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Adama Dramé : “Il faut une musique typiquement burkinabè”

Publié le mardi 2 mai 2006 à 06h07min

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Adama Dramé

Adama Dramé est né à Nouna au Burkina Faso en 1954, dans une famille de musiciens et de conteurs, gardiens de la tradition des Djélis (griots en français). Dès l’âge de 12 ans, Adama Dramé devient musicien professionnel.

Il fait son apprentissage dans les cérémonies traditionnelles (baptêmes, mariages, etc...). Aujourd’hui, Adama DRAME a 40 ans de musique à son actif. 40 ans, ce n’est pas 40 mois encore moins 40 jours.

40 ans ça se fête et pour l’occasion, le Centre culturel français Henri MATISSE (CCF/HM) a ouvert ses portes au public durant toute la semaine du 03 au 08 avril dernier pour venir découvrir une rétrospective des 40 années de carrière d’Adama DRAME.

Durant cette semaine, on a eu droit à une exposition des affiches et des effets personnels relatant les 40 ans de carrière de l’artiste, des ateliers de formation, des portes ouvertes chez l’artiste à domicile, une conférence portant sur la place d’un artiste au Burkina Faso qui a permis de montrer en celui-ci contribue au développement économique et sociale du pays. Le tout a été couronné le samedi 08 avril dernier par une représentation en avant-première de sa toute dernière création collective intitulée « Falato », spécialement créée et composée par Adama DRAME pour l’occasion.

Pour avoir de plus amples informations sur l’artiste et son événement, L’Opinion s’est entretenue avec Adama DRAME.

Comme ça, vous avez 40 ans de musique derrière vous, qu’est-ce que ça vous fait de penser à ça ?

Adama DRAME : Effectivement ça fait bien 40 ans de travail, de rencontres et d’émotions. Franchement je suis très heureux que le public bobolais, tous les artistes bobolais aient répondu favorablement à mon appel.

Après 40 ans de carrière musicale, comment voyez-vous la musique en général et particulièrement celle du Burkina ?
La musique se porte très bien en général. Mais si je prends la musique burkinabè, nous avons beaucoup de chemin à faire parce que nous n’avons pas encore percé sur le plan international et ça c’est une voie qu’il faut chercher ensemble et trouver. Une fois cette voie trouvée, il faut l’élaborer pour savoir pourquoi au Burkina Faso nous n’avons jusque-là pas de vedette internationale ; pourquoi notre musique n’est pas écoutée chez nous à 100% ?

Il faut répertorier tous ces problèmes et les mettre sur la table mais vraiment dans un contexte d’ouverture sociale parce que tout le monde y est pour quelque chose. Ça ne concerne pas seulement les musiciens. Toute la société burkinabè est concernée par le problème de l’évolution de notre musique. Ensemble si on veut, on peut trouver des solutions.

Pourtant on affirme que ces temps-ci, la musique burkinabè a beaucoup évolué.

Les jeunes font du bon travail de nos jours, c’est vrai ; mais c’est la musique d’actualité qui domine. C’est la musique de mode ; c’est un mouvement de foule qui est bien suivi. C’est tant mieux.

Mais ce n’est pas ça la musique burkinabè. Il ne faut pas se tromper d’appellation. C’est une musique pour suivre un mouvement d’ensemble et être à la mode. Cette musique vient et part. La musique burkinabè doit être une musique ancrée dans les mœurs des Burkinabè, comme on en voit avec la musique guinéenne, malienne, congolaise, etc. Je pense que c’est ça qui manque ; cette race d’artistes musiciens qui cherchent dans le terroir burkinabè. Il y en a heureusement quelques-uns mais le manque de structures, le manque de professionnalisation de la filière musicale fait que les artistes restent toujours dans le cadre locale.

Justement quelle solution pouvez-vous préconiser à votre niveau ?

Ce n’est pas une solution que je préconise mais une proposition. Les solutions je n’en ai pas. C’est une proposition d’ouverture et de dialogue parce que quand on n’ouvre pas une marmite, on ne peut pas savoir ce qu’elle contient. Je pense qu’il faut réunir toutes les personnes qui sont concernées par la musique au Burkina Faso. Organiser un débat franc, pas pour critiquer mais pour voir pourquoi il y a des blocages et pourquoi les artistes ont du mal à s’épanouir chez nous. Si on le fait sincèrement et que c’est appuyé au plus haut niveau de l’Etat, notre musique peut prendre une autre ampleur et avoir de l’importance.

Mais tant qu’il n’y aura pas une volonté politique pour faire avancer les choses, les musiciens burkinabè vont toujours rester au stade de simples animateurs. C’est ça qui est un peu dommage. Il faut que les artistes musiciens soient impliqués dans le combat pour le développement de notre pays.

Pour accompagner le 40e anniversaire de votre carrière, vous avez réalisé une œuvre collective que vous avez intitulée « Falato ». Pourquoi « Falato » ?

