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Lassiné Diawara : “La corruption n’est pas une fatalité...”

Publié le lundi 12 juin 2006 à 08h06min

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Lassiné Diawara

Economiste-gestionnaire de formation auréolé d’une brillante carrière à la Chambre de commerce et à la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO) , Lassiné Diawara anime, à 57 ans, aussi bien de grandes entreprises (MABUCIG, BOA, SDV,...) que diverses structures socioprofessionnelles (CCIA-BF, CNPB, CES,...).

Personnalité économique très actif dans plusieurs secteurs d’activités (commerce, industrie, banque), il est soit président de conseils d’administration (PCA), soit vice-président d’organisations professionnelles, soit encore administrateur de sociétés dans le monde des affaires au Burkina Faso. C’est sous la casquette de président du Syndicat des commerçants importateurs et exportateurs du Burkina Faso (SCIMPEX) qu’il fait un tour d’horizon de l’économie nationale et internationale.

Grève des 23 et 24 mai 2006, relations entre administration publique et opérateurs économiques, rencontres secteur privé-gouvernement, politique et affaires au Burkina Faso, crise ivoirienne, code des investissements, création d’emplois, lutte contre la fraude, la contrefaçon et la corruption, menace de la Chine populaire, avenir économique de l’Afrique... Sans ambages, Lassiné Diawara donne ses points de vue en tant qu’acteur et animateur de premier plan du paysage économique burkinabè.

Sidwaya (S.) : Des marques de cigarettes telles « Craven A, Peter Stuyvesant » jusque-là fabriquées par la MABUCIG dont vous présidez le Conseil d’administration (PCA) ont disparu du marché. Que s’est-il passé ?

Lassiné Diawara (L.D.) : La Manufacture burkinabè des cigarettes (MABUCIG) fabrique une gamme de produits d’environ une dizaine de marques. Certaines lui sont propres et d’autres qu’elle fabrique sous contrat de licence de marques. Ainsi, les marques « Peter Stuyvesant » et « Craven A » appartiennent au groupe BAT (Bristish American Tobacco). Depuis octobre 2005, il y a eu quelques malentendus sur le contrat de licence de marques qui lie la MABUCIG à BAT.

En l’absence de solutions immédiates alors que le contrat devait s’étaler jusqu’en juin 2007, la MABUCIG a suspendu la fabrication de ces produits tout en nourrissant l’espoir de trouver un terrain d’entente aussi bien sur les niveaux de rémunérations de fabrication, que sur la nouvelle orientation que BAT voudrait donner à nos accords antérieurs. En principe, les termes du contrat qui nous lie devraient courir jusqu’en juin 2007, mais BAT voulait sa révision immédiate d’où cette mésentente entre nos deux groupes. Ce qui a entraîné effectivement la suspension de la fabrication de la « Peter Stuyvesant » et de la « Craven A », créant ainsi une pénurie sur le marché.

Dans l’attente de trouver une solution, la MABUCIG essaie de pallier cette situation en introduisant de nouvelles marques comme Davidoff. Cependant, on trouve maintenant des « Craven A » et « Peter Stuyvesant » sur le marché.

S. : Le 31 mai dernier, était célébrée la journée mondiale de lutte anti tabac avec un thème sévère pour les cigarettiers : « Le tabac : mortel sous toutes ses formes ». Les législations dans plusieurs pays restreignent la consommation et la publicité du tabac. Il y a aussi la contrefaçon des cigarettes qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Tout cela ne suscite pas en vous une peur quant à la survie de vos activités ?

L.D. : Effectivement, il y a de plus en plus une législation restrictive concernant la consommation du tabac et contre tout ce qui peut la propager ou susciter. Des mesures sont prises au niveau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sous forme de campagnes ou de directives en collaboration avec les Etats pour protéger les populations. En tant que producteurs de tabac, nous sommes conscients que des actions doivent être menées pour limiter la publicité. De plus en plus, les grands groupes de production de tabac souscrivent à cette option de limitation de la publicité.

Les cigarettiers ont une déontologie qu’ils s’imposent pour éviter toute publicité en direction d’une frange de la population considérée comme vulnérable notamment les jeunes et les femmes. La publicité sur le tabac a beaucoup évolué à tel point qu’elle est devenue suggestive et plus discrète. Elle évite de plus en plus le système de matraquage comme on pouvait le constater par le passé. Les tabatiers reconnaissent le danger que peuvent entraîner leurs produits.

Ils essaient de s’adapter aux dispositions en vigueur en s’attelant à inventer une nouvelle politique de marketing pour les cigarettes. Les fabricants de tabac ne perçoivent pas la campagne sur les méfaits de leurs produits comme un combat contre eux. Ils prennent en compte les dispositions pertinentes de restriction des lois anti tabac en essayant de faire évoluer l’image de leur activité industrielle. D’ailleurs, on peut constater que le marché du tabac n’évolue pas au même rythme que par le passé. Il régresse dans un grand nombre de pays, mais se trouve en évolution dans d’autres.

Les pertes de marché dans les pays européens et nord américains où la lutte anti tabac est vigoureuse sont compensées par des gains dans d’autres continents comme l’Asie, l’Amérique du Sud, l’Afrique. D’une manière générale le marché du tabac reste stable. Du reste, les statistiques montrent qu’en fonction de la population, les pays africains ne sont pas de grands consommateurs de tabac. Par exemple, la consommation globale du Burkina Faso est estimée à 1,8 milliard de cigarettes par an. Ramené à la population totale, cela donne un ratio de 150 cigarettes par an et par habitant. Comparativement à la moyenne mondiale qui est de 1000 cigarettes par an et par habitant et de 2000 cigarettes pour l’Asie.

Cependant, plus que la restriction de la publicité sur le tabac, la contrefaçon constitue un réel danger auquel les cigarettiers sont de plus en plus exposés. Elle cause plus de mal aux activités industrielles de tabac que les lois restrictives sur la consommation du tabac. La contrefaçon dénature la qualité et le goût des produits. Elle détourne ainsi les consommateurs des cigarettes fabriquées dans les normes. Les contrefacteurs tuent l’image de marque que les propriétaires de marques ont construit à coup de gros investissements et de publicités pour faire accepter leurs produits auprès des consommateurs. En tuant l’image de marque les produits contrefaits, conduisent aux pertes de parts de marché, difficiles à reconquérir.

S. : Vous êtes également PCA de la société burkinabè des fruits et légumes (SOBFEL). Les activités du terminal fruitier connaissent des balbutiements. Que préconisez-vous pour rendre performante la filière “fruits et légumes” qui peut beaucoup apporter à l’économie nationale mais reste inexploitée ?

