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Liberté de la presse et démocratie

Publié le samedi 29 avril 2006 à 08h59min

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Cherif Sy

Dans les jours prochains, plus précisément le 3 mai, l’humanité entière commémorera la Journée mondiale de la liberté de la presse. Il est vrai que la presse est la révélatrice indiquée de l’état des pratiques démocratiques.

On le sait, la démocratie se résume simplement en quatre concepts :

- liberté de presse ;

- multipartisme et élections libres avec l’application du principe “un homme, une voix” ;

- séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ;

- égalité de tous les citoyens devant une loi qu’ils auront eux-mêmes faite.

Le respect de ces principes très simples doit assurer la stabilité politique et le développement économique.

Aujourd’hui, cela est établi et ne fait l’objet de contestation que de la part de quelques irréductibles théoriciens en mal d’orgies universitaires.

Il est également établi que ces principes sont indissociables et que, par conséquent, la mise en œuvre de l’un suppose la mise en œuvre concomitante de tous les autres. Si donc ces principes sont indissociables dans leur mise en œuvre, leur approche peut cependant faire l’objet de sujets distincts. Et notre propos dans les lignes qui viennent est de nous arrêter sur la liberté de la presse. Qu’il soit scientifique, économique, politique, culturel, tout progrès suppose la liberté d’extérioriser la pensée génitrice de ce progrès, non seulement parce qu’autrement, elle resterait indéfiniment au stade de l’abstrait, mais aussi parce que la seule façon d’en mesurer la vérité théorique est de la confronter aux autres pensées, également et tout aussi librement publiées. L’humanité serait bien plus avancée aujourd’hui si on avait seulement permis à Copernic de publier et de défendre ses théories.

Aujourd’hui, sur le plan économique, toutes les entreprises, quelle que soit leur nature, accordent un soin particulier à leur publicité et y consentent d’impressionnants budgets.

Que seraient devenus d’immenses trésors tels ceux de William Shakespeare, Confucius, les Saintes Écritures et autres, s’ils n’avaient pas été publiés ? Mais saurons-nous jamais de quels autres trésors scientifiques et littéraires nous avons été privés parce qu’en leur temps des esprits attardés les ont simplement qualifiés d’hérétiques ? Il est vrai qu’à toute époque de l’histoire, la proportion des imbéciles est restée toujours constante. Mais il n’y a aucun mérite à démontrer que la liberté de penser, d’écrire, de dire, de proclamer est indispensable à tout progrès. La tâche est aisée, une simple observation même inattentive, y suffit. Autrement plus utile est de montrer la synergie entre la liberté de la presse et le système démocratique. La liberté de la presse est le seul moyen incontournable d’assurer la démocratie en ce que :

le multipartisme, trait caractéristique de la société démocratique, ne peut fonctionner que si chaque courant d’idées dispose de moyens de presse pour exposer ses vues et requérir le plébiscite du peuple. Il ne suffit donc pas de reconnaître les partis, il faut en plus qu’ils aient non seulement la liberté de diffuser leurs programmes politiques, mais également les moyens de le faire. N’eût été l’existence de la presse libre, que lirait-on, que verrait-on ou qu’entendrait- on sinon l’expression de la pensée unique ? Pensée unique qui -généralement- fait de l’information un traitement unilatéral, pernicieux et vicieux !

C’est pourquoi l’Etat démocratique doit s’organiser de telle sorte que le droit à l’expression puisse effectivement s’exercer, qu’il ne soit pas qu’un droit virtuel aux mains des tenants du pouvoir et des manipulateurs de tous ordres. Ensuite, la liberté de la presse est indispensable à la validité d’un verdict électoral, car si l’électeur n’a jamais entendu que les thèses d’un seul courant, son vote n’aurait pas été le résultat d’un choix conscient, puisqu’il ne peut choisir qu’entre plusieurs choses qu’il connaît bien. Toutes élections sans équité, transparence, liberté de parole et d’écriture sont nulles, même si elles se sont déroulées dans un cadre de multipartisme. Par ailleurs et c’est là l’essentiel de son rôle, la presse libre sert à dénoncer aux yeux de l’opinion publique tous les abus et les travers, d’où qu’ils viennent. C’est ce que fit notre confrère Norbert Zongo, avec abnégation, humilité et professionnalisme à travers “ l’Indépendant ”. Et c’est ce que les prédateurs de la liberté d’expression ne lui pardonnèrent pas. En 2000, nous avons eu l’exemple édifiant du Sénégal lors de l’élection présidentielle où les fraudes et autres irrégularités ont été amoindries par un formidable travail de surveillance fait par les radios et les journaux.

