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Affaire des 650 millions de Gbagbo à Hermann Yaméogo : "C’est ridicule !"

Publié le mardi 11 avril 2006 à 08h23min

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Pierre Bidima

Le président du Mouvement de la paix, Pierre Bidima, n’a pas mâché ses mots quand nous l’avons rencontré le 4 avril dernier. Il donne dans cette interview un coup de pied dans la fourmilière de la crise ivoirienne, déballe des archives, accuse et propose des solutions.

Il prend aussi position par rapport à l’affaire des 650 millions de F CFA qu’aurait reçus le président de l’UNDD, Hermann Yaméogo, des autorités ivoiriennes. "C’est ridicule", dit-il. Et ce n’est pas tout : le docteur Bidima passe au crible l’extradition de Charles Taylor et décortique la politique de réconciliation entreprise par Blaise Compaoré au Togo.

"Le Pays" : Vous avez rencontré, en fin mars, les autorités ivoiriennes ; de quoi a-t-il été question ?

Bangba Pierre Bidima : Nous avons reçu le 10 mars 2006, par courrier, une invitation du Pr Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, pour participer à une cérémonie de dédicace d’une oeuvre de cette institution, dénommée "Naissance d’une Nation". L’oeuvre, riche en images et en peintures, est une écriture de l’histoire et de la mémoire de la Côte d’Ivoire par les Ivoiriens eux-mêmes de la période comprise entre 1999 et 2005. Conçue par l’Assemblée nationale, elle a été réalisée grâce au concours d’éminents hommes de culture : cinéastes, artistes-peintres, musiciens... On peut citer entre autres, Justin Oussou (peintre), Sidiki Bakaba (cinéaste) l’octogénaire Bernard B. Dadié (écrivain), Alpha Blondy (musicien), Théophile Kouamouo (journaliste).

"Naissance d’une Nation" immortalise l’Histoire et la Mémoire de la Côte d’Ivoire au profit des générations présentes et futures.

Nous avons, à cette occasion adressé un message de solidarité et de paix à nos frères ivoiriens.

Outre le Mouvement de la paix, la délégation burkinabè comprenait le député Deval Millogo et le journaliste Mathieu N’Do, tous deux de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD). Plusieurs personnalités d’autres pays comme la France, le Sénégal, le Cameroun, le Ghana, les Etats-Unis d’Amérique ont participé à la cérémonie de dédicace, les 24 et 25 mars. Nous avons animé un panel ayant pour thème : " Transitions démocratiques et renaissance des nations africaines". Les échanges autour de ce thème étaient enrichissants, pluriels et tous les intervenants ont insisté sur la nécessité d’une renaissance des nations africaines car plusieurs d’entre elles subissent encore le joug des accords de coopération déséquilibrés, humiliants et scandaleux qui les empêche de se développer malgré les efforts consentis. Nous avons en outre assisté à un grand meeting du refus de la guerre qui a rassemblé plus de 100 000 personnes à Yopougon.

Le 26 mars, le Pr Koulibaly nous a accordé une audience pendant plus d’une heure. Nous avons échangé avec lui sur le retour de la paix en Côte d’Ivoire, la nécessité d’organiser des élections libres et transparentes ; nous lui avons réitéré notre soutien et notre disponibilité à oeuvrer pour cette paix.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ?

Nous constatons avec joie que les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ne sont pas rompues ; les relations diplomatiques sont maintenues ; les liens commerciaux, culturels, sportifs, académiques sont stables. Nous souhaitons que le Burkina et les autres pays limitrophes qui ont favorisé, d’une façon ou d’une autre, la rébellion ivoirienne mettent fin à leur ingérence et aident les Ivoiriens à retrouver la paix. Sans paix, les Burkinabè, les Maliens et les autres communautés étrangères s’épanouiront très difficilement, y compris d’ailleurs les Ivoiriens eux-mêmes.

En temps de guerre, nul n’est à l’abri de la violence ; c’est pourquoi il faut aider la Côte d’Ivoire à en finir avec cette guerre qui fait reculer l’épanouissement des populations ivoiriennes et celui des peuples de la sous-région. Tout autre calcul serait égoïste et contre les intérêts supérieurs des peuples de la sous-région, donc criminel.

Quelles sont, selon vous, les vraies raisons de ce conflit ?

On entend souvent certains médias occidentaux présenter cette guerre ivoirienne comme étant une guerre entre musulman du Nord et chrétiens du Sud.