L.D. : La SOBFEL a été créée pour relancer la filière “fruits et légumes” dans un contexte où le Gouvernement ainsi que les intervenants de la filière n’ont cessé de constater une baisse des exportations des fruits et légumes du Burkina Faso. En effet, au cours des journées nationales des paysans présidées par le Président du Faso, les producteurs avaient attiré à maintes reprises l’attention du Gouvernement sur cette situation catastrophique. Ils ont expliqué que si rien n’était fait, les producteurs burkinabè disparaitraient sur le marché international.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a pris l’initiative de réunir autour de la Chambre de Commerce, des hommes d’affaires ainsi que les acteurs de la filière pour créer la SOBFEL en lui donnant un caractère purement privé, notamment en ce qui concerne la gestion de cette société. Ce faisant, le Gouvernement voulait éviter une forte implication de l’Etat dans la gestion de la société, lui donnant ainsi plus de souplesse et d’efficacité.

Pour aider à son bon démarrage, l’Etat a concédé la gestion du terminal fruitier de Bobo-Dioulasso ainsi que les chambres froides aéroportuaires réhabilitées à l’aéroport de Ouagadougou. Pour ce qui concerne le terminal fruitier de Bobo-Dioulasso, nous avons fait appel à des partenaires belges (Groupe LEON VINCENT), spécialisés dans la gestion de ce type d’infrastructure. Ils se sont associés à la Chambre de commerce pour créer une société burkinabè d’exploitation de terminal fruitier, « Burkina Logistic », à l’instar de « Ivoire Logistic ». Ainsi, depuis trois mois, « Burkina Logistic » est en ordre de marche pour recevoir les fruits et légumes.

Maintenant que faire pour rendre performante la filière « fruits et légumes » à travers la SOBFEL ?

Le souci d’une solution idoine et pérenne a amené la SOBFEL dans un premier temps, à réactiver certaines associations de producteurs pour pallier l’inorganisation actuelle qui ne permettait pas de production suffisante en vue de jouer le rôle qui lui a été confié.

Pour cela, beaucoup d’efforts doivent être déployés pour reconquérir la place que le Burkina Faso a occupée, il y a une vingtaine d’années, sur les marchés européens dans le domaine de l’exportation des fruits et légumes. En effet, le haricot vert du Burkina Faso qui était connu et prisé dans les grands centres commerciaux en Europe a fini par disparaître avec la désorganisation de la filière.

Nous pensons qu’il y a eu une détérioration des structures d’encadrement ou même un manque d’organisation efficiente des acteurs de la filière pour un meilleur positionnement sur le marché international. Les causes de cette contre performance reposent sur une absence de représentation des producteurs dans les lieux de vente et également le manque de structures d’accompagnement pour soutenir les efforts depuis la production jusqu’à la commercialisation. A mon avis, c’est ce déficit que le Gouvernement a voulu résoudre à travers la mise en place de la SOBFEL pour relancer la production et dynamiser les filières de commercialisation des fruits et légumes.

Le secteur est prometteur mais il faut une volonté politique pour réhabiliter les centres de production qui ont constitué, dans le temps, la force de la filière burkinabè que sont les centres de Bazèga, de la Kompienga, de la vallée du Kou dans le Houet, Yendéré dans les Cascades et Guénakào dans le Kénédougou. Si la relance de la production est bien menée en tenant compte des critères de compétitivité et de qualité, la filière fruits et légumes retrouvera sa place d’antan dans l’économie et le Burkina Faso son rayonnement sur le marché international. C’est là certainement une autre source de richesse pour les populations.

S. : En tant qu’un opérateur économique très actifs dans divers secteurs d’activités (commerce, industrie, banque), comment évaluez-vous l’économie burkinabè ?

L.D. : Me fondant sur mes activités au niveau du commerce, de l’industrie et de la banque, je reste optimiste quant à l’évolution de l’économie nationale. Ce n’est certainement pas facile quand on choisit d’entreprendre ou d’être un opérateur économique, mais avec beaucoup de pragmatisme et de capacité d’adaptation sans à priori, on a des chances de trouver des solutions aux problèmes qui se posent à nous et même de réussir à la tête des affaires que nous dirigeons.

Ce qui reste déterminant dans l’évaluation de l’économie burkinabè, c’est l’orientation que le Gouvernement donne à notre économie.

Celle-ci permet de cerner son impact sur les différents secteurs de développement. Le Gouvernement burkinabè a pris l’option de faire du secteur privé le moteur de développement. Cela se traduit par une volonté de dialogue entre l’Etat et le secteur privé, et des réformes pour créer un environnement favorable au développement du secteur privé.

Sans se tromper, on peut dire que les différentes réformes politiques et économiques se traduisent aujourd’hui par une mobilisation de financements bilatéraux et multilatéraux. Celles-ci contribuent à la réalisation de travaux d’infrastructures et à la relance de la production agricole. Au regard de ce que l’on peut observer, il y a un regain de la croissance économique et une dynamisation du secteur privé.

Cependant, pour des secteurs comme l’industrie on observe une stagnation due à l’ouverture des marchés qui expose les produits industriels burkinabè à la concurrence internationale. Cette situation s’explique par le fait que la plupart de nos unités ont été créées dans un contexte de protection tarifaire dénoncé aujourd’hui dans le cadre des préférences sous régionales et de la libéralisation du commerce à travers l’OMC.

Autrement, pour ce qui concerne les affaires en général, il est indéniable de constater aujourd’hui l’émergence d’une classe d’hommes d’affaires burkinabè qui sans complexe sont présents dans les meilleures sources d’approvisionnement et s’activent aussi à l’exportation. Globalement, l’économie burkinabè rencontre certes des difficultés liées au contexte mondial (hausse des prix du pétrole, baisse des cours du coton, etc.) mais les opérateurs économiques grâce à leur sens de pragmatisme arrivent à se défendre tant bien que mal. Partant du fait que c’est difficile partout, nous pensons que nous bénéficions d’une stabilité politique qui nous permet de prendre des initiatives à long terme et de promouvoir des partenariats à même de poser les bases d’un développement durable.

S. : Comme palliatif à la crise ivoirienne, la Chambre de commerce du Burkina Faso a renforcé ses entrepôts aux ports de Téma au Ghana et Lomé au Togo. Ces mesures sont-elles parvenues à juguler les besoins de transit des entreprises nationales jadis assurés par le port d’Abidjan ?

L.D. : Les hommes d’affaires burkinabè ont réagi avec beaucoup de célérité et de pragmatisme face à la crise ivoirienne. Cette bonne attitude a mis les consommateurs à l’abri des pénuries de produits de premières nécessités et d’autres marchandises diverses. Les opérateurs économiques connaissaient déjà les ports de Tèma et de Lomé. Mais pour des problèmes de coût, celui d’Abidjan bénéficiait plus de leur préférence de par ses tarifs compétitifs et sa rapidité.

La capacité du port d’Abidjan équivaut à celles des ports de Lomé, Cotonou et Dakar réunies, sans oublier la liaison ferroviaire qui réduit les coûts de transport. Face à la crise ivoirienne, la Chambre de commerce a accompagné les efforts des opérateurs économiques afin de réorienter une grande partie du trafic destiné à Abidjan sur Lomé et Téma. Dans cette perspective, la Chambre de commerce, outre ses installations portuaires existantes, a entrepris de renforcer ses capacités de stockage pour recevoir les marchandises burkinabè dans les différents ports suscités . « C’est du ressort des médias de mener des investigations pour rétablir la lumière sur toute cette économie animée par des privés dont on ne parle pas suffisamment ».

