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Moussa OUEDRAOGO : “Le Burkina a observé une certaine prudence dans la conception et la mise en œuvre de la communalisation intégrale”

Publié le mercredi 7 juin 2006 à 08h09min

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En vue d’appuyer le processus de décentralisation par la concertation et la responsabilisation des populations à la base dans notre pays, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a mis en place le projet d’appui à la concertation et à la gouvernance locale (PACGL).

Avec la communalisation intégrale amorcée après le scrutin du 23 avril dernier, la question de la concertation et de la gouvernance locale est plus que d’actualité. Comment va s’opérer l’organisation au niveau village ? Quelles seront les sources de financements des communes rurales ?

C’est entre autres les questions que nous avons posées à M. Moussa OUEDRAOGO, coordonnateur du PACGL, expert en développement local et en financement décentralisé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme maîtrise son sujet et tout ce qui touche au monde rural. Il commence par nous présenter « son » projet et ses objectifs.

Moussa OUEDRAOGO : Le PACGL est un projet qui fait suite à un premier appui du PNUD au gouvernement burkinabè. Ce premier appui a été appelé projet BKF-95-002, et avait pour objectif de travailler à dynamiser les espaces de concertations. C’est donc à partir des résultats de ce premier appui que le PACGL a été formulé. De manière spécifique, le PACGL vise à appuyer toutes les réflexions qui contribuent à l’approfondissement de la décentralisation en millier rural.

C’est l’objectif de développement. Cette dynamique doit se faire à travers le renforcement des acquis en matière de concertations au niveau national, provincial, régional et au niveau villageois. Le projet vise aussi le développement d’instruments de planification, de programmation des activités de développement. Et cela pour qu’au niveau de l’échelon le plus bas, les communautés villageoises puissent effectivement conduire les actions de développement de manière efficiente, c’est-à-dire éviter les actions isolées et faire en sorte que toutes les actions de développement puissent êtres identifiées de manière consensuelle.

La troisième action du projet est surtout d’appuyer les structures compétentes notamment celles du Ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation en vue d’approfondir tout le processus qui devait aboutir à la communalisation intégrale (textes, outils, planification...) c’est en substance, les objectifs du PACGL.

Au regard de ces objectifs, quelles sont les activités que vous avez déjà menées sur le terrain ?

Nous avons mené plusieurs activités sur le terrain. D’abord, nous avons financé les rencontres de concertations. Comme vous le savez, avant l’adoption de ce nouveau paysage organisationnel et institutionnel, la province était considérée comme un échelon décentralisé. Autour donc des hauts-commissaires, l’ensemble des services techniques se retrouvaient pour identifier les problèmes de développement et ensemble essayer d’apporter des solutions. Nous avons donc financé ces rencontres de concertations. Tout au long du projet, nous avons eu à financer plus de 300 sessions de concertations.

Nous avons également contribué à la formation des acteurs sur le terrain sur des aspects de planification, de communication et tout ce qui se rapporte à la décentralisation, au développement local... Ces formations ont touché aussi bien les agents des services techniques, mais surtout les communautés à la base. Nous avons, en prélude à la communalisation intégrale, financé tous les instruments qui doivent aider les futures collectivités territoriales.

C’est ainsi qu’en collaboration avec les structures nationales, nous avons travaillé à concevoir un guide de planification locale. Ce guide doit servir de référentiel pour l’ensemble des structures, des communes pour élaborer et mettre en œuvre leur plan de développement. Nous avons aussi en collaboration avec plus de 18 radios locales travaillé à collecter et à diffuser un certain nombre d’informations socioéconomiques d’aide à la prise de décision. Comme vous le savez, aujourd’hui, l’information et la communication sont des vecteurs pertinents dans la conduite des actions de développement.

Ces informations ont concerné entre autres la planification, les prix des céréales, la scolarisation des jeunes filles, le SIDA... ce que je peux ajouter est que nous avons aussi financé des ateliers de réflexions qui ont contribué à l’élaboration de textes réglementaires tels que le code général des collectivités et un certain nombre de textes d’application de la mise en œuvre de la décentralisation.

Désormais, le Burkina Faso, c’est des communes rurales et urbaines. Quelle appréciation faites-vous de la communalisation intégrale ?

De manière théorique, la communalisation intégrale peut être considérée comme une des alternatives pour permettre au Burkina d’avoir des structures de proximité pour la prise de décision en matière de gestion des affaires locales. Ce n’est pas seulement au Burkina.
Même dans les autres pays, on peut voir que la décentralisation est un « instrument » qui peut permettre de renforcer le développement et la démocratie locale.