Ceci confirme - s’il en était encore besoin - que la presse libre est le plus fidèle gardien de la démocratie. De par sa diversité, elle cultive et éduque le peuple. Elle a pour fonction d’alerter directement le peuple lorsque le pouvoir menace ses intérêts fondamentaux. N’est- ce pas grâce à la presse libre que nous avons appris l’histoire des faux P.V dans l’affaire David Ouédraogo ? N’est- ce pas par la presse que nous avons appris l’affaire du “prêt” de 15 000 000 F CFA que les grands serviteurs de l’Etat que sont les ministres se sont octroyé pour s’acheter, en hors taxes, hors douanes des rutilantes ? N’est- ce pas par la presse que nous avons su que nos honorables députés s’octroient à chaque fin d’année un treizième mois de 3 petits millions pour des projets, disent-ils ? N’est-ce pas la presse qui a révélé ce qu’il est convenu d’appeler “l’horreur de Boulporé ” où quatre corps trucidés ont été offerts à la charogne et autres nécrophages pendant neuf jours ? N’est-ce pas encore cette presse qui a soulevé l’affaire des prêts de la CNSS à des gros bonnets de l’économie appelés “opérateurs économiques ” etc. Et dans la mesure où elle est essentielle à la liberté politique des citoyens, la presse libre assure du même coup la liberté d’entreprise et, par voie de conséquence, le développement économique, scientifique et social.

La liberté de la presse précède le développement. Ce n’est donc pas un luxe que s’autorisent les pays développés, c’est une nécessité première pour les pays en voie de développement. Encore faut-il qu’une opinion s’y affirme et soit le pendant de cette liberté ! A ce niveau, il faut l’avouer, sous les tropiques, en lieu et place de l’expression citoyenne, c’est plutôt une indifférence qui est affichée. Et c’est peut être là -nous le pensons- la fragilité, pour ne pas dire le drame du processus démocratique burkinabè. Parce que -il faut qu’on se le tienne pour dit- la liberté de presse n’incarne toutes ses vertus que lorsqu’il y a une opinion publique avisée, responsable, alerte et dynamique qui sait agir pour appuyer et/ou relayer la presse en fonction des situations. Mais le constat est que cette opinion publique tarde à prendre forme dans notre pays. En effet, combien “d’affaires ” préjudiciables à la nation et à son peuple sont restées seulement au stade des dénonciations médiatiques sans que personne ne s’en émeuve. Sans qu’une initiative citoyenne tente de faire quoi que ce soit pour que ça change ?

Nous nous refusons à devenir protagoniste de notre propre histoire en choisissant de démissionner vis-à-vis de nos responsabilités. Au meilleur des cas, on assiste à des réactions de salon ou à des palabres de cabarets où la substance se voie noyer par les flots des liquides à forte levure.

Pourquoi une telle situation ? Pourquoi refusons-nous d’exercer notre citoyenneté ?

Par peur ?

Il vaut mieux mourir pour un idéal que de mourir d’une maladie qui, objectivement, aurait pu se soigner, si la pauvreté n’en conférait pas la tâche à Dieu. La peur est une forme de consentement. Elle pérennise l’ordre établi, jusqu’à ce qu’elle soit dissipée par la mort. Puisque nous sommes des êtres humains, donc des mortels, nous pouvons tout refuser, sauf la mort. Il n’y a aucune différence entre mourir de faim et être fusillé. Si donc, par peur nous fermons les yeux sur la gestion de notre pays, au moment de les ouvrir, la surprise pourrait être très grande.

Par indifférence ?

Aucun homme « normal » ne devrait être indifférent à ce qui se passe autour de lui. Peut-être avons-nous une situation sociale qui nous permet de penser que ça n’arrive qu’aux autres. Eh bien ! C’est une grave illusion. Nous devons tous travailler à ce que meilleur sort soit réservé à chaque citoyen de ce pays. « Les hommes sont deux mains sales. L’une ne se lave que par l’autre », dit l’adage. Nous avons besoin les uns des autres.

Par résignation ?

Tant que nous vivons, nous devons nous battre. Pour nous libérer, pour mieux vivre. La résignation paralyse la société. Nous n’avons aucune raison de nous résigner. Une fois remportée, une victoire doit rester telle. C’est là que notre responsabilité se déploie. Nous avons le devoir sacré d’aller toujours de l’avant. Telle est l’essence de l’homme. Progresser, évoluer. Subir un présent sombre, lugubre et macabre, puis baisser les bras, c’est se condamner, c’est condamner la nation et les générations futures. Cette attitude nous rend plus coupables que victimes.

Cette culpabilité est d’autant plus grave que la liberté de la presse sans une citoyenneté ouverte et dynamique restreint la démocratie et favorise un monolithisme trompeur. Construire la démocratie c’est donc protéger et soutenir sa première conditionnalité qui est la liberté de la presse.

Il faut le réaffirmer, la liberté de la presse, en tant que support et instrument de la liberté d’expression et à l’égal droit de tous les citoyens à recevoir, rassembler et diffuser de l’information, n’est pas un privilège mais plutôt l’observateur et la garantie de toutes les libertés.

Sans liberté de la presse, il ne saurait être question de démocratie, et encore moins d’hommes libres.

Elle doit s’inscrire en tête de liste des programmes de toutes les organisations politiques, syndicales, culturelles et autres qui entendent réellement lutter pour sortir notre pays du sous-développement.

Ce n’est ni un pari, ni un défi.

C’est une condition de survie, parce que, contrairement à ce qu’on pense, celui qui n’avance pas ne recule pas. Il disparaît.

Chériff M. SY,
Directeur de Publication de Bendré,
Président de la Société des éditeurs de la presse privée du Burkina

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