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Entretien avec la première présidente du Conseil d’Etat : « En matière électorale, on statue en droit et aussi en équité »

Publié le mardi 11 avril 2006 à 08h27min

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Haridiata Dakouré

Le rôle du Conseil d’Etat dans les élections locales est seulement connu des « initiés ». Pourtant, le Conseil d’état est la juridiction compétente, indique Mme Haridiata Dakouré, sa première présidente. Depuis plus d’un mois, elle met les petits plats dans les grands pour que la participation de son institution soit une véritable symphonie.

Sidwaya (S) : Doit-on vous appeler la première présidente ou Mme le premier président ?

Haridiata Dakouré (H.D) : Je dois souligner que la féminisation des titres ne fait pas l’unanimité. Certains sont pour, d’autres sont contre. Ceux qui sont contre estiment que les titres sont neutres. Cette neutralité me semble illusoire. Tout simplement parce que la société n’avait pas pensé que les femmes pouvaient accéder à de hautes fonctions dans l’administration. C’est pour cela que la féminisation des titres n’a pas été prévue au départ. Je suis pour cette féminisation parce que cela permet de rendre plus visible la personne qui occupe ces fonctions. Dans mon cas, je reçois, jusqu’à présent, du courrier où c’est écrit M. le premier président, ça veut dire qu’on n’a pas encore intégré la donne qui veut qu’une femme puisse occuper cette fonction. Mais, mon décret de nomination porte « Premier président du Conseil d’Etat ». Tous nos papiers à en-tête portent également « Premier président » parce qu’il faut se conformer au décret. Ce n’est pas la même chose que quand j’étais à l’ENAM où j’ai été nommée directrice générale.

S. Est-ce à dire que les lois sont restées très « macho » ?

H.D. : Voilà ! Sans que je ne dise...

S. Mme la Première présidente du Conseil d’Etat, autant la société n’avait pas prévu que les femmes accèdent à ces fonctions, autant le Conseil d’Etat apparaît comme une institution nouvelle, inconnue de la majorité des Burkinabè, sauf des initiés. Pouvez-vous nous dire qu’est-ce que le Conseil d’Etat. Quelles sont les missions dévolues au Conseil d’Etat ?

H.D. : Toute institution judiciaire a une mission de paix sociale. Cela est particulièrement vrai pour le Conseil d’Etat qui, comme son nom l’indique, est en principe le conseiller de l’Etat. Conseiller de l’Etat, de manière à ce que l’Etat puisse être bien outillé avec des instruments textuels de travail adéquats pour éviter un certain nombre de conflits. Et également conseiller lorsqu’il y a des difficultés qui se dressent malgré les textes qui devraient être clairs, d’intervenir pour donner un point de vue permettant à l’Etat d’éviter un certain nombre de conflits. Mais au-delà de ce rôle de conseil juridique, il peut arriver, et ça arrive très souvent, qu’il y ait quand même des conflits entre l’Etat et les individus. En ce moment, le Conseil d’Etat est saisi au contentieux et doit trancher pour que justice soit faite et que le droit soit dit. Essentiellement, nous avons une mission consultative et une mission contentieuse. L’aspect consultatif devrait permettre de minimiser l’aspect contentieux mais actuellement, ce n’est pas le cas. Nous avons plus de contentieux que d’avis.

S. : Mais est-ce qu’on peut dire qu’en matière électorale, votre mission est consultative ou contentieuses ?

H.D. : En matière électorale, la mission du Conseil d’Etat est une mission contentieuse, puisque la constitution l’a bien prévu dans son article 152, alinéa 3 qui dit que les tribunaux administratifs jugent de la régularité et de la transparence des élections locales. Et comme le Conseil d’Etat est la juridition administrative suprême, il connaît de ces questions. En effet, ces questions sont tranchées en premier ressort par les tribunaux administratifs.

S. : Vous n’intervenez que lors des élections locales mais pas dans les élections présidentielle ni législatives ?

H.D. : Non, vous ne vous trompez pas, c’est tout à fait exact, la constitution a prévu que le Conseil constitutionnel intervienne pour les élections nationales, il intervient également pour les élections locales en ce qui concerne la proclamation des résultats. Mais pour ce qui est des juridictions administratives, ce sont les élections locales que l’on qualifie d’élections administratives dans certains pays.

S. : Les gens connaissent le Conseil constitutionnel parce que c’est le président qui proclame les résultats de l’élection présidentielle.

Le Conseil d’Etat n’est pas connu. Est-ce que ce sont les premières élections municipales à cette échelle ? Et est-ce que vous avez déjà été saisi depuis que le processus a été mis en œuvre ?

H.D. : Oui, depuis que le processus des élections locales de 2006 a démarré, le Conseil d’Etat a été saisi, notamment avant que n’intervienne le report des élections du 12 mars à la date du 23 avril et même après ce report. Nous avons été saisi parce qu’un certain nombre de dossiers nous sont arrivés des juridictions administratives en appel, ça été la même chose après le report et nous avons vidé ces contentieux.

