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Stéphane Lesueur (Vlisco African Company) : « Le Burkina ne doit pas être la poubelle de l’Afrique »

Publié le samedi 22 avril 2006 à 09h17min

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Stéphane Lesueur

Le groupe Vlisco est une grande société spécialisée dans la fourniture du textile africain depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, il doit faire face à un phénomène qui n’est pas des moindres : la contrefaçon.

Sidwaya Plus a rencontré le directeur général de VAC-Burkina, Stéphane Lesueur. Il parle de ce nouveau monstre de l’économie qu’est la contrefaçon ainsi que des différentes activités de sa société dans la sous-région.

Sidwaya (S.) : Donnez-nous un bref aperçu de votre société ?

Stéphane Lesueur (S.L.) : Vlisco African Company (VAC) est une société qui fait partie du groupe Vlisco. Nous sommes un groupe de producteur et de distributeur. Vlisco, c’est la marque du groupe.

Notre particularité est qu’à la fois, nous avons des unités de production et de distribution. Nos marques sont : le wax Hollandais (Vlisco), le wax de Côte d’Ivoire (UNIWAX), le wax du Ghana (GTP, Woding). Nous sommes implantés dans toute la sous-région. Le wax Hollandais Vlisco est d’ailleurs le seul produit qui vient d’un pays hors-UEMOA. C’est depuis 1846 que les Hollandais se sont spécialisés dans la fourniture du textile africain.

Mêmes dans les pays où nous n’avons pas d’usine de production, par exemple le Burkina, nous avons installé des unités de distribution. Nous avons également des distributrices fidèles qui, depuis plusieurs années revendent ces pagnes dans les différents marchés. Toutefois, l’incendie de Rood Woko a porté un grand coup à notre système de distribution car avant nous avions tout sur le même marché. La dispersion des distributeurs a entraîné des importations massives de wax chinois qui sont entrés de façon douteuse.

S. : Pourquoi, n’avez-vous pas songé à installer une usine au Burkina étant donné que le pays est un grand producteur de coton ?

S.L. : Aujourd’hui le Burkina est premier producteur de coton en Afrique c’est vrai. Mais ce n’était pas le cas il y a quelques années.

Les pays qui abritent nos usines, sont généralement des pays côtiers, qui servent de point d’entrée dans la sous-région. Malheureusement les pays comme le Burkina et le Niger sont toujours tributaires de la Côte d’Ivoire. Par contre, je puis vous rassurer que le coton utilisé par nos usines est du coton africain.

S. : Qu’est-ce qui explique la baisse constante du prix des pagnes sur le marché ?

S.L. : A notre niveau, le prix des pagnes n’a pratiquement pas baissé. Il répond à une certaine logique de production. Les pagnes qui ont envahi le marché, sont des chinoiseries c’est-à-dire des pagnes de contrefaçon provenant de l’Asie (la Chine, l’Inde, le Pakistan...). Ils sont vendus entre 3 000 et 3 500 F le complet. En Chine par exemple, des milliers d’usines jouent à ce jeu de contrefaçon. Ils photocopient nos pièces et les reproduisent à grande échelle et ensuite parviennent à les faire venir ici de façon frauduleuse, sans l’inspection COTECNA et sans base de dédouanement réelle. Nous avons déjà été alertés par la douane parce qu’il y avait un container qui ressemblait à des produits Vlisco. Maintenant ils ne copient plus le nom car ils savent bien que cela est illégal. Mais ils copient les logos ou les visuels. Dans ce contexte, le client qui n’est pas censé distinguer le vrai du faux va toujours préférer les produits les moins chers. D’ailleurs ce qu’ils produisent n’est pas du vrai wax même s’ ils essayent de le faire croire. Il suffit de les laver 2 ou 3 fois pour s’en convaincre. Si l’on s’intéresse au prix de ces pagnes, on s’aperçoit que le prix proposé au marché est très souvent inférieur au prix du coton lui-même.

C’est pourquoi, nous apprécions à juste titre l’ouverture de FASOTEX qui est une très bonne chose pour le Burkina. Le Burkina étant producteur de coton pourra ainsi transformer directement le maximum de ces productions cotonnières . Mais il faudra que l’Etat s’investisse sérieusement dans la lutte contre la contrefaçon et l’invasion de l’informel. Cela dépend de la survie de FASOTEX. En effet, dans un tel contexte d’invasion des pagnes chinois, le Fanci de FASOTEX, reviendra au même prix que le wax chinois. C’est tout naturellement que les femmes vont préférer le wax chinois au Fanci FASTEX.

S. : Avez-vous déjà mené des démarches pour mettre fin à ce phénomène ?

S.L. : La lutte contre la contrefaçon est une lutte que nous devons tous mener ensemble. Ce n’est pas parce que le Burkina est un petit pays qu’il doit devenir une poubelle de l’Afrique à travers le déversage sur nos marchés de produits de basse qualité. Tous les économistes s’accordent à dire, avec moi, que nous assistons à une recolonisation de l’Afrique par l’Asie. Ils sont en train d’imposer toute leur structure de prix pour pouvoir engranger et amasser l’argent de l’Afrique et le reverser chez eux. Ce qu’il ne faut surtout pas perdre de vue, c’est qu’il y a plus d’un milliard de personnes en Chine et donc beaucoup de bouches à nourrir. De ce fait, il faut aller chercher l’argent où c’est plus facile de le prendre, c’est-à-dire sur le marché africain qui est plus vulnérable.