Par ailleurs, les opérateurs économiques ne sont pas restés les bras croisés. Ils ont réagi en renforçant le parc automobile burkinabè à travers l’achat des véhicules de transport.

Ces actions conjuguées ont permis de décongestionner progressivement les ports afin de surmonter les effets pervers de la crise ivoirienne. Ceci étant, ces différentes actions ont entrainé des surcoûts d’où la poussée inflationniste constatée pendant ces périodes. Mais souvent « mieux vaut payer un peu plus cher que de ne pas disposer du tout de marchandises ».

S. : Chaque année, au mois de juillet, le gouvernement entretient un dialogue avec le secteur privé à Bobo-Dioulasso. Ces concertations arrivent-elles réellement à résoudre les préoccupations des opérateurs économiques ou ce n’est qu’une tribune de répétitions de doléances ?

L.D. : Les rencontres secteur privé-gouvernement ne résolvent pas tous les problèmes des opérateurs économiques. Ce qui est important dans ces rencontres et qu’il faut retenir, c’est l’entretien d’un dialogue permanent entre les acteurs de l’économie nationale et les pouvoirs publics. Le but recherché est d’asseoir une démarche pédagogique pour aboutir à un changement de mentalités dans les rapports que le privé entretient avec l’administration publique.

Dans un passé pas lointain, la tendance au niveau de l’administration était de voir les opérateurs économiques comme un groupe défendant des intérêts qui n’ont rien à voir avec ceux de l’Etat. D’où la survivance de rapports conflictuels et de méfiance. Ces rencontres permettent de faire tomber ces barrières. En effet, « Autant les opérateurs économiques ont besoin de l’Etat pour la conduite de leurs affaires, autant l’administration publique a besoin du secteur privé pour dynamiser l’économie nationale ».

L’Etat doit se rendre à l’évidence qu’il ne peut pas à lui seul tout faire. Il doit œuvrer à la création d’un cadre propice au développement des affaires, pourvoyeur d’emplois et de richesses. S’il y a un secteur privé fort, citoyen (payant les impôts) qui est en confiance avec l’Administration publique, c’est l’Etat qui s’enrichit, c’est le pays qui avance.

Ce qu’il faut tirer comme leçon des rencontres de Bobo-Dioulasso, c’est la volonté de créer cette confiance, cette relation pour faire comprendre à tous les animateurs de l’économie nationale que le secteur privé et le gouvernement poursuivent les mêmes objectifs de développement pour ce pays. Nous sommes satisfaits de l’écoute grandissante du gouvernement à nos préoccupations. Nous comprenons également qu’on ne peut pas tout changer du jour au lendemain.

A travers ce dialogue, nous sommes arrivés à des avancées significatives à savoir la relecture du code des impôts et parfois du code des douanes, les procédures sur les marchés publics, les rapports avec le Trésor pour les paiements. Tous nos problèmes sont posés à Bobo-Dioulasso sans langue de bois. En effet, c’est l’occasion pour le secteur privé d’exposer les difficultés rencontrées avec l’administration publique et d’interpeller les plus hautes autorités pour une recherche de solutions dans l’intérêt des deux parties.

La présence du Premier ministre, des membres du gouvernement, des directeurs centraux et chefs de services permet d’évoquer en un seul lieu et en un laps de temps les problèmes qui concernent la marche de notre économie. Chacun essaie de se justifier quand il est interpellé. Le chef du gouvernement joue le rôle d’arbitre. Il arrive parfois que les opérateurs économiques n’aient pas raison. Mais l’essentiel, c’est d’amener le gouvernement à nous dire ce qu’il nous reproche. De ce dialogue, il y a parfois des débuts de solutions. Donc, ces rencontres sont positives à tout point de vue en ce sens qu’elles permettent de poser des questions de fonds.

S. : La fraude, la contrefaçon et partant la corruption sont des phénomènes qui prennent de plus en plus de l’ampleur au Burkina Faso au grand péril de l’économie nationale. Les opérateurs économiques accusent l’Etat de passivité tandis que le gouvernement les indexe comme étant eux-mêmes les instigateurs de la fraude. Comment lutter efficacement contre ces fléaux dans ce climat d’accusation mutuelle ?

L.D. : S’il y avait une solution immédiate pour mettre fin à la fraude, à la contrefaçon et à la corruption, on l’aurait tout de suite appliquée. Mais le constat est là. Les trois fléaux prennent de l’ampleur et causent du tort aussi bien à l’Etat qu’aux opérateurs économiques. S’il y a une évasion fiscale, c’est le budget de l’Etat qui en pâtit. Par ailleurs, quand il y a des fraudeurs, les hommes d’affaires honnêtes ont des problèmes dans leurs activités. Ils ne peuvent plus fabriquer ni vendre leurs produits qui subissent de ce fait une concurrence déloyale. Ce phénomène peut, à terme, entraîner une situation catastrophique pour l’économie formelle, sinon l’économie nationale.

C’est difficile d’élaborer des projets de développement et d’entreprises dans un système où les jeux sont faussés dès le départ. Il faut donc prendre conscience et poser le problème sans se voiler la face. Il faut reconnaître et accepter l’existence de la fraude, de la contrefaçon et de la corruption. C’est ainsi que l’on pourra rechercher les causes et identifier les solutions adéquates pour les combattre. Mais il faut être réaliste, on ne peut pas enrayer à 100 % ces trois (3) fléaux.

Il y a lieu surtout de mettre des garde fous et prévoir des sanctions de manière à dissuader les fraudeurs. Des initiatives doivent être prises pour mener activement la lutte contre la fraude, la contrefaçon et la corruption aussi bien au niveau de l’Etat que de la société civile. Il s’agit de marginaliser le phénomène de manière à le situer dans les seuils de tolérance au delà desquels la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) considèrent qu’il y a des risques de compromettre la croissance et partant le développement économique du pays.

Quand le fraudeur ou le corrupteur ne se sent pas inquiété, ou ne sent pas qu’il y a des limites à ne pas franchir au risque de s’exposer à des sanctions, il se complaît et persiste dans ces pratiques peu recommandables. La corruption n’est pas une fatalité. Il faut éviter de donner l’impression qu’il n’y a pas d’initiative ou de volonté de lutter contre le phénomène.

S. : Les travailleurs des unités industrielles de Bobo-Dioulasso sont convaincus que la fraude entraînera « une catastrophe sociale au Burkina Faso ». Etes-vous de cet avis ?

L.D. : Mais oui ! Je suis d’accord avec eux. Nous fabriquons dans nos unités industrielles les mêmes produits que ceux introduits sur le marché par la fraude. La SN-CITEC fabrique de l’huile, du savon, la MABUCIG des cigarettes, la SAP des pneumatiques. Mais nous sommes concurrencés par des produits similaires à nos productions qui rentrent massivement et de façon frauduleuse dans notre pays sans payer la douane. De ce fait, sur les marchés, ils reviennent moins chers que les produits fabriqués sur place.

