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Pierre Claver Ilboudo : interprète, écrivain

Publié le lundi 17 avril 2006 à 09h37min

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Pierre-Claver Ilboudo

Pierre Claver Ilboudo est intreprète de conférence auprès de la Banque africaine de développement.
Il vient de remporter le premier prix dans la catégorie “Roman” du Grand Prix National des Arts et des Lettres à la treizième Semaine nationale de la culture tenue à Bobo Dioulasso du 25 mars au 1er avril 2006.

Comment avez-vous accueilli cette distinction ?

Pierre-Claver Ilboudo : Bien entendu, cela m’a fait énormément plaisir. Ce genre de prix est nécessairement l’aboutissement de sacrifices et d’efforts déployés de façon soutenue sur une période plus ou moins longue. Je dois concilier l’écriture avec un certain nombre d’exigences telles que mes obligations professionnelles et les sollicitations sociales.

Pour écrire un roman il me faut un certain nombre d’années. Je prends mon temps, j’écris sans me presser, j’allais dire sans me stresser, car personne ne m’a demandé d’écrire. Ce qui est certain, c’est que je donne du temps au temps car comme on dit, « Le temps ne pardonne pas à ce qui se fait sans lui ».

On ne peut pas dire que vous soyez vraiment un nouveau venu dans le domaine de la littérature...

PCI : Vous avez raison, j’écris depuis un bon moment déjà. En 1984 j’ai publié « Le fils aîné » aux éditions Silex(Paris). En 1987, j’ai publié « Adama ou la Force des choses » aux éditions Présence Africaine(Paris). Le manuscrit de ce roman avait obtenu le premier prix de la 4e édition de la Semaine nationale de la Culture au début des années 80. En 1995, j’ai publié « Le retour de Yembi » aux éditions Clé(Yaoundé).

Entre deux romans j’ai aussi publié une nouvelle intitulée « Le mariage de Tinga » aux éditions Silex. Bien avant de venir au roman j’ai écrit une pièce de théâtre intitulée « Justice sera faite » qui fut mise en scène par Sou Jacob et jouée par la troupe de la radiodiffusion nationale à la fin des années 70.

Et bien avant cette pièce de théâtre, j’ai réalisé, en collaboration avec deux amis, une plaquette de poèmes que nous avons envoyée aux éditions Clé à Yaoundé. Une copie de ladite plaquette a figuré pendant longtemps sur la liste des ouvrages du Centre culturel français de Ouagadougou. Disons que depuis la publication du Fils aîné, je me suis stabilisé dans le roman car ce genre permet réellement de donner libre cours à son imagination. C’est un genre qui englobe les autres genres littéraires(théâtre, essai, nouvelle, poésie, etc). Quand vous vous installez devant votre feuille blanche, tout devient possible ; le ciel est la limite.

De quoi s’agit-il dans la trame de « Madame la Ministre et moi » ?

PCI : Résumer son propre roman est un exercice malaisé, frustrant car il s’agit de raconter en quelques lignes un récit qu’on a déjà raconté en cent cinquante pages. On n’est jamais sûr de donner une image fidèle du récit car à force d’élaguer, on peut facilement jeter le bébé avec l’eau du bain.

« Madame la Ministre et moi » est l’histoire d’un journaliste de bonne volonté désireux de militer pour l’avènement d’une démocratie véritable. Il participe donc à la création d’un mouvement d’avant-garde. A l’issue de la révolution qui s’est terminée dans la confusion, les principaux mouvements d’avant-garde sont invités à prendre part à la gestion du pays. C’est ainsi que notre journaliste devint ministre de la communication. Lui, le petit journaliste anonyme qui toute sa vie durant a analysé, décortiqué la situation du pays avec une rare sagacité et stigmatisé les errements des uns et des autres croit naïvement qu’il tient enfin l’occasion de tout changer et d’œuvrer à la mise en place d’une société plus juste et plus compatissante. Il se met donc à l’oeuvre.

Mais au bout de quelques mois, il s’aperçoit que malgré tous ses efforts il ne parvient à instaurer aucune réforme, ni à redresser aucun des torts qu’il a toujours dénoncés. Il découvre que toutes ses initiatives sont récupérées, dénaturées, dévoyées par la directrice du service de la presse écrite où il a travaillé pendant longtemps avant d’être nommé ministre. Il s’emporte et prend la décision d’écarter la dame ; mais il n’a pas le temps de faire plus car on l’invite à rendre le tablier.

