains des accusés, libres de leurs mouvements, viennent à prendre le large ?... Questions pour le moment sans réponses.

Par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays

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