Le consommateur ayant un pouvoir d’achat limité, ne cherche pas forcément des produits de qualité. Il est préoccupé de trouver des produits en fonction de ses moyens juste pour se dépanner au jour le jour. « Demain est un autre jour », se dit-il. Si les produits de la fraude continuent de rentrer sans droits de douane et sans payer les impôts afférents, alors, forcément, nous allons nous retrouver avec nos productions sous les bras.

A l’évidence, si nous n’arrivons pas à vendre, nos usines seront condamnées à disparaître. Devant l’ampleur de la fraude, on est à se demander s’il n’est pas mieux de faire de l’import-export, plutôt que de chercher à faire de l’industrie. Il faut engager activement la lutte contre la fraude dès maintenant pour éviter que ne s’installe durablement l’idée qu’on ne peut rien faire contre. Pour toutes ces raisons, je pense que les travailleurs des unités de production de Bobo-Dioulasso ont bien fait d’attirer l’attention des premiers responsables du pays sur le phénomène de la fraude, et la nécessité de protéger les unités industrielles pour la sauvegarde des emplois.

S. : Quelle a été la position de votre syndicat, le SCIMPEX, vis-à-vis de la grève des 22 et 23 mai derniers organisée par les centrales syndicales contre la hausse des prix notamment le coût des hydrocarbures ?

L.D. : Notre syndicat n’a pas eu de position particulière en tant que tel pour la simple raison que faisant partie du Patronat, nous avons mené une concertation dans le cadre du Conseil national du Patronat (CNPB) pour définir une position commune. A travers une lettre, nous avons estimé que les revendications des syndicats sur la cherté de la vie posent certainement problème. Pour nous, les raisons de la grève doivent reposer sur des négociations entre employeurs et travailleurs. Mais lorsqu’on parle de « vie chère », nous estimons que c’est un problème d’ordre général.

Autrement, chaque fois qu’il y a une hausse de prix de n’importe quel produit, c’est automatiquement la grève. Une telle situation n’est pas propice au climat des affaires. Ainsi, le Patronat a estimé qu’il faut recentrer les choses en faisant la différence entre les revendications à caractère social et corporatiste, et celles qui peuvent avoir une connotation d’ordre politique. Du reste nous avons publié une lettre dans la presse donnant notre position sur cette grève.

S. : Les opérateurs économiques ont longtemps fustigé le code des impôts qui pèserait plus sur le secteur formel. Vos attentes sont-elles comblées avec les nouvelles dispositions de la loi de finances 2006 qui, dit-on, répare cette injustice ?

L.D. : A ce stade, je ne peux pas dire que nos attentes sont comblées d’autant plus la relecture du code des impôts est toujours en cours. Par contre, dans le cadre des rencontres gouvernement-secteur privé, nous avons soulevé des points de préoccupation concernant la fiscalité. Certains ont été pris en compte.

Cependant, dans le cadre des redressements, nous avons évoqué le caractère contraignant de l’article 520 qui a été modifié en le rendant plus sévère vis-à-vis du contribuable. Nous avons aussi posé le problème de prélèvement de 2 % sur le BIC et l’abaissement des taux d’enregistrement des contrats de marques qui ont commencé à trouver un début de solution. Mais le problème de fonds reste pour nous le rôle que l’on veut faire jouer à la fiscalité par rapport au développement des affaires. Pour nous, notre code des impôts qui date des débuts des indépendances est dépassé et ne prend pas en compte les exigences d’une économie en développement.

Nous disons donc que pour une économie ouverte à l’investissement étranger, il y a lieu de mettre en avant les conditions d’attractivité comparativement à l’environnement sous régional et international. Aussi, si nos règles sont telles qu’elles découragent ces investissements, nous disons qu’il faudrait relire le code, pour en faire un code de développement tout en sauvegardant l’aspect de collecte des recettes.

Par ailleurs, nous avons l’impression que l’administration fiscale se contente davantage de contrôler le secteur formel, sans trop chercher à élargir l’assiette fiscale en allant vers le secteur informel qui peut être un contributeur important. Bien entendu, certains points de nos préoccupations ont été pris en compte dans la loi des finances 2006. Mais, il reste que notre principale demande adressée à l’Etat, est la relecture globale du code des impôts.

S. : Vous posez ici, le problème de l’attractivité du code des investissements. En participant en 2005 aux journées économiques du Burkina Faso au Canada, en France et en Malaisie, avez-vous eu le sentiment que les investisseurs étrangers s’intéressent au Burkina Faso ? Aussi, y a-t-il déjà des retombées ?

L.D. : Les journées économiques regroupent des opérateurs économiques de divers secteurs. J’aime à dire qu’après une mission économique de ce genre, il faut attendre deux ou trois ans avant de procéder à une évaluation. Les journées économiques constituent des occasions pour promouvoir le pays à l’extérieur, découvrir ce que font les autres et nous inspirer du modèle ou de la pratique en cours dans certains pays. Ainsi, nous nous sommes rendus compte en Malaisie, de l’existence d’une symbiose entre l’Etat et le secteur privé pour booster le développement.

Quand nous participons à de telles missions avec le Premier ministre, les ministres et les hauts fonctionnaires, le fait pour nos partenaires de savoir que dans notre pays, l’administration et le secteur privé travaillent ensemble est très apprécié. Cela rassure les partenaires vis-à-vis du Burkina Faso et ouvre des perspectives pour le secteur privé.

Que ce soit au Canada, en Malaisie ou en France, certains opérateurs économiques ont eu des occasions de diversifier leurs sources d’approvisionnement. D’autres travaillent en ce moment sur des projets qui pourraient se réaliser. Mais, il ne faut pas se faire d’illusions. Ceux qui ont pu saisir des opportunités d’affaires doivent certainement garder cela bien secret pour ne pas se faire doubler. Nos autorités ont pu également se rendre compte à travers ces sorties à l’étranger de la nécessité plus que jamais de créer des infrastructures d’accompagnement pour attirer des investissements dans le pays.

En effet, dans un pays comme la Malaisie, l’’Etat a créé des zones industrielles et mis en place les équipements pour faciliter l’installation des investisseurs. Il y a des investissements d’appel qui doivent nécessairement être faits par l’Etat pour favoriser l’attractivité. Ces différentes mesures que nous préconisons doivent participer également à la baisse des coûts des facteurs dans un pays comme le Burkina qui a priori peut ne pas intéresser les investisseurs du fait de sa position géographique.

Pour les investisseurs qui se posent les questions du genre : « qu’est-ce qu’on y gagne ? Peut-on transférer ce qu’on y gagne ? Peut-on être compétitif ? Quel retour sur l’investissement ? « , il y a lieu de les rassurer et de montrer notre disponibilité à nouer des partenariats dans un environnement règlementaire et sécurisé. En somme, ces sorties permettent de créer une dynamique d’ouverture pour les hommes d’affaires, de même qu’elles permettent de faire connaître les potentialités qu’offre le Burkina Faso, carrefour d’échanges de par sa position centrale vers les autres pays de la sous région.

