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Bittou : des douaniers et des commerçants véreux se sucrent au détriment du Trésor public

Publié le mercredi 14 juin 2006 à 07h39min

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Considéré à tort ou à raison comme un poste « juteux » pour douaniers, le bureau de douane de Bittou semble bien porter sa réputation. Situé à une quarantaine de kilomètres de la frontière togolaise, et à une dizaine de kilomètres de celle du Ghana, Bittou est la plaque tournante d’un trafic important.

En effet, outre les marchandises et véhicules destinés au Burkina, un gros lot y transite pour le Niger, le Mali et même la Côte d’Ivoire.

Autour des activités de ce bureau de douane, des réseaux multiples et divers se tissent et s’adonnent à leur sport favori : la fraude, le racket et le trafic d’influence. Suite à des plaintes répétées de citoyens indignés et/ou victimes du phénomène, le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) y a dépêché une équipe les 2 et 3 juin 2006. Après le poste de douane de Cinkansé, voici l’épisode de celui de Bittou.

Premier grand poste de douane pour les marchandises et les voyageurs en provenance du Togo et du Ghana, Bittou est très convoité par les douaniers et certaines catégories de commerçants. En revanche, c’est un poste très redouté de la plupart des usagers ; et pour cause ? C’est par ce poste frontalier que voyageurs, conducteurs de véhicules « France-au-revoir », camionneurs, etc. en provenance du Togo et du Ghana devraient montrer patte blanche avant de poursuivre leur parcours. Mais entre ce sacro-saint principe douanier et les pratiques qui s’y déroulent, c’est le jour et la nuit.

Pour un observateur non averti, tout peut paraître normal. Mais il suffit de faire sauter le verrou qui protège les intérêts égoïstes des douaniers corrompus et des commerçants corrupteurs pour découvrir ce poste dans toute sa laideur : les rackets se font à tous les niveaux ; pire, des commerçants dénommés « Alkaïda » dictent leur loi aux douaniers. C’est le monde à l’envers !

Pas un pas sans rackets

Les racketteurs sont tellement sûrs de leur coup qu’ils ne se doutent de rien. Ils ne font visiblement attention à personne. Ce qui les préoccupe, c’est leur butin. Et pour y parvenir, tous les coups sont permis à Bittou.

Les rackets, on en rencontre à tous les niveaux. Des laissez-passer (LP) au transport de klinker, en passant par le contrôle voyageurs (CV) et les véhicules « au revoir France », partout où l’usager passe, il a rendez-vous avec le racket.

Les laissez-passer (LP)- Tout véhicule étranger qui pénètre sur le territoire burkinabè doit payer un laissez-passer au prix officiel de 1 000 francs CFA. Mais le chauffeur qui se présente à la guérite pour accomplir cette formalité est obligé de débourser 2 000 francs contre un reçu de 1 000 francs. Le soir, à 18 h30, l’agent du jour chargé d’établir ces fameux laissez- passer arrête ses comptes pour versement à la caisse centrale du bureau. Pour une moyenne de 200 véhicules par jour, 200 000 francs sont versés à la caisse, et 200 000 francs (50% des recettes du jour) vont dans les poches de l’agent.

Selon des sources proches de la douane, beaucoup de douaniers font des pieds et des mains pour être désignés à ce poste. La concurrence est tellement rude que le partage du butin avec le responsable chargé de désigner « l’heureux élu » ne fait pas l’ombre d’un doute.

Le contrôle voyageurs (CV)- Chaque jour, deux agents sont désignés pour procéder à la fouille des véhicules voyageurs (cars, minibus, véhicules personnels). Le cas le plus flagrant est celui des minibus de marque « Hiace » qui font la navette entre Pouytenga et Cinkansé. Très tôt le matin, ils arrivent chargés de voyageurs et de vélos généralement servant à la contrebande. Lourdement chargés de marchandises à leur retour, entre 13h et 14h30, le « dédouanement » de ces « Hiace » se fait à deux endroits : sous le hangar à 50 000 francs, et à la barrière à 40 000 francs. Etant donné qu’il y a en moyenne 6 à 7 « Hiace » par jour qui y passent, cela fait un gain journalier variant entre 540 000 et 630 000 francs.

Les véhicules « France-au- revoir »- Ils arrivent en grand nombre (entre 150 et 200 par jour). Le transitaire, pour faire signer le document douanier attestant que le véhicule a été vu dans le parc, doit débourser 2 000 francs par véhicule (à la charge du conducteur). Le gain journalier à ce poste varie entre 300 000 et 400 000 francs. Selon un de nos informateurs proche de la douane, cette somme est récoltée dans un sac, et la répartition se fait immédiatement après le boulot.

La « taxation » des transporteurs de klinker- Tout camion transportant du klinker (de la CIMAT ou à destination du Mali), doit débourser 4 000 francs (3 000 sous le hangar et 1 000 au bureau n°2) au profit des douaniers. Chaque jour, ce sont entre 500 000 et 600 000 francs qui sont extorqués à ces camionneurs sans reçu. Nos sources indiquent qu’ici, la répartition se fait chaque dimanche à 22 heures ! Ce qui signifie que les bénéficiaires de ce butin se partagent entre 3 500 000 et 4 200 000 francs par semaine.