En analysant rétroactivement les faits et gestes des uns et des autres, il réalise qu’en fait le régime a convié les mouvements d’avant-garde à partager le pouvoir tout simplement parce qu’il était devenu impopulaire et parce qu’il sentait l’impatience gagner la communauté internationale. Le stratagème du régime a donc consisté à attirer ses principaux critiques dans le gouvernement et à leur faire croire qu’ils auront les coudées franches pour mettre en œuvre leur programme.

Une fois qu’ils ont intégré le gouvernement, le régime leur a lié les mains, a torpillé habilement toutes leurs initiatives et leur a enlevé toute prétention à servir de recours. Ce double jeu a permis au régime de congédier les mouvements d’avant-garde un an plus tard en leur disant : « Vous qui réclamiez si fort le changement quand vous étiez dans la rue, vous voyez bien qu’on ne peut pas gouverner autrement et qu’on ne peut rien changer dans ce pays ». C’est la preuve par l’absurde.

Comment avez-vous accueilli cette distinction ?Le journaliste quitte donc le gouvernement profondément désillusionné et meurtri et ce d’autant plus que le remaniement qui voit son départ du gouvernement porte à la tête du ministère qu’il vient de quitter la dame en question qui était montée en puissance tout au long du récit. Le roman se referme sur la décision de madame la ministre de jeter aux orties toutes les décisions du ministre sortant et d’affecter ledit ministre sortant comme correspondant local de presse dans le grand nord du pays, et plus précisément à Gorom Gorom.

« Madame la Ministre et moi » est l’histoire d’un piège qui a bien fonctionné. Le récit est raconté à la première personne.

Comment comptez-vous vous y prendre pour la publication de ce chef-d’oeuvre ?

PCI : Si vous écrivez sans pouvoir publier, c’est tout comme si vous n’écriviez pas. Beaucoup de gens ont beaucoup de manuscrits qui dorment dans leurs tiroirs. Ces manuscrits-là ne comptent pas car il ne sert à rien d’allumer une lampe et de la cacher dans un trou. Cela dit, l’histoire de l’édition des œuvres littéraires est un perpétuel recommencement.

Ecrire dépend de vous, publier relève des autres. Comme disait quelqu’un, il y a loin du manuscrit à la vitrine des librairies. Et puis le problème n’est jamais réglé une fois pour toutes. Ce n’est pas parce que vous avez publié une fois, ou deux fois que vous pourrez publier facilement ce que vous écrivez par la suite.

Je vais donc commencer à aller à la rencontre des maisons d’édition, dans l’espoir qu’une d’elle acceptera de publier « Madame la ministre et moi ». A propos de rencontre justement, quelqu’un disait que pour réussir dans l’écriture, il faut du talent, de la patience et des rencontres.

Devons-nous nous attendre à d’autres romans après « Madame la ministre et moi » ?

Je compte continuer à écrire. Ecrire c’est aller vers l’autre, c’est envoyer une bouteille à la mer, c’est partager. Je pense que ce qu’on disait autrefois du fumeur s’applique bien souvent à l’écrivain : « Qui a écrit écrira ». Avec le temps, cela devient un besoin, il y a comme une dépendance psychologique qui naît au fil du temps, et malgré les nombreux obstacles, celui qui a écrit lutte pour continuer à écrire.

Comme disait Sartre : « J’ai désinvesti mais je n’ai pas défroqué, j’écris toujours, que faire d’autre ? ». Parmi les nombreux obstacles à l’écriture, il y a le problème du temps. Un autre écrivain français disait qu’il écrit avec du temps volé à sa famille. La société africaine qui est de tradition essentiellement orale refuse de vous accorder du temps pour écrire.

En Afrique vous écrivez donc avec du temps volé pas seulement à votre famille mais à toute la société car ce n’est pas uniquement à votre famille que vous rendez compte de l’utilisation de votre temps. A cet égard, la société environnante a d’ailleurs souvent une attitude paradoxale car les mêmes gens qui veulent que vous leur consacriez tout votre temps vous demandent de temps en temps avec une pointe d’inquiétude si vous n’écrivez plus, puisque vous n’avez rien publié récemment. J’ai sous la main en ce moment un manuscrit sur lequel je travaille avec la détermination voulue et que j’intitule provisoirement « Tobiga ».

Réalisée par Samuel Kiendrébéogo
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