Pour savoir les vraies raisons de la guerre en Côte d’Ivoire, je vous invite à lire cet extrait des accords de coopération signés en 1961 entre la France et certains pays africains :

« ANNEXE A /l’accord de Défense entre la république de Cote d’Ivoire, la république du Dahomey, la République française et la République du Niger concernant la coopération dans le domaine des matières premières et produits stratégiques :

Afin de garantir leurs intérêts mutuels en matière de Défense, les parties contractantes décident de coopérer dans le domaine des matériaux de Défense dans les conditions définies ci-après :

Article premier : Les matières premières et produits classes stratégiques

comprennent :

- Première catégorie : les hydrocarbures liquides ou gazeux ;

- Deuxième catégorie : l’uranium, le thorium, le lithium, le béryllium, leurs minerais et composés.

Cette liste pourra être modifiée d’un commun accord, compte tenu des circonstances.

Article 2 : La République française informe régulièrement la République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger de la politique qu’elle est appelée à suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, compte tenu des besoins généraux de la Défense, de l’évolution des ressources et situation du marché mondial.

Article 3 : La République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger informent la République française de la politique qu’elles sont appelées à suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, des mesures qu’elles se proposent de prendre pour l’exécution de cette politique.

Article 4 : La République de Côte d’Ivoire, la République du Dahomey et la République du Niger facilitent au profit des forces armées françaises le stockage de matières premières et produits stratégiques. Lorsque les intérêts de Défense l’exigent, elles limitent ou interdisent leur exportation à destination

d’autres pays.

Article 5 : La République française est tenue informée des programmes projets concernant l’exportation hors du territoire de la République de Cote d’Ivoire, de la République du Dahomey et de la République du Niger de matières premières et des produits stratégiques de deuxième catégorie énumérés à l’article premier.

En ce qui concerne ces mêmes matières et produits, la République de Côte d’Ivoire, République du Dahomey et la République du Niger, pour les besoins de la Défense réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle.

Article 6 : Les Gouvernements procèdent, sur les problèmes qui font l’objet de présente annexe, à toutes consultations nécessaires.

Ont signé : Félix Houphouet-Boigny, Michel Debré, Hubert Maga, Hamani Diori. Paris, le 24 avril 1961".

Quelle analyse faites-vous de ces accords ?

Ces accords de coopération sont une véritable escroquerie et constituent une nouvelle forme de pillage des richesses des pays africains qui les ont signés. Aucun dirigeant africain responsable de nos jours, aucun intellectuel honnête, aucune autorité coutumière, aucun régime patriote ne peut les accepter en ce 21e siècle ! Comme si 4 siècles d’esclavage, plus de 2 siècles de colonialisme ne suffisaient pas ! Selon nos sources, le président Maurice Yaméogo de la Haute Volta qui faisait partie de cette rencontre de Paris, ce 24 avril 1961, a courageusement refusé de signer l’accord pour deux (02) raisons essentielles dont une de forme et une de fond :

A propos de la forme : pourquoi la France dans cet accord est une entité alors qu’il faut 4 Etats souverains, indépendants à savoir le Dahomey, le Niger, la Côte d’Ivoire et la Haute Volta pour constituer l’autre entité ? Sommes-nous des Etats souverains au même titre que la France ou pas ? Pourquoi ne pas signer des accords séparés pays par pays ? Telles sont les questions que le président Yaméogo a posées à Michel Debré avant de claquer la porte de la réunion.

A propos du fond : il est tout simplement contraignant, humiliant, asservissant et constitue une violation grave des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes et de leurs richesses.

A son retour à Ouagadougou selon les mêmes sources, le président Yaméogo a signé un décret mettant fin à la présence de l’armée française dans notre pays.

Le 24 octobre 2000, lorsque le président Gbagbo accède au pouvoir en Côte d’Ivoire , plusieurs fois lors de ses discours officiels, il affiche son intention de gouverner autrement la Côte d’Ivoire et promet de réviser les accords de coopération de 1961 dans un avenir très proche ; vingt mois plus tard, alors qu’il se préparait effectivement à engager le processus de re-négociation des accords de 1961 avec la France, les rebelles lui tombèrent dessus ; certains d’entre eux ont avoué qu’ils sont appuyés par la France, comme l’atteste du reste l’interview de Ibrahim Coulibaly dit IB dans Jeune Afrique L’Intelligent ; ce que la France dément.