Un calcul rapide permet de constater qu’en un mois, les douaniers en poste à Bittou récoltent, pour leur propre compte, au moins 6 000 000 francs au laissez-passer, 16 200 000 au contrôle voyageurs, 900 000 pour le transport de klinker.

L’administration douanière de Bittou est-elle prise en otage par les « Alkaïda » ?

Certains les appellent « Alkaïda », d’autres « Grotos » ou encore « Gros bonnets ». Tous ces sobriquets désignent les mêmes personnes ; ce sont des commerçants très puissants qui font la pluie et le beau temps à la douane de Bittou. Avec plusieurs camions lourdement chargés, ces « Alkaïda » qui arrivent au poste de Bittou ne semblent pas pressés. Ils peuvent même rester au poste de douane très tardivement, car le temps, c’est de l’argent. Ils prennent le temps qu’il faut pour peaufiner leurs plans diaboliques. En fait, ils ne font aucune formalité douanière.

Après l’identification de leurs véhicules, un simple bout de papier volant, reprenant les numéros de leurs véhicules, leur sert de passe-droits. Ils se renseignent ensuite pour connaître ceux qui sont de service à la brigade mobile de Tenkodogo. Sont-ils corruptibles ?

Si oui, à quel prix ? Sinon, mieux vaut encore attendre. Lorsque ces « Alkaïda » se sont assurés qu’ils peuvent partir en toute quiétude, et sans avoir déboursé un sou au poste de douane, ils s’engouffrent dans une grosse Mercedes ou une BMW, et les camions les suivent en file indienne.

Et c’est en vrais chefs de gangs qu’ils conduisent leur butin à destination. Selon des sources bien informées, ce n’est que seulement quelques jours après leur passage au poste qu’ils envoient un émissaire avec le pactole. Ce butin des douaniers est réparti dans des enveloppes portant le nom des bénéficiaires et placé dans un tiroir. Chaque agent est invité à y prendre sa part.

Et chacun s’en presse de connaître le montant exact de son enveloppe ! Combien ces « Alkaïda » auraient-ils dû payer au Trésor public ? Personne ne le sait, même pas les douaniers commis à cette tâche. Comme le dit un de nos informateurs : « Tant pis pour les caisses du Trésor public, car, vaille que vaille, le salaire va tomber. » Prétextant parfois la mauvaise marche des affaires, il arrive que ces « Alkaïda » cumulent plusieurs passages sans assurer le retour de l’ascenseur. Dans ce cas, les douaniers sont obligés de négocier.

Le plus grave reste certainement la désinvolture avec laquelle tout se passe. Apparemment, rien ni personne ne semblent inquiéter les douaniers, et encore moins les « Alkaïda ». Tout baigne dans une ambiance générale d’impunité qui conforte la position des fraudeurs professionnels qui écument les bureaux de la douane de Bittou. La douane, symbole de l’autorité de l’Etat aux frontières, semble fonctionner sous une coupe réglée de commerçants sans foi ni loi. Si cette situation se généralise et perdure, il est à craindre une désagrégation de l’autorité des pouvoirs publics.

Le REN-LAC tient une fois de plus à remercier les citoyens honnêtes (transporteurs, commerçants, transitaires, douaniers...) qui ont accepté prendre des risques pour lui donner les informations ayant permis de lever une petite partie du voile de la corruption aux postes de douane de Cinkansé et de Bittou. Il les invite à persévérer dans la dénonciation des corrupteurs et des corrompus, car ce fléau n’est qu’un géant au pied d’argile.

Nous pouvons y mettre fin, si chacun jouait sa partition. Un des plaignants n’a-t-il pas justifié sa plainte en ces termes : « Afin que ces maux qui minent notre société prennent fin pour que les caisses du Trésor ne tarissent point » ? Nous ajoutons, et que plus jamais « la morale n’agonise au Faso ».

Le REN-LAC invite les douaniers honnêtes à se démarquer des brebis galeuses qui ternissent l’image de marque de tout un corps. Il y va de l’honneur de tout le corps des douaniers, mais également des idéaux qu’ils sont supposés défendre.

Enfin, le REN-LAC invite le ministère des Finances, et l’administration douanière en particulier, à prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin à ces dérives qui menacent dangereusement l’avenir du pays. Au moment où l’Etat se hâte pour définir une politique nationale de lutte anti-corruption, il faudrait sans doute initier une réflexion profonde et faire un diagnostic sans complaisance des pratiques corruptrices qui semblent être devenues la norme au niveau de certains postes de douanes aujourd’hui.

Le REN-LAC se propose de publier vos réactions, vos suggestions, vos dénonciations, si cela est conforme à la déontologie et à l’éthique professionnelle. Vos critiques et suggestions sont les bienvenues.

Pour toutes informations et suggestions, contactez-nous à l’adresse suivante : Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC)
01 BP : 2056 Ouagadougou 01
Tél. : 50 33 04 73
Email : renlac@renlac.org
site : http: //www.renlac.org
Tél. vert : 80-00-11-22 (gratuitement).

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