S. : Des observateurs du paysage économique burkinabè soutiennent que de nombreux opérateurs économiques ne sont pas crédibles car surendettés, insolvables et réfractaires aux méthodes modernes de gestion d’une entreprise. Que répondez-vous ?

L.D. : Ils sont sévères dans leur jugement quand même (rires). Je ne suis pas de cet avis. Car si nous faisions des statistiques, nous constaterons que dans ces vingt dernières années, en dehors des anciens, on peut comptabiliser de nouvelles têtes d’opérateurs économiques crédibles qui sont venus grossir les rangs. Il y a une nouvelle génération d’hommes d’affaires au Burkina Faso qui n’hésitent pas à entreprendre. Ils sont considérés comme crédibles contrairement à ce qu’on peut penser.

Il y a eu certes des échecs mais des succès ont été aussi enregistrés. Comparativement aux opérateurs économiques de la vieille génération qui avaient peur des crédits bancaires, la nouvelle génération, plus ambitieuse, prend plus de risques en s’adressant aux établissements financiers. Et comme ils sont plus nombreux, le nombre relatif d’échecs peut entrevoir des problèmes de crédibilité. Cette attitude doit être plutôt comprise comme un sens d’ouverture vers les méthodes et les possibilités modernes pour promouvoir les affaires.

Doit-on reprocher à ces jeunes entrepreneurs qui n’ont pas peur et qui veulent prendre des risques, leur audace de s’endetter pour faire des affaires ? Je crois que non. Ils peuvent avoir des problèmes au début mais espérons qu’avec le temps et les structures d’encadrement, de conseils mis en place, les difficultés seront surmontées. C’est ainsi que des entrepreneurs arriveront à acquérir de l’expérience et à mettre du sérieux dans la conduite de leurs affaires.

Aussi, ils deviendront crédibles. Mais quand on n’entreprend pas, on ne peut pas avoir de l’expérience et on ne peut pas réussir.Cela est aussi valable pour un journaliste qui entreprend de lancer un journal. Certainement que la tâche ne sera pas facile pour lui surtout qu’il faut chercher les financements, conquérir la clientèle pour les journaux et rentabiliser l’investissement.

Entreprendre n’est pas chose aisée. D’une façon générale, l’opérateur économique qui travaille avec les banques, qui contracte de ce fait des crédits a été souvent perçu comme faisant tout simplement le malin avec l’argent de la banque ou des autres. Il faut se mettre à l’idée qu’on ne peut pas faire des affaires uniquement avec des fonds propres qui du reste n’existent pas toujours quand on entreprend ou ne suffisent pas quand les affaires atteignent un certain dégré. Où voulez-vous que celui qui veut entreprendre ou développer son entreprise trouve de l’argent si ce n’est auprès des banques ou des établissements financiers ?

Il y a lieu de faire évoluer la perception que l’on a des opérateurs économiques et se dire que l’important, c’est de pouvoir rembourser ses crédits tout en gagnant de l’argent. Il faut se départir des jugements de l’homme de la rue en allant au fond des choses et admettre aujourd’hui qu’un bon nombre d’hommes d’affaires burkinabè sont sérieux, crédibles et connus à l’extérieur comme des partenaires fiables.

Quant aux méthodes modernes de gestion, les contraintes administratives et l’obligation de remplir certaines conditions pour être fournisseur de l’Etat amènent de plus en plus les opérateurs économiques à tenir ne serait-ce qu’une comptabilité sommaire. De même, pour accéder au crédit, les banques exigent un minimum de tenue de comptabilité. Le contexte actuel oblige même ceux qui sont réfractaires aux méthodes modernes de gestion à faire le service minimum.

S. : Nombreux sont les hommes d’affaires qui, au Burkina Faso, utilisent une couverture politique pour obtenir des marchés, consentir des prêts ou ne pas payer l’impôt. Ces pratiques ne présagent-elles pas un avenir sombre pour la libre concurrence dans les affaires ?

L.D. : Nous sommes dans les pays en développement où l’Etat joue un rôle extrêmement important en tant que fournisseur, client et pourvoyeur d’opportunités d’affaires. C’est l’Etat qui construit les routes, les écoles, les bâtiments administratifs, etc. C’est l’Etat qui reçoit des financements pour conduire des projets. Pensez-vous qu’un homme d’affaires digne de ce nom peut-il rester indifférent aux possibilités qu’offre un si gros client (l’Etat) aux fournisseurs ?

Sinon, il ne ferait pas d’affaires. Dans les affaires, il est intéressant de connaître ses interlocuteurs. Dans le cas d’espèces ce sont les fonctionnaires qui sont les interlocuteurs des hommes d’affaires. Doit-on considérer que le fait qu’un opérateur économique connaisse un fonctionnaire pour montrer son savoir-faire signifie-t-il un appui politique ? Je crois qu’on peut discuter sur la question. Forcément, un responsable d’entreprise profitera des connaissances qu’il a dans une structure administrative pour obtenir toutes les informations afférentes à un appel d’offres en cours par exemple.

On ne peut pas empêcher les opérateurs économiques d’avoir des contacts avec l’administration publique. Par contre, on doit veiller à l’application de la règlementation sur les marchés publics pour limiter les marges de favoritisme.

Généralement, les accusations évoquées à propos des marchés relèvent souvent des mauvais perdants qui au lieu de chercher à comprendre les raisons de leur échec sont toujours prompts à parler d’intervention politique. Même si cela existe dans certains cas, je pense que ce n’est pas la règle. Maintenant, après l’obtention d’un marché, il faut veiller que celui-ci soit exécuté dans les règles de l’art. Il faut tout de même signaler le cas des entrepreneurs qui, après l’obtention des marchés, profitent de leurs relations (connaissances) politiques ou administratives pour ne pas bien l’exécuter. Et c’est là où le bât blesse.

Mais si un opérateur économique peut obtenir un marché parce que connu et crédible, et bien mener les travaux, je ne vois pas là où est le problème. Surtout s’il a été retenu conformement les règles en la matière. Maintenant, utiliser ses relations pour ne pas payer ses impôts, là aussi il y a lieu d’élucider cette question. En effet, il est arrivé que des hommes d’affaires réagissent en activant leurs relations politiques tout simplement parce qu’ils se sont trouvés dans des situations où l’administration fiscale leur a infligé des impôts assortis de pénalités au point que s’ils devaient s’exécuter, ils seraient en faillite. Les seuls recours pour ne pas mettre la clé sous le paillasson, c’est de se référer à la hiérarchie supérieure.

Tous les moyens que l’on peut utiliser dans ce cas pour sensibiliser les autorités me semblent indiqués pour un arbitrage qui permet de sauver la vie de l’entreprise. Je pense qu’une solution qui permet de sauvegarder des emplois dans le cas d’espèces à travers une intervention ne doit pas être assimilée à une intervention politique. Notre démarche consiste dans ce cas à amener l’administration fiscale à se soucier de la survie de l’entreprise.