Toutes ces questions de bonne gouvernance, de transparence dans la gestion peuvent effectivement trouver des terrains d’application avec la communalisation intégrale. Dans le principe, le processus devrait permettre aux communautés de mieux identifier les actions de développement, d’avoir des instances consensuelles de prise de décisions de proximité, de contribuer à la mobilisation des ressources financières pour la mise en œuvre des actions de développement sur le terrain.

Si les choses marchent effectivement comme ce qui est prévu dans les textes, les premiers effets vont se ressentir sur les actions de développement que nous mettons en œuvre. C’est vrai que jusque-là, les services techniques ont fait un travail de titan, mais nous pensons qu’avec l’ampleur des problèmes, en responsabilisant les communautés à la base, nous pouvons atteindre des résultats beaucoup plus probants en matière de développement local.

Le développement à la base suppose des hommes et des femmes engagés mais aussi des moyens financiers. Selon vous comment va s’opérer le financement des actions de développement, surtout au niveau des communes rurales ?

Parlons de financement des communes de manière générale. Nous avons une première expérience à travers les communes urbaines. Il y a des mécanismes et des instruments qui sont déjà en place et qui permettent à ces communes de mobiliser les ressources ou de disposer des ressources venant de tierce personne pour financer les activités de développement.

Les instruments et les mécanismes, il y en a de plusieurs sortes. En fonction du statut des communes, on peut avoir les emprunts, qui ont pour objectif spécifique le financement de tout ce qui est investissement, ce n’est donc pas pour le fonctionnement ; on a la dotation de l’Etat, il y a aussi les fonds de la coopération décentralisée à travers les jumelages.
Ce sont des ensembles de mécanismes et d’instruments de financement. Un autre instrument qui peut permettre aux communes de mobiliser des ressources, c’est la mise en place d’une fiscalité locale.

En ce qui concerne les communes rurales, il faut noter que la communalisation intégrale intervient à un moment où le Burkina a déjà un certain nombre d’accords de coopération avec un certain nombre de partenaires techniques et financiers avec des projets et programmes en cours.
De ce fait, nous pensons qu’un recentrage de ces projets et programmes peut permettre à ces structures de continuer à apporter des contributions financières aux communautés locales. Une harmonisation du dispositif d’intervention en tenant compte de la nouvelle donne peut permettre un meilleur financement des actions au niveau local, grâce aux conseils municipaux et aux conseils villageois de développement qui seront mis en place.

Pour le financement, il y a donc les instruments classiques, la mobilisation des ressources à travers les projets et programmes et bien sûr la fiscalité locale et la coopération décentralisée.

Quel peut être la place et le rôle du Programme national de gestion des terroirs (PNGT) dans le financement des communes rurales ?

Jusque-là, le PNGT a eu une philosophie d’intervention qui, en réalité est conforme à tout le processus de la mise en œuvre de la décentralisation. Quand on se réfère à la lettre de politique de développement rural décentralisé, on peut identifier deux phases. Il y a la phase, « pré-systématisation » de la décentralisation à l’échelle nationale. Pendant cette phase, le PNGT a travaillé à consolider les acquis et, à appuyer tout le processus de la décentralisation.

Pendant cette phase, le PNGT a aussi travaillé avec les structures telles que les CGVT (commission villageoise de gestion des terrains), les cadres de concertations au niveau provincial, pour financer les activités de développement. Mais, il est dit clairement à travers cette lettre que lorsque la communalisation va être effective sur le terrain, le PNGT devrait se réajuster pour financer le développement en s’appuyant maintenant sur les structures prévues par cette décentralisation.

Normalement, le PNGT devrait prendre fin en juin 2006, il y a eu des négociations entre le gouvernement et les partenaires techniques et financiers pour que le programme continue jusqu’en juillet 2007. Ce qui va permettre à l’ensemble des acteurs impliqués de travailler à concevoir un nouveau programme qui va essayer de prendre en compte ce nouveau paysage institutionnel et organisationnel de la décentralisation.

Avec tout ce processus, peut-on s’attendre à la disparition des CGVT ?

C’est une question très importante. Avant la mise en place de la décentralisation, le PNGT a « emprunté » les CGVT à partir d’un autre texte de loi, c’est-à-dire les textes portant Réorganisation agraire et foncière (RAF). Les CGVT ne sont pas en fait des structures du PNGT mais des structures prévues par les textes en question. Quand on regarde les structures prévues par le code général des collectivités, il se trouve qu’on ne parle pas de CGVT par contre au niveau village on parle de conseil villageois de développement. C’est-à-dire qu’au bout de la chaîne, on mettra en place les conseils villageois de développement.