« Falato » signifie l’orphelin : Vous savez bien que l’orphelin est un enfant qui est malheureux. Je dis dans « Falato » que nous sommes tous malheureux d’un système capitaliste qui fait que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, tandisque les riches sont de plus en plus riches. Le fossé se creuse chaque jour davantage entre les hommes.

Cela constitue un danger permanent dans le monde entier. Le Burkina Faso n’est pas en marge de ce drame entre riches et pauvres. Dans « Falato » je dis que c’est important de se nourrir, de se vêtir, de se soigner...
« Falato » relate les soucis des Burkinabè. Vous vous rappelez l’année dernière avec la crise des céréales dans notre pays où le sac de maïs avait grimpé jusqu’aux alentours de 30 000 F CFA. Nous avons tous souffert et nous avons même frôlé la catastrophe.

Mais officiellement on a dit qu’il n’y avait pas le feu à la demeure ; il n’y a pas eu de famine malgré toutes ces difficultés. Même s’il y a le maïs ou le mil au marché et qu’on n’a pas d’argent pour en payer on peut dire qu’il y a eu famine d’autant plus que le peuple n’aura pas droit à une distribution gratuite. Il faut faire ressortir les vrais problèmes du pays. Il ne faut pas être complexé de dire qu’on a une famine dans son propre pays quand ça ne va pas. Les hommes politiques doivent avoir le courage de dire ce qui ne va pas dans le pays afin qu’ensemble on recherche les solutions aux problèmes qui se posent.

Quand on dit toujours qu’il n’y a pas de problèmes alors que les gens souffrent en réalité dans leur chair, ça c’est dangereux. « Falato » tire la sonnette d’alarme. Ce ne sont pas des critiques stériles. Je dis seulement de faire attention quand il y a des problèmes qui se posent.

Avec un langage pareil, on peut dire qu’Adama DRAME est un artiste engagé après 40 ans ?

Il faut être engagé dans son pays si on a l’amour de sa patrie. Il ne faut pas dire que tout ce qui s’y passe ne vous regarde pas. Il ne faut pas dire que parce que chez vous il n’y a pas de problèmes, le reste c’est pas votre affaire. C’est ça qu’on appelle de l’ingratitude ; c’est méchant. Je suis engagé parce que j’ai 40 ans de carrière dans un métier qui me fait vivre normalement. Pour le bonheur du peuple burkinabè, mon engagement est total

Vos 40 ans de musique c’est également pour rendre hommage à votre épouse Mahoua SANOGO qui n’est plus de ce monde. Dites-nous qui était cette femme pour vous ?

Elle était le pilier de ma carrière et de ma vie. C’était ma première femme. C’est elle qui me connaissait le plus. C’est elle qui savait ce que je suis en réalité. Elle savait ce que je voulais. Quand on perd une personne de ce genre, dans une situation pareille, la douleur est sans fin. Mahoua était le pilier de ma famille. Tout le monde était entouré autour d’elle. C’est elle qui étouffait les problèmes qui fâchent. La mort est une réalité incontournable, on n’y peut rien mais c’est une personne qui va nous manquer tout le reste de notre vie.

Très concrètement comment s’est déroulée la commémoration des 40 ans de votre carrière à Bobo-Dioulasso ?
La semaine a commencé le 03 avril par un stage à l’endroit des jeunes au niveau de la percussion et de la danse. Cela s’est très bien passé. Le mercredi il y a eu une conférence de presse au CCF pour parler de cette semaine.

Ce même jour dans l’après-midi j’ai ouvert les portes de mon domicile au grand public. Mon domicile qui est en même temps mon lieu de travail où se trouve un studio d’enregistrement 24 pistes inauguré le 16 août 2003.
Le jeudi 06 avril, on a organisé une conférence publique pour essayer de comprendre ce que les Burkinabè pensent de leurs musiciens. Ne prenez pas exemple sur moi-même.

Voyons les autres musiciens de cabaret, les musiciens de rue... Comment les gens les considèrent au juste ? Comme des personnes qui s’amusent, qui participent à quelque chose, des personnes qui contribuent à développer le pays ?... Ce sont des questions qui me tourmentent. J’ai beau réfléchir, par rapport aux résultats que je constate sur le terrain, la situation est inquiétante.

Vous avez longtemps vécu en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui avec ce qui s’y déroule comme crise quel commentaire pouvez-vous faire ?

Lorsqu’on fait 24 ans dans un pays, on a le temps de palper un peu le pool de la situation. A un moment donné la Côte d’Ivoire a vécu dans la vraie paix des cœurs et des esprits. C’est la belle époque où le mot « étranger » n’existait pas. Entre la Côte d’Ivoire et la Haute-Volta, c’était une vraie idylle avec un chemin de fer en commun et le Conseil de l’Entente, cette structure formidable qui faisait que l’Ivoirien, le Burkinabè, le Nigérien et le Béninois se sentaient même père et même mère.