Toute chose qui ne semble pas toujours les préoccuper au cours des contrôles fiscaux. C’est en désespoir de cause que les opérateurs économiques, pour ne pas disparaître face au montant des redressements sollicitent toutes interventions pour sauver leur entreprise. Aussi, parler de soutien politique me semble être un abus de langage utilisé parfois par certaines personnes pour gêner ou empêcher toute intervention à même de trouver une issue dans le cadre des redressements fiscaux insupportables pour l’entreprise. Nous sommes prêts à animer des débats sur cette question pour situer les parts de vérité.

Autrement, je pense qu’un fonctionnaire ou un homme politique ne s’exposera pas sans raison valable à soutenir un opérateur économique dans l’incivisme fiscal. Cela me paraît difficile. A titre d’exemples, nous avons eu le cas de plusieurs entreprises auxquelles on demandait de payer trois (3) à quatre (4) milliards d’impôts, sinon plus dans le cadre des redressements, alors que leur capital social ne dépassait pas dans la plupart des cas un (1) milliard de francs CFA, avec des bilans plus ou moins équilibrés. Si elles devaient s’exécuter, ce serait la fermeture et des licenciements à ne pas finir. Dans ces cas, il nous semble nécessaire de prendre en compte la bonne foi des entreprises surtout quand elles se sont souvent acquittées de leurs impôts sans problème.

S. : Les affaires de prêts douteux à des hommes d’affaires locaux par la CNSS et la BIB d’une part et la mésentente entre actionnaires à Telecel Faso n’ont-elles pas de par leur caractère « secret », « souterrain », « insolvable » et au « mépris des règles du droit des affaires » terni l’image de l’opérateur économique au Burkina Faso ?

L.D. : Je ne pense pas que l’affaire CNSS soit un lièvre. Le peu que j’ai pu lire dans la presse me permet de dire que ce sont des décisions prises en Conseil d’administration. Ce n’est pas un problème caché. Le prêt a été accordé dans de bonnes intentions à mon avis. Maintenant, le partenaire n’a peut-être pas rempli sa part du contrat qui le lie à la Caisse. La CNSS a tout simplement expliqué qu’elle a voulu placer de l’argent à un taux plus rémunérateur que ses placements dans les banques. L’opération était bien ficelée.

Malheureusement, elle n’a pas abouti à un dénouement à la satisfaction de la Caisse. On peut penser que la CNSS a voulu réaliser une opération financière jugée meilleure. Surtout que le partenaire devait donner en garantie des actions qu’il devait acquérir. Maintenant, il faut vérifier si les statuts de la caisse permettent d’accorder un prêt dans le cas d’espèces. En tous les cas, la Direction semble avoir mené cette opération suite à une décision du Conseil d’Administration, qui certainement avait cru en la rentabilité financière de cette affaire. Pour ce qui concerne la BIB, c’est une banque qui fait son métier en prenant des risques.

Aussi, elle a octroyé des crédits à un opérateur économique tout en espérant faire de bonnes affaires. A mon avis, ce qui est arrivé doit être considéré comme les risques du métier. Les banquiers sont parfois accusés de deux choses. On dit que les banques sont frileuses. Quand elles accordent des prêts qui deviennent douteux ou litigieux, on les qualifie de mauvais crédits. On soutient aussi que les banques ne prennent pas de risques. Elles essaient de les prendre en mettant certaines sûretés en face (cautions, sûretés réelles, hypothèques...).

Mais la plupart du temps, le risque est pris en fonction de la rentabilité et de la bonne fin de l’affaire qui a été présentée au banquier. S’il est convaincu d’une bonne conclusion, le risque ne repose pas forcément sur des suretés matérielles mais sur la confiance que l’on porte à l’interlocuteur ou au projet. Dans ces conditions, faut-il accusé le seul banquier en cas de non paiement ? Je pense que l’opérateur économique a sa part de responsabilité dans le mauvais dénouement de l’affaire. La plupart des banques rencontrent ces genres de problèmes. On parle alors de créances compromises.

L’essentiel pour le banquier, c’est de faire en sorte que les Créances douteuses et litigieuses (CDL) ne compromettent pas l’équilibre de la banque. Le rôle du banquier étant de prendre des risques ; en tant que président du Conseil d’administration de “Banque Of Africa” (BOA), j’avoue que nous accordons des prêts en espérant un bon dénouement. Autrement, je crois qu’il est difficile pour un banquier d’accorder un crédit tout en sachant qu’il sera litigieux.

Personnellement, je ne connais pas les dessous de l’affaire « Telecel Faso ». Mais, j’ai l’impression que les partenaires n’ont pas pris suffisamment de précautions pour que les transferts d’actifs et d’actions soient effectués dans les conditions de l’art avec des supports effectifs de documents juridiques.

Ce sont peut être des engagements oraux sans bases administrative et juridique conséquentes. Alors que la parole donnée peut poser souvent problème dans son interprétation par chaque partie ; c’est la version de l’une contre celle de l’autre. Surtout que l’un des partenaires soutient que les transferts ont été réglés tandis que l’autre les récuse. Il est difficile à un observateur anonyme de savoir ce qui s’est réellement passé. A mon avis, cette affaire a été exploitée dans son côté sensationnel alors qu’on aurait gagné à faire appel à la justice pour départager les deux parties dès le départ.

Aussi, pour ceux qui viennent en partenariat d’affaires au Burkina Faso, le dénouement d’une telle affaire peut avoir l’avantage de les rassurer sur le bon fonctionnement des juridictions nationales en cas de différend. En effet, il est important que les conflits entre partenaires puissent être jugés et reglés dans la transparence.

S. : La lutte contre le chômage est au cœur des politiques en Afrique ces derniers temps. Au même moment, on assiste à une vague de liquidations de sociétés et de compressions sur le continent. N’y a-t-il pas un paradoxe ? Peut-on créer des richesses pour des populations sans leur garantir des emplois ?

L.D. : La première lutte qui s’impose aujourd’hui à l’Afrique est celle contre le chômage à travers la création des emplois dans tous les secteurs d’activités. Les liquidations de sociétés dépendent souvent de choix de politiques économiques imposées aux pays africains. En effet, les économies en développement comme la nôtre sont financées en grande partie par l’extérieur.

Ces sources de financement proviennent généralement de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International, de l’Union Européenne et de l’aide bilatérale, etc. Le soutien de ces institutions se fait dans des conditions bien précises. Elles disent aux Etats africains, on veut bien soutenir vos économies, mais il faut les libéraliser. Ces derniers temps, la libéralisation de l’économie est de mise. Parce qu’on prend en exemple les pays du Sud-Est asiatiques qui se sont développés en ouvrant leur économie.

Ce qui leur permet aujourd’hui d’exporter une bonne partie de leur production. Et l’on pense par la même occasion qu’il faut utiliser le commerce comme levier du développement économique. Dans cette logique, plus un pays développe sa production, plus il doit conquérir des marchés intérieur et extérieur. C’est à ce prix qu’il crée des emplois et des richesses.