On a vu par exemple l’année dernière une situation déplorable de ce genre au Niger. Il s’agit de l’arrivée massive de wax contrefaits à des prix inimaginables. On pouvait avoir deux complets à 4 000 FCFA. Ces pagnes ont d’abord débarqué à Lomé. Et comme à Lomé, les gens n’en voulaient plus, ils ont balancé cela au Niger et dans les autres pays enclavés de la sous-région. Les points d’entrée sont Lomé, Cotonou, Lagos. Il y a eu des actions concertées notamment au niveau de Vlisco pour faire fermer des usines. Nous nous battons autant que faire ce peut contre ces contrefacteurs.

Parfois directement en Chine à travers des démarches administratives et des enquêtes. C’est-à-dire que nous avons des cellules qui vont en Chine pour débusquer des usines qui copient nos marques. C’est une tâche qui n’est pas des moindres car il faut prouver que les dessins sont utilisés à des fins commerciales dans des zones où ils sont déjà exploités, et qu’ils sont bien déposés à l’OAPI.

Mais il faut également que l’Etat dans lequel se trouve l’usine, reconnaisse effectivement que l’usine fait de la contrefaçon. C’est très dur. On en a fait fermer quelques-unes mais le combat est loin d’être terminé. Dans tous les cas nous faisons bouger les choses. Peut-être que nos actions ne sont pas assez médiatisées au niveau de l’Afrique, mais nous sommes très dynamiques surtout quand les pouvoirs publics nous y autorisent et nous appuient.

S. : Et au Burkina que faites-vous concrètement ?

S.L. : Au Burkina ça ne bouge pas beaucoup mais nous espérons bien que les autorités sont au courant de la situation et qu’avec elles nous pourront mener des actions communes sans que cela n’interfère pas diplomatiquement dans les intérêts privés de chacun. Je pense que l’arrivée de Fasotex va mettre tout le monde sur le même pied, dans la mesure où plusieurs personnalités importantes ont investi dans cette société. Car s’ils ont contribué, c’est bien pour générer des fonds et que cette entreprise devienne le fleuron national et la visibilité du Burkina en tant que producteur, transformateur du coton. Au niveau du Burkina, nous ne nous considérons pas en compétition avec FASOTEX. Nous n’avons pas la même clientèle. C’ est d’ailleurs une bonne chose pour le pays d’avoir un large éventail de prix qui soit adapté à toute la population. Seulement tout ceci doit se faire dans l’ harmonie et sans activités déloyales. C’est pourquoi, dès que FASOTEX sera bien installée, nous irons vers elle pour qu’ensemble nous luttions contre ce phénomène de contrefaçon. Cela aura plus de portée qu’une activité ou une démarche individuelle.

S. : On vous reproche souvent de faire des produits qui ne sont pas adaptés aux bourses des populations. Que répondez-vous ?

S.L. : C’est vrai qu’on nous dit souvent que nos produits sont trop chers. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que lorsqu’on achète un produit Vlisco, on en a pour dix ans. Contrairement aux pagnes de contrefaçon qui blanchissent après 2 ou 3 lavages. Nos pagnes sont chers peut-être parce que nous misons sur la qualité. D’ailleurs quand les gens affirment que c’est cher, c’est parce qu’ils comparent nos produits aux « chinoiseries ».

Mais ce qu’ils ignorent, c’est qu’en Chine, la main d’œuvre est sept fois moins élevée qu’en Afrique. De plus, je suis persuadé que ce sont des produits super-subventionnés, dans la mesure où ils ne reflètent pas vraiment le coût réel de production. La preuve est que lorsque vous prenez le wax anglais ou le wax du Ghana ou encore hollandais, peu importe la marque, vous vous rendrez compte que les prix se situent toujours au même niveau.

S. : Quelles sont les conséquences de ce phénomène de contrefaçon sur votre activité ?

S.L. : Depuis 2003, notre chiffre d’affaires ne cesse de baisser. Au Burkina, il a baissé de 50 %. Cela à cause de cette grosse vague de toutes les importations chinoises frauduleuses qu’on a vu arriver sur le marché, notamment les pagnes.

Déjà dans le temps, on avait le super sosso qui était une imitation de super wax hollandais venant d’Asie en particulier du Pakistan. Toutefois au Togo et au Bénin, notre chiffre d’affaires est resté stable. Là-bas, les « Nana-Benz » ont fait fortune grâce au wax hollandais. De ce fait, elles y sont attachées et font tout pour le protéger.

Entretien réalisé par Fatouma Sophie Ouattara

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 26 avril 2006 à 09:19, par bhc En réponse à : > Stéphane Lesueur (Vlisco African Company) : « Le Burkina ne doit pas être la poubelle de l’Afrique »

    dramatique en effet, sans compter que ces "pagnes" chinois sont souvent fabriqués dans des textiles synthétiques et que les cas de brûlures graves ont sensiblement augmenté. Et l’on vante les mérites de la coopération chinoise en Afrique, je connais particulièrement le cas du Togo, dont les marchés sont envahis de chinoiseries de qualité médiocre que ne font qu’accroître les détritus non dégradables biensur !!! L’Afrique de l’Ouest passe de la françafrique à la chinafrique. On change de pilleur...

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