S. : Qui vous a saisi ? L’Etat, des partis politiques ? Les particuliers ?

H.D. : En fait, ce sont les partis politiques qui saisissent en matière électorale. L’Etat intervient lorsqu’il s’agit d’un conflit avec des particuliers. Mais en matière électorale, c’est surtout les acteurs politiques qui sont en présence. Ce sont les partis politiques qui nous ont saisi. Il est arrivé qu’un dossier porte à discussion parce que celui qui avait introduit le recours a déclaré que c’était en son nom personnel, alors qu’il avait agi en déclinant sa qualité de représentant d’un parti politique ; la question se posait alors de savoir si c’était le parti ou si c’était lui-même et le Conseil d’Eat a tranché la question.

S. : Vous avez dit que vous intervenez en recours ; est-ce que vous jugez sur la forme ou sur le fond ou bien les deux ?

H.D. : Comme nous sommes en matière d’appel, on juge à la fois sur la forme et sur le fond, parce que une autre juridiction ne statue qu’en droit, parce qu’il s’agit de pourvoire.

Mais quand on est en matière d’appel comme cela est possible devant le Conseil d’Etat, nous examinons la forme, et aussi le fond lorsque nous avons franchi l’étape de la forme. Nous statuons de façon globale, nous examinons tout au fond de l’affaire. Nous ne nous contentons pas dedire si le droit a été bien appliqué ou pas. Nous examinons les faits pour pouvoir nous prononcer parce que nous sommes une juridiction d’appel. Nous sommes également une juridiction de cassation, mais en matière électorale, ce n’est pas le cas qui nous a été soumis.

S. : Vous avez dit tout à l’heure que vous avez été saisi à maintes reprises par les partis. Combien de partis politiques vous ont saisi et, si possible, donnez-nous un ou deux exemples qui vous ont été soumis.

H.D. : Combien de partis ? Je ne saurai vous le dire sur le vif, mais avant le report des élections pour le 23 avril, nous avions déjà enregistré huit (8) recours dont deux dossiers ont fait l’objet de fonction, ce qui ramenait le nombre de dossiers à sept (7). Et après le report, nous avons eu deux dossiers. Pour le cas des partis qui ont eu à faire des recours, mais c’était varié, on a eu deux (2) dossiers de l’ADF/RDA, il y a également eu des dossiers contre le CDP ; il y a chaque fois la CENI qui est attaquée pour les décisions qui ont été rendues ; il y a eu également des partis moins en vue qui ont fait recours.

S. : Certains juristes ont dit que M. Harouna Dicko aurait dû saisir plutôt le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel pour demander l’annulation des actes pris par la CENI et ses démembrements. A votre avis, qui est compétent ?

H.D. : Sur le plan déontologique, je ne peux pas critiquer la décision de collègues. Mais je relève comme tout le monde que dans cette décision, le Conseil constitutionnel a bien souligné qu’il s’agit d’acte administratif. Or les actes administratifs relèvent de la compétence du Conseil d’Etat.

S. : Alors, quand on vous saisit, vous avez quel délai pour donner un arrêt ?

H.D. : En matière électorale, nous avons huit (8) jours pour statuer. Quand nous sommes saisi, nous avons des calendriers d’audiences, si la saisine ne rentre pas dans le cadre du calendrier, en tant que Premier président, je prends une ordonnance pour fixer une audience extraordinaire afin que nous puissions statuer dans les délais.

S. : Comment êtes-vous organisé pour pouvoir faire face, surtout en cette période électorale, aux nombreuses tâches ?

H.D. Notre organisation générale résulte d’une loi organique qui a été prise et régit le Conseil d’Etat après l’éclatement de la Cour suprême, le Conseil d’Etat ayant pris la place de la Chambre administrative.

Et le contenu de cette loi organique veut que le Conseil d’Etat soit composé d’un premier président, de présidents de chambres, de conseillers. Le nombre de présidents de chambres, celui des conseillers ne sont pas précisé mais ce n’est pas limitatif. Seulement, il est prévu une chambre consultative et une chambre du contentieux. Il est à la charge du premier président d’affecter dans ces chambres-là, les personnes qui ont été nommées présidents de chambres, et de répartir également les conseillers. En dehors des premiers présidents des Présidents de chambres et des conseillers, nous avons le commissaire du gouvernement et les commissaires du gouvernement adjoints qui, en quelque sorte, jouent le rôle du ministère public. Et comme toute juridiction, nous avons un greffier en chef. La tâche du Conseil d’Etat, la mission contentieuse et consultative, s’exerce au niveau des deux chambres consultative et contentieuse, toute l’activité étant coordonnée par le premier président.