Dans le contexte actuel, un pays qui ferme son marché ne peut pas demander aux autres d’ouvrir les leurs. La libéralisation est une règle imposée aux pays africains qui ont des programmes avec les institutions de Breton Woods. En ouvrant leurs marchés, les Africains se sont rendus compte que certaines entreprises créées dans le contexte des indépendances sous l’impulsion de l’Etat se sont trouvées mal gérées ou ne se sont pas adaptées à l’évolution du marché et de l’environnement mondial.

La libéralisation a entraîné la privatisation de ces entreprises. En privatisant celles-ci, il y a eu des restructurations entrainant des licenciements. Souvent, ces entreprises avaient des effectifs pléthoriques qu’elles arrivaient à gérer à cause de leur position dominante. Face à la concurrence, ces entreprises ont été privatisées afin qu’elles se donnent des moyens de compétir en se restructurant même si cela doit passer par des licenciements dans un premier temps.

Mais avec la perspective de pouvoir mieux gérer et recruter dès que les affaires vont commencer à marcher. Par ailleurs, la restructuration a conduit parfois à des liquidations. Ce qui est mal vu par les travailleurs. Mais dans un système libéral où l’Etat ne doit plus subventionner, il est difficile de maintenir des entreprises en faillite. Sinon, l’on peut compromettre des financements plus importants dans les négociations avec les institutions financières.

Les Africains doivent comprendre que dans le nouvel environnement économique axé sur la compétitivité, il n’y a pas d’autres solutions que de se donner les moyens pour conquérir les marchés. Le tout étant de s’organiser dans cette situation pour redéployer les licenciés dans d’autres activités ou en d’autres termes, « restructurer aujourd’hui pour embaucher demain ». Cette approche est difficilement acceptable en Afrique. Mais dans les faits, la disparition des unités industrielles ont provoqué le développement de certaines sociétés commerciales. Il faut se demander si cette nouvelle donne n’a pas suscité la création d’emplois. A l’opposé des grandes entreprises qui ont disparu, des jeunes entrepreneurs de tout bord n’ont-ils pas émergé et promu des emplois ?

Une multitude de PME ont embauché 3 à 5 personnes dans leurs entreprises. On ne peut pas certes les comparer aux emplois des grandes entreprises de l’époque comme les GMB ou la SOSUCO. Aujourd’hui, des sociétés comme le groupe SMAF de Mahamadi Sawadogo dit « Khadafi » réalisent des chiffres d’affaires de plusieurs milliards FCFA. Elles ont créé des centaines d’emplois. Il en est de même de plusieurs sociétés dans le domaine de l’informatique, du commerce, des banques, etc. Le secteur privé contribue fortement à la lutte contre le chômage. Il y a 10 ans, le pays ne produisait que 150 000 tonnes de coton par an.

Aujourd’hui nous sommes à près de 700 000 tonnes environ l’an. Combien de personnes vivent-elles de cette activité ou ont eu du travail dans les nombreuses usines d’égrenage disséminées à travers le pays ? C’est du ressort des médias de mener des investigations pour rétablir la lumière sur toute cette économie animée par des privés dont on ne parle pas suffisamment.

Dans ce pays, des gens réfléchissent, travaillent, créent des entreprises et des emplois. A titre d’exemple, il y a plus de 10 ans environ, nous créions avec des partenaires la Banque Of Africa (BOA) qui emploie aujourd’hui plus d’une centaine de personnes. Le paysage bancaire burkinabè s’est considérablement renforcé ces dernières années avec la création de nouvelles banques. Du même coup, ce sont des centaines d’emplois qui se sont crées. Il faut porter ces aspects positifs aussi à la connaissance du public.

S. : Que fait le conseil du patronat pour juguler le grogne contre les opérateurs économiques étrangers, notamment la communauté syro-libanaise accusée de fausser le jeu de l’équilibre commercial ?

L.D. : Nos collègues Syro-libanais font partie intégrante de toutes nos organisations de commerçants. Dans mon syndicat, un des vice-présidents est Libanais. Nous ne faisons pas de différence entre les opérateurs économiques installés au Burkina Faso. A chaque fois qu’un problème se pose, nous nous concertons au sein de la Chambre de commerce ou du Patronat pour trouver des solutions. Les gens doivent faire beaucoup attention car nombreux sont des Syro-libanais qui ont acquis la nationalité burkinabè.

Ce sont donc des Burkinabè. Il ne faut pas qu’il y ait des délits de faciès. C’est un sujet sensible qui recommande de la retenue de la part de tous les acteurs du paysage économique. Il faut éviter les écarts de langage qui peuvent être préjudiciables à l’économie nationale. Par ailleurs, il y a souvent des problèmes liés à la catégorisation des activités commerciales (gros, demi-gros, détails).

Au niveau du commerce de détails, il y a eu des incompréhensions. Les gens ont estimé qu’il faut laisser beaucoup de marge aux plus petits. Mais on a vite fait de trouver un terrain d’entente afin que cette incompréhension ne prenne pas de l’ampleur. Le ministère du commerce a en projet la relecture des textes fondamentaux du commerce pour mieux définir les conditions d’exercice pour les différentes catégories de commerçants.

Ceci étant, nous sommes dans un pays tolérant où les gens sont accueillants et hospitaliers. Les Syro-libanais se sont bien intégrés au Burkina : ils parlent moré, dioula ou même d’autres langues nationales, ils ont épousé des femmes burkinabè, etc. Peut-on, au vu de tout cela soutenir qu’ils sont des étrangers ? Il faut aller au fond des choses et éviter surtout, sur la base d’intérêts purement matériels de s’en prendre à la communauté Syro-libanaise. Les Burkinabè doivent se contrôler pour ne pas verser dans la xénophobie.

S. : Les banques burkinabè contribuent-elles suffisamment à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’auto-emploi vu qu’elles sont en surliquidités. Comment le PCA de banque que vous êtes apprécie une telle situation ?

L.D. : Quand on dit qu’une banque est en surliquide, combien d’argent a-t-elle dans ses caisses ? (rires). Par rapport aux ressources et aux emplois dans des banques, nous sommes dans des ratios acceptables. Cette surliquidité est constituée de vos dépôts que nous devons gérer selon des ratios prudentiels imposés par la Banque centrale. Ne pas respecter ces normes de la Banque centrale revient à exposer les épargnants, les déposants à des risques très graves qui peuvent compromettre l’équilibre de la banque.

Dans les années 90, le système bancaire était très affecté par le volume des impayés, des créances douteuses et litigieuses, au point qu’il y a eu une restructuration. Entre autres mesures prises pour assainir le climat bancaire, il y a la mise en place de la commission bancaire de l’Afrique de l’Ouest qui est la police des banques. Cette police nous surveille et nous oblige à respecter les règles.

Alors, quand on parle de nos jours de surliquidité, c’est le fait que les banques burkinabè sont à même, actuellement, de faire des crédits sans faire appel au refinancement de la Banque Centrale. Les liquidités sont servis en crédits à nos clients. Sur 100 de liquidités par exemple (pour ne pas citer de chiffres) 70 à 80 partent sous forme de crédits servis à nos clients. Partant de cela, peut-on objectivement dire que les Banques burkinabè ne font pas de crédits ou qu’elles sont surliquides ?