C’est pourquoi notre délégation a proposé aux membres participants à la table ronde, la création d’une vaste organisation internationale de résistants pacifiques pour la renaissance africaine. Il s’agira de dénoncer ensemble avec toutes les forces démocratiques, et anti -oppression du monde occidental et du Sud, cette grande escroquerie et cette re-colonisation subtile de l’Afrique. Il faut des accords plus respectueux, équitables et justes avec nos jeunes Etats. Le noyau de ce Réseau de résistants aux mains nues existe déjà au Burkina Faso depuis le 8 novembre 2004, date de la parution de l’historique "lettre des intellectuels sur la crise ivoiro-sous-régionale", lettre largement relayée par la presse. Nous allons réactiver ce réseau et le renforcer par d’autres adhésions.

En tant que président du Mouvement de la paix, avez-vous un schéma de sortie de crise à proposer aux Ivoiriens ?

Le Mouvement de la Paix est contre les guerres et particulièrement contre cette

guerre ivoirienne, car la Côte d’Ivoire est un pays voisin ; c’est le poumon de l’UMEOA dont est membre le Burkina Faso et elle héberge plus de 3 millions de nos compatriotes. Notre schéma de sortie de crise est celle contenue dans la résolution 1633 de l’ONU, qui s’articule autour de ces quelques points fondamentaux : mise en place d’un Exécutif consensuel, libre fonctionnement des institutions jusqu’aux élections, désarmement des belligérants, mise en route du processus électoral et les élections en octobre 2006.

Les deux premiers points sont réalisés ; les deux derniers, les plus difficiles, sont en cours de réalisation.

Comment appréciez-vous l’affaire des 650 millions de F CFA qu’aurait reçu Me Hermann Yaméogo des autorités ivoiriennes ?

C’est tout simplement ridicule. C’est toujours les mêmes cibles : les dirigeants de la société civile ou de l’opposition qui ne veulent pas se laisser caporaliser ; tantôt c’est Halidou Ouédraogo du Mouvement burkinabè des droits de l’homme (MBDHP) qui aurait reçu 100 millions des mains du Président Bédié ou encore des armes et de l’argent fournis par le Président Eyadéma pour déstabiliser Blaise Compaoré ; et à l’arrivée, tout cela n’était que du bluff. Tantôt c’est Ahmed Newton Barry (journaliste indépendant) qui vendrait des informations au Président Gbagbo contre son pays le Burkina Faso ; ici aussi, l’affaire s’est révélée être du bluff.

Voici maintenant venu le tour de Me Hermann Yaméogo qui, après « avoir fourni des infos à Gbagbo », est « parti en Mauritanie pour l’argent », est revenu voir Gbagbo qui lui aurait donné 650 millions pour déstabiliser le régime du Président Blaise Compaoré... Qui peut croire à ces calembredaines qui viennent toujours de la cour du roi ? Pourquoi tous ces serviteurs zélés ne s’intéressent-ils pas à ces personnalités qui avaient moins de 300 000 F CFA dans leur compte en mai 1987 et qui sont des multimilliardaires aujourd’hui ? Pourquoi ces" patriotes" n’enquêtent-ils pas sur les diamants de Charles Taylor qui ont enrichis illicitement tant de personnes au Faso ? Ont-ils demandé au CDP (parti au pouvoir) comment il a construit son siège et avec le concours de quel pays asiatique ? Comme l’a dit Dante, si j’ai l’occasion de rencontrer le Président de l’UNDD, je lui dirais : « Suivez votre chemin et laissez les gens dire ! ».

Ne craignez-vous pas qu’on vous soupçonne vous aussi de tremper dans de sombres affaires avec certaines autorités ivoiriennes ?

C’est possible mais s’ils nous diffament, nous les traînerons devant les tribunaux ; le Mouvement de la paix n’est pas un parti politique mais une association laïque de la société civile. Nos partenaires financiers sont des pays, des ONG, des institutions africaines, européennes, américaines et même asiatiques. Pourquoi allons-nous nous gêner de prendre l’argent des frères africains pour consolider la Paix, lutter contre les guerres, promouvoir et défendre les droits humains ? Pourquoi lorsque ce sont les pays amis d’Europe ou des Etats Unis d’Amérique qui nous financent, nous ne les refusons pas ? Pourquoi refuser le financement des institutions et des pays frères Africains ? Un pays frère ou ami, une association africaine, une institution, ou une ONG africaine qui veut bien nous financer nos projets est la bienvenue. Ni le Code pénal, ni la constitution n’ont proscrit ce type de financement des associations. L’Etat donne de l’argent aux médias et aux partis politiques ; où veut-il que les Organisations de la société civile (OSC) trouvent de l’argent pour financer leurs projets si ce n’est qu’avec des partenaires nationaux et étrangers (Africains ou pas) ?Toutefois, le Mouvement de la Paix s’interdit deux types de financement :

ceux provenant du terrorisme (Al-Qaida et ses démembrements) et ceux issus des diamants sales des guerres.