Dans le cadre des élections, il faut partir d’un constat que le conseil d’Etat n’est pas bien étoffé pour pouvoir gérer tout ce travail surtout le contrôle sur le terrain. Il a fallu demander main forte en s’adressant au ministre de la Justice pour que d’autres magistrats puissent être mis à la disposition du Conseil d’Etat dans le cadre des élections municipales ; des équipes ont ainsi été formées pur se rendre dans les 45 provinces pour se faire une idée de la façon dont les choses vont se dérouler afin que les décisions soient rendues de la façon la plus sereine possible. En matière électorale, on statue en droit et aussi en équité parce qu’il s’agit de garantir la paix sociale. Le droit qui ne se baserait pas sur l’équité aboutirait à des situations de conflit alors que le juge est là pour faire en sorte qu’il y ait le moins de conflits possibles et même s’il y a un conflit, qu’on puisse trouver un terrain d’entente.

S. : Vous avez déjà organisé deux séminaires de formation pour le personnel qui va vous accompagner pendant ces élections. A quoi répondent ces formations ? Est-ce à dire que les magistrats ne sont pas suffisamment outillés en matière électorale ?

H.D. : Je ne vois pas la question sous cet aspect. les magistrats qui sont déjà en poste pour la plupart du temps sont formés en matière de contentieux électoral puisque l’année dernière déjà nous avons eu à les former sur le contentieux électoral. Mais il se trouve que pour le jeu des affectations, il y a de nouveaux magistrats qui sont nommés, parce que nous sommes dans un système au Burkina, où le juge administratif n’est pas un juge spécialisé qui par sa formation de base, ne fera pas que du contentieux administratif toute sa carrière durant. Il peut se trouver superviseur des juridictions de l’ordre judiciaire comme il s’est trouvé devant les juridictions de l’ordre administratif. Il est nécessaire de faire des formations pour ceux qui arrivent dans les juridictions administratives pour la première fois, pour qu’ils soient effectivement outillés, mais aussi, pour que ceux qui sont déjà en fonction puissent se rafraîchir la mémoire et échanger avec les autres, d’autant que le formateur qui est venu tout récemment est un formateur expatrié du Conseil d’Etat de France qui a quand même une très longue carrière devant lui ; cela a permis des échanges très enrichissants. En ce qui concerne les autres personnels tels que les greffiers, leur formation commence le 12 avril parce qu’il est bien de former les magistrats, mais une juridiction c’est non seulement le magistrat mais aussi le greffier qui tient la plume, s’il ne sait pas comment il faut recevoir le dossier, s’il ne sait pas les délais de procédure, ce serait difficile. Le greffier est vraiment la cheville ouvrière, il faut le former.

S. : Vous avez parlé des ressources humaines qui sont insuffisantes et les autres moyens logistiques, techniques, etc. Est-ce que vous êtes suffisamment dotés dans ce sens-là ?

H.D. : Nous avons le minimum et avec la détermination du personnel qu’on a, je pense qu’on va s’en sortir. Les juridictions qui sont les plus mal outillées, sont les tribunaux administratifs qui se trouvent en train de cumuler les fonctions de juge de tribunaux de l’ordre judiciaire et des fonctions de tribunaux administratifs et qui n’ont même pas le téléphone parce que ce sont de nouvelles juridictions. Le problème peut se poser à ce niveau mais c’est un problème insoluble parce que si la localité où ils sont n’a même pas une ligne téléphonique, c’est assez difficile. Mais là où il a été possible de faire quelque chose, cela a été fait et les dossiers contentieux que nous avons reçus, ça n’a pas été facile parce qu’il a fallu qu’ils s’adressent parfois aux transporteurs pour transmettre leur décision parce que lorsque la décision est rendue, celui qui a saisi le tribunal a trois jours pour faire son recours devant le Conseil d’Efat et nous, nous avons huit (8) jours pour statuer. Il faut que ça aille très vite et pour cela, ça aurait été bien que ces tribunaux-là soient suffisamment équipés, notamment en fax pour pouvoir transmettre leur décision en attendant que les formules les plus officielles puissent parvenir. Nous avons reçu des moyens de l’Etat et nous reconnaissons les efforts qui ont été faits, mais c’est difficile de dire que nous sommes vraiment au point sur le plan matériel et logistique. Et pour les sorties sur le terrain, il y a également un problème de véhicules qui se pose, le ministre des Finances nous a donné l’assurance que les moyens seront dégagés dans ce sens.

S. : Psychologiquement, vous êtes prêt pour le 23 avril ?

H.D. : Tout à fait. Psychologiquement nous sommes prêt, aussi bien nous-même que mes collaborateurs du Conseil d’Etat et des tribunaux administratifs, surtout après cette formation qui a permis à l’ensemble des tribunaux administratifs de se retrouver ici et ceux qui ne n’étaient pas des tribunaux administratifs et qui vont prêter main forte sur le terrain le 23 avril ; je pense que tout le monde a tiré grand profit de cette formation en attendant que les greffiers aussi soient formés pour être sur la même longueur d’onde.

Interview réalisée par Tiergou P. DABIRE
retranscription Ladji BAMA

Sidwaya

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