Dans la perception de la loi, au niveau village, les porteurs de développement à cette échelle sont les conseils villageois de développement. Du coup, le PNGT va travailler avec ces conseils. Ce qui ne veut pas dire que juridiquement les CGVT vont disparaître. Elles pourront rester, mais dans ce cas, on est obligé de revoir ses compétences, dans la mesure où avec la donne, elles ne pourront plus gérer les fonds publics.
Personnellement, je pense que si on veut éviter les chevauchements et autres conflits de compétences au niveau des villages, on devrait faire en sorte qu’il n’y ait pas deux structures.

On devrait donc s’appuyer uniquement sur une structure. Et je dis souvent qu’il serait plus indiqué de procéder à la suppression des CGVT et de faire en sorte que les conseils villageois de développement portent effectivement les actions de développement.
Du reste, le ministère de l’Agriculture est en train de réfléchir sur de nouveaux textes portant sécurisation foncière. Peut-être qu’à travers ces textes, on peut être appelé à revoir toute la structuration qui prendront en compte l’avenir des CGVT.

A terme, quel sera le sort qui sera réservé au PNGT ?

Le processus de communalisation intégrale n’exclut pas que l’Etat puisse continuer à négocier avec les partenaires des projets et programmes de développement avec pour objectif l’appui des collectivités sur le terrain. Le PNGT comme tous les autres projets et programmes de développement peut continuer d’exister. Ce qui doit changer au niveau de ces projets et programmes, c’est la manière d’intervenir. Peut-être qu’à terme, on aura plus des projets qui vont avoir des équipes sur le terrain, qui vont aller identifier elles-mêmes les activités de développement...

On aura peut-être, et ce n’est pas le PNGT seulement, mais tous les projets, des interventions directes avec les conseils municipaux pour élaborer les plans communaux de développement et les apporter l’appui conseil nécessaire pour le bon déroulement sur le terrain.
Le PNGT peut donc rester. Mais ce qu’il y a lieu de faire, c’est un travail de réajustement des interventions sur le terrain pour éviter des actions parallèles et mêmes antagoniques.

Certains pensent qu’on est allé très vite en besogne dans cette communalisation intégrale. Est-ce votre avis ?

Quand on fait l’analyse du processus, il y a ce que je pourrais appeler plusieurs écoles en matière de perception de la mise en œuvre de la décentralisation. Aller trop vite en besogne, je dirais non !

En réalité, le Burkina est l’un des rares pays dans la sous-région qui a observé une certaine prudence dans la conception et la mise en œuvre de la communalisation intégrale. Comme vous le savez, depuis 1998, lorsque les premiers textes d’orientation de la décentralisation ont été élaborés, le pays a choisi d’abord d’expérimenter cette décentralisation à travers les communes urbaines et parallèlement tout un travail de réflexion, de recherche prospective était engagée pour mieux cerner les contours du succès de la décentralisation. Je pense que la Commission nationale de la décentralisation (CND) et un ensemble de structures ont fait un bon travail. De manière théorique et même pratique, il n’y a pas mal d’acquis dans le domaine.

Mais on peut donner aussi raison à ceux qui s’inquiètent et qui pensent qu’on est allé trop vite.
Parce que, au-delà des textes, on fait des reproches sur le fait qu’il n’y a pas eu suffisamment de préparation des acteurs, notamment au niveau des villages.
Je crois que cela s’est ressenti au niveau des élections municipales.

Quand on regarde dans certaines localités, c’est beaucoup plus les citadins qui sont « redescendus » dans les villages pour se faire élire conseillers. Le poids de l’élite intellectuel et certaines personnes aisées sur le plan financier peut avoir des répercussions négatives sur le processus. Nous avons eu un certain nombre d’expériences avec les CGVT et je pense qu’on devrait pouvoir faire confiance aux acteurs au niveau local.

Ce n’est pas sûr qu’avec les citadins qui sont « descendus en masse » dans les villages pour se faire élire puissent comprendre les réalités du terrain et aussi avoir le temps pour se consacrer aux activités de développement dans les villages. Un exemple, quelqu’un qui est à Ouaga et qui est élu conseiller d’un village situé à 400 ou 500km de Ouaga, il sera difficile pour lui de se donner de manière active et permanente aux activités de développement de ce village.

On va assister à des votes par procuration, des gestions téléguidées. Et là ceux qui pensent qu’on est allé trop vite auront raison. Mais je pense qu’avec une bonne organisation des conseils villageois de développement, on pourrait grâce à un travail de fond venir à bout de certains problèmes qui vont se poser inéluctablement.

Interview réalisée par Idrissa BIRBA

L’Opinion

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