Les banques ne sont pas en surliquides. Elles font également du crédit contrairement à ce qui est dit. Nous prenons des risques pour octroyer des crédits. De grosses affaires réalisées dans ce pays sont financées par les banques. Ceux qui ont pignon sur rue présentement ne peuvent pas soutenir qu’ils n’ont pas bénéficié de l’appui des banques. Bien attendu, nous ne pouvons pas accorder des crédits sans garantie, sans tenir compte des règles.

Sinon, en cas de contrôle de la commission bancaire, les crédits octroyés au mépris des règles sont déclassés. La banque doit donc provisionner les mauvais crédits qu’elle a accordés. Entre la contrainte de bien gérer et d’avoir des banques saines et de l’autre côté la propension qu’on peut avoir à faire des crédits sans tenir compte des règles, il faut qu’il y ait une limite. Il faut trouver le juste milieu.

S. : Les crédits servis par les banques ont des taux d’intérêts trop élevés. Ne pouvent-elles pas baisser les taux d’intérêt afin de permettre l’accès au crédit au maximum de personnes ?

L.D. : Cela est vrai. Comparés à ceux appliqués dans les banques européennes et américaines, les taux d’ici sont élevés. Mais, les banques burkinabé accordent de plus en plus des crédits à des taux intéressants (8 à 8,5%) en fonction de la qualité et du sérieux du projet. Parfois, c’est l’étude du dossier qui détermine le taux du crédit. Mais quand nous sommes à 12 ou13% de taux d’intérêt, les gens disent que c’est cher...

Il revient aussi à l’interlocuteur de discuter des taux. Quand les gens viennent pour demander un crédit, ils ne font pas souvent attention au taux. Pour eux, l’essentiel c’est l’obtention du crédit. Et comme les banquiers sont des commerçants qui vendent de l’argent... (rires).

S. : La croissance économique sans précédent de la Chine populaire et de certains pays d’Asie du Sud-Est qui attire investisseurs et promoteurs du monde entier laisse-t-elle une chance à l’Afrique pour s’affirmer dans ce contexte dit de mondialisation ?

L.D. : La Chine populaire est de plus en plus présente sur le marché africain avec des produits manufacturés très compétitifs. A mon avis, le problème de la Chine populaire ne se pose pas seulement aux pays africains. Tout le monde est concerné. Elle est dans une phase ascendante de son développement et sera tôt ou tard confrontée aux mêmes contraintes qui sont celles d’un pays qui s’industrialise avec un secteur tertiaire de plus en plus important. Il s’agit par exemple des coûts des salaires et des autres coûts des facteurs de production.

La Chine populaire bénéficie en ce moment d’une position privilégiée, caractérisée par une main d’œuvre bon marché. En plus, certains facteurs ne sont pas évalués à leur coût réel. Certains parlent de « dumping social ». Plus les Chinois vont atteindre un certain niveau de développement, plus ils seront confrontés à des problèmes d’avantages comparatifs. Nous, Africains, devons réfléchir sur comment être compétitifs dans des filières où nous pouvons conquérir des marchés.

Face à la Chine populaire, c’est aux Africains de voir comment faire pour être présent sur les marchés nationaux et au delà sur le marché international. La dessus, il faut qu’on reconnaisse que nos matières premières sans transformation ne nous permettrot pas toujours d’accroître nos parts de marché. C’est à nous de créer des conditions indispensables pour contrer la pénétration des produits chinois sur nos marchés. Il y aura de l’espoir si nous prenons conscience de la nécessité de produire en quantité, en qualité et à des prix compétitifs.

S. : Le retard accusé par l’Afrique dans son développement s’explique-t-il en termes d’absence de volonté politique, d’insuffisance de ressources humaines qualifiés ou d’incapacité d’appropriation des technologies ?

L.D. : Le handicap majeur de l’Afrique repose sur le déficit des ressources humaines. La volonté politique a souvent existé, mais nos pays ont évolué dans des situations politiques instables. Beaucoup de dirigeants n’ont pas pu mener à bout leur réflexion, leur politique. On ne peut véritablement pas conduire une politique de développement sans la formation des hommes. Par ailleurs, l’Afrique n’a pas toujours été maîtresse du choix ou de la définition des politiques économiques mises en place. Mais cela n’est pas une excuse. Car quoi qu’on dise, nous avons notre part de responsabilité dans la situation actuelle de notre continent. Le leadership a manqué parfois dans beaucoup d’Etats africains. La volonté politique seule suffit-elle à développer l’Afrique ?

Il faut une conjonction de facteurs : la volonté politique, les ressources potentiellement disponibles et une vision à long terme sur ce que l’on veut faire pour y parvenir. Cela exige à mon avis, la continuité dans la gestion de la chose publique et la stabilité.

En 1960, le chef d’Etat du Burkina Faso avait certainement la volonté de développer le pays. Mais il n’avait pas les ressources humaines qualifiées pour cela. Il fallait peut-être former les hommes pendant une dizaine, voire une quinzaine d’années en fonction des besoins. Mais si au bout, ce chef d’Etat n’est plus en poste et que son successeur décide d’emprunter une autre voie. Qu’est ce que cela peut donner en fin de compte ? ,On ne peut pas développer un pays sans éduquer et former les hommes. Lorsque les individus sont bien formés, même s’ils n’ont pas de ressources agricoles ou minières, ils peuvent s’en sortir. Par exemple, la Suisse a développé les services et s’en sort à bon compte. L’appropriation des technologies passe par l’éducation et la formation.

S. : Vu la part de 2% de l’Afrique dans le commerce mondial et les négociations interminables à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le coton, que doivent entreprendre les décideurs africains et les opérateurs économiques africains pour accroître la part du continent dans les échanges internationaux ?

L.D. : L’Afrique doit produire pour le marché global. Tant que l’Afrique ne mettra pas sur le marché des produits compétitifs et de qualité, il est évident que sa part du marché va s’amenuiser. Quand on enlève la part du pétrole et des autres matières premières agricoles et extractives dans le commerce de l’Afrique avec le reste du monde, les 2% qui constituent le poids de l’Afrique dans le commerce mondial sont fortement entamés. Il faut que l’Afrique puisse compétir en se lançant dans les services, l’industrie, la maîtrise des technologies, de l’information et de la communication. Ce n’est que par ce biais que l’Afrique peut améliorer sa présence dans le commerce mondial.Pour le cas spécifique du coton, les pays africains gagneraient à créer des conditions favorables pour développer des industries de transformation (filature, confection, etc.). Outre que cela permettra de créer des emplois, ils seront mieux armés pour résister efficacement aux chocs externes qui provoquent des baisses drastiques des cours du coton. La non maîtrise de cette tendance baissière peut mettre en péril cette filière malgré les efforts déployés pour son développement.

Interview réalisée par Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)
Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr)

Sidwaya

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