Mais petit à petit, au fur et à mesure que les difficultés économiques ont fait leur apparition, il y a eu une sorte de jalousie, de haine et de méfiance qui se sont installées. Les Ivoiriens ont cru que les étrangers étaient à la base de leurs problèmes. Ils ont oublié que ceux qu’ils taxent d’étrangers ont aussi largement contribué au développement de la Côte d’Ivoire.

Mais vous savez que la xénophobie, la haine et la violence n’ont pas de limite. Quand ça démarre, on ne sait pas où ça s’arrête. Ce qui arrive en Côte d’Ivoire aujourd’hui était prévisible. Personnellement, j’ai vécu des situations assez dramatiques dans ce pays qui est pourtant ma 2e patrie, quoiqu’on dise.

On dit que vous êtes bien connu à l’extérieur que dans votre propre pays ?

C’est un peu exagéré de le dire ainsi parce que moi j’ai quand même travaillé toute mon enfance en Haute-Volta. Le mot connaître prend toujours de l’ampleur parce qu’on évolue heureusement. Quand je prends les années 1966 jusqu’en 1974, j’étais connu à l’époque comme étant l’un des percussionnistes des ballets de la Volta à Ouagadougou. J’étais connu parce que j’étais l’un des principaux « djéméfola » de Bobo-Dioulasso. Je suis aussi connu chez moi contrairement à ce qu’on pense. Mais si c’est sur le plan médiatique et sur le plan international c’est vrai qu’on parle plus de moi en Europe par exemple qu’ici.

Mais sachez que si je suis bien connu aujourd’hui, c’est parce que j’ai beaucoup travaillé. Je n’ai pas dormi sur mes lauriers. J’ai cherché à être connu, j’ai bossé dur pour y arriver. J’ai fait des compositions, j’ai fait des propositions concrètes. J’ai fait un travail remarquable sur le plan de la créativité avec les autres compositions européennes dans le monde entier.

On dit également de vous que vous êtes un « génie » ?

« Génie » c’est trop dire. Je suis un créateur qui essaye de partager des moments de bonheur avec d’autres artistes qui participent justement à cette vie de créateurs et de génies si vous voulez. Si on parle d’Adama DRAME aujourd’hui, c’est parce qu’il y a des gens qui ont travaillé avec moi. Il y a des artistes qui ont donné de la valeur à ce que je fais. C’est à eux que je rends hommage aujourd’hui parce que durant ma carrière j’ai été suivi par des artistes qui ont vendu cher ma peau.

Un dernier mot...

Je souhaite que les gens cherchent avant tout à connaître les musiciens. Qu’ils cherchent à les approcher et à les respecter. A partir de là, tout est possible. La première religion de l’homme c’est le respect. Quand on se respecte, on peut construire quelque chose d’extraordinaire.

Par Drissa KONE (Bobo-Dioulasso)

L’Opinion

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Vos commentaires

  • Le 2 mai 2006 à 22:16, par natremy En réponse à : > Adama Dramé : “Il faut une musique typiquement burkinabè”

    adama drame

    juste pour dire merci au koro.Un artiste qui n’est pas engagé pour la cause de son pays,de sa patrie
    n’a rien à enseigner.L’artiste c’est le porte parole du peuple,c’est l’oeil du peuple,c’est le guide
    ,le pasteur,le miezin,l’imam,la biblioteque du peuple.
    merci koro

    • Le 9 novembre 2006 à 00:26, par WaraMusso En réponse à : > Adama Dramé : “Il faut une musique typiquement burkinabè”

      Merci à Adama Dramé pour ces sages paroles...
      Mais peut être faudrait-il, avant de songer une musique typiquement burkinabée, revoir le statut actuel de ce que l’on peut considérer comme un artiste Burkinabé ? Combien sont-ils à pouvoir encore encore défendre une musique réellement issue de la tradition, comment peuvent ils en vivre alors qu’ils sont outrageusement pillés par des "frères" bien établis en France ou ailleurs et sans complexes ; ou des toubabs plus "savants" et munis de bon matériel, qui enregistrent indûemement en promettant un retour qui ne vient jamais ?
      Ces hommes issus de grande lignées de jélis, qui ont le savoir de la tradition, qui sont copiés par d’autres parce qu’ils ignorent leurs droits ou ne peuvent y avoir accés, et de qui on trouve les oeuvres personnelles dans quelques CD sans qu’il n’en sachent rien et sans qu’ils n’aient perçu la moindre rémunération, combien en reste-t-il ? Que faut-il penser de ceux qui, ayant eu la chance de pouvoir "s’exporter", deviennent les proxénètes de la tradition en se revendiquant du terme de griot dont ils ignorent tout, affichant facilement quelques grigris sur les costumes pour la belle image exotique facile et rentrant au pays de temps à autres reprendre un peu dans le plat du savoir, en laissant juste un grain de riz pour ceux dont ils profitent ? Ceux là sont ils conscients de la richesse de votre culture ? Certainement, mais pas prêts à la partager...
      Vraiment,une musique typiquement burkinabée... Alors il faut la protéger, la défendre, la chercher, la nourrir, tant qu’elle vit encore...

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