L’extradition de l’ex-président libérien, Charles Taylor, vous paraît-elle normale ?

Absolument ! C’est tout à fait normal. Le Mouvement de la paix a toujours dit haut et fort que l’impunité est une menace sérieuse à la paix.

Tous les chefs d’Etat d’Afrique qui se comportent en Tsar de Russie, qui violent les droits humains, qui assassinent leurs compatriotes, pillent leur peuple..., doivent savoir que nous sommes au 21e siècle et qu’aucun crime ne restera impuni. Hier, c’était Samuel Doe. "Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, un chef d’Etat, Samuel Doe achevait sa carrière dans une brouette, horriblement mutilé et à demi mangé par des ennemis devenus subitement anthropophages", faisait remarquer douloureusement le journaliste Norbert Zongo en juillet 1997 dans son journal L’Indépendant. Aujourd’hui, c’est Charles Taylor : pour la première fois de l’histoire de l’humanité, un ancien chef d’Etat en retraite doré et qui avait commis des crimes de torture, des crimes de guerre... essaie de s’enfuir tel un vulgaire voyou pour échapper à la rigueur de la justice internationale mais en vain. Le journaliste Norbert Zongo lui avait pourtant prodigué des conseils gratuits peu après sa victoire à l’élection présidentielle libérienne de 1997 en ces termes : « Le pouvoir a été conquis par les urnes ; il reste à le garder par la démocratie. Et là, il faut à l’ancien chef de guerre une grande reconversion au niveau mental. Quand on a déjà joui des fruits de la violence, il est difficile de croire aux vertus de la paix et de la démocratie. La seconde guerre du président Taylor reste cette lutte qu’il doit gagner contre lui-même ; trop imbu de sa personne, il évitera très difficilement la fascisation de son régime après avoir semé tant de cadavres à travers le Liberia, il lui sera difficile d’avoir les justes dimensions des droits de l’homme » (L’Indépendant du 29 juillet 1997). Le Président Taylor n’a pas suivi ces sages conseils du journaliste et la suite est très bien connue : ingérences dans les affaires intérieures de la Sierra Léone avec des conséquences désastreuses. Pour éviter ce genre de situation peu enviable, il faut pratiquer tout simplement la gouvernance démocratique pour nos peuples dont le maître mot est l’alternance au pouvoir et la coexistence pacifique avec ses voisins.

Le Mouvement de la Paix souhaite au nom de la lutte contre l’impunité et pour une paix durable dans la sous région, que tous ceux qui ont pactisé avec Charles Taylor dans l’accomplissement de ses desseins macabres en Sierra Léone répondent devant la Justice internationale.

Comment appréciez-vous la nouvelle tunique de Blaise Compaoré en tant que "apôtre de la paix et de la réconciliation", notamment au Togo ?

Avant de réconcilier les autres, il faut tout d’abord réconcilier les siens.

Le président Blaise Compaoré a suspendu le forum de réconciliation nationale dans notre pays en 1992 et depuis lors, la réconciliation des Burkinabè est restée suspendue. S’il n’a pas pu résoudre notre problème, comment peut-il réussir ailleurs ? Au Togo, il n’y a pas la guerre pour l’instant, fort heureusement ; les problèmes du Togo, ce sont des violations graves des droits humains, des élections truquées, la corruption, des assassinats politiques au nombre desquels celui d’un chef d’Etat en exercice du nom de sylvanus Olympio... Pensez vous que nous sommes au Burkina Faso mieux lotis que les Togolais sur ce terrain ? Nous pensons sincèrement que les chances de réussite de Blaise Compaoré à réconcilier les Togolais sont objectivement nulles.

Quant au volet "Paix", nous nous réjouissons qu’après avoir aidé Charles Taylor et le rebelles du RUF à faire ce qu’ils ont fait au Liberia et en Sierra Léone, le président Blaise Compaoré se soit revêtu comme vous le dites d’une nouvelle tunique en tant

qu’apôtre de la Paix. Pourvu que ça dure ! Nous lui souhaitons bonne chance.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